Cet amendement porte sur un sujet difficile : la prostitution. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, j’aimerais que nous inversions notre regard sur la prostitution.
En général, lorsque nous évoquons les personnes prostituées, nous y voyons des personnes un peu « complices ». D’ailleurs, un récent film a défendu la thèse selon laquelle la plupart des femmes désiraient en leur for intérieur être des prostituées. Je vous rappelle également qu’un grand créateur – Louis Vuitton, pour ne pas le nommer – a organisé son défilé de mode autour de la mise en scène de mannequins qui étaient en réalité des femmes prostituées.
En réalité, sur environ 20 000 femmes prostituées dans la rue – il s’agit d’une estimation, car nous ne disposons pas de chiffres exacts aujourd'hui –, 90 % d’entre elles sont victimes de réseaux de traite des êtres humains. Et ce que nous avons découvert avec Jean-Pierre Godefroy dans le cadre de la mission sur la situation sociale des personnes prostituées est absolument effrayant ! Or tout cela se passe chez nous.
Des réseaux profitent à travers l’Europe de certaines failles qui nous empêchent de les combattre efficacement. Des personnes sont obligées de se prostituer nues dans le bois de Vincennes, à vingt ou trente mètres de la route. Nous dénonçons tout cela, mais, aujourd'hui, personne ne fait rien !
Certes, il y a effectivement des personnes qui, à un moment ou un autre, ont fait le choix de la prostitution. J’ai rencontré des femmes prostituées dites « traditionnelles » ; elles sont extrêmement respectables et méritent vraiment que nous portions aujourd'hui un autre regard sur elles et que nous entendions ce qu’elles nous disent. Mais c’est une minorité qui a fait ce choix. La très grande majorité ne l’a pas fait. Et les réseaux se jouent justement de la distinction que nous essayons de faire entre « traite » et « prostitution » !
Par nos grands principes, et par une forme d’aveuglement bien volontaire, nous contribuons au maintien de réseaux de criminalité très bien organisés. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, la traite se place en troisième position de la criminalité organisée à l’échelle internationale, après le trafic d’armes et le trafic de drogue, et elle se développe à très grande vitesse. En plus, avec la vague du porno chic, cela faisait très bien d’apparaître comme totalement libéré sexuellement…
C'est la raison pour laquelle cet amendement – je me doute bien qu’il ne sera pas adopté, pour des raisons très diverses – vise simplement à renverser la logique. Il s’inscrit dans la continuité de mon amendement précédent : les femmes prostituées sont des victimes ; elles doivent être considérées comme telles et protégées, pour pouvoir dénoncer les réseaux de traite. Les clients ne peuvent pas être aveugles ; ils ne peuvent pas ignorer la situation des personnes prostituées, qui sont en très grande majorité des femmes.
En 2011, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, c'est-à-dire avec le soutien de tous les groupes politiques, une résolution sur le sujet ; l’unanimité s’expliquait peut-être parce que la résolution n’avait pas de traduction législative.
Nous avons l’occasion, dans un débat portant sur les femmes, sur la dignité que nous devons leur reconnaître et sur l’égalité, d’aborder de nouveau la question.
Je sais, et j’en suis très triste, que mon amendement ne sera pas adopté. Mais je souhaite tout de même que nous portions ce débat ; il y aura certainement des promesses de discussions futures. La résolution date de 2011, et nous sommes en 2013 ; rien ne s’est passé entre-temps. Je ne jette la pierre à personne : nous en sommes tous collectivement responsables.
Je ne suis pas directement concernée par le problème. Mais, alors que j’avais toujours eu un regard un peu distant – je me disais : « Les femmes qui se prostituent l’ont sans doute choisi, c’est la vie… » –, j’ai rencontré des femmes extrêmement dignes, qui souhaitaient être considérées autrement.
À mon sens, la responsabilisation du client – cet amendement a pour objet une pénalisation, mais j’ai également déposé un amendement visant à cette responsabilisation – est véritablement un message que nous devons envoyer à la société aujourd'hui.
Nous avons été précurseurs pour les droits de l’homme ; il serait temps que nous les mettions en œuvre en allant jusqu’au bout de nos idées. Je le dis avec conviction, même si j’ai malheureusement peu de chances d’être suivie ce soir.