Intervention de Alain Anziani

Réunion du 2 mars 2011 à 14h30
Élection des députés - élection des députés par les français établis hors de france - transparence financière de la vie politique — Adoption d'un projet de loi organique d'un projet de loi et d'une proposition de loi

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un récent sondage indiquait que les Français n’avaient plus confiance dans leurs élus. Cette défiance n’est pas nouvelle, elle n’est d’ailleurs pas propre à notre pays, mais elle révèle une faille dans notre démocratie fondée sur la représentation.

Cette situation tient sans doute à plusieurs causes. Les Français ne croient plus aux politiques publiques, qui n’apportent pas de solution à leur recherche d’un emploi, d’un logement, et qui ne leur offrent aucun avenir, ni pour eux-mêmes ni pour leurs proches. Ils ont aussi l’impression – et cela nous concerne directement – que la vie politique appartient à un autre monde, dans lequel les règles ne seraient pas les mêmes selon que l’on est puissant ou misérable. En outre, un grand nombre de Français méconnaît le travail que les élus accomplissent et en ont parfois une vision caricaturale.

Les textes examinés aujourd’hui modernisent et simplifient de nombreuses dispositions électorales. Ils aménagent les règles existantes plutôt qu’ils ne les transforment. Ils n’ont pas pour ambition de se confronter aux modes de scrutin, notamment à la question de la représentativité du Sénat, et donc de l’égalité des suffrages, qu’il faudra un jour poser. Toutefois, sans d’ailleurs que leurs auteurs l’aient voulu, ils ouvrent un large débat qui va nous occuper dans les prochaines années : comment réconcilier les Français et leurs élus ?

Vous me permettrez de m’y attarder quelques instants. En fait, ce débat a été initié depuis maintenant plus de vingt ans par les différentes lois sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, scandées par des scandales. La France a été le dernier pays européen à se doter d’une législation de ce type. Il aura fallu voter onze lois, entre 1988 et 2006, pour combler ce retard.

Aujourd’hui, ce débat se poursuit, poussé par d’autres scandales qualifiés de « conflits d’intérêts » ou de confusion entre l’intérêt général et les intérêts particuliers. La démission de M. Éric Woerth a posé la question de savoir si l’on pouvait cumuler à la fois les fonctions de trésorier d’un parti politique et celles de ministre du budget. La démission, ce week-end, de Mme Alliot-Marie a montré que, désormais, les fonctions ministérielles imposaient une retenue, y compris dans la sphère privée.

La particularité française consiste à appliquer aux conflits d’intérêt un traitement pénal qui repose sur la prise illégale d’intérêts. À cet égard, la situation française est paradoxale : si nous disposons d’un arsenal juridique extrêmement répressif, la pratique en matière de sanctions est plutôt bienveillante, en tout cas plus complaisante qu’ailleurs. Ainsi, à l’occasion d’un déplacement à Berlin, mardi dernier, avec M. le président Hyest, nous avons constaté une plus grande sévérité dans la pratique, alors que la législation allemande est moins contraignante.

Comment allons-nous réduire cet écart qui contribue à la méfiance de l’opinion ? Au fond, comment pouvons-nous prévenir plutôt que réprimer ?

L’une des voies que la mission sénatoriale explore est celle de la transparence. La transparence est selon moi l’enjeu premier de ces textes. Elle est évidemment un impératif absolu en matière électorale. Elle conditionne à la fois la sincérité du scrutin et la confiance de l’électeur.

Cette transparence suppose des règles claires. Qui peut se présenter à une élection ? Notre régime des inéligibilités et des incompatibilités est aujourd'hui obsolète, comme l’a souligné M. le rapporteur. Le code électoral vise encore aujourd'hui les inspecteurs des lois sociales en agriculture, lesquels n’existent plus ! Une actualisation de notre régime est donc nécessaire.

La transparence suppose également des sanctions claires. Or ces sanctions sont aujourd'hui confuses. En cas de compte de campagne non conforme ou de non-respect des règles, des décisions différentes seront prises en fonction des juridictions.

Le Conseil d’État ne prononcera l’inéligibilité d’un candidat aux élections locales que si ce dernier n’est pas de bonne foi. En outre, la jurisprudence en la matière est complexe, comme l’a rappelé M. le rapporteur tout à l’heure.

Devant une irrégularité identique, le Conseil constitutionnel sera tenu – c’est le terme qu’il emploie constamment –, du fait des textes que le Parlement a votés, de prononcer l’inéligibilité du candidat, que celui-ci soit ou non de bonne foi. Un candidat aux élections législatives a ainsi été déclaré inéligible – il avait été élu – uniquement parce qu’il avait réglé personnellement ses frais de déplacement, ce que la loi interdit. Un mandataire est nécessaire.

Il faut avancer dans ce domaine. À cet égard, nous avons fait des propositions dans le cadre du groupe de travail sur le droit des campagnes électorales. Nous pensons en particulier que l’inéligibilité ne peut pas être automatique. Il faut sanctionner l’intention frauduleuse, non la simple erreur. La commission des lois a également souhaité ce matin que soit pris en compte le respect des règles en matière de financement des campagnes électorales. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles.

La réforme de l’inéligibilité, cela a été dit, ne va pas passer comme une lettre à la poste. Nous devrons nous expliquer devant l’opinion publique une nouvelle fois, et ce avec beaucoup de netteté. Nous devrons lui dire qu’il ne s’agit ici que d’appliquer des principes auxquels nous sommes très attachés.

Premier principe : aucune peine ne peut être automatique, conformément à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il faut s’en réclamer dans ce cas, comme nous le faisons constamment.

Deuxième principe : toute peine doit être proportionnelle à la gravité des faits. Qui pourrait ne pas être d’accord avec cette évidence ?

Troisième principe, et nous y sommes très attachés : une peine doit être prononcée par un juge. En l’espèce, ce sera évidemment le juge de l’élection, même si un encadrement du pouvoir d’appréciation judiciaire est prévu.

Si le candidat est de bonne foi, il ne sera pas condamné à une peine d’inéligibilité. À l’inverse, en présence d’un voyou – permettez-moi d’utiliser ce terme – qui aurait fraudé financièrement ou électoralement, nous sommes favorables à une sanction exemplaire : le juge doit pouvoir mettre le candidat hors jeu de la vie politique en prononçant une inéligibilité étendue à toutes les élections. Une telle disposition est nécessaire. Aujourd'hui, pour un euro de trop, un candidat peut être déclaré inéligible, alors qu’un candidat qui cache des bulletins dans ses chaussettes peut continuer de sévir à l’occasion d’autres scrutins !

La transparence doit également se prolonger une fois l’élection acquise. En France, les candidats – les parlementaires et un certain nombre d’élus locaux – sont soumis à l’obligation de déclarer leur patrimoine. C’est très bien. Le non-respect de cette obligation est sanctionné d’une peine d’inéligibilité d’un an. C’est le minimum. En revanche, la Commission pour la transparence financière de la vie politique n’a aucun moyen de sanctionner un candidat dont la déclaration serait totalement farfelue, substantiellement fausse. On peut déclarer n’importe quoi et ne pas être sanctionné ! Tout cela ne peut évidemment pas durer. Le code électoral prévoit même que l’altération de la vérité en cas de déclaration complètement fantaisiste ne constitue pas un faux au sens pénal. Le législateur a ainsi inventé le droit au mensonge pour lui-même…

Il est temps d’en finir avec ces petits arrangements. La commission des lois de l’Assemblée nationale a souhaité qu’une telle dissimulation volontaire et significative soit constitutive d’une infraction pénale, réprimée par une peine d’emprisonnement de deux ans prononcée par le juge pénal. Toutefois, M. Jacob, relayé par M. Copé, a déposé un amendement tendant à revenir sur la création de ce délit spécifique. Il était inconcevable d’aller jusqu’à menacer d’emprisonnement un candidat ayant fait une fausse déclaration. Cet amendement a réveillé les passions à l’Assemblée nationale, où il a donné lieu à des débats très animés.

Je le dis franchement : je ne comprends pas la frilosité de la commission des lois du Sénat. Pourquoi s’obstine-t-elle à vouloir se caler sur la position du président du groupe UMP de l’Assemblée nationale ? Pour quelles raisons ? Le fait pour un élu de fournir une déclaration mensongère ne peut pas être admis par nos concitoyens ! Nous avons un devoir d’exemplarité. Le non-respect de nos devoirs doit donner lieu à une incrimination spécifique. Nous voterons donc tout amendement tendant à restaurer une peine d’emprisonnement.

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