L'AERES évalue les formations de l'enseignement supérieur, des unités de recherche et des établissements supérieurs de recherche ou des organismes de recherche - mais nous ne finançons pas la recherche pour le développement, ni ne la conduisons. Nous avons un rôle de levier, à travers la mécanique de l'évaluation.
La recherche pour le développement est pluridisciplinaire et finalisée. C'est une de ses caractéristiques, qui touche à de très nombreuses disciplines et qui est plutôt tournée vers un objectif précis plutôt que de nature fondamentale.
La recherche française pour le développement du Sud est-elle au service de ce développement, répond-elle aux besoins du Sud ? Comment procède-t-elle concrètement ? Quel est son impact sur la formation des futurs acteurs de ce développement ? Quel rôle y joue notre propre évaluation ?
Je vais tenter de répondre par l'exemple. J'ai regardé avant de venir trois évaluations que nous avons récemment conduites : celle d'une unité de recherche, que j'ai choisie au hasard - appelée interactions hôtes-vecteurs dans des maladies dues aux trypanosomatidae (Intertryp) -, celle de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et celle du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
Le projet scientifique de l'unité de recherche est structuré autour d'axes bien identifiés. Un des apports au service de lutte contre les trypanosomatidae réside dans le développement de nouveaux outils de diagnostic adaptés au terrain et d'un vaccin contre la leishmaniose canine. Les partenaires de l'unité de recherche sont depuis très longtemps les services chargés de la lutte et les quelques organismes de recherche africains qui effectuent des recherches sur ce sujet. Les collaborations de l'unité sont solides, anciennes, à travers un certain nombre de centres, comme, par exemple, le Centre international de recherche-développement en zones subhumides, ou l'université de Yaoundé, au Cameroun, ou l'université du KwaZulu Natal, en Afrique du Sud. Les membres de l'unité sont impliqués dans les activités d'enseignement dans les pays du Sud, à travers des diplômes d'études approfondies (DEA), masters, notamment le master « maladies infectieuses, virales et alimentaires ».
Cette unité de recherche est-elle représentative ? Je ne saurai le dire, d'autant qu'il faudrait la comparer avec toutes les unités relevant de la recherche pour le développement, ce qui n'est guère facile à identifier...
Nous avons évalué l'IRD en septembre 2010, dans un période intéressante de mutation profonde concernant les pays du Sud, mais aussi d'évolution des politiques publiques en matière d'aide au développement. Ces dernières années, l'IRD a infléchi sa stratégie, pour mieux s'inscrire dans une perspective d'aide au développement, favoriser l'émergence de capacités et de compétences au Sud, mieux cibler les pays les moins avancés (PMA), devenir une sorte de fédérateur de l'action de recherche pour le développement en direction d'un certain nombre de pays, jouer un rôle d'agence d'objectifs, de moyens et de programmation.
Cette évaluation est survenue alors que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2005 avait décidé de cibler des domaines prioritaires - en particulier la santé, l'éducation, la formation professionnelle et l'agriculture - en marquant bien que la recherche pour le développement ne devait céder en rien sur l'excellence. Le même comité interministériel avait également décidé que les résultats des recherches devraient être évalués.
Qu'avons-nous constaté ? Que les priorités scientifiques de l'IRD étaient conformes aux standards de l'excellence - mais aussi que l'impact de la présence au Sud sur le développement restaient très difficiles à mesurer. Comment mesurer l'impact de la recherche ? La question est épineuse aussi pour les pays développés.
L'évaluation a appelé à une meilleure insertion de docteurs originaires des pays du Sud et à un meilleur suivi de la valorisation de la recherche au Sud, en particulier des actions visant à diffuser ses résultats dans le tissu économique des pays en développement. L'évaluation a également souligné que les situations étaient très différentes selon le contexte local, que la stratégie devait s'adapter au contexte. Sur ce point, les évaluateurs relèvent l'absence d'un cadre référentiel pour un redéploiement stratégique du partenariat scientifique et une faible densité de relations entre l'IRD et les milieux socio-économiques au Sud.
Autres constats : la faiblesse de l'évaluation de l'impact sur le développement, le fait que la programmation scientifique est trop souvent déterminée par des initiatives individuelles, entraînant une certaine dispersion thématique et géographique des programmes et un impact peu visible. L'évaluation recommande ici d'expliciter les objectifs poursuivis, et de mieux responsabiliser les acteurs du Sud.
Pour m'en rendre mieux compte, j'ai contacté l'ancien responsable de l'enseignement supérieur au Sénégal et lui ai demandé comment il voyait la question de la recherche en direction du Sud. De son point de vue, un des points clés réside dans une meilleure participation du Sud à l'identification des thèmes prioritaires.
On voit bien la difficulté que cela peut représenter : l'IRD, s'alignant sur une politique gouvernementale, tient compte des objectifs millénaires pour le développement, mais le Sénégal a-t-il étudié les choix thématiques ? La mécanique est complexe à organiser si l'on veut tenir compte des destinataires...
D'un point de vue méthodologique, nous utilisons un référentiel comportant six critères d'évaluation, parmi lesquels deux pourraient concerner la recherche pour le développement. Le premier vise la qualité des interactions avec l'environnement social, économique et culturel, le second porte sur l'implication dans la formation pour la recherche.
A un échelon plus indirect, l'AERES, par son action sur la scène européenne, peut-elle avoir un impact sur le développement du Sud ? Nous avons mis en place un plan d'action européen et international pour coopérer avec nos homologues, nous aidons à mettre en place des agences comparables à la nôtre et nous conduisons des évaluations à l'étranger. Nous avons ainsi évalué des diplômes saoudiens et évaluons cette année le plan national pour la science, la recherche, la technologie et l'innovation de l'Arabie Saoudite.
Au Vietnam, nous avons réalisé une mission exploratoire pour évaluer l'université des sciences et technologies de Hanoï. En Arménie, nous allons évaluer l'université d'Etat, d'architecture et de construction d'Erevan.
Par ailleurs, nous participons à des projets européens de coopération, comme au Liban, avec le projet Tempus pour la mise en place d'une agence d'évaluation libanaise. Au Maghreb, nous sommes également sur un projet Tempus pour le développement de l'assurance qualité des universités dans la région, en particulier pour une amorce d'intégration du Maroc à l'espace européen de la recherche.
Enfin, nous menons des actions de coopération multilatérale. Nous avons par exemple un accord avec l'agence qui s'est mise en place au Vietnam en matière d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Nous participons à toute une série de projets en direction de plusieurs pays africains.
Nous nous situons certes dans une perspective de long terme, mais en suivant l'adage bien connu qu'apprendre à pêcher vaut mieux que donner du poisson...