Intervention de Françoise Cartron

Réunion du 16 septembre 2010 à 9h30
Équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je me réjouis du consensus dont ce texte fait l’objet. Le fait qu’il ait été déposé dans les mêmes termes au Sénat et à l’Assemblée nationale et que cette dernière l’ait adopté à la quasi-unanimité de ses membres nous démontre que les initiatives parlementaires peuvent parfois se révéler fructueuses.

J’ajoute que cette proposition de loi a été élaborée en étroite concertation avec tous les acteurs de la profession. Je salue à cette occasion le travail accompli par le CNC.

Après notre rapporteur, Serge Lagauche, je vais vous présenter la position du groupe socialiste sur cette proposition relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

La numérisation constitue un virage technologique de grande ampleur pour toute l’industrie cinématographique. Nous devons être pleinement conscients de ce qu’il implique : il s’agira non pas d’une simple évolution ne touchant que quelques-uns, mais d’un changement immédiat et général. Ceux qui en seraient écartés seraient, de fait, exclus de l’industrie.

L’équilibre de cette industrie, ainsi que l’exigence d’une réelle égalité territoriale, implique que l’ensemble des 5 400 salles, réparties dans les 2 200 établissements que compte notre pays, puissent s’équiper dans un délai bref. Or le coût de l’acquisition de projecteurs numériques et des travaux nécessaires à leur installation est très élevé : 80 000 euros en moyenne. Il faudra donc 430 millions d’euros pour couvrir l’ensemble du territoire.

Comme le montre le rapport de Serge Lagauche, la numérisation est un enjeu dont la puissance publique doit se saisir. Plusieurs raisons nous conduisent à légiférer aujourd’hui. J’en évoquerai trois.

Tout d’abord, il faut rétablir un certain équilibre dans l’industrie du cinéma. À l’échelle de l’ensemble de l’industrie, la numérisation permettra sans aucun doute de réaliser des économies substantielles, donc des gains économiques qu’il conviendra de répartir de façon équitable. Dans un premier temps, les avantages financiers bénéficieront aux distributeurs, puisque le coût d’une copie numérique est de 150 euros environ, contre 600 à 2 000 euros pour une copie au format 35 millimètres. Parallèlement, avant de pouvoir bénéficier d’une plus grande souplesse dans leur programmation et en matière de logistique, les distributeurs seront pénalisés par le coût des équipements. Cette situation risque de remettre en cause l’équilibre de certaines salles, notamment les plus petites. C’est pourquoi l’intervention du législateur est nécessaire.

Ensuite, il convient d’assurer l’accès à la culture sur tous les territoires. Les petites salles, les salles d’art et d’essai et les cinémas ruraux subventionnés doivent conserver toute leur liberté dans leurs choix de programmation. Pour cela, le législateur a le devoir de garantir leur indépendance à l’égard des diffuseurs. Ces salles doivent donc être soutenues afin de pouvoir s’équiper au même rythme que les grands réseaux de diffusion. Dans le cas contraire, elles seraient soumises à la raréfaction des copies en 35 millimètres, puis à leur disparition, et elles subiraient de façon encore plus violente qu’aujourd’hui la pression de la concurrence des grandes salles, ce qui mettrait en jeu leur survie.

Enfin, il convient d’accompagner la mutation de l’industrie. La numérisation aura des conséquences sociales importantes pour les salariés. Je pense notamment aux projectionnistes et aux techniciens des industries techniques. Le législateur doit intervenir afin que, pour ces personnels, virage technologique ne rime pas avec chômage automatique.

Telles sont les trois raisons majeures qui justifient l’intervention du législateur. Certes, l’équipement des grandes salles aurait sans doute pu être laissé à l’arbitrage du marché. Cette catégorie d’établissements, qui représente le tiers du parc français avec 1 436 salles, est d’ailleurs souvent équipée. Les grands diffuseurs et distributeurs français se sont inspirés d’une initiative américaine pour mettre en place un principe dit de « frais de copie virtuelle ». Le distributeur reverse une contribution dite « numérique », correspondant à une part des économies réalisées, afin d’aider les diffuseurs à acquérir des équipements numériques. Déjà, des « tiers investisseurs » privés interviennent sur le marché français pour permettre aux exploitants de mutualiser les contributions des diffuseurs.

Ce principe, satisfaisant pour les grands réseaux, nécessite une régulation publique pour garantir le passage au numérique de l’ensemble des salles et pour assurer la liberté de programmation des exploitants. En effet, les diffuseurs ne doivent pas être tributaires des choix des distributeurs pour leur survie.

Outre les trois raisons majeures que j’ai évoquées, l’intervention du législateur a également été rendue nécessaire par la décision de l’Autorité de la concurrence du 1er février dernier, qui censurait l’initiative, visant à créer un fonds de mutualisation, lancée par le CNC, lequel serait alors devenu un « tiers investisseur public ». L’autorité a vu dans le principe simple qui était proposé une concurrence déloyale à l’encontre des « tiers investisseurs » privés, considérant que le CNC ne pouvait à la fois être régulateur et opérateur sur ce marché.

Le dispositif présenté par notre rapporteur me paraît répondre à toutes ces exigences et permettra d’atteindre cet « objectif d’intérêt général », rappelé par l’Autorité de la concurrence, que constitue la numérisation des salles de cinéma.

Premièrement, il permettra de renforcer la transparence. Cela concerne, d’une part, les équipements qui justifient la mise en place d’une contribution numérique, ainsi que leur durée d’amortissement et, d’autre part, la nécessité d’établir des contrats écrits, tant pour la contribution numérique que pour le contrat de location de films.

Deuxièmement, ce dispositif favorise l’organisation mutualisée de la collecte de la contribution numérique, afin de retenir une solution proche de celle qu’avait imaginée le CNC et qui a été approuvée par la profession.

Troisièmement, la proposition de loi inclut l’ensemble des utilisations possibles des équipements numériques. En effet, l’équipement numérique permettra aux salles de développer une nouvelle activité « hors film ». Il était normal que les acteurs de cette nouvelle industrie participent à l’équipement des exploitants. Cependant, les bandes-annonces et les courts métrages sont exclus du dispositif.

D’un point de vue technique, le texte proposé insiste sur la nécessaire interopérabilité sur toute la chaîne et entre toutes les salles. Ainsi, les plus petites salles ne risqueront pas d’être dans l’impossibilité de diffuser certains films.

Par ailleurs, j’estime que l’impératif de diversité culturelle est garanti par le texte, puisque les aides publiques sélectives accordées par le CNC sont conditionnées aux engagements de programmation. Cet objectif est concrétisé par le décret du 8 juillet dernier, relatif aux aides directes du CNC, qui régit le soutien financier que recevront les salles de trois écrans ou moins. Ces aides sont essentielles, car elles concerneront les salles diffusant les films à un large public, notamment dans les villes moyennes et en zone rurale.

La conjonction du système de contribution obligatoire et des aides directes du CNC aux salles de continuation permettra, je l’espère, un équipement de l’ensemble du parc. Nous sommes donc satisfaits de ce dispositif. Mais, après l’adoption du texte, nous devrons veiller à son application. Nous devrons aussi vérifier avec une grande attention qu’il est bien adapté aux plus petites salles, notamment aux salles rurales qui ne peuvent subsister qu’avec l’aide des collectivités territoriales.

Le passage d’une à deux semaines après la sortie nationale du film du délai nécessaire pour bénéficier de la contribution obligatoire est une bonne chose. Nous devrons rapidement vérifier si ce délai est suffisant, et si tel n’est pas le cas, envisager de l’étendre. Je m’interroge sur ce point et je ne suis pas la seule, puisque certains de mes collègues souhaitent, par voie d’amendements, allonger dès maintenant ce délai à trois, voire à quatre semaines.

Il nous faudra également prêter une attention toute particulière à la façon dont les petites salles feront face à la complexité du dispositif.

Les collectivités territoriales assurent déjà la survie de nombreuses salles rurales et associatives. Je peux en témoigner pour la région Aquitaine dont je suis issue. La numérisation des salles ne devrait pas se traduire pour ces collectivités par une explosion des aides, surtout dans le climat de grande inquiétude et incertitude financières qu’elles connaissent.

Une grande attention devra également être portée à l’évolution des emplois dans les industries techniques. La numérisation constitue pour ces industries une véritable révolution technologique. La Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia, la FICAM, a assimilé les conséquences de cette innovation à un authentique électrochoc économique et social. Ce secteur va ainsi perdre près de 1 100 emplois, ainsi que 165 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec ce texte, nous allons accélérer la mutation technologique. Nous devons, en contrepartie, être très attentifs à l’évolution des emplois dans ces industries.

Si la réforme qui nous est proposée devait se traduire par une disparition des petites salles et par la destruction de nombreux emplois, la révolution numérique ne serait pas seulement un formidable progrès, elle serait aussi, malheureusement, une terrible régression. Nous devons donc, mes chers collègues, être particulièrement vigilants quant à l’application de la loi et ne pas considérer notre travail sera terminé après que la proposition de loi aura été votée. Il y va de la qualité de l’offre de films française et de la survie de toute l’industrie cinématographique hexagonale.

J’ai rappelé notre devoir de vigilance, mais cela n’enlève rien à la qualité du dispositif proposé. Je crois en effet qu’en adoptant ce texte, nous répondons de façon satisfaisante à l’enjeu de la numérisation des salles. C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

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