Je dépends du président du CNRS. Dans une entreprise civile, mon poste correspond à une fonction de directeur de la sûreté ou de la sécurité, au sens noble du terme. Mais j'exerce également une fonction étatique de fonctionnaire de sécurité de défense. C'est dans ce cadre que je suis amené à émettre un avis sur le risque que représentent certains pays en termes de sécurité ou de sûreté. Je dois également faire appliquer tout le spectre de la défense et de la sécurité nationale, tel qu'il est défini par l'Etat français, dans une hiérarchie qui n'est pas celle de mon employeur. La panoplie est très large, puisque je dois aussi m'intéresser aux problèmes concernant les matières vivantes, le nucléaire, le biologique, le chimique, les biens à double usage, et émettre un avis concernant l'accès aux laboratoires sensibles définis par l'État. Je suis aussi coresponsable de la gestion des crises au sein du CNRS, avec la directrice de cabinet du président.
La protection réglementaire de notre patrimoine scientifique et technique a pris de l'importance au lendemain de la seconde guerre mondiale et elle vient d'être réformée, au terme d'un processus assez long - et l'on parle désormais de potentiel scientifique et technique. Le nouveau dispositif est fondé sur l'évaluation des risques, pour les maîtriser.
La loi affirme désormais que la science fait partie des intérêts fondamentaux de la Nation. Les textes indiquent que tous les domaines de la science sont protégés, à l'exception des sciences humaines et sociales. Chaque laboratoire est évalué selon quatre types de risques touchant aux intérêts économiques, aux capacités de défense, à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme.
La prolifération concerne le domaine nucléaire, biologique, et chimique, de la nanoparticule jusqu'au missile, selon un risque évalué de 0 à 3. Le but est d'écarter les prédateurs et non d'empêcher la science de faire son travail, mais également de faire en sorte que les contraintes de sécurité soient uniformisées. On doit pour ce faire diffuser une attitude responsable vis-à-vis du secret à protéger, sanctionner pénalement les agresseurs, et mettre à disposition des opérateurs une boîte à outils adaptée.
La protection du potentiel scientifique et technique (PPST) s'appuie sur la mise en place de secteurs scientifiques protégés définis par le décret du 2 novembre 2012 en fonction des intérêts de la Nation. Un domaine plus restreint est l'objet d'un arrêté concernant les spécificités sensibles susceptibles d'être détournées au profit de la prolifération nucléaire ou du terrorisme.
Enfin, quand le risque dépasse un certain niveau, on peut mettre en place une zone à régime restrictif (ZRR) à l'intérieur de laquelle des mesures de protection existent en raison des risques de détournement d'informations. L'autorisation sera à demander au ministère de tutelle.
Les instructions interministérielles fixent toutefois un cadre très difficile à appliquer, qui représente un certain coût. Il faut donc rester pragmatique, tout en améliorant le dispositif en permanence. C'est pourquoi il existe un plan adapté à chaque laboratoire. Au CNRS, où près de 900 laboratoires sont concernés, nous avons fait un séminaire de lancement de la PPST le 14 mai ; tous les directeurs d'institut, et tous les délégués régionaux étaient présents. Nous avons passé un accord-cadre avec nos partenaires, pris un règlement intérieur type. Nous mettons par ailleurs en place des outils informatiques. Nous recensons actuellement 9 400 demandes d'accès à des zones réglementées, rien que pour le CNRS. Sachant que nous disposons d'un délai de deux mois pour y répondre, il faudrait traiter cinquante demandes par jour, c'est vous dire le défi ! L'année dernière, 1 % des dossiers a été refusé. Cela peut paraître peu, mais il faut savoir que nous avons renégocié 2 % de l'ensemble des demandes et ramené le risque dans une zone acceptable. C'est cette démarche que nous essayons de faire accepter par notre ministère de tutelle.
Si l'on veut réduire le temps et la charge administrative, il faut faire en sorte que les choses puissent se faire à partir d'un site informatique, et non plus par courrier. Nous avons aujourd'hui identifié 92 ZRR, qui sont en cours de création, mais leur nombre va augmenter.
J'attire votre attention sur le fait que chaque université, chaque opérateur, dispose de son système informatique. Même le CNRS, en région, n'a pas forcément les mêmes outils. Il faut donc y remédier. Cela va se faire dans le temps.
Le délai de traitement de deux mois est très mal compris par les chercheurs de l'espace Schengen, dont la quasi-totalité a l'habitude des échanges entre collègues. L'Europe est une réalité pour la science. Une partie des crédits a déjà été mise en commun, de façon que chacun puisse en bénéficier. Attendre deux mois pour un accord afin de travailler avec un collègue allemand, dont le délai d'attente est d'un mois, pose donc souci.
Enfin, l'absence de système informatique unique ne permet pas au secteur protégé de restituer la liste des visiteurs des laboratoires. L'idée est de pouvoir en publier automatiquement la liste une fois par an.