Intervention de Jean-Jacques Filleul

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 17 septembre 2013 : 1ère réunion
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis :

Notre commission a décidé de se saisir une nouvelle fois pour avis du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Cette saisine en deuxième lecture se justifie par notre volonté de suivre l'évolution de deux dispositifs majeurs introduits dans le texte à l'initiative de notre commission : la dépénalisation du stationnement, prévue aux articles 36 bis et 36 ter, ainsi que la création des pôles ruraux d'aménagement et de coopération, visés aux articles 45 quinquies et sexies du texte.

Cette saisine nous permet également d'approfondir un sujet que je m'étais engagé à regarder de plus près en première lecture : celui de la compétence des métropoles et des communautés urbaines en matière de distribution publique d'électricité. Prévue par le Sénat aux articles 31 et 42 du projet de loi, elle a été supprimée par l'Assemblée nationale.

Nous nous saisissons aussi de quatre nouveaux articles, les articles 35 B à 35 E, concernant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.

Enfin, la commission des lois nous a délégué au fond l'examen de deux articles : l'article 8 bis, qui instaure un schéma régional de l'intermodalité ; ainsi que l'article 17 relatif au Grand Paris.

Je commencerai par ces articles délégués au fond.

L'article 8 bis, ajouté par l'Assemblée nationale, reprend des dispositions initialement contenues dans le troisième projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Il instaure un schéma régional de l'intermodalité destiné à favoriser la coordination des autorités organisatrices de transport en ce qui concerne l'offre de services, l'information des usagers, la tarification et la billettique.

Ce schéma serait élaboré par la région en concertation avec les conseils généraux et les autorités organisatrices de la mobilité, et arrêté conformément à une règle de double majorité.

Dans la mesure où l'intermodalité souffre aujourd'hui du cloisonnement entre les différentes autorités compétentes en matière de transport, cette mesure me semble pertinente. Cet outil est en outre plus souple que la généralisation des syndicats mixtes « SRU » à l'échelle régionale, qui avait été un temps envisagée. Je vous proposerai toutefois de remplacer le terme de « concertation » par celui de « collaboration » pour qualifier l'association des départements et des autorités organisatrices de la mobilité à la démarche, ainsi que deux amendements d'ordre plus rédactionnel.

L'autre article sur lequel nous nous prononçons au fond, l'article 17, relatif au Grand Paris, n'a quant à lui été modifié qu'à la marge par l'Assemblée. Elle a en effet ajouté un alinéa relatif aux contrats de développement territoriaux, qui repousse d'un an, à fin 2014, la date limite de leur présentation au public. Je ne vois pas de raison de m'y opposer.

J'en viens aux articles ajoutés en première lecture à l'initiative de notre commission.

Attendue de longue date, la dépénalisation du stationnement, prévue aux articles 36 bis et 36 ter du projet de loi, a été adoptée - et applaudie - sur tous les bancs de notre hémicycle. Pour mémoire, cette réforme prévoit que la redevance de stationnement est acquittée par le conducteur, soit au début de la période de stationnement, suivant un barème tarifaire « au réel », soit à l'issue de la période de stationnement, de façon forfaitaire. On parle alors de « forfait de post-stationnement. »

A la suite de cet événement que d'aucuns ont qualifié d'« historique », le Premier ministre a demandé aux Inspections générales des ministères concernés de réaliser un rapport d'évaluation portant sur la mise en oeuvre de ce dispositif. Cette évaluation peut paraître un peu décourageante si l'on se limite à sa première partie. Elle dresse, en effet, une longue liste de défis à relever pour assurer la pleine réussite de cette réforme. J'en retiens pour ma part la leçon suivante, qui apparait de façon nette dans la seconde partie de l'évaluation : cette réforme est possible, à condition de prendre les dispositions - et le temps - nécessaires.

En réaction à ce rapport, le Gouvernement a souhaité expertiser une autre piste de réforme du stationnement payant de véhicules. Cette réforme viserait à maintenir le stationnement payant dans un cadre pénal, tout en prévoyant une modulation des amendes en fonction de zones de stationnement décidées par la collectivité.

Cette mesure est actuellement en cours d'examen au Conseil d'État, dont l'avis est attendu cette semaine. Le Conseil d'État devrait notamment se prononcer sur la constitutionnalité d'un tel mécanisme de modulation d'une amende pénale.

Si ces réserves étaient effectivement levées, il n'en reste pas moins que cette piste de réforme alternative ne répond pas à la totalité des objectifs assignés à la dépénalisation du stationnement telle que nous l'avons envisagée en première lecture au Sénat. Elle permettrait, certes, de réduire la disproportion actuelle entre le montant uniforme de l'amende et les tarifs de stationnement pratiqués sur nos divers territoires. Mais elle ne répond pas à la question de l'effectivité des contrôles. Cette dernière est pourtant indispensable à la mise en oeuvre de politiques de stationnement ambitieuses. Il ne s'agit pas seulement de garantir une collecte satisfaisante du produit du stationnement payant, mais - faut-il le rappeler ? - aussi et surtout d'assurer une rotation effective des véhicules en centre-ville.

C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à cette piste alternative. La dépénalisation du stationnement que nous appelons de nos voeux répond bien mieux aux enjeux qu'il s'agit de traiter. Il me semblerait extrêmement regrettable que nous revenions sur une disposition qui constitue dans ce texte, soulignons-le, une véritable mesure de décentralisation - j'ajouterais peut-être même la seule vraie mesure de décentralisation.

Je rappelle, enfin, que l'Assemblée nationale a aussi été largement favorable à cette réforme. Il nous revient donc d'en améliorer le dispositif, afin de tenir compte des observations du rapport d'évaluation des Inspecteurs généraux, que nous avons rencontrés et avec qui nous avons échangé longuement. C'est le sens de l'amendement que je vous propose.

Cet amendement transforme la redevance de stationnement en redevance d'occupation du domaine public, au lieu d'une redevance pour service rendu, comme le recommande l'évaluation des Inspections générales. Cette qualification semble effectivement plus conforme à la réalité.

L'amendement renforce les garanties des conducteurs, en rendant obligatoire l'assermentation des agents chargés du recouvrement de cette redevance, comme l'y invite le rapport des Inspections générales. Il prévoit, par ailleurs, la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement analysant les moyens de promouvoir le recours à des procédés électroniques permettant d'attester de la présence d'un véhicule sur une zone de stationnement à un moment donné par les agents chargés de la collecte des forfaits de post-stationnement. Le rapport des Inspections générales considère en effet l'usage de ces procédés électroniques indispensable lorsque la collecte est effectuée par un tiers contractant. Il supprime, enfin, l'obligation de payer 35 euros en cas de contestation de la perception de la redevance devant le juge administratif.

L'amendement vise aussi à lever les obstacles relatifs à la procédure comptable, également pointés dans l'évaluation des Inspections. Afin de garantir l'efficacité du recouvrement, l'amendement propose la mise en place d'un comptable unique chargé du recouvrement des forfaits de post-stationnement. Il énonce aussi que le recours formé contre cette redevance n'est pas suspensif, compte tenu de la faiblesse des montants concernés et afin d'éviter les procédures dilatoires.

Bien évidemment, un certain nombre d'autres ajustements devront être réalisés par la voie réglementaire. Des mesures devront être prises, par exemple, pour que les juridictions administratives puissent absorber ce nouveau contentieux dans des conditions satisfaisantes. Je rappelle toutefois que cela est possible, comme l'a montré l'exemple récent du contentieux relatif au permis à points.

Compte tenu des ajustements nécessaires pour la mise en oeuvre de cette réforme, le délai de son entrée en vigueur est repoussé de 18 à 24 mois par l'amendement que je vous propose.

Pour résumer, j'ai essayé par cet amendement de prendre en considération l'ensemble des problèmes soulevés par le rapport des Inspections générales. Je ne m'interdis pas de continuer à approfondir la question d'ici la séance publique, afin de remédier aux éventuelles difficultés qui pourraient encore être soulevées.

J'estime, toutefois, que le dispositif que je vous propose aujourd'hui constitue un bon équilibre entre, d'une part, la nécessité pour la collectivité d'assurer la collecte de cette redevance à un coût raisonnable, et, d'autre part, les droits des conducteurs.

Il reste une question à traiter : celle de l'impact de cette mesure sur le compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». C'est à l'occasion de la prochaine loi de finances que cette question pourra être résolue.

J'en viens à l'autre apport majeur de notre commission à ce texte, la création des pôles ruraux d'aménagement et de coopération, prévue à l'article 45 quinquies du projet de loi, qui a connu un succès similaire dont je me réjouis également. Dans notre esprit, il s'agissait de mettre à la disposition des territoires ruraux un outil de développement et d'aménagement relativement souple, afin de laisser les territoires libres de s'organiser de la façon la plus adaptée à leur territoire et surtout, suivant une démarche volontaire.

L'Assemblée nationale a approuvé le principe de ces pôles, qu'elle a renommés « pôles d'équilibre et de coordination territoriaux ». Elle a toutefois complété l'article en introduisant un certain nombre de dispositions qui en modifient l'esprit.

Le caractère volontaire de la démarche est quelque peu remis en cause, puisque la transformation des syndicats mixtes existants en pôles peut s'opérer malgré l'opposition d'une partie de leurs membres. Cette transformation possède même un caractère quasi-automatique pour les syndicats mixtes ayant succédé aux pays, puisqu'elle s'effectue à l'initiative du préfet, sauf opposition des deux tiers des EPCI représentant la moitié de la population totale, ou de la moitié des EPCI représentant les deux tiers de la population totale.

Par ailleurs, l'Assemblée a souhaité régler précisément le fonctionnement du pôle, en ce qui concerne sa gouvernance ou ses missions. Elle a notamment prévu que le pôle devrait obligatoirement élaborer, réviser et modifier le SCoT correspondant à son territoire.

Elle a, enfin, supprimé la représentation des pôles à la conférence territoriale de l'action publique.

Je vous proposerai un amendement pour revenir sur certains de ces éléments.

Il rétablit le caractère volontaire de la démarche, en soumettant toute transformation d'un syndicat mixte existant en pôle à un accord unanime de ses membres. La procédure spécifique applicable aux anciens pays serait supprimée.

Cet amendement rend aussi facultative la compétence du pôle en matière de SCoT. Il allège les règles applicables à la gouvernance des pôles, afin de laisser les élus maîtres de leur organisation. Ces derniers pourront par ailleurs choisir d'associer le conseil général à la démarche.

Il supprime, enfin, la référence à la possibilité de fusion des EPCI du pôle en communauté de communes ou en communauté d'agglomération. Cette disposition pourrait, en effet, entraîner à mon sens une confusion sur la vocation de ces pôles.

Ces derniers constituent avant tout un outil de coopération et de synergie destiné à la mise en oeuvre de projets communs. La mutualisation des moyens qu'ils permettront, en matière d'ingénierie par exemple, feront d'eux de véritables centres de ressources pour les collectivités rurales. Afin que cette vocation apparaisse clairement, je vous propose qu'ils soient dénommés « pôles ruraux d'équilibre et de solidarité territoriale ». Cet intitulé s'inspire de ceux qui ont été adoptés à la fois au Sénat et à l'Assemblée nationale.

Je vous proposerai, par ailleurs, un amendement visant à rétablir la représentation de ces pôles à la conférence territoriale de l'action publique, et un amendement qui supprime le dispositif de l'article 45 sexies, superfétatoire par rapport à celui de l'article 45 quinquies.

S'agissant de la compétence énergie des métropoles et des communautés urbaines, adoptée par le Sénat et supprimée par l'Assemblée, je vous proposerai de la rétablir, en l'accompagnant toutefois d'un mécanisme de « substitution-représentation », afin de préserver l'équilibre financier des syndicats mixtes existants. En vertu de ce dispositif, les communes membres d'une métropole ou d'une communauté urbaine qui appartiennent à un syndicat mixte compétent en matière de distribution publique d'électricité continueront à appartenir au syndicat.

Au cours des auditions que j'ai réalisées sur ce thème, il est toutefois apparu que la gouvernance et la transparence de ces syndicats étaient un sujet de préoccupations, pour ne pas dire de crispations, dans nombre de territoires. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité accompagner ce mécanisme de substitution-représentation d'une clause relative à la gouvernance de ces syndicats, afin de garantir une proportionnalité entre la représentation de la métropole ou de la communauté urbaine au sein du conseil syndical et sa population.

Nous sommes également saisis pour avis des quatre nouveaux articles portant sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.

Pour mémoire, l'article 35 B a été introduit lors de l'examen du texte en première lecture dans notre hémicycle, par l'adoption d'un amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat. Cet article met en pratique les recommandations du rapport qu'il a produit en septembre 2012, avec notre collègue Louis Nègre, au nom de la mission commune d'information sur les inondations de 2011 dans le Var et le Sud-Est de la France.

Ce rapport préconisait de clarifier l'exercice des missions existantes en la matière. À l'exception des territoires ayant connu des catastrophes à répétition, aucune politique de prévention des inondations n'est véritablement menée, faute de compétence clairement définie et attribuée. C'est donc le sens de cet article, qui crée une compétence intitulée « gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations », et la confie aux EPCI à fiscalité propre, à charge pour eux de se regrouper dans des établissements publics départementaux ou d'affluent, mais également dans des établissements publics de bassin.

L'article prévoit un financement par la création de deux taxes nouvelles, dont la définition précise et le contenu sont renvoyés à la prochaine loi de finances.

L'article 35 C a été introduit par un amendement du rapporteur pour avis de la commission du développement durable à l'Assemblée. Il prévoit la possibilité de déléguer la nouvelle compétence créée aux établissements publics territoriaux de bassin.

L'article 35 D résulte d'un amendement du Gouvernement. Son objectif est de permettre la meilleure gestion des équipements de prévention des inondations qui ont été créés et sont gérés actuellement par les départements ou les régions, voire par l'État, ou appartiennent à des personnes privées, pas toujours clairement identifiées. Cet article complète la panoplie des outils à la disposition des collectivités, en leur donnant la possibilité de réemployer toutes les digues publiques existantes, par un système de mise à disposition, mais également les digues établies sur des terrains privés, par un mécanisme de mise en servitudes administratives.

L'objectif est d'éviter des investissements importants pour acquérir les terrains d'assise et construire de nouveaux ouvrages, alors que des tronçons existent déjà et peuvent être réutilisés. De cette optimisation des ouvrages existants doit résulter un gain important de temps et d'argent. De la même manière qu'on crée une compétence spécifique confiée à un acteur identifié, il s'agit de favoriser l'émergence d'un gestionnaire unique des ouvrages de prévention des inondations sur un territoire donné.

Enfin, l'article 35 E, introduit par un amendement du rapporteur du développement durable de l'Assemblée, prévoit une période transitoire et donc une date butoir pour le transfert de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations aux EPCI.

Ces quatre nouveaux articles appellent plusieurs commentaires et certaines réserves.

Il ne nous a été transmis que très tardivement une étude d'impact financier de ce transfert. Bien que le Gouvernement se soit emparé du sujet et que cette étude semble sérieuse et documentée, nous n'avons pour l'heure aucune analyse des répercussions de la création de cette nouvelle compétence en fonction de chaque type de bassin. Le coût du transfert sera en effet très variable, selon que l'on se trouve sur le bassin de la Loire ou dans une zone peu irriguée et éloignée de la mer. Il nous faut donc continuer à affiner, préalablement à tout transfert, l'analyse des contours de la charge que devront assumer les EPCI, pour mettre les moyens correspondants à leur disposition.

Cette question des moyens appelle une deuxième remarque. La politique de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations doit s'appuyer sur des outils juridiques adaptés, d'une part, sur un financement suffisant, d'autre part. Les mesures introduites par les articles 35 B à 35 E n'ont de sens que si le Gouvernement propose un financement. Il s'agirait de créer, dans le cadre du PLF 2014, une taxe spéciale pour la prévention des risques d'inondation et de submersion, sur le modèle des taxes spéciales d'équipement, ainsi qu'une taxe de riveraineté, pour l'entretien des cours d'eau non domaniaux. Pour l'heure, le montage juridique et financier ne semble cependant pas encore abouti.

C'est pourquoi je vous proposerai d'émettre un avis favorable à ces articles, sous réserve que le dispositif de financement approprié soit prévu. D'après les échos qui me sont parvenus, la commission des lois, le Gouvernement, et M. Collombat travaillent actuellement à une solution. Il faudra que le Gouvernement nous apporte, en séance, les garanties nécessaires pour le financement du transfert de cette nouvelle compétence.

Je vous remercie pour votre attention.

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