Intervention de Corinne Bouchoux

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 18 septembre 2013 : 1ère réunion
Mise en oeuvre de la loi relative à la reconnaissance et l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français — Examen du rapport d'information

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux, co-rapporteure :

La loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires a été adoptée le 5 janvier 2010. Elle a été l'aboutissement d'un long combat mené par des associations et relayé par les politiques pour que soit reconnu officiellement par l'État le statut des victimes des essais nucléaires français, 14 ans après le dernier essai.

Je voudrais tout d'abord effectuer un petit rappel historique. La France a procédé, entre 1959 et 1996, à 210 essais nucléaires. Ceux-ci se sont en premier lieu déroulés en Algérie, au Sahara, au sud de Reggane. La première bombe a explosé le 13 février 1960, l'opération Gerboise bleue étant le premier essai atmosphérique d'une série de quatre au Centre saharien d'expérimentation militaire (CSEM). Puis treize autres essais ont suivi, en galerie, à In Ecker, au centre d'expérimentation militaire des oasis (CEMO). Sur ces essais, on estime que quatre n'ont pas été totalement confinés : les essais Béryl (1er mai 1962), Améthyste (30 mars 1963), Rubis (20 octobre 1963) et Jade (30 mai 1965).

Après l'accès à l'indépendance de l'Algérie en 1962, les essais nucléaires français sont déplacés en Polynésie française. Ce sont les sites de Moruroa et Fangataufa qui furent choisis, notamment parce qu'ils sont isolés et faiblement peuplés alentour. Environ 2 000 personnes, dont 600 enfants de moins de 15 ans, résidaient pendant les essais aériens en Polynésie, dans le secteur angulaire défini par la loi. 41 essais nucléaires aériens et 5 essais de sécurité ont été menés à partir du Centre d'expérimentation de la Polynésie (CEP), entre 1966 et 1974. Ensuite, les tirs sont devenus souterrains : 137 tirs et 10 essais de sécurité furent ainsi réalisés entre 1975 et 1996.

Les 41 essais ont eu des retombées radioactives parfois très importantes, en particulier à cause des conditions météorologiques, sur les îles alentour. L'essai Centaure, en 1974, a ainsi eu des répercussions jusqu'à Tahiti, où des retombées d'iode ont été constatées.

Avant chaque essai, des zones d'évacuation étaient définies par les militaires, et une modélisation des retombées visait à s'assurer, sur une base météorologique, que celles-ci ne se dirigeraient pas vers un secteur habité. L'efficacité des mesures d'évacuation était vérifiée avant que l'essai ne soit autorisé (contrôle par moyens terrestres et aériens) et la levée des mesures était prononcée après vérification que l'état radiologique de la zone le permettait. Néanmoins, malgré ces précautions, certains essais ont eu des retombées plus significatives et au-delà des zones de sécurité. L'exposition peut prendre la forme d'une contamination interne, c'est-à-dire par l'inhalation ou l'ingestion de produits contaminés, ou par contact avec une substance radioactive.

La mobilisation autour de la question des conséquences sanitaires des victimes des essais nucléaires, notamment par des recueils de témoignages polynésiens, émerge dans les années 1990. Au début des années 2000, des associations de victimes se constituent, qu'elles représentent des vétérans des essais ou des populations locales. Elles ont joué et continuent à jouer un rôle très important dans la prise en compte de cette question dans la sphère publique, et leur implication est très forte pour que les victimes des essais nucléaires soient reconnues dans leurs droits. Nous leur rendons hommage à travers ce rapport.

Leur combat a été relayé par des politiques qui ont déposé, entre 2002 et 2008, une quinzaine de propositions de loi. C'est lors de la discussion en séance publique à l'assemblée nationale de la PPL déposée par Mme Christiane Taubira que le ministre M. Hervé Morin a annoncé le dépôt prochain d'un PJL sur cette question.

La loi adoptée suite aux discussions parlementaires avait plusieurs objectifs :

- Réparer et reconnaître les souffrances de ceux qui, par leur travail ou du fait de leur présence à proximité des sites, ont développé une maladie radio-induite. En mettant en place un dispositif d'indemnisation, l'État reconnaît pleinement les souffrances des victimes, quel que soit leur statut ;

- Simplifier la procédure de demande d'indemnisation de ceux qui connaissent des dommages sanitaires suite à leur présence sur les sites contaminés en instaurant un interlocuteur unique quelle que soit la qualité du requérant ;

- Indemniser en mettant en oeuvre une réparation intégrale du préjudice et en ne faisant plus peser la charge de la preuve sur le demandeur.

Le dispositif se veut donc plus juste, plus rigoureux et plus équilibré. Pour ce faire, la loi prévoit :

- Des conditions de temps, lieu et maladie. Ainsi, le requérant doit justifier avoir séjourné dans un périmètre géographique déterminé, au moment des campagnes d'essais, et avoir déclenché une maladie radio-induite. La loi définit les zones dans lesquelles le demandeur doit prouver avoir séjourné, ces périmètres couvrent les sites des expérimentations et le périmètre ayant subi des retombées radioactives suite aux essais. La loi prévoit également les périodes pendant lesquelles le demandeur doit avoir séjourné dans les lieux déterminés et qui correspondent aux campagnes de tirs aériens au Sahara et en Polynésie. Enfin, le requérant doit souffrir d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants. La liste des maladies considérées comme telles a été établie en fonction des travaux de l'UNSCEAR.

- La création d'un comité d'indemnisation et d'une commission de suivi. Élément central de la procédure d'indemnisation, le CIVEN (comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires) est chargé de la réception, de l'instruction et de l'indemnisation des victimes. Il est composé notamment d'experts médicaux et présidé par un Conseiller d'État ou conseiller à la Cour de cassation. Il peut faire procéder à toute expertise médicale, scientifique, ou peut demander la communication de tout document utile à n'importe quel organisme. Il est appuyé par un secrétariat en charge notamment de la réception des dossiers. À compter de l'enregistrement, le CIVEN a 4 mois pour statuer et faire part au ministre de sa recommandation, celui-ci a ensuite 2 mois pour rendre une décision. La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, quant à elle, est consultée sur le suivi de l'application de la loi et sur toute demande de modification des conditions permettant le dépôt d'un dossier, comme la liste des maladies ou l'étendue du périmètre géographique.

- Une présomption de causalité. La loi ne met pas en place une présomption de causalité irréfragable à partir d'une dose d'exposition : l'idée de seuil a été rejetée après discussion. A contrario, elle établit une présomption de causalité avec limite. Aux termes de la loi, le demandeur n'a pas à prouver qu'il existe un lien entre la pathologie et les essais nucléaires, la présomption de causalité existe du moment où il justifie des conditions de lieu, période et maladie. Néanmoins, cette présomption peut être renversée s'il apparaît que le risque lié aux essais est « négligeable ».

- Une réparation intégrale du préjudice propre. La demande d'indemnisation déposée selon la procédure créée par la loi n°2010-2 est une demande sur le fondement du préjudice propre subi par le requérant. La réparation est intégrale, comprenant les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux.

- Un délai de 5 ans pour les ayants-droit. Un ayant-droit peut déposer une demande d'indemnisation pour une personne décédée avant la promulgation de la loi, à dater de celle-ci, dans un délai de 5 ans.

- La non-fiscalisation des indemnités et leur caractère non-cumulable. Les indemnités versées à ce titre sont affranchies de l'impôt, et ne sont pas cumulables avec d'autres versées au titre du même préjudice. Par ailleurs, l'acceptation de l'offre d'indemnisation rend irrecevable toute autre forme de demande de réparation juridictionnelle pour la réparation du même préjudice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion