Monsieur le Président, merci de votre présence. L'initiative de cette mission d'information revient à ma collègue, Mme Ango Ela, et aux membres de son groupe, qui ont souhaité examiner l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, ce qui est assez inusuel - et ce qui en fait une fort bonne initiative.
L'AERES évalue les formations de l'enseignement supérieur, des unités de recherche et des établissements supérieurs de recherche ou des organismes de recherche - mais nous ne finançons pas la recherche pour le développement, ni ne la conduisons. Nous avons un rôle de levier, à travers la mécanique de l'évaluation.
La recherche pour le développement est pluridisciplinaire et finalisée. C'est une de ses caractéristiques, qui touche à de très nombreuses disciplines et qui est plutôt tournée vers un objectif précis plutôt que de nature fondamentale.
La recherche française pour le développement du Sud est-elle au service de ce développement, répond-elle aux besoins du Sud ? Comment procède-t-elle concrètement ? Quel est son impact sur la formation des futurs acteurs de ce développement ? Quel rôle y joue notre propre évaluation ?
Je vais tenter de répondre par l'exemple. J'ai regardé avant de venir trois évaluations que nous avons récemment conduites : celle d'une unité de recherche, que j'ai choisie au hasard - appelée interactions hôtes-vecteurs dans des maladies dues aux trypanosomatidae (Intertryp) -, celle de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et celle du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
Le projet scientifique de l'unité de recherche est structuré autour d'axes bien identifiés. Un des apports au service de lutte contre les trypanosomatidae réside dans le développement de nouveaux outils de diagnostic adaptés au terrain et d'un vaccin contre la leishmaniose canine. Les partenaires de l'unité de recherche sont depuis très longtemps les services chargés de la lutte et les quelques organismes de recherche africains qui effectuent des recherches sur ce sujet. Les collaborations de l'unité sont solides, anciennes, à travers un certain nombre de centres, comme, par exemple, le Centre international de recherche-développement en zones subhumides, ou l'université de Yaoundé, au Cameroun, ou l'université du KwaZulu Natal, en Afrique du Sud. Les membres de l'unité sont impliqués dans les activités d'enseignement dans les pays du Sud, à travers des diplômes d'études approfondies (DEA), masters, notamment le master « maladies infectieuses, virales et alimentaires ».
Cette unité de recherche est-elle représentative ? Je ne saurai le dire, d'autant qu'il faudrait la comparer avec toutes les unités relevant de la recherche pour le développement, ce qui n'est guère facile à identifier...
Nous avons évalué l'IRD en septembre 2010, dans un période intéressante de mutation profonde concernant les pays du Sud, mais aussi d'évolution des politiques publiques en matière d'aide au développement. Ces dernières années, l'IRD a infléchi sa stratégie, pour mieux s'inscrire dans une perspective d'aide au développement, favoriser l'émergence de capacités et de compétences au Sud, mieux cibler les pays les moins avancés (PMA), devenir une sorte de fédérateur de l'action de recherche pour le développement en direction d'un certain nombre de pays, jouer un rôle d'agence d'objectifs, de moyens et de programmation.
Cette évaluation est survenue alors que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2005 avait décidé de cibler des domaines prioritaires - en particulier la santé, l'éducation, la formation professionnelle et l'agriculture - en marquant bien que la recherche pour le développement ne devait céder en rien sur l'excellence. Le même comité interministériel avait également décidé que les résultats des recherches devraient être évalués.
Qu'avons-nous constaté ? Que les priorités scientifiques de l'IRD étaient conformes aux standards de l'excellence - mais aussi que l'impact de la présence au Sud sur le développement restaient très difficiles à mesurer. Comment mesurer l'impact de la recherche ? La question est épineuse aussi pour les pays développés.
L'évaluation a appelé à une meilleure insertion de docteurs originaires des pays du Sud et à un meilleur suivi de la valorisation de la recherche au Sud, en particulier des actions visant à diffuser ses résultats dans le tissu économique des pays en développement. L'évaluation a également souligné que les situations étaient très différentes selon le contexte local, que la stratégie devait s'adapter au contexte. Sur ce point, les évaluateurs relèvent l'absence d'un cadre référentiel pour un redéploiement stratégique du partenariat scientifique et une faible densité de relations entre l'IRD et les milieux socio-économiques au Sud.
Autres constats : la faiblesse de l'évaluation de l'impact sur le développement, le fait que la programmation scientifique est trop souvent déterminée par des initiatives individuelles, entraînant une certaine dispersion thématique et géographique des programmes et un impact peu visible. L'évaluation recommande ici d'expliciter les objectifs poursuivis, et de mieux responsabiliser les acteurs du Sud.
Pour m'en rendre mieux compte, j'ai contacté l'ancien responsable de l'enseignement supérieur au Sénégal et lui ai demandé comment il voyait la question de la recherche en direction du Sud. De son point de vue, un des points clés réside dans une meilleure participation du Sud à l'identification des thèmes prioritaires.
On voit bien la difficulté que cela peut représenter : l'IRD, s'alignant sur une politique gouvernementale, tient compte des objectifs millénaires pour le développement, mais le Sénégal a-t-il étudié les choix thématiques ? La mécanique est complexe à organiser si l'on veut tenir compte des destinataires...
D'un point de vue méthodologique, nous utilisons un référentiel comportant six critères d'évaluation, parmi lesquels deux pourraient concerner la recherche pour le développement. Le premier vise la qualité des interactions avec l'environnement social, économique et culturel, le second porte sur l'implication dans la formation pour la recherche.
A un échelon plus indirect, l'AERES, par son action sur la scène européenne, peut-elle avoir un impact sur le développement du Sud ? Nous avons mis en place un plan d'action européen et international pour coopérer avec nos homologues, nous aidons à mettre en place des agences comparables à la nôtre et nous conduisons des évaluations à l'étranger. Nous avons ainsi évalué des diplômes saoudiens et évaluons cette année le plan national pour la science, la recherche, la technologie et l'innovation de l'Arabie Saoudite.
Au Vietnam, nous avons réalisé une mission exploratoire pour évaluer l'université des sciences et technologies de Hanoï. En Arménie, nous allons évaluer l'université d'Etat, d'architecture et de construction d'Erevan.
Par ailleurs, nous participons à des projets européens de coopération, comme au Liban, avec le projet Tempus pour la mise en place d'une agence d'évaluation libanaise. Au Maghreb, nous sommes également sur un projet Tempus pour le développement de l'assurance qualité des universités dans la région, en particulier pour une amorce d'intégration du Maroc à l'espace européen de la recherche.
Enfin, nous menons des actions de coopération multilatérale. Nous avons par exemple un accord avec l'agence qui s'est mise en place au Vietnam en matière d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Nous participons à toute une série de projets en direction de plusieurs pays africains.
Nous nous situons certes dans une perspective de long terme, mais en suivant l'adage bien connu qu'apprendre à pêcher vaut mieux que donner du poisson...
Tous nos rapports d'évaluation sont publics et accessibles sur notre site. J'ai mentionné l'IRD, qui m'a paru être le plus emblématique, mais nous avons également évalué le CIRAD. Je suis convaincu que le CNRS et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ont, dans ce domaine, des chapitres correspondants à la recherche pour le développement en matière internationale. On n'a pas évalué l'Institut Pasteur, mais ses activités de recherche. Certaines universités, comme Bordeaux, sont très orientées vers la recherche et le développement en direction de l'Afrique...
On pourrait fort bien projeter une évaluation thématique nationale concernant la recherche pour le développement. Nous avons récemment réalisé des synthèses régionales pour la Bretagne, le Centre, la Lorraine, l'Alsace. Nous allons le faire à présent de manière plus systématique. Pour la Bretagne, nous avons réalisé une analyse thématique sur la mer. Ce n'est qu'une agrégation d'évaluations qui a ses limites. Il pourrait être intéressant d'établir une comparaison européenne. Cela permettrait peut-être de déboucher sur des structurations plus intelligentes et plus rassemblées !
Quelles vous paraissent les pistes pour évaluer l'impact de la recherche appliquée ? Quels critères seraient pertinents ?
D'une manière générale, l'impact de la recherche est très difficile à évaluer, tout comme celui de l'évaluation elle-même.... Les deux critères que je vous ai mentionnés indiquent des faits observables, comme l'implication de chercheurs du Sud et des institutions nationales de recherche. On peut également, comme nous avons essayé de le faire, lister des indices de qualité : un brevet conduisant à la fabrication du vaccin contre la dengue aura, par exemple, un impact considérable alors qu'une réunion avec des acteurs économiques à Dakar reste de portée plus limitée...
Même chose pour le critère de la participation à la formation : il peut tout à fait être informé par des indices observables et des indices de qualité.
Nous accordons une attention particulière aux sciences humaines et aux sciences de la santé, où un grand nombre de progrès ont été réalisés ces dernières années. L'évaluation pourrait permettre certains rapprochements...
Les rapports d'évaluation des organismes de recherche peuvent certainement vous éclairer sur quelques actions concrètes.
Il pourrait être intéressant de savoir comment l'IRD a tenu compte des recommandations de l'AERES.
Vous pourriez, sur un tel sujet, vous appuyer sur ce que nous produisons. Ils étaient engagés dans un projet de régionalisation de leur représentation. Ont-ils réussi à mettre en place un guichet unique ? Ils ont certainement apporté certaines améliorations depuis 2010.
Mon sentiment est que beaucoup de choses devraient pouvoir se régler sur le plan européen. Les Anglais me semblent avoir mené une réflexion assez avancée pour définir leur stratégie de recherche en matière sanitaire à l'échelon international...
Comment prévenez-vous les éventuels conflits d'intérêts, notamment dans les unités mixtes de recherche ?
La question n'est pas d'abord économique, comme en matière d'expertise, mais d'abord de savoir si le jugement porté par les experts que nous réunissons est susceptible d'être partial en raison d'antagonismes excessifs entre évalués et évaluateurs, ou bien, au contraire, en raison de certaines proximités. On arrive généralement à identifier assez vite les antagonismes, et on modifie alors la composition des comités d'experts. La question de la proximité est plus délicate ; nous avons une charte de déontologie et les délégués scientifiques veillent à son application lorsqu'ils composent les comités d'experts.
Après quelques années d'évaluation de plusieurs milliers d'unités de recherche, le taux de recours est très faible, en dessous de 1 %. Le recours, lorsqu'il a lieu, s'exerce presque toujours pour une question d'inadaptation de la composition du Comité à la compétence scientifique du périmètre évalué.
Nous avons également mis en place une commission des plaintes et des recours qui, sollicitée, instruit la plainte et rend un avis auquel je suis censé me plier, mais les recours se comptent sur les doigts d'une main depuis que je suis là.
Reste une question que nous avons beaucoup de mal à résoudre : celle de l'élection. Les comités d'experts sont en effet composés en fonction des compétences, et non sur une base élective. Or, beaucoup de chercheurs, en France, considèrent que la légitimité scientifique passe par l'élection, ce qui n'est pas la règle sur le plan international...
Il existe parfois un décalage entre la recherche d'excellence et la recherche pour le développement, qui a un côté plus directement utilitaire. L'AERES ressent-elle aussi cette différence ?
Évaluer la qualité d'un impact est beaucoup plus compliqué que se limiter au recensement des publications, c'est certain - et je crois que l'AERES n'en n'a pas toujours tenu suffisamment compte, au moins au début de son histoire.
Les organismes de recherche finalisée, rassemblés au sein du groupe « Evaluation de la recherche finalisée » (EREFIN) - qui regroupe notamment l'IRD, le CIRAD, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) - s'étant plaints de ne pas être jugés à la bonne aune, nous avons modifié notre référentiel afin d'en tenir compte.
Les politiques publiques conduites ou décidées par les partenaires du Sud compliquent peut-être également les choses - encore que l'on soit dans un partenariat. Comment les prendre en compte ?
C'est ce dont traite le rapport d'évaluation de l'IRD. Les difficultés sont bien identifiées, sans toutefois fournir de solutions très précises, les situations pouvant être très différentes.
En second lieu, nos interlocuteurs sont plutôt issus du monde de l'enseignement supérieur et de la recherche ; leurs tâches ne portent donc pas sur des politiques publiques relevant du domaine sanitaire ou de l'assainissement, que votre sujet cherche plutôt à traiter. Je pense qu'il est plus intéressant pour vous de vous pencher sur la manière dont les actions du CIRAD ou de l'IRD peuvent interagir avec les politiques publiques.
Il est intéressant de voir comment on tient compte de la politique de chacun...
En France, le ministère joue un rôle interministériel d'intégration des attentes des différents secteurs d'activité de la politique publique, et concocte les priorités, avec les forces qui résultent de la communauté scientifique, le poids des ministères, entre autres. C'est certainement la même chose dans les pays du Sud...
Que souhaitez-vous pour améliorer votre activité, dans le cadre de la recherche pour le développement ou du partenariat Nord-Sud ?
Nous passons beaucoup de temps, depuis quelques mois, à essayer de convaincre que ce que nous faisons n'est pas si mal, et que nous pouvons nous améliorer.
Dans un pays comme le nôtre, la faisabilité de l'évaluation de la recherche pour le développement, si possible dans une vision européenne, pourrait constituer un projet intéressant, et déboucher sur des propositions...
D'autres pays européens disposent-ils d'agences agences similaires à la vôtre ? Quels sont les niveaux de coopération entre ces agences ? Pourrait-on imaginer que cette coopération se manifeste dans des programmes européens globaux, comme le programme de développement du Sahel, arrêté à l'échelon européen ? Ce serait certainement une des clés pour faire face aux difficultés économiques et financières que nous avons aujourd'hui...
Vous avez raison. Même s'il existe des différences, l'approche reposant sur la qualité de l'enseignement supérieur commence à connaître une certaine homogénéité en Europe. En matière de recherche, l'affaire est bien plus compliquée. L'évaluation n'est pas si développée qu'on le pense, beaucoup de pays finançant sur projet, mais ne menant pas d'évaluation ex post de leurs activités de recherche. La France est relativement en pointe dans ce domaine.
La notion de rapprochement de l'espace européen de l'enseignement supérieur et de l'espace européen de la recherche me paraît extrêmement importante. Dans cette perspective, on pourrait imaginer qu'une impulsion politique pousse les différents organismes européens à travailler ensemble, par exemple sur le thème de l'évaluation de la recherche pour le développement.
Ce serait fort utile face à la compétition qui nous oppose à la Chine. Notre recherche en matière de développement est un atout, utilisons-le et valorisons-le !
Vous avez entièrement raison ! Les Chinois ne manquent pas d'atouts, mais, en Europe, nous avons de l'avance en matière de la recherche et d'enseignement : il ne faut pas s'endormir et les projets européens seront déterminants.
C'est peut-être une idée que nous pourrions faire figurer dans nos propositions. Elle est à la fois concrète et pourrait représenter pour nous un atout déterminant.
On constate souvent que le bailleur a tendance à orienter l'étude qui lui est demandée. Cet aspect des choses est-il pris en compte dans l'évaluation que l'AERES peut réaliser ?
L'expertise, qu'elle soit collégiale ou ponctuelle, a une interaction directe avec l'environnement socio-économique et culturel - c'est le cas, par exemple, pour la recherche sur le chlordécone aux Antilles. L'expertise liée à l'activité de recherche relève cependant de la stratégie de l'organisme et de l'Etat correspondant. Je ne pense pas qu'elle soit placée sous la dépendance d'une influence économique particulière...
Nous avons eu des relations avec l'Inde dans le cadre de la réunion euro-Asie organisée par le Centre international d'études pédagogiques (CIEP), durant laquelle nous étions intervenus sur les questions d'évaluation. En Asie, nous avons aujourd'hui surtout des contacts avec le Japon, la Chine, la Thaïlande et le Vietnam. Nous ne sommes qu'une petite structure !
L'initiative de cette mission commune d'information revient à Mme Ango Ela, notre rapporteure. Nous étudions la politique extérieure de notre pays en matière de développement, en particulier en direction des pays qui en ont le plus besoin, afin de proposer d'éventuelles pistes d'amélioration.
Je dépends du président du CNRS. Dans une entreprise civile, mon poste correspond à une fonction de directeur de la sûreté ou de la sécurité, au sens noble du terme. Mais j'exerce également une fonction étatique de fonctionnaire de sécurité de défense. C'est dans ce cadre que je suis amené à émettre un avis sur le risque que représentent certains pays en termes de sécurité ou de sûreté. Je dois également faire appliquer tout le spectre de la défense et de la sécurité nationale, tel qu'il est défini par l'Etat français, dans une hiérarchie qui n'est pas celle de mon employeur. La panoplie est très large, puisque je dois aussi m'intéresser aux problèmes concernant les matières vivantes, le nucléaire, le biologique, le chimique, les biens à double usage, et émettre un avis concernant l'accès aux laboratoires sensibles définis par l'État. Je suis aussi coresponsable de la gestion des crises au sein du CNRS, avec la directrice de cabinet du président.
La protection réglementaire de notre patrimoine scientifique et technique a pris de l'importance au lendemain de la seconde guerre mondiale et elle vient d'être réformée, au terme d'un processus assez long - et l'on parle désormais de potentiel scientifique et technique. Le nouveau dispositif est fondé sur l'évaluation des risques, pour les maîtriser.
La loi affirme désormais que la science fait partie des intérêts fondamentaux de la Nation. Les textes indiquent que tous les domaines de la science sont protégés, à l'exception des sciences humaines et sociales. Chaque laboratoire est évalué selon quatre types de risques touchant aux intérêts économiques, aux capacités de défense, à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme.
La prolifération concerne le domaine nucléaire, biologique, et chimique, de la nanoparticule jusqu'au missile, selon un risque évalué de 0 à 3. Le but est d'écarter les prédateurs et non d'empêcher la science de faire son travail, mais également de faire en sorte que les contraintes de sécurité soient uniformisées. On doit pour ce faire diffuser une attitude responsable vis-à-vis du secret à protéger, sanctionner pénalement les agresseurs, et mettre à disposition des opérateurs une boîte à outils adaptée.
La protection du potentiel scientifique et technique (PPST) s'appuie sur la mise en place de secteurs scientifiques protégés définis par le décret du 2 novembre 2012 en fonction des intérêts de la Nation. Un domaine plus restreint est l'objet d'un arrêté concernant les spécificités sensibles susceptibles d'être détournées au profit de la prolifération nucléaire ou du terrorisme.
Enfin, quand le risque dépasse un certain niveau, on peut mettre en place une zone à régime restrictif (ZRR) à l'intérieur de laquelle des mesures de protection existent en raison des risques de détournement d'informations. L'autorisation sera à demander au ministère de tutelle.
Les instructions interministérielles fixent toutefois un cadre très difficile à appliquer, qui représente un certain coût. Il faut donc rester pragmatique, tout en améliorant le dispositif en permanence. C'est pourquoi il existe un plan adapté à chaque laboratoire. Au CNRS, où près de 900 laboratoires sont concernés, nous avons fait un séminaire de lancement de la PPST le 14 mai ; tous les directeurs d'institut, et tous les délégués régionaux étaient présents. Nous avons passé un accord-cadre avec nos partenaires, pris un règlement intérieur type. Nous mettons par ailleurs en place des outils informatiques. Nous recensons actuellement 9 400 demandes d'accès à des zones réglementées, rien que pour le CNRS. Sachant que nous disposons d'un délai de deux mois pour y répondre, il faudrait traiter cinquante demandes par jour, c'est vous dire le défi ! L'année dernière, 1 % des dossiers a été refusé. Cela peut paraître peu, mais il faut savoir que nous avons renégocié 2 % de l'ensemble des demandes et ramené le risque dans une zone acceptable. C'est cette démarche que nous essayons de faire accepter par notre ministère de tutelle.
Si l'on veut réduire le temps et la charge administrative, il faut faire en sorte que les choses puissent se faire à partir d'un site informatique, et non plus par courrier. Nous avons aujourd'hui identifié 92 ZRR, qui sont en cours de création, mais leur nombre va augmenter.
J'attire votre attention sur le fait que chaque université, chaque opérateur, dispose de son système informatique. Même le CNRS, en région, n'a pas forcément les mêmes outils. Il faut donc y remédier. Cela va se faire dans le temps.
Le délai de traitement de deux mois est très mal compris par les chercheurs de l'espace Schengen, dont la quasi-totalité a l'habitude des échanges entre collègues. L'Europe est une réalité pour la science. Une partie des crédits a déjà été mise en commun, de façon que chacun puisse en bénéficier. Attendre deux mois pour un accord afin de travailler avec un collègue allemand, dont le délai d'attente est d'un mois, pose donc souci.
Enfin, l'absence de système informatique unique ne permet pas au secteur protégé de restituer la liste des visiteurs des laboratoires. L'idée est de pouvoir en publier automatiquement la liste une fois par an.
On voit bien la difficulté à mettre en oeuvre une politique nouvelle au sein d'une structure aussi importante que le CNRS.
Quelles sont, selon vous, les implications de cette nouvelle façon de procéder par rapport à nos coopérations scientifiques avec les pays du Sud ?
Ce n'est pas parce qu'il existe des contraintes que les gens ne peuvent venir. Certes, la demande doit être formulée deux mois avant, mais on ne découvre pas du jour au lendemain le sujet d'un chercheur qui vient pour trois ans. Les chercheurs doivent généralement obtenir un visa pour sortir de leur pays. Un Chinois, par exemple, doit demander une autorisation de sortie du territoire cinq semaines avant son départ.
Si l'État français considère que les intérêts économiques de la France nécessitent davantage de protection qu'auparavant, 10, 20, ou 30 % des demandes peuvent être rejetées, mais cela concernera aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord. Je ne puis maîtriser cet aspect des choses.
Ce n'est certainement pas la même chose dans les pays du Sud, où le système peut connaître des fuites !
L'État français fixe les domaines qu'il souhaite protéger. En matière d'intelligence économique, je ne dispose d'aucun texte pour m'indiquer les priorités...
Mais comment faire pour qu'un chercheur du Nord communique avec un chercheur du Sud, sans qu'il existe de fuites ?
Dès lors que des chercheurs collaborent sur un sujet commun, ils publient le fruit de leurs découvertes. La publication appartient à l'ensemble de ceux qui ont contribué à la recherche.
Peut-on éviter une publication ? Cela me paraît très difficile, sauf dans le domaine très particulier des sujets couverts par le secret défense. C'est le rôle de la Délégation générale à l'armement (DGA), 3 000 des 30 000 brevets déposés en France pouvant poser problème.
Lorsque le CNRS forme de nouveaux mathématiciens au Cambodge, l'élite ayant été détruite par les Khmers rouges, il ne s'agit pas de recherche, ni d'échanges. Cela permet également de détecter des esprits brillants, qui pourront ensuite travailler dans notre pays, être naturalisés...
On sait qu'il n'y a pas de contrainte impérative par rapport à la protection scientifique à l'étranger, dans le cadre des UMI, où des chercheurs du CNRS peuvent être impliqués.
Nous allons nous rendre au Tchad et en Inde. Existe-t-il des unités mixtes particulièrement intéressantes à visiter ?
Votre question est légitime par rapport à un certain nombre d'organismes internationaux. J'ai ainsi interrogé la tutelle à propos de l'institut franco-allemand Saint-Louis, créé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, qui travaille sur la science tectonique, mais également au sujet du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) ou de l'anneau de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN).
Quand on conclut un accord international, chaque pays a sa lecture des règles de protection scientifique. Un sujet peut donc être refusé dans le cadre d'une unité d'enseignement et de recherche (UER), ou d'une UMR, et être étudié par la même personne dans un autre cadre. Ce n'est pas toujours cohérent, mais je ne sais pas où est la solution. En Europe, chacun a sa méthode : l'harmonisation serait bienvenue...
Quant aux États-Unis, on ne peut y débarquer sans avoir rempli un formulaire très complet. Par ailleurs, chacun doit attester qu'il n'a pas l'intention d'attenter aux intérêts de l'Etat américain ; or, la science fait partie de ceux-ci. Nos chercheurs sont donc parfaitement connus avant d'entrer aux États-Unis...
Enfin, c'est dans les universités que l'Agence centrale de renseignement (CIA) recrute largement ses agents. Ce sont ces chercheurs que l'on retrouve ensuite dans les laboratoires. C'est ainsi que les États-Unis assurent la protection de leur potentiel scientifique...