Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2012, le regretté Guy Carcassonne écrivait : « Le cumul des mandats justifie tous les clichés : serpent de mer, bouteille à l’encre, tarte à la crème... Il y a si longtemps qu’il est en débat, tous les arguments, pour ou contre, ont été à ce point échangés, rebattus, qu’il serait plus que temps que la décision soit enfin prise. On peut espérer, mais nous n’en sommes pas encore tout à fait là ».
La prudence de Guy Carcassonne a, pour une fois, été excessive puisque le Sénat est saisi de deux projets de loi – l’un, organique, qui concerne les parlementaires nationaux et l’autre, ordinaire, qui concerne les députés européens – visant à interdire le cumul de ces mandats avec une fonction exécutive locale.
Déposés le 3 avril dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale, ils ont été adoptés le 9 juillet par la majorité des députés. Notre assemblée est appelée à se prononcer sur les deux textes qui lui ont été transmis, après un premier débat en commission qui a permis l’échange des points de vue ; ce débat s’est poursuivi ce matin par l’examen des amendements extérieurs, afin que le débat en séance publique puisse se déployer dans les prochains jours.
Je vous rassure : je ne retracerai pas l’histoire complète du cumul des mandats ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté au nom de la commission des lois. Je dirai simplement que le cumul des mandats est indéniablement une pratique ancienne et constante, enracinée dans la construction politique de notre pays depuis au moins la seconde moitié du XIXe siècle. Cette tradition politique a longtemps fait regarder la détention d’un mandat parlementaire et celle d’un mandat local comme complémentaires.
Il existe plusieurs explications à cette situation.
Tout d’abord, elle résulte de la distinction, théorisée à la fin du XIXe siècle par divers auteurs, entre les élections dites « politiques » – organisées au niveau national pour le choix des parlementaires, qui participent à l’expression de la souveraineté nationale – et les élections dites « administratives » – organisées au niveau local pour le choix des élus locaux, dont la vocation était seulement d’administrer, sans réelle autonomie vis-à-vis du pouvoir central.
Michel Debré lui-même le concédait dans un article de 1955 : « Le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française. »