Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un article de la Revue politique et parlementaire de 2002, j’avais souligné combien l’absence de représentation à l’Assemblée nationale des Français établis hors de France violait les principes constitutionnels d’égalité et d’indivisibilité de la nation.
L’élection des députés des Français établis hors de France fait enfin justice à une revendication très ancienne, formalisée dès 1928 lors du premier congrès de l’Union des Français de l’étranger.
Cette étape est essentielle, car si la France avait été pionnière pour la représentation institutionnelle de ses expatriés, elle a depuis lors été rejointe, et même distancée, par d’autres États. La Ve République a donné aux Français de l’étranger des sénateurs, mais ce n’est qu’en 1982 que les expatriés ont pu, pour la première fois, élire eux-mêmes leurs représentants. La représentation à l’Assemblée nationale est le prolongement naturel de ce mouvement.
Je rappelle cependant que c’est à la Résistance que les Français de l’étranger doivent leur première représentation parlementaire, en 1943, à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger. Au sein de cette dernière siégeaient cinq représentants des mouvements de résistance français de l’étranger, dont Marthe Simard, Française du Québec, qui a d’ailleurs beaucoup œuvré pour l’octroi du droit de vote aux femmes un an plus tard. Une place de Paris portera d’ailleurs son nom à partir de la semaine prochaine.
Marthe Simard est l’exemple même de la capacité de nos concitoyens de l’étranger à faire progresser de manière décisive, et parfois visionnaire, des dossiers concernant non pas les intérêts d’une petite minorité d’expatriés, mais ceux de la nation tout entière.
La création des députés des Français de l’étranger était une nécessité constitutionnelle, car nos compatriotes vivant hors de nos frontières sont des citoyens à part entière. Cette décision était aussi une nécessité stratégique. Dans un monde globalisé, il est essentiel que les Français établis à l’étranger soient pleinement associés au débat politique national, d’autant que les nouveaux moyens de communication et d’information rendent cette implication beaucoup plus facile qu’auparavant.
Si l’on ne peut que se réjouir que le principe d’une représentation à l’Assemblée nationale soit désormais acquis, il reste un certain nombre de points pratiques à régler. L’immensité de certaines circonscriptions et la faible densité des bureaux de vote contraignent à quelques adaptations pratiques et innovations institutionnelles. À cet égard, je tiens à remercier tout particulièrement M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur de leur écoute et leur intérêt.
J’appuierai totalement les amendements qui ont été évoqués tout à l'heure par notre collègue Robert del Picchia et je soutiendrai particulièrement ceux qui ont été déposés par notre excellent collègue Christian Cointat au sujet des comptes de campagne, qui sont essentiels pour permettre aux candidats résidant hors de France d’organiser leur campagne.
J’en profite pour rappeler que l’ouverture d’un compte bancaire, qui est un droit pour les Français résidant en France, ne l’est pas pour ceux qui vivent à l’étranger. Cela pourrait pénaliser certains candidats aux législatives, comme cela pose problème pour les plus modestes de nos compatriotes expatriés. Je compte donc sur vous, mes chers collègues, pour permettre, lorsque la proposition de loi pour la simplification du droit reviendra au Sénat, le rétablissement de mon amendement supprimé en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Au-delà des problèmes matériels et organisationnels, je voudrais rappeler solennellement que la création des députés des Français de l’étranger ne constitue pas une « faveur » octroyée à nos expatriés, qui devrait éteindre toute autre velléité de représentation institutionnelle. « Vous avez des députés, cela devrait vous suffire ! » nous a-t-on dit.
C’est l’argument que l’on nous avait opposé lorsque j’avais proposé la désignation par les Français de l’étranger des deux eurodéputés supplémentaires attribués à la suite du traité de Lisbonne, une mesure qui aurait pourtant permis une représentation à la fois légitime et très opportune des Français de l’étranger au Parlement européen. C’est aussi l’argument qui a prévalu, semble-t-il, pour écarter les représentants des Français de l’étranger du Conseil économique, social et environnemental ou du comité de pilotage des retraites, malgré nos amendements adoptés par le Sénat.
Les Français de l’étranger devraient se satisfaire de leur nouvelle représentation au Parlement et se borner à agir pour la France dans leur seul pays de résidence ! Or une telle vision de notre diaspora est anachronique. Aujourd’hui, plus que jamais, le débat politique national a besoin d’être nourri par le point de vue de nos expatriés. Les récents événements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient l’ont encore montré.
Autre dommage collatéral de la création des députés des Français de l’étranger : la proposition de taxer les expatriés – cela vient d’être rappelé. Cette idée absurde a bien sûr été écartée, mais il me semble utile de rappeler que le suffrage n’est plus censitaire. Le droit de vote et son exercice ne sont pas des faveurs qu’il conviendrait d’acheter ! Au contraire, notre nation a tout intérêt à encourager ses membres expatriés à prendre une part active aux débats nationaux et aux élections, eux qui représentent, d’un point de vue électoral, l’équivalent du huitième département français.
À ce sujet, il me semble essentiel que ce nouveau rendez-vous démocratique, si important aux yeux de nos expatriés, ne soit pas affaibli par des parachutages qui mineraient la légitimité des candidats et finiraient par détourner les électeurs des urnes.