La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Paul Robert, qui fut sénateur du Cantal de 1980 à 1989.
L’ordre du jour appelle les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en remplacement de Jean Louis Lorrain, décédé, et pour l’élection d’un membre suppléant pour représenter la France au sein de cette assemblée, en remplacement de M. Bernard Fournier.
En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49 984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise pour ces élections.
Il va être procédé à ces scrutins dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.
J’ai été saisi de la candidature de :
- M. Bernard Fournier, pour siéger comme membre titulaire ;
- M. André Reichardt, pour siéger comme membre suppléant.
Je prie MM. Jean Boyer et François Fortassin, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote. Ils seront assistés de MM. Gérard Le Cam et Alain Dufaut comme scrutateurs.
Je déclare le scrutin ouvert.
Je vous indique que, pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter plus d’un nom comme membre titulaire et plus d’un nom comme membre suppléant, sous peine de nullité.
Ce scrutin sera clos dans une heure.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (projet n° 734, résultat des travaux de la commission n° 834, rapport n° 832) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (projet n° 733, résultat des travaux de la commission n° 833, rapport n° 832).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
Ils seraient « trop nombreux », ils « coûteraient trop cher », ils « n’agiraient pas assez », ils seraient « incapables d’entendre », de « comprendre les attentes des citoyens » et d’y répondre.
Ce faux procès, ce procès injustifié que l’on fait aux élus de la République, nous ne l’acceptons pas, je ne l’accepte pas. Et jamais nous ne devons nous résoudre à l’accepter. Il nous faut donc nécessairement agir, et agir ensemble !
La démocratie n’existe pas sans ses élus. Elle n’existe pas sans ses parlementaires ni sans ses élus locaux.
La démocratie, c’est ce lien de confiance, ce contrat qui unit, qui doit unir, à tous les niveaux, les citoyens à ceux et à celles qui ont la charge de les représenter et de veiller au destin de la collectivité.
La démocratie, c’est l’expression de la volonté du peuple, dont les élus sont les porteurs, cette volonté dont parlait Mirabeau, à laquelle on ne peut rien opposer de plus grand, de plus fort, de plus juste.
Notre démocratie, cette magnifique redécouverte de l’Antiquité par la modernité, s’est construite pas à pas. Elle a su s’imposer. Mais elle a su aussi évoluer, s’adapter.
J’ai l’honneur d’être aujourd’hui devant vous pour vous présenter, après son examen et son adoption par l’Assemblée nationale, un projet de loi qui fera date.
Oui, il fera date !
En mettant un terme aux possibilités de cumul entre les fonctions exécutives locales et le mandat de député ou de sénateur, il viendra profondément renouveler le fonctionnement de nos institutions et de nos pratiques politiques.
Ce projet de loi constitue une véritable avancée démocratique. C’est le mérite de la démocratie, autant que son devoir, de toujours veiller à avancer, à améliorer son fonctionnement, à approfondir le lien qui existe entre les élus et les citoyens.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que ce lien peut prendre plusieurs formes. Il existe notamment dans les territoires, au travers des collectivités locales. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai l’occasion de rencontrer très régulièrement des élus locaux sur le terrain. Nombre d’entre vous le sont eux-mêmes. Je sais combien, quelle que soit leur sensibilité, les élus locaux sont dévoués et donnent de leur temps et de leur énergie au service de l’intérêt général.
Je les rencontre notamment dans des situations où il faut faire face aux difficultés ou à l’adversité. Ce fut le cas, par exemple, en juin dernier, en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées, à la suite des inondations qui ont frappé ces deux départements. Dans les campagnes, dans les villages, dans les bourgs, alors que les équipes de secours étaient mobilisées, les élus locaux étaient là, au côté des populations, pour aider, pour parer au plus pressé. Je pourrais évidemment citer maints autres exemples.
Être élu local, de sa commune, de son canton, de son département, de sa région, c’est être à l’écoute de la collectivité qui vous a accordé sa confiance. C’est gérer le quotidien tout en préparant l’avenir. Moi-même, élu local depuis vingt-cinq ans, je sais le degré d’exigence que revêtent de telles missions.
Gérer le quotidien, c’est s’occuper des cantines scolaires, veiller à la tranquillité publique, répartir les créneaux sportifs ou encore résoudre des problèmes de voirie ou d’assainissement.
Préparer l’avenir, c’est se mobiliser pour le développement économique, travailler à l’attractivité d’un territoire, le doter des équipements publics, scolaires, sanitaires, et des infrastructures adaptés.
Je veux rendre un hommage tout particulier aux maires des petites communes, qui portent souvent sur leurs épaules le poids de lourdes responsabilités, qu’ils assument la plupart du temps à titre bénévole ou presque, et en plus de leur activité professionnelle.
Je ne supporte pas cette démagogie qui vise nos élus locaux. De même, je n’admets pas les attaques qui visent le Parlement.
Faire la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques sont des missions essentielles pour notre démocratie, un système qui s’appuie sur cet équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le travail parlementaire, que l’on appartienne à la majorité ou à l’opposition, implique investissement, rigueur, connaissance approfondie des enjeux.
Le Parlement n’est pas seulement le lieu d’interpellation du pouvoir exécutif. C’est un lieu de réflexion, de discussion, de prise en compte des points de vue, de tous les points de vue. C’est le lieu de la construction patiente de nos lois, des lois qui doivent tout prévoir, tout envisager. C’est le lieu de l’édification, de la concrétisation de la volonté générale.
La démocratie a besoin de ses élus, de tous ses élus. En dépit de la défiance, les Français le savent bien, ils ont besoin de leurs élus.
La démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la confiance : confiance dans les institutions ; confiance dans des élus présents, dévoués et qui respectent leurs engagements.
Alors, comment fermer les yeux sur cette crise de confiance qui touche nos concitoyens ? Comment l’ignorer ? Ils doutent de la capacité de la politique à avoir une emprise sur le destin collectif, ils doutent de la capacité de leurs élus à agir.
Il nous appartient à tous de répondre à cette crise de confiance, et d’y répondre en réformant nos institutions, comme cela a déjà été fait par le passé. C’est ce que nous faisons avec ce projet de loi, qui constitue, oui, une véritable révolution démocratique.
J’ai bien conscience que toute avancée, si elle est trop brusque, peut être déroutante. Mais cette avancée démocratique que nous proposons n’est en rien brutale. Elle ne constitue pas une surprise. Elle est la traduction du quarante-huitième engagement de campagne, d’un engagement fort, du Président de la République.
D’ailleurs, le Président de la République sortant s’était lui-même avancé sur cette voie.
Nos concitoyens attendent des actes conformes à ce que Pierre Mendès-France appelait le « contrat de législature », gage d’une République moderne.
Oui, c’est vers une République moderne que nous voulons aller, une République qui décide d’en finir avec une spécificité française, le cumul, une spécificité qui, au fil du temps, est devenue une singularité.
M. Pierre Charon s’exclame.
Vous ne manquerez pas de rappeler que, comme d’autres, j’ai cumulé. §
Rien ne m’enlèvera la fierté que j’ai de porter aujourd’hui ce texte et de concrétiser l’engagement pris par François Hollande devant les Français.
M. Manuel Valls, ministre. Cet engagement est le fruit d’une réflexion à laquelle, comme d’autres, j’ai contribué, modestement.
Ah !
sur les travées de l'UMP.) En effet, j’avais été chargé par ma formation politique, en février 2011, d’un rapport sur la modernisation de nos institutions. J’ai fait dix propositions, dont la première était l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat au sein d’un exécutif local.
Mme Gisèle Printz applaudit.
Dans vos argumentaires, vous citerez sans doute le Président de la République, …
Vous ne manquerez pas d’évoquer le cas de l’ancien président du conseil général de la Corrèze et ses positions passées.
Ce que François Hollande souhaitait, à l’époque du débat au sein de notre formation politique, c’était que cette disposition du non-cumul s’applique à tous, par la loi, et pas à un seul parti. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
M. Manuel Valls, ministre. Cette avancée s’inscrit par ailleurs, de manière cohérente, dans un mouvement d’ensemble mis en œuvre par le Gouvernement, avec le soutien de la majorité. Il s’est traduit, ces derniers mois, par l’instauration de la parité pour l’élection des conseillers départementaux
Ah oui ! Parlons-en ! sur les travées de l'UMP.
, …par l’extension du scrutin de liste pour les communes de plus de 1000 habitants – vous y avez contribué –
Pas nous ! sur les travées de l'UMP.
M. Manuel Valls, ministre. Ce doit être un spécialiste qui a parlé !
Rires et applaudissements
Être fidèle à la République et à ses traditions, ce n’est pas regarder vers un passé fantasmé ; ce n’est pas s’arc-bouter sur des pratiques devenues obsolètes. Du reste, on cumulait moins sous la IIIe et la IVe République...
Non, être fidèle à la République, c’est regarder vers l’avenir, adapter sans cesse les institutions à la modernité.
En 2008, au Congrès, il s’est même trouvé une majorité qualifiée, comprenant des parlementaires de gauche, pour adopter la réforme constitutionnelle présentée alors par le président Nicolas Sarkozy.
C’est la tâche à laquelle je m’attelle, dans tous les domaines, depuis mon arrivée au ministère de l’intérieur. Au cours des derniers mois, nos institutions se sont réformées, et nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape.
J’ajoute que l’interdiction du cumul a été préparée par deux lois antérieures, les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, qui, portées par des majorités de gauche, ont limité les possibilités de cumul.
De la limitation, nous devons passer à l’interdiction.
Cette avancée démocratique est aussi le prolongement logique de trente ans de lois de décentralisation qui ont affirmé et la place et le rôle des collectivités territoriales dans notre paysage institutionnel. Avec ces lois, auxquelles ont contribué différentes majorités, être membre d’un exécutif local, c’est assumer des responsabilités de plus en plus complexes, de plus en plus prenantes.
Être maire, être président ou vice-président d’une assemblée départementale ou régionale, c’est nécessairement se trouver, de manière continue, au contact de la collectivité dont on a la charge. Ce sont des missions qui mobilisent à plein temps.
De même, et plus encore depuis la réforme constitutionnelle de 2008 – c’est la raison pour laquelle j’y ai fait allusion –, le mandat national de député et de sénateur est devenu, vous le savez parfaitement, plus exigeant encore.
Nous devons prendre acte de cette réalité. Elle s’impose à nous : être parlementaire et membre d’un exécutif local, c’est exercer des fonctions qui ne sont plus superposables.
Le faire, c’est au mieux déléguer, le plus souvent à l’administration, au pire survoler !
Et l’on ne peut se satisfaire de cela. Les citoyens, de toute sensibilité politique, le disent clairement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose une avancée pour notre démocratie, pour la Ve République.
Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale, qui, en première lecture, à la surprise de nombreuses personnes d’ailleurs, ici notamment, a adopté ce texte par 300 voix.
Ce mouvement est inéluctable.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs enrichi ce texte ; elle l’a même parfois durci. Je pense à l’extension du principe de non-cumul aux fonctions dérivées du mandat local, qu’il s’agisse des EPCI sans fiscalité propre, des syndicats mixtes, des établissements publics locaux, des sociétés d’économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou encore des organes de gestion de la fonction publique territoriale. Je vous le dis, car certains ne semblent pas avoir lu le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ! §
Je vous trouve en pleine forme… Cela augure bien de notre discussion !
Avec le débat que nous ouvrons aujourd’hui, le Sénat a l’occasion de prendre toute sa part à ce mouvement. Il a l’opportunité de poursuivre son œuvre décentralisatrice, en dotant notre pays d’élus locaux à plein temps, et d’affirmer de nouveau la place de la chambre haute dans les institutions de notre République. §
Saisir cette occasion, c’est faire preuve de courage ! C’est, j’en ai bien conscience, dépasser des réticences. C’est aussi éviter un certain nombre de pièges et renoncer à certaines illusions.
La première de ces illusions…
… serait de croire que nous pouvons encore repousser ce débat.
Je l’ai dit, cette réforme est attendue par nos concitoyens. §
Pour beaucoup, nous n’avons que trop tardé. Je sais que certains parmi vous souhaiteraient que nous attendions encore. Mais cela n’est plus possible.
Ce texte, vous le connaissez ; vous avez pu y travailler.
Présenté en conseil des ministres le 3 avril dernier, …
… il a été examiné par l’Assemblée nationale au début du mois de juillet.
Surtout, vous le connaissez – c’est la procédure normale –, car le Sénat a déjà eu l’occasion de se prononcer sur son contenu, à tout le moins sur une version proche.
En effet, le 28 octobre 2010, …
… le Sénat décidait – déjà ! – de renvoyer en commission la proposition de loi organique présentée par Jean-Pierre Bel, qui n’était pas encore, alors, président de cette assemblée.
Comme le texte d’aujourd’hui, celui d’hier visait à interdire le cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.
Comme aujourd’hui, certains estimaient déjà que le plus urgent était d’attendre, invoquant une prochaine étape de la décentralisation, un futur statut de l’élu, …
… voire une réforme constitutionnelle.
Pour ma part, je crois que cette réforme est justement une clé pour faire évoluer à terme nos institutions et nos pratiques.
Vous me direz, comme certains l’ont fait hier, qu’il faut que tout change. Mais cela revient à dire qu’il faut que rien ne change !
En 2010, en défendant une motion tendant au renvoi à la commission, le doyen Gélard estimait que le Sénat devait « approfondir sa réflexion »…
… sur un texte qu’il jugeait « intéressant ». Je crains que nous n’entendions les mêmes propos au cours de ce débat. Pourtant, le Sénat a, me semble-t-il, approfondi sa réflexion. Il a eu le temps nécessaire pour le faire.
Comme toujours, vos travaux ont été placés sous le signe du sérieux, de l’approfondissement. Je pense notamment au rapport d’information de vos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée. Le titre qu’ils ont donné à leur travail résume d’ailleurs bien les enjeux dont nous aurons à parler au cours de nos débats : oui, les mandats locaux seront bien valorisés par le non-cumul.
Lors de l’élaboration de ce projet de loi, nous avons débattu de la date de son application. Vous n’ignorez pas que des voix se sont élevées – elles vont sans doute se faire encore entendre – pour une application de la loi dès sa promulgation. J’ai personnellement souhaité, pour des raisons politiques et juridiques, que cette mise en œuvre n’intervienne qu’à compter de 2017, après le renouvellement de l’Assemblée nationale.
S’agissant des raisons juridiques, nous ne faisons que suivre la recommandation pertinente du Conseil d’État. La formule qui vous est proposée garantit l’exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité.
Mais il y a aussi une raison politique : il est essentiel de laisser à chacun le temps de réfléchir, de prévoir et de s’organiser.
La deuxième illusion dangereuse est l’idée selon laquelle le Sénat devrait faire l’objet d’un traitement différencié.
J’ai pris connaissance avec attention des amendements déposés par une majorité d’entre vous. Nous allons en débattre : certains voudront exclure les sénateurs des règles de non-cumul, tandis que d’autres, sur des travées différentes, proposeront divers seuils de population.
Je dois vous le dire d’emblée : non seulement le Gouvernement s’opposera à ces amendements – bien sûr, le Sénat est souverain dans ses choix ! – mais il est totalement déterminé à préserver l’équilibre de ce texte jusqu’au bout.
Je parlais d’illusion. Il est en effet illusoire de croire que le Sénat puisse s’exonérer d’un mouvement de fond, qu’il puisse, seul, continuer de vivre sur des règles du passé.
Je le répète, cela ne serait pas compris par nos concitoyens et, je vous le dis sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, cela serait également néfaste pour le Sénat lui-même.
Nous le répéterons sans doute souvent au cours de nos discussions : le Sénat représente les collectivités locales de la République.
C’est la lettre de l’article 24 de la Constitution. C’est aussi l’un des fondements de notre République, et j’y serai fidèle.
Il n’en demeure pas moins que représenter les collectivités territoriales, vous le savez parfaitement, ce n’est pas nécessairement en diriger une. En droit, le Conseil constitutionnel a, me semble-t-il, déjà tranché cette question. Sa jurisprudence sur ce point est claire : la représentation des collectivités s’exerce par le collège électoral des sénateurs, composé « essentiellement » d’élus locaux, pas par l’exercice d’un mandat ou d’une fonction.
Surtout, nous devons penser à la place du Sénat dans nos institutions.
Le Sénat français – je pense que vous êtes attachés à ce principe ! –, n’est pas le Bundesrat allemand ; il n’est pas la seconde chambre d’un régime fédéral ; il est la chambre haute d’une République décentralisée, comme l’a souhaité l’un des vôtres.
La différence est de taille ! C’est sur cette idée que se fonde la conception républicaine du Sénat. C’est à partir de cette idée que le Sénat a pu, progressivement, exercer des prérogatives parlementaires proches de celles de l’Assemblée nationale.
Différencier, pour la première fois dans l’histoire de la République, …
… le régime des incompatibilités applicables aux députés et sénateurs, faire du seul Sénat une chambre d’élus locaux reviendrait précisément à battre en brèche ce principe.
Ce serait remettre en cause le bicamérisme équilibré à la française. §
À terme, ce serait sans doute renoncer à la plénitude de la compétence législative du Sénat.
Pour mémoire, je vous rappelle que le Bundesrat allemand n’examine qu’un tiers environ des textes fédéraux. Je ne pense pas que telle soit votre ambition pour le Sénat…
Vous commettriez une erreur, mesdames, messieurs les sénateurs, à considérer que le texte présenté par le Gouvernement affaiblit le Sénat.
Vous le savez parfaitement, ce texte sera adopté en dernière lecture par l'Assemblée nationale, selon les principes et les équilibres qui vous sont proposés !
Vives protestations sur les mêmes travées.
C’est pour cette raison que vous devez accompagner ce texte. Quel que soit le vote qui sera le vôtre, ce texte sera adopté par le Parlement, et il renforce le Sénat ! (Hourvari sur les mêmes travées.)
S’il vous plaît ! Nous aurons un débat. Je vous écouterai avec toute l’attention nécessaire au cours de la discussion générale. Non seulement j’y prendrai plaisir, mais j’écouterai avec intérêt vos analyses, vos arguments et vos propositions.
Adopter le non-cumul, disais-je, reviendrait à préparer la voie à des élus coupés des réalités
Tollé sur les travées de l’UMP .
, à ceux que certains se plaisent à appeler des « apparatchiks ».
Eh oui ! sur les mêmes travées
Je n’aime pas ce mot : il dévalorise la fonction d’élu et le choix des citoyens, ainsi que le choix des élus qui élisent les sénateurs. Et puis, que sont les apparatchiks ? Qu’on me le dise !
M. Manuel Valls, ministre. Est-ce un statut ? Existe-t-il une définition ? Quelle est la prochaine cible ? Les énarques ? Les fonctionnaires en général ?
Ah ! sur les mêmes travées.
M. Manuel Valls, ministre. Les membres de cabinet ?
Oui ! sur les mêmes travées.
Mêmes exclamations.
M. Manuel Valls, ministre. Alors, les choses sont claires, mais il se trouve que je ne suis ni héritier, ni apparatchik, ni énarque !
Applaudissements
Il n’y a ici que des femmes et des hommes qui ont choisi de consacrer leur vie à leur engagement politique. §
Ce terme d’apparatchik n’est pas digne du débat public.
Ce catalogue, c’est celui des populistes, celui que brandissent sans cesse les ennemis de la démocratie parlementaire, comme ils l’ont toujours fait. Dans ce pays, si l’on est Français, on est libre de se présenter au suffrage universel et on est libre d’élire qui on veut. N’ajoutons pas des catégories à ces principes, qui sont simples. §
Là encore, toute crainte doit être dissipée. Je ne crois pas que le sénateur ou le député de demain, celui qui n’exercera pas de fonction exécutive locale, sera « hors-sol », dépourvu de contacts avec ses concitoyens.
La proximité est nécessaire aux élus ; elle est le fondement de leur légitimité. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, grâce au mode d’élection, elle le restera !
Mesdames, messieurs les sénateurs, 40 % d’entre vous ne seraient pas concernés par l’application de la loi organique, soit qu’ils n’exercent pas de mandat local, soit qu’ils soient simple conseiller municipal, général ou régional. Sont-ils pour cela de mauvais sénateurs ? Sont-ils inaptes à légiférer ? Sont-ils coupés de la réalité ? Bien sûr que non !
Réciproquement, les maires de grande ville qui, pour différentes raisons, ne sont pas parlementaires – je citerai Paris, Bordeaux, Toulouse ou Reims –…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Dijon !
M. François Rebsamen sourit.
… sont-ils de mauvais élus locaux ?
À la vérité, les futurs élus seront des élus à temps plein, proches de leurs électeurs et à l’écoute de ceux-ci. Des élus, aussi, qui auront le temps : pour les uns, le temps de légiférer ; pour les autres, celui d’exercer un mandat local, prenant et, bien sûr, passionnant.
Sans doute ce temps ne suffira-t-il pas ; je sais qu’il faudra aussi adapter certaines règles et certaines pratiques. Le travail parlementaire sera naturellement bouleversé. Il faudra – cela relève de votre responsabilité – doter les parlementaires de moyens nouveaux, notamment pour le contrôle de l’exécutif. Il devra être possible de rémunérer des collaborateurs bien formés, capables d’assister les parlementaires dans ce travail de contrôle.
Pour les élus locaux, la question du statut de l’élu se pose nécessairement, comme le Président de la République l’a souligné lors des états généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat. Du reste, cette idée a déjà été traduite dans la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat. Il faudra poursuivre dans cette voie et, sans doute, approfondir la réflexion.
Ces élus nouveaux, à temps plein, sont attendus par les Français
Exclamations sur les travées de l’UMP.
Je le répète : quelle que soit la décision que prendra le Sénat, cette question deviendra habituelle, banale, et il vous sera impossible de l’éluder. C’est pourquoi, avec modestie, je vous le dis : vous devrez avoir cette question à l’esprit lorsque vous vous prononcerez sur le projet de loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aborde ce débat – comme vous, je le constate – dans la sérénité §et dans un esprit de respect. Respect du Sénat, bien sûr, mais aussi respect des Français et des engagements que nous avons pris devant eux.
Vous l’avez compris, ce débat, je l’aborde également avec détermination. Oui, je suis déterminé à faire aboutir une réforme que je crois moderne et historique !
La réforme est souvent déroutante a priori. Mais rien n’interdit de faire mûrir sa réflexion et de dépasser les réticences initiales. Je connais les réticences, mais je crois qu’il est temps de les dépasser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat en offre l’occasion, pour moderniser notre vie politique et nos institutions !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions . – Mme Nathalie Goulet applaudit également.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2012, le regretté Guy Carcassonne écrivait : « Le cumul des mandats justifie tous les clichés : serpent de mer, bouteille à l’encre, tarte à la crème... Il y a si longtemps qu’il est en débat, tous les arguments, pour ou contre, ont été à ce point échangés, rebattus, qu’il serait plus que temps que la décision soit enfin prise. On peut espérer, mais nous n’en sommes pas encore tout à fait là ».
La prudence de Guy Carcassonne a, pour une fois, été excessive puisque le Sénat est saisi de deux projets de loi – l’un, organique, qui concerne les parlementaires nationaux et l’autre, ordinaire, qui concerne les députés européens – visant à interdire le cumul de ces mandats avec une fonction exécutive locale.
Déposés le 3 avril dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale, ils ont été adoptés le 9 juillet par la majorité des députés. Notre assemblée est appelée à se prononcer sur les deux textes qui lui ont été transmis, après un premier débat en commission qui a permis l’échange des points de vue ; ce débat s’est poursuivi ce matin par l’examen des amendements extérieurs, afin que le débat en séance publique puisse se déployer dans les prochains jours.
Je vous rassure : je ne retracerai pas l’histoire complète du cumul des mandats ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté au nom de la commission des lois. Je dirai simplement que le cumul des mandats est indéniablement une pratique ancienne et constante, enracinée dans la construction politique de notre pays depuis au moins la seconde moitié du XIXe siècle. Cette tradition politique a longtemps fait regarder la détention d’un mandat parlementaire et celle d’un mandat local comme complémentaires.
Il existe plusieurs explications à cette situation.
Tout d’abord, elle résulte de la distinction, théorisée à la fin du XIXe siècle par divers auteurs, entre les élections dites « politiques » – organisées au niveau national pour le choix des parlementaires, qui participent à l’expression de la souveraineté nationale – et les élections dites « administratives » – organisées au niveau local pour le choix des élus locaux, dont la vocation était seulement d’administrer, sans réelle autonomie vis-à-vis du pouvoir central.
Michel Debré lui-même le concédait dans un article de 1955 : « Le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française. »
De fait, le mandat de député ou de sénateur fut un moyen pour le conseiller général de rééquilibrer sa relation avec le préfet, représentant du pouvoir central, en gagnant un accès privilégié aux ministres, à leurs cabinets et aux administrations centrales.
Ainsi, le cumul des mandats était largement admis comme une conséquence du degré avancé de centralisation de notre pays, fruit de son histoire.
Michel Debré, toujours lui, résumait ainsi cette situation : « Dès lors, quand, maire d’une ville ou administrateur élu d’un département, on ne veut ni ne peut se révolter contre le pouvoir central, il faut tenter de pénétrer à l’intérieur des mécanismes qui font, à Paris, le gouvernement et l’administration du pays. »
C’était il y a plus de cinquante ans !
Reste que ce phénomène ne peut suffire à expliquer la situation actuelle. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, qui a connu une longue centralisation avant le processus de dévolution, dans les années 1990, le cumul du mandat parlementaire avec un mandat local est quasiinexistant : il concerne moins de 3 % des membres de la Chambre des communes.
Si le phénomène du cumul est ancien, il s’est considérablement développé sous la Ve République et, contrairement à ce que l’on pense, davantage que sous la IIIe République. D’aucuns n’ont pas manqué de souligner une certaine concomitance avec une limitation des prérogatives du Parlement par la Constitution de 1958. Certains y ont même discerné l’intérêt de l’exécutif de voir les parlementaires retenus par les affaires de leurs circonscriptions, laissant ainsi le champ libre au Gouvernement à Paris.
Enfin, je n’ignore pas que le cumul d’un mandat parlementaire avec des fonctions locales a longtemps été un moyen pour les élus de disposer, sur les plans de la protection et des moyens humains et financiers, d’un statut qui n’existait alors que pour les parlementaires. En effet, le mandat de député ou de sénateur était pour un élu la garantie de percevoir une indemnité sans équivalent au niveau local, en raison du principe de gratuité des fonctions électives locales, qui demeure, au moins en théorie, dans notre droit.
Le lien entre la question du non-cumul des mandats et des fonctions et celle du statut de l’élu est donc évident ; notre commission des lois l’a rappelé. Vous comprendrez donc, monsieur le ministre de l’intérieur, que le Sénat attache une importance particulière à l’avenir de la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, adoptée par le Sénat en janvier 2013 ; je sais que, tout récemment, des informations rassurantes nous ont été transmises à cet égard.
J’ai souligné, en commission des lois, que le cumul des mandats représentait une singularité française, non pas en tant que règle mais en tant que pratique, pratique du reste particulièrement intense. J’ai présenté quelques éléments de comparaison mettant en lumière cette spécificité : seuls 24 % des membres du Bundestag allemand détiennent également un mandat local ; c’est le cas de seulement 20 % des membres du Congrès des députés espagnol, de 7 % des membres de la Chambre des députés italienne et, comme je viens de le signaler, de 3 % des membres de la Chambre des communes au Royaume-Uni.
Au demeurant, le Royaume-Uni est, avec les Pays-Bas, l’un des rares pays à ne pas connaître de règles contraignantes limitant le cumul ; la situation de non-cumul y résulte d’une habitude politique. À l’inverse, des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Belgique connaissent des règles juridiques : preuve qu’une situation de cumul de fait ne peut être tenue pour une fatalité inexorable.
Par ailleurs, s’agissant en particulier du mandat de représentant au Parlement européen, je signale que sept pays de l’Union européenne en interdisent actuellement le cumul avec un mandat local.
Au terme de ce rapide panorama, la question qui se pose au Sénat est simple : faut-il faire perdurer une tradition politique qui, aux yeux de ses partisans, est un gage d’enracinement et de renforcement des parlementaires, ou bien faut-il mettre fin à cette pratique dans l’intention de valoriser à la fois la fonction parlementaire et les fonctions exécutives locales ? En effet, la valorisation de la fonction parlementaire, désormais exercée pleinement, entraînerait celle des fonctions exécutives locales, elles aussi exercées pleinement.
À titre personnel, j’ai défendu, devant mes collègues de la commission des lois, la volonté du Gouvernement et de l’Assemblée nationale de mener la réforme qui nous est proposée. Les motifs de cette position sont connus.
D’abord, le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales ne nous permet pas d’exercer notre mandat parlementaire dans toute sa plénitude.
Bien sûr, on pourra toujours trouver des exemples de « cumulards » ou des contre-exemples de « non-cumulards » plus ou moins assidus à nos travaux, pour infirmer ou confirmer mon propos. Cependant, ma conviction est que la décentralisation a profondément bouleversé l’exercice des fonctions exécutives locales.
De fait, le mandat de maire n’est plus aujourd’hui ce qu’il était il y a cinquante ans ; nous toutes et tous qui parcourons nos territoires, nous le savons parce que les élus nous le disent tous les jours. Cela est vrai y compris dans les plus petites communes, où les maires et leurs adjoints sont soumis à de nouvelles contraintes, sans disposer de collaborateurs aussi nombreux et de services aussi étoffés que dans les grandes villes.
Lundi soir, je me trouvais dans une commune de mon département qui compte environ 4 000 habitants. Le maire me disait : « Tu as raison ! Je suis maire à temps plein et je n’ai pas le temps de tout bien faire ! »
Exclamations sur les travées de l’UMP.
J’ai mentionné en commission les quelques travaux scientifiques portant sur le lien entre l’absentéisme et le cumul, avec les résultats contradictoires que l’on connaît. Il faut dire que définir des critères de mesure de l’activité parlementaire est délicat : faut-il dénombrer les questions écrites, les amendements déposés, les rapports présentés, ou encore les heures de présence dans l’hémicycle ?
Pour ma part, au-delà des controverses sur les données réelles, des classements et des exemples personnels, je suis absolument convaincu qu’avec des règles de non-cumul plus strictes les parlementaires n’auront plus aucune excuse, notamment devant leurs électeurs – y compris les nôtres, qui sont des élus –, pour expliquer leur faible assiduité au Parlement. Mes chers collègues, là est l’important !
Depuis le printemps, j’ai tenu une série de réunions ; chaque fois, les élus, qui sont aussi des citoyens, m’ont dit que j’avais raison, et qu’en me consacrant pleinement à mon mandat j’étais plus disponible. Chers collègues de l’opposition, cessez de caricaturer !
En outre, il est évident que l’exercice d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale conduit à la conciliation délicate entre des intérêts parfois divergents.
Là encore, chers collègues de l’UMP, je me réfère à Michel Debré, selon lequel « les préoccupations locales l’emportent dans l’esprit de nos parlementaires sur les préoccupations nationales ». Sans approuver la généralité de ce jugement, sans doute sévère, et même trop sévère, je reconnais que les collectivités territoriales, avec les compétences qu’elles acquièrent, n’ont plus forcément les mêmes intérêts que l’État.
Je n’insisterai pas davantage sur la critique, que j’estime fondée, consistant à souligner que la multiplication des responsabilités conduit à une dilution des pouvoirs. Néanmoins, force m’est de dire que la fonction parlementaire tout comme les fonctions exécutives locales, a fortiori depuis les vagues successives de décentralisation, méritent des femmes et des hommes les exerçant à plein temps. Qui trop embrasse mal étreint », dit le proverbe. Quant à ma grand-mère, elle aimait à répéter : « Les journées n’ont que vingt-quatre heures et on ne fait bien qu’une chose à la fois. »
Mais je sais qu’il y a des surhommes et des surfemmes, surtout dans cet hémicycle !
La commission n’a cependant pas partagé ce point de vue, ce que je regrette, mais elle est souveraine ! Cette position l’a conduite à rejeter le projet de loi organique et le projet de loi qui lui étaient soumis.
M. Simon Sutour, rapporteur. La commission a d’abord regretté l’engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une réforme ayant des incidences fondamentales sur l’équilibre institutionnel, notamment le bicamérisme.
Bourdonnement grandissant sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.
Laissez-moi vous expliquer la position de la commission, mes chers collègues ! Elle va dans votre sens ! J’ai le sentiment que vous ne m’écoutez plus !
Exclamations sur les mêmes travées.
La majorité de la commission a ensuite estimé que les comparaisons internationales n’étaient pas un argument recevable pour justifier la réforme, dans la mesure où celles-ci ne prenaient pas en compte les autres différences institutionnelles qui caractérisent la France et qui sont intimement liées à la question du cumul des mandats et des fonctions.
Si le cumul est une spécificité française, il faut toutefois, selon la majorité de la commission, replacer cette particularité dans son contexte, ce qui permet de constater qu’elle contrebalance certaines autres singularités françaises comme la concentration des pouvoirs.
De même, il a paru à la commission que l’argument mettant en avant le plus grand absentéisme des parlementaires disposant d’un mandat local ou d’une fonction exécutive locale était contredit par de nombreux exemples.
Ainsi, la majorité de votre commission a jugé l’incompatibilité parlementaire proposée trop restrictive en ce qu’elle prive un parlementaire d’une expérience au sein des collectivités territoriales ou de leurs groupements, expérience jugée nécessaire pour une bonne appréhension des réalités locales.
En outre, la majorité de la commission a jugé paradoxal qu’une fonction exécutive locale, au service de l’intérêt général, ne puisse être exercée en même temps qu’un mandat parlementaire, alors que la législation actuelle pose comme principe, sous réserve des incompatibilités professionnelles applicables aux parlementaires, la liberté d’exercer une profession privée.
S’agissant plus particulièrement du Sénat, la majorité de la commission a estimé que l’article 24 de la Constitution, en assignant à la Haute Assemblée la mission d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, plaidait en faveur du maintien d’un lien particulier entre les sénateurs et les élus locaux, lequel ne peut mieux s’incarner que dans l’exercice simultané d’un mandat local ou d’une fonction exécutive locale et d’un mandat parlementaire.
Vous savez qu’à titre personnel je ne partage pas cette analyse, considérant que, si l’article 24 de la Constitution confère un rôle particulier au Sénat pour assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République », il dispose également que le Parlement « comprend l’Assemblée nationale et le Sénat ». Surtout, il confère aux deux chambres, sans distinction, les mêmes missions puisque, selon ses termes, le Parlement « vote la loi […] contrôle l’action du Gouvernement […] évalue les politiques publiques »
Cette fonction généraliste et l’identité des missions assignées aux deux assemblées m’a conduit à plaider contre un régime dérogatoire en faveur des sénateurs en matière d’incompatibilité, ce qui est d’ailleurs la règle depuis 1958.
Je voudrais conclure sur un point qui a fait l’objet d’un large consensus au sein de la commission.
Tout d’abord, la commission a convenu de la nécessité de mieux encadrer la possibilité de cumul d’un mandat parlementaire et de fonctions locales, la question de l’intensité de cette limitation étant l’objet de notre débat. Les amendements déposés prouvent bien qu’il y a accord sur la volonté de prolonger les règles adoptées en 1985 et écartées en 2000, même s’ils ne s’accordent pas sur la limite à fixer.
La commission a également convenu qu’une limitation plus rigoureuse du nombre de mandats et fonctions locales exercés simultanément était nécessaire, le débat portant davantage sur la manière de l’introduire dans le droit positif : faut-il compléter la présente réforme ou déposer une proposition de loi distincte ? Ma préférence va à la seconde solution. Les amendements déposés témoignent en effet qu’au-delà de ce constat partagé les solutions préconisées divergent fortement ; nous aurons l’occasion d’en discuter.
Enfin, la commission s’est accordée sur la nécessité de promouvoir l’élaboration d’un véritable statut de l’élu local, réforme nécessairement liée à celle du cumul des mandats. À cet égard, monsieur le ministre, je veux redire l’attention que nous portons au sort qui sera réservé à la proposition de loi de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault. Avant que je ne prenne la parole, on m’a informé que cette affaire était en bonne voie. Mais nous vous faisons confiance, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, pour suivre tout particulièrement ce dossier.
Dans ces conditions, la commission a rejeté les deux textes qui lui étaient soumis.
Le dépôt de certains amendements me laisse penser que nous pourrons débattre de la limitation du cumul des mandats sur la base de contributions nouvelles.
Je veux souligner, en tant que rapporteur, le travail approfondi que nous avons mené, les échanges importants que nous avons eus, ainsi que la sérénité de nos débats, comme en témoigne d’ailleurs la réunion de commission qui s’est déroulée ce matin, laquelle a permis à chacun de s’exprimer et de voter. Je souhaite que nous continuions sur cette voie, qui nous permettra d’aboutir, du moins je l’espère, à un bon texte. §
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec respect pour les positions des uns et des autres, comme c’est l’habitude au Sénat.
Il s’agit d’une question à laquelle chacun a beaucoup réfléchi, qui partage non seulement notre assemblée, mais aussi un certain nombre de groupes et même quelques-uns d’entre nous, qui n’ont pas cessé de s’interroger. Il ne s’agit donc pas d’un débat simpliste ou manichéen.
Sur le sujet qui nous occupe, chacun, finalement, réfléchit à partir de son expérience propre. Pour ma part, j’ai été élu trois fois député sans exercer aucun autre mandat. Pourtant, un maire de mon département m’avait un jour envoyé une lettre – il avait même fait un discours enflammé sur le même thème –, dans lequel il me reprochait de ne pas être maire, ce qui à ses yeux entachait ma fonction de député.
J’ai médité tout cela et, après un échec, je me suis efforcé, mes chers collègues, de devenir maire. §
Nouveaux sourires.
J’ai donc été longtemps député et seulement député, maire et seulement maire, sénateur et seulement sénateur.
Jean-Michel Baylet me le rappelait ce matin : les électeurs ont pris quelque part dans cet itinéraire en me confiant, chaque fois, un mandat important, ce dont je leur suis reconnaissant.
Toutefois, pendant un an et demi, j’ai été à la fois maire et député. J’ai pu alors constater qu’il était assez difficile d’assumer en même temps les fonctions de maire de grande ville et de parlementaire. Mais tout le monde le sait !
J’ajoute que – le fait a déjà été évoqué dans cet hémicycle – j’ai eu le bonheur, lors des dernières élections sénatoriales, d’être élu au premier tour, au scrutin uninominal, sans exercer aucun autre mandat que celui de sénateur. On m’a rappelé cependant que j’avais auparavant exercé d’autres mandats, ce qui est la stricte vérité.
Autrement dit, chacun s’apprête à raconter son parcours, et j’espère que le mien n’est pas achevé. Nous aurons ainsi à notre disposition quantité d’expériences nous permettant de montrer deux choses : premièrement, on ne peut pas tout faire en même temps ; deuxièmement, il faut être présent sur le terrain. Mais le fait d’être seulement sénateur, je le disais hier à Éric Doligé, n’interdit pas d’aller visiter dix communes dans un seul week-end, comme nous le faisons toutes et tous, ni d’assurer des permanences pour être à l’écoute des élus, des salariés, des chefs d’entreprise, des artisans et des commerçants, etc.
Je vous dis ma conviction, vous direz la vôtre tout à l’heure ! Nous sommes là pour nous parler !
Chacun s’exprime comme il le veut : on a le droit de parler de la réalité, y compris de celle qu’on a vécue.
Sur ce sujet, nous avons écouté les constitutionnalistes, et je veux reprendre un argument déjà évoqué par Manuel Valls et Simon Sutour.
À force d’insister sur le fait que, en vertu de l’article 24 de la Constitution, que je ne conteste pas – encore heureux, me direz-vous !
En effet ! sur les travées de l’UMP.
–, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République, nous risquons de nous entendre dire un jour que le Sénat pourrait très bien se cantonner aux lois qui traitent des communes, des départements et des régions ; l’observation a du reste été déjà formulée, et pas par les moindres des personnes intéressées par ces sujets. On aboutirait alors à la situation qui prévaut dans d’autres pays – M. le ministre a cité le cas de l’Allemagne–, où une chambre traite de tous les domaines, tandis qu’une autre n’est consultée que sur les affaires concernant les collectivités locales.
Protestations sur les travées de l'UMP.
Selon moi, ce serait une profonde erreur. Nous sommes nombreux à penser qu’il est extrêmement précieux pour la République que les deux assemblées du Parlement traitent de tous les sujets.
Nous sommes parfaitement légitimes pour parler de défense, de justice, de santé ou de sécurité, tout autant que les députés, même s’ils ont le dernier mot, en vertu de notre Constitution. Si une chambre ne s’occupait que des collectivités locales et que l’autre chambre traitait de tous les sujets, cela aurait pour conséquence inéluctable de supprimer toute navette.
Nous sommes nombreux à regretter une telle situation, mon cher collègue. Nous avons encore vu l’avantage de la navette ce matin, avec le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Nous avons eu en commission des lois un excellent débat, qui va continuer.
Finalement, la loi est le fruit de discussions parfois vives dans les assemblées, à partir desquelles il s’agit de construire une norme. Or, pour passer du discursif au normatif, il faut du temps, dont l’effet est semblable à celui de la mer qui polit le galet. §Les textes doivent passer et repasser entre les deux assemblées, de manière qu’ils deviennent les meilleurs possibles. Ainsi, mes chers collègues, certaines lois ne sont-elles pas toujours bien écrites.
C’est pourquoi il est très important de ne pas aller vers un Sénat qui ne serait saisi que des textes intéressant les collectivités territoriales.
Nous sommes bien d’accord !
J’ajoute que la réalité des faits est là : lundi, nous examinions un texte important visant à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes ; mais dois-je vraiment, en l’occurrence, dire « nous » ?... À ce propos, je remercie celles et ceux qui étaient présents.
Vous avez raison, madame Assassi.
Regardons les choses en face : débattre de l’ensemble des textes qui nous sont soumis, même si l’on se limite à ceux dont est saisie la commission dont on est membre, exercer la mission de contrôle dévolue au Parlement, rester en contact, bien sûr, avec les électeurs et les habitants du département dont on est un élu, c’est un travail à temps plein !
C’est une profonde conviction que je me suis forgée au cours des trois dernières décennies.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Mes chers collègues, la France compte tellement de talents, tellement d’individualités compétentes et dévouées que je ne vois pas pourquoi une seule et même personne devrait exercer des fonctions qui pourraient être exercées par deux personnes différentes.
Enfin, le Sénat de la République – et cela ne date pas seulement de l’alternance qui a eu lieu voilà deux ans, monsieur le président –, sur un certain nombre de sujets, a su être progressiste. Voyez la dernière loi de décentralisation, qui a été votée par 180 d’entre nous, donc à une large majorité ; voyez les modifications que lui a apportées notre assemblée. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le Sénat a été progressiste, il l’a même été peut-être plus que l’Assemblée nationale…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je crains que la crispation que suscite cette question du cumul des mandats, que le fait que nous nous cramponnions aux pratiques du passé
Exclamations sur les travées de l'UMP.
… ne redonne du Sénat cette image conservatrice que nous avons beaucoup combattue.
J’aime le Sénat lorsqu’il prend le risque et qu’il saisit la chance d’être le Sénat du progrès.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Guatemala.
Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.
Cette délégation est conduite par le ministre de l’économie, M. Sergio de la Torre, accompagné, notamment, par M. Emmanuel Seidner, député, vice-président de la commission des relations extérieures du Congrès du Guatemala.
Cette délégation a rencontré des membres du groupe d’amitié France-Mexique et pays d’Amérique centrale, notamment M. Gérard Cornu, président de ce groupe, et M. Gérard Miquel, président délégué pour l’Amérique centrale.
Nouveaux applaudissements.
Nous formons le vœu que cette visite soit profitable à nos amis guatémaltèques et conforte l’excellence des relations entre nos deux pays.
Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français !
Nouveaux applaudissements.
Sourires sur les travées de l’UMP.
Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq et je déclare clos les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Nous reprenons la discussion du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’a souligné la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dirigée par Lionel Jospin, le cumul des mandats est un sujet essentiel pour l’avenir de nos institutions. Il aurait de ce fait mérité un projet de loi plus ambitieux que celui qui va nous occuper. Cela étant, mon groupe soutiendra ce texte, car, bien qu’il soit incomplet, il s’inscrit dans l’exigence démocratique de la vie politique que nous avons toujours soutenue et affirmée autant que possible.
En 2008, par exemple, lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, nous avions proposé un amendement visant à inscrire dans la Constitution le principe de la limitation du cumul des mandats électoraux. La majorité d’alors avait rejeté cet amendement, qui reprenait pourtant une proposition émise par le comité Balladur.
Si nous soutenons la limitation du cumul des mandats, nous considérons que des objectifs plus ambitieux sont indispensables si l’on veut relever les défis démocratiques majeurs que les lacunes de nos institutions laissent aujourd’hui sans réponse. J’y reviendrai.
Je voudrais, dans un premier temps, m’arrêter sur quelques aspects.
Des élus qui n’approuvent pas ce texte avancent l’argument d’un nécessaire ancrage local des élus nationaux. Ils craignent que la prohibition du cumul ne transforme les députés et les sénateurs en « professionnels du Parlement », moins capables, en quelque sorte, de représenter leurs électeurs. Ils craignent, en résumé, que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable, il faut bien le reconnaître.
Toutefois, s’ils ont raison de se soucier du maintien d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs, je pense qu’il faut aller plus loin, en inventant des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, en associant la population aux choix qui la concernent, car la limitation du cumul des mandats ne peut se concevoir sans développement de la démocratie participative.
Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir l’obligation pour les parlementaires de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer des conseils de circonscription ? Pourquoi ne pas prévoir que nos citoyens peuvent intervenir auprès de leurs représentants pour obliger le Parlement à examiner une proposition de loi émanant d’un nombre significatif d’électeurs ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi d’autres.
Ne l’oublions pas, le vote de la loi n’appartient qu’au peuple tout entier, soit par référendum, soit par ses représentants au Parlement. Les décisions doivent donc être prises autrement. La souveraineté populaire doit cesser d’être confisquée. Il est urgent de redonner ce pouvoir à nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.
Certes, cette crise du politique vient essentiellement de la prise de pouvoir de l’économie sur la politique, sur le politique. Mais limiter le cumul des mandats, c’est aussi donner le pouvoir aux parlementaires de pleinement remplir leur mission. Soyons francs : le manque de temps, la précipitation et la surcharge renforcent considérablement, aussi, le pouvoir des lobbies, expression concrète du pouvoir économique.
Certains opposants au non-cumul des mandats agitent aussi le chiffon de la montée du Front national.
Je ne cesse de le répéter : le Front national se combat d’abord et avant tout sur le terrain des idées.
Pour claquer la porte au nez des idéologies aux relents nauséabonds, il faut du courage – tout le monde n’en a pas ! –, il faut également savoir rassurer, répondre, échanger avec la population, afin d’atténuer les craintes d’une dégradation économique de notre pays.
Mais en aucun cas le Front national ne doit servir de prétexte – ce qui serait d’ailleurs lui donner bien de l’importance – pour fermer la porte aux débats institutionnels et à la nécessaire évolution de nos institutions.
Aucun des arguments avancés en la matière n’est donc convaincant. Au contraire, comme nous le constatons aujourd’hui.
Je vous parlais il y a quelques instants de la nécessité de réfléchir aux enjeux démocratiques de première importance mis à mal par la crise de la représentation. Je vous disais que les solutions que nous devons lui apporter dépassent largement la question de la limitation du cumul des mandats. En effet, en arrière-plan, se posent surtout les questions de la professionnalisation de la politique, de la concentration des pouvoirs, tant politiques qu’économiques d’ailleurs, entre les mains d’un petit nombre, du dessaisissement de la souveraineté populaire. Là sont les réels enjeux démocratiques !
Si l’on veut que le lien soit rétabli entre le peuple et ses institutions nationales, il faudra alors bien plus qu’une simple interdiction du cumul des mandats. Tout ce qui entrave l’expression démocratique de la souveraineté populaire doit être aujourd’hui déconstruit. Les modes d’élection, les pouvoirs doivent être réévalués à la mesure de la crise de la représentation actuelle.
Ainsi, et c’est un point crucial pour nous, le scrutin proportionnel doit, selon nous, devenir la règle. Je sais que tout le monde ne partage pas ce point de vue…
Vous n’avez pas entendu ce que je viens de dire : le Front national se combat sur le terrain des idées, et en ce moment, vous ne contribuez vraiment pas à ce combat-là !
Le mode de scrutin uninominal à deux tours tel qu’il existe aujourd’hui pour l’élection des députés, des conseillers généraux et de la moitié des sénateurs, favorise consensus politique, personnalisation, durée et cumul des mandats, et donc la professionnalisation de la politique.
Nous ne cessons de le dire, et nous l’avons encore redit hier, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – peu de nos collègues masculins étaient présents ; je suppose qu’ils étaient pris par ailleurs… –, le scrutin proportionnel est le seul qui permet l’égal accès aux femmes et aux hommes aux mandats électifs.
On constate que, parmi les élus, ce sont les hommes qui cumulent le plus et qui exercent le plus grand nombre de mandats successifs. Cette situation fait barrage aux femmes, mais également aux jeunes, à la diversité sociale et à la diversité des origines.
Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est réellement plus représentatif de la société telle qu’elle est ? Au Parlement, les ouvriers, par exemple, se comptent sur les doigts d’une main. Les parlementaires sont de plus en plus âgés. La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a cessé de croître depuis la Libération. Et nous sommes en 2013 !
Limiter ou interdire le cumul des mandats sans instaurer la proportionnelle laissera toute réforme progressiste de nos institutions au milieu du gué.
La reproduction des élites est un autre des problèmes majeurs de notre démocratie. Pour ma part, je pense que sont trop nombreux – parfois, mais plus rarement, trop nombreuses – celles et ceux qui sortent des mêmes écoles, qui ont suivi les mêmes cursus.
Cette professionnalisation de la politique est flagrante à l’échelle nationale, mais aussi dans les territoires. La décentralisation a donné des pouvoirs importants aux exécutifs locaux dans une très grande proximité avec les décideurs économiques qui font l’emploi. Certains maires de ville-centre de grosse agglomération sont en même temps présidents d’une importante intercommunalité ; d’autres sont présidents du conseil général ou régional. Les mandats électifs sont en outre souvent assortis de responsabilités locales diverses : présidence de conseils d’administration, de sociétés d’économie mixte, etc. Et ils peuvent rester longtemps en place puisque le renouvellement des mandats n’est pas limité et que le mode de scrutin favorise le localisme.
Il est clair, dans ces conditions, que leur assise locale, souvent assortie du cumul avec un mandat national, crée de véritables « féodalités » par rapport au pouvoir central, censé assurer l’égalité des citoyens et des territoires.
Mais allons plus loin encore.
À côté d’une Assemblée nationale qui serait élue au scrutin proportionnel, le Sénat n’aurait-il pas un rôle fondamental à jouer dans la mise en place d’une meilleure représentation et d’une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions ? La deuxième chambre pourrait ainsi assurer à la fois la représentation territoriale et la représentation sociale, dont on parle peu. Elle pourrait, par exemple, être composée, pour une moitié, de représentants des collectivités locales élus au suffrage universel direct sur des listes départementales de candidats ayant une expérience élective dans une collectivité et, pour l’autre moitié, de représentants de « groupes sociaux » élus selon les mêmes modalités.
Que les choses soient claires : nous sommes pour le bicamérisme, mais ce doit être un bicamérisme utile, qui permet d’améliorer la qualité de la loi et, comme je l’ai indiqué, d’aboutir à une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions.
Encore un point crucial manquant à cette réforme : pour que la politique cesse d’être une profession et devienne une activité sociale courante pour un nombre plus important de citoyens, qui pourraient, pendant une période de leur vie, exercer des mandats électifs, il est primordial d’instaurer un statut protecteur leur permettant de retrouver leur emploi après leur mandat ou d’accéder à une formation débouchant sur un nouvel emploi.
Oui, notre démocratie a besoin d’un véritable statut de l’élu, qui ne se limite pas aux seuls aspects financiers.
Il est aussi urgent de revenir sur la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Entre autres conséquences, ce dispositif permet au Président de la République, c’est-à-dire à une personne, de concentrer dans ses mains de très grands pouvoirs, ce qui peut favoriser des dérives susceptibles d’être très préjudiciables à notre démocratie.
Je conclurai en rappelant que le cumul des mandats concerne tous les partis politiques sans exception, ce qui signifie que le mien n’y échappe pas… Ces pratiques sont la résultante d’un système institutionnel qui dessert le pluralisme. Il est difficile d’y échapper, même quand on les combat.
On entend ici et là que nous, élus communistes, aurions beaucoup à perdre d’un changement de pratique en la matière.
Mme Éliane Assassi. Épargnez-moi donc vos petites remarques à deux sous !
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Je vois bien que cela vous dérange un peu que l’on vous parle de démocratie et de valeurs !
M. Bruno Sido s’esclaffe.
Pour notre part, nous sommes très attachés à un certain nombre de valeurs. §Peu importe si l’adoption du scrutin proportionnel n’est pas à notre avantage ! Peu importe si la question du cumul des mandats ne nous « rapporte » pas, comme disent certains ! Le problème n’est pas là ! Je me bats pour des principes et des valeurs auxquels je tiens. D’autres ici se battent pour d’autres valeurs, et c’est tant mieux !
Vous le voyez, mes chers collègues, notre soutien à ce projet de loi n’est pas un simple soutien à une promesse de campagne trouvant sa concrétisation. Il se fonde, j’y insiste, sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique sous tous ses aspects !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand il est question de réformer nos institutions, les maîtres mots inspirant nos travaux devraient être la concorde, la confiance et la prudence. Malheureusement, je ne peux pas débuter mon propos sans évoquer les conditions déplorables dans lesquelles cette réforme est examinée par le Sénat.
Depuis la première réunion de la conférence des présidents où ce sujet a été abordé, nous n’avons cessé, avec d’autres présidents de groupe – je pense en particulier à Jacques Mézard, mais il n’est pas le seul –, de dénoncer un travail parlementaire réalisé à la hache avec, pour seule finalité, le fait d’arracher au forceps un texte dont les enjeux ne sont pas maîtrisés. Nous avons tout tenté pour rectifier le tir… Mais il n’y avait rien à faire !
Il est particulièrement surprenant de mépriser à ce point le Parlement lorsqu’il est question de transformer les conditions mêmes de l’exercice du mandat parlementaire !
Ce contexte de travail difficile tient d’abord, bien sûr, au recours à la procédure accélérée, alors même que les dispositions examinées ont vocation à entrer en vigueur en... 2017 ! §
Serait-ce donc là que se situe l’urgence pour le Gouvernement, et pas dans la désindustrialisation qui lamine notre économie, la lutte contre le chômage ou encore l’insécurité et ses conséquences sur notre pacte social ?
En réalité, cette procédure accélérée n’a qu’un seul objectif : brider le Parlement, brimer le Sénat, limiter au maximum le travail qui pourrait ressortir de notre assemblée. Le Gouvernement a effectivement compris que le Sénat était plutôt réticent, pour ne pas dire rétif, devant ses propositions et qu’il valait mieux ne pas laisser ses membres s’exprimer trop longtemps.
La méthode est donc claire depuis le début : allons vite, le plus vite possible, à l’étape du dernier mot donné à l’Assemblée nationale, afin que les députés adoptent définitivement le texte qu’ils ont voté le 9 juillet dernier ! D’ailleurs, certains d’entre eux s’étaient empressés d’annoncer, dès cette date, que la réforme du non-cumul des mandats étaient adoptée. Et les propos que vous avez tenus tout à l'heure à la tribune, monsieur le ministre, allaient tout à fait dans le même sens puisque vous nous avez dit en fait : « Circulez, y’a rien à voir ! Tout est déjà décidé ! » §
Quant à mes éminents collègues président et rapporteur de la commission des lois, ils doivent convenir que l’élaboration du rapport a été tout aussi expéditive ! Ceux qui ne sont pas membres de cette commission seront peut-être intéressés de savoir que le rapporteur a été désigné dans les tout derniers jours de la précédente session et que le rapport a été examiné dans les tout premiers jours de la présente session, ce qui n’a laissé qu’un mardi après-midi pour procéder à quelques auditions. D’ailleurs, le rapport était prêt pour son examen en commission dès le lendemain de ces auditions ! Bravo, monsieur le rapporteur ! Nous savions que vous avez de grandes qualités, mais, là, tous les records sont battus ! §
Selon l’article 46 de la Constitution, « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ». Je ne me lancerai pas dans une exégèse des dernières décisions du Conseil constitutionnel, mais il y a matière à réfléchir…
Ne devrions-nous pas procéder autrement ? Le Conseil constitutionnel ne pourrait-il pas considérer que devraient nous être soumis, en l’espèce, non pas un, mais deux projets de loi organique ? Il répondra à cette question s’il est saisi !
Évidemment, tout cela n’est pas du tout sérieux et dégrade l’image du Parlement. Alors que ce sujet est essentiel pour son avenir, et plus généralement celui de nos institutions, et que rien n’imposait, au fond, une telle urgence, il est scandaleux – je pèse mes mots – que le débat soit aussi contraint.
Les sénateurs de notre groupe estiment qu’une réflexion complète sur la question du cumul ne peut se limiter à la situation des parlementaires. Il est impératif d’étudier aussi la question de l’exercice concomitant de plusieurs mandats locaux, et ce n’est pas la première fois que nous faisons cette remarque. Ce fameux cumul horizontal, cher notamment à Mme Martine Aubry, doit être revu. Or ce thème n’est absolument pas abordé dans les textes que vous nous présentez, monsieur le ministre.
En réalité, vos arguments sont assez limités.
Le principal d’entre eux est celui d’une prétendue « modernité » du système proposé, …
… par opposition au droit positif actuel, qui serait donc dépassé. Vous ne craignez pas de le qualifier de « ringard » et avez insisté, à maintes reprises, sur la nécessité de ne pas rater le « train de la modernité ». Convenez que cet argument est bien faible – je ne suis pas certain qu’il vous convainque vous-même –, car il sous-entend que le système actuel n’est pas démocratique.
Il semblerait aussi que certains d’entre vous, mes chers collègues, n’aient pas compris la spécificité de la Ve République. Dès lors que l’État est omniprésent et omnipotent, dès lors que tous les leviers de commandement sont concentrés dans les mains de l’exécutif, il n’est pas étonnant que la première tentative de rééquilibrage des institutions ait été, pour les parlementaires, de s’affranchir de la mainmise du Gouvernement avec le soutien du terrain et la connaissance de ses réalités.
D’ailleurs, vous vous en êtes bien rendu compte, monsieur le ministre puisque – c’est un simple rappel, et non une critique – vous étiez encore, voilà peu, député de la première circonscription de l’Essonne, maire d’Évry, président de la communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, pour ne citer que ces fonctions…
Exclamations amusées sur les travées de l’UDI-UC et de l'UMP.
Il est vrai que, depuis, vous êtes passé du côté de l’omnipotence du pouvoir exécutif !
On peut légitimement poser la question du cumul ou du non-cumul des mandats. Mais faire croire qu’il y aurait, par nature, un système supérieur à l’autre, surtout sans faire de connexion avec la réalité institutionnelle, c’est engager un faux débat. En revanche, les choix que vous proposez auront des conséquences institutionnelles importantes et personne ne sait dans quelle mesure le travail parlementaire sera soutenable avec des assemblées composées d’élus « hors-sol ». Vous n’aimez pas ce terme, je le sais, mais il correspond à la réalité de ce que seront ces assemblées.
Il suffit de regarder les statistiques pour constater qu’il n’y a aucune corrélation entre le fait de cumuler les mandats et le fait d’être un bon parlementaire. Tous les cas de figure existent.
C’est d’ailleurs cette diversité qui enrichit le processus démocratique.
Aucune réflexion n’a été menée quant à l’évolution des prérogatives et des méthodes de travail parlementaire après une telle réforme.
Les parlementaires disposeront-ils de moyens de contrôle plus importants, ce qui signifierait que, à budget constant, il faudrait diminuer leur nombre ? Nous attendons les explications du Gouvernement à ce sujet car, pour l’instant, nous n’avons rien entendu.
Deuxième grand argument invoqué : dans les autres démocraties occidentales, il n’y aurait pas de cumul. Permettez-moi de vous rappeler, comme M. le rapporteur l’a d’ailleurs fait tout à l’heure très honnêtement, que, dans une majorité de pays fonctionnant comme le nôtre, le cumul n’est absolument pas interdit : simplement, il n’est pas pratiqué ou n’est pratiqué que par une minorité de parlementaires. Pourquoi ? Parce que l’organisation des pouvoirs publics dans un pays comme la France n’a rien à voir avec ce qu’elle est dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, pour ne parler que de deux de nos voisins. La tradition du centralisme français n’existe pas dans les pays où, curieusement, le cumul des mandats n’existe pas !
Par ailleurs, on ne peut pas parler du cumul des mandats sans évoquer le statut de l’élu, véritable serpent de mer de notre vie politique.
Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est également, en filigrane, un débat sur la décentralisation, ou plus exactement sur la relation entre nos territoires, nos collectivités et le pouvoir central. N’ayons pas peur de le dire, notre pays n’est pas réellement décentralisé, et c’est bien parce que la majorité des décisions politiques sont prises à Paris que les élus locaux, toutes tendances politiques confondues, ont depuis longtemps compris l’importance de détenir un mandat parlementaire les rapprochant des vrais lieux de pouvoir et augmentant ainsi l’efficacité de leur action. Sans cela, comment seraient-ils si souvent élus et réélus ?
On ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au sein de notre démocratie. Dans notre régime hyper-présidentialisé, la présence de responsables d’exécutifs locaux au Parlement contribue à cet équilibre.
À cet égard, on peut se référer à cet extrait d’un article d’un auteur universitaire : « L’exception française du cumul des mandats est donc une réponse, imparfaite certes, mais un incontestable contrepoids à l’exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. Il ne faut donc pas interdire le cumul des mandats sans réduire en parallèle les pouvoirs du président et rééquilibrer nos institutions. »
Nous ne pourrions pas mieux dire que ces auteurs très inspirés !
Au-delà de notre groupe, le Sénat est prêt à débattre de la question du cumul des mandats. Il l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises, car nous savons bien que c’est l’avenir du Parlement et de notre assemblée qui est en jeu.
Votre projet, monsieur le ministre, n’est qu’une simple mise à jour qui ne va pas au fond des problèmes.
Quel Sénat voulons-nous pour demain ? Voulons-nous un Sénat monolithique, composé de retraités, …
… certes compétents et efficaces, de fonctionnaires, tout aussi efficaces mais très nombreux, et, même si vous n’aimez pas le terme, d’apparatchiks de partis politiques ?
Croyez-moi, chers collègues, si vous votez cette réforme, nous irons plus vite que vous ne le croyez vers cette forme de Parlement !
Il n’est que de voir ce qui s’est produit aux dernières élections législatives : 50 % des nouveaux députés sont des permanents de partis politiques ou des membres de cabinets politiques ! §Cela est parfaitement vérifiable !
Nous n’acceptons pas cette dérive vers un Parlement monolithique et aussi peu représentatif des Français.
Nous formulons des propositions pour que notre Sénat soit comme celui qui avait eu la force de s’opposer au général de Gaulle, à l’époque de Gaston Monnerville ? Nous voulons que le Sénat de demain soit tel que celui qui a su dire non au ministre de l’intérieur qui souhaitait développer les tests ADN lors des contrôles migratoires, qui a su dire non à la déchéance de nationalité.
Le Sénat que vous semblez vouloir dessiner pour demain saura-t-il s’opposer à l’incurie budgétaire, quand la majorité de l’Assemblée nationale, issue de la majorité présidentielle, donc sous la dépendance du Président de la République, paraît, l’avaler sans trop de difficultés ?
Notre vision du Sénat n’est pas la vôtre.
Nous voulons un Sénat indépendant, qui ne soit pas sous la tutelle de partis politiques. Nous voulons un Sénat qui continue à représenter les collectivités territoriales de la République.
M. François Zocchetto. Voilà les propositions que nous ferons et qui seront détaillées par plusieurs de nos collègues. Un certain nombre d’entre nous vont en effet proposer un texte. Nous ne disons pas non à la réforme du cumul des mandats, mais nous allons proposer notre réforme, et nous demandons aux sénateurs de voter celle-ci de façon que la voix du Sénat soit entendue, qu’elle prospère et, si possible, qu’elle l’emporte.
Vifs applaudissements sur les travées de de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.
C’est, vous le comprendrez, avec une grande émotion que, en cet instant, je m’adresse à vous, sénatrices et sénateurs, en qualité de président du groupe héritier de la gauche démocratique, un groupe qui se confond avec l’histoire du Sénat, celle de la République, de ses valeurs fondatrices, valeurs dont l’actualité démontre tous les jours qu’elles n’ont pas pris une ride.
Aujourd’hui, ce n’est pas un combat gauche-droite qui se livre, non plus qu’un combat opposant la modernité au passé. C’est le combat de la République.
Très bien ! sur les travées de l’UMP.
Je pense à ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle, à ceux qui ont fait la République, à ceux aussi qui se sont tant battus pour que le Sénat apporte à la République l’équilibre et la réflexion, marque du bicamérisme.
Comment ne pas citer Gaston Monnerville, lui qui, pendant vingt-deux ans, par sa présidence courageuse, a restauré le Sénat, a préservé son indépendance et son existence, lui qui a eu le courage et l’audace de démissionner de la présidence du Sénat – prononçant alors un discours que j’invite chacun à lire ou à relire – pour aller soutenir le débat devant le pays. Plus qu’un exemple, c’est un modèle !
Il nous manque, lui qui fut le premier président de gauche du Sénat de la Ve République.
C’est avec la profonde humilité d’un sénateur ne disposant d’aucune notoriété nationale, d’aucun relais médiatique, que je vous parle... Mais je le fais avec toute ma conviction, toute ma fidélité.
Je sais où je suis, monsieur le ministre, et j’y resterai, malgré toutes les insinuations. Oui, je crois encore qu’on peut siéger à gauche et rester libre.
M. Jacques Mézard. C’est pour cela que, de tout mon être, mes chers collègues, je vous dis que le projet du Gouvernement est une atteinte grave à nos institutions, que je vous dis au nom de ce qui m’est le plus cher qu’il faut le combattre et le rejeter.
Applaudissements sur les travées du RDSE, et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.
Les bouleversements induits par ce texte sont considérables, dévastateurs pour la démocratie parlementaire et l’équilibre de nos institutions. Plus qu’un bouleversement, c’est une révolution : ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous, monsieur le ministre : à la page 52 du rapport de la commission des lois, vos propos sont ainsi retranscrits : « Je ne sous-estime pas l’ampleur de ce changement, qui est une véritable révolution. »
Eh bien, une révolution, on ne doit pas la faire à la sauvette, par une procédure accélérée, au cours de sessions extraordinaires entrecoupées par les congés d’été, comme des braconniers législatifs qui font leur coup nuitamment, le visage dissimulé sous la cagoule de la « modernisation de la vie publique ». §
Monsieur le ministre, pas vous, pas ça ! Vous savez l’estime que nous avons pour vous, pour vos propos souvent à la marge de votre appartenance partisane.
Mes chers collègues, je me dois de vous donner lecture d’un passage d’un excellent livre écrit en 2008 et intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche.§En le lisant, je m’étais dit : « Nous voilà sauvés, c’est l’avenir ! »
Page 14 : « Une chose m’amuse ; avec le nombre de députés-maires que nous avons eu au PS, on va enterrer cette idée somptueusement fausse de l’interdiction du cumul des mandats ! ». §
Page 15, à la question : « Mais le non-cumul était au cœur de la nouvelle démocratie ? », la réponse est la suivante : « Je l’ai même écrit. J’y croyais, et j’ai eu tort. C’était une diversion. Ça fait partie des histoires qu’on se raconte pour s’étourdir quand on a perdu son identité. »
Je pourrais continuer
Oui ! Encore ! sur les mêmes travées.
Mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’auteur de ces lignes : il est en face de moi, il est, depuis, devenu notre ministre de l’intérieur !
Je pourrais arrêter là mon propos, moi qui vous ai fait confiance avec beaucoup d’autres, moi qui dis depuis des mois que ce projet de loi est une imposture. En fait, il suffit de vous lire pour le prouver. §
Qui est enfin de gauche aujourd’hui ? Vous ou nous ? Vous voulez une majorité rose-verte ; je ne voudrais pas que vous récoltiez demain une majorité bleu sombre.
Monsieur le ministre, il n’est pas si loin le temps où vous concluiez le même ouvrage par ces mots : « J’ai mis du temps à admettre que j’aurais plus facilement applaudi le Tigre que le fondateur de l’Humanité. Maintenant j’assume. » Vous pensez bien que nous sommes sensibles à ces propos !
Monsieur le ministre, Clemenceau n’a jamais été socialiste, parce que c’est lui qui disait qu’au premier souffle de la réalité le palais de féerie s’envole, parce que c’est à lui qu’en novembre 1917 une grande majorité de socialistes, au cœur de la tourmente, a refusé la confiance.
Gravir les marches qui mènent au pouvoir suprême nécessite bien des renoncements, voire des contradictions, nous le comprenons. La politique est humaine, donc dure, sans pitié ; rares sont ceux qui n’en viennent pas à marcher sur leurs propres amis…
Mais, monsieur le ministre, au moment où vous acceptez de porter ce texte manifestement contraire à ce que vous avez exprimé il y a peu, texte dont les effets seront négatifs pour toutes les familles politiques minoritaires, en premier lieu la nôtre, il ne serait pas très convenable que, après avoir provoqué le décès électoral de nombre de nos élus, vous vous rendiez aussi coupable de la captation de l’héritage de Clemenceau, lequel avait en outre un profond respect pour le Parlement.
Beaucoup de socialistes témoignent leur fidélité à l’action de François Mitterrand. Nous aussi ! Non seulement parce que, sénateur, il siégea au sein de notre groupe, mais parce qu’il a marqué par sa stature d’homme d’État notre pays, souvent contre l’opinion publique, comme lorsqu’il fit abolir la peine de mort.
Pouvez-vous imaginer une seule seconde qu’un de ses ministres ait osé proposer le binôme départemental ou le non-cumul des mandats ? §
Le président Mitterrand déclarait : « La disparition de tout cumul serait un moyen détourné pour le pouvoir central de renforcer son autorité. »
Applaudissements sur les mêmes travées.
Alors, pourquoi cet acharnement à faire passer ce texte en force, contre la volonté du Sénat et avec une procédure bâclée ? Est-ce le texte fondateur du quinquennat attendu par les Français, alors qu’ils sont tous les jours préoccupés légitimement par l’emploi, l’économie, la fiscalité, la sécurité, l’éducation, le logement, l’Europe, la crise syrienne...
(Très bien ! sur quelques travées de l'UMP.) Nous le savons tous : de la prise du contrôle de votre parti par Mme Aubry, car c’était le moyen privilégié – et le plus facile ! – d’agréger les militants, puis de négocier des primaires présidentielles, le tout accompagné d’une longue et puissante opération médiatique, en particulier de la presse bobo parisienne. Après Le Monde et Libération, le point d’orgue fut apporté voici quelques jours, à point nommé, par L’Express.
MM. Bruno Sido et Alain Gournac s’esclaffent.
D’où vient réellement cette imposture que sont la campagne anti-élus et le projet anti-cumul ? §
Oui, j’ai mal quand je lis, quand j’entends que notre collègue Michel Delebarre, pour qui j’ai le plus profond respect, est le « premier cumulard de France » ! Est-ce cela, le résultat de votre action depuis des mois ? §Et je ne citerai pas le troisième…
Or l’essence même du responsable politique, c’est d’avoir le courage de braver l’opinion, de ne pas s’y soumettre aveuglément, de juin 1940 à l’abolition de la peine de mort, entre autres multiples exemples.
Au-delà du contenu du texte, je tiens à exprimer notre indignation quant aux méthodes qui ont été utilisées pour caricaturer notre opposition et dévoyer la procédure parlementaire.
Vous vous indigniez tout à l’heure que nous utilisions le mot « apparatchik ». Et vous nous qualifiez depuis des mois de « cumulards » à longueur de journée.
Il est insupportable que, comme pour le texte relatif à la transparence de la vie politique, le Gouvernement soit complice d’une campagne médiatique cultivant un antiparlementarisme injuste et dévastateur. §
Il n’est pas raisonnable que soient jetés en pâture aux médias et à l’opinion des dizaines de milliers d’élus, dont l’immense majorité accomplit sa mission avec conscience et honnêteté.
Depuis des mois, vous clouez au pilori des milliers d’élus vitupérés dans les médias comme « cumulards »… Sous-entendu : goinfrés de privilèges et d’indemnités. Il est particulièrement déshonorant d’utiliser de telles méthodes, je devais le dire à cette tribune ! §
Deuxième procédé déplorable : la procédure législative utilisée, qui a pour conséquence un débat tronqué. Le Sénat de la République a été mis devant le fait accompli et, je le regrette, sans réaction forte de son « exécutif ».
Tout d’abord, il n’est pas acceptable que, sur un tel projet de loi, qui entrera en vigueur en 2017, la procédure accélérée soit utilisée
Marques d’approbation sur les mêmes travées.
Le but est clair : trancher en évitant le débat et faire décider par l’Assemblée nationale, au mépris de notre tradition constitutionnelle, des dispositions relatives à l’élection et au fonctionnement du Sénat de la République, cela en parfaite contradiction avec les dispositions des articles 24 et 46 de la Constitution.
Ce qui est en jeu, mes chers collègues, c’est l’équilibre des institutions de la République et le principe même du bicamérisme.
Au vu d’un tel enjeu, l’utilisation de la procédure accélérée relève d’une véritable provocation. Il en est de même du calendrier imposé par le Gouvernement.
Ainsi, le rapporteur de ce texte a été désigné par la commission des lois la veille de la fin de la session extraordinaire de juillet, soit le 24 juillet dernier. Il a débuté ses auditions le 9 septembre, soit la veille de l’ouverture de la nouvelle session extraordinaire de septembre, et les a clôturées le lendemain, soit la veille de la présentation et de l’examen du rapport devant la commission des lois, qui ne l’a d’ailleurs pas suivi.
Rires sur les travées de l’UMP.
M. Jacques Mézard. De surcroît, je ne doute pas qu’il ait mis à profit la nuit du 10 au 11 septembre – triste date ! – pour méditer sur nos excellentes propositions !
Rires sur les travées de l’UMP.
Il est vrai que vous avez considéré, vous, président de la commission des lois, que cela n’avait pas d’importance !
Vous l’avez dit !
Il n’en reste pas moins qu’un tel mépris du travail parlementaire est déplorable et que, lorsque vous siégiez dans l’opposition, vous l’auriez à juste titre condamné. §
Sachez, monsieur le président Sueur, que vous ne méritez en aucun cas notre absolution. §
… puisque ce sont là des atteintes manifestes aux droits des assemblées et des parlementaires qui les composent.
De même, il est à nos yeux fallacieux et insultant de nous faire passer – cela concerne notamment et au premier chef notre groupe – pour un ensemble de « ringards » refusant toute modernisation de la vie publique.
Il n’y a pas d’un côté les modernes et de l’autre les archaïques ! Non, monsieur le ministre ! Tous ici, nous sommes prêts à ne pas rater ce que vous avez appelé ce matin « le train de l’histoire ». Mais il ne s’agit pas du même train ! Le nôtre va bien plus loin, sans démagogie.
En effet, la modernisation de nos institutions, nous la préconisons depuis longtemps à travers nos propositions de loi : limitation du cumul à un seul mandat exécutif pour les parlementaires ; suppression de tout cumul d’indemnités ; non-renouvellement de certains mandats ; limitation des cumuls horizontaux ; encadrement des incompatibilités professionnelles. Est-ce ringard, cela ? Vous, vous proposez beaucoup moins et vous nous traitez d’archaïques ! §
Ce projet de loi est une imposture. Il est destiné à remplir les deux assemblées de militants professionnels de la politique.
Hourvari et applaudissements sur les mêmes travées.
À preuve : ce texte n’interdit le cumul qu’aux seuls parlementaires, quand Mme Aubry pourra continuer à cumuler la mairie de Lille, la présidence de la communauté urbaine de Lille Métropole et celle de multiples sociétés d’économie mixte !
Mes chers collègues, il ne convient pas à de nouveaux convertis de nous donner des leçons de liturgie, …
Exclamations amusées sur les mêmes travées.
M. Jacques Mézard. Monsieur le rapporteur, vous nous donnez des leçons on ne peut plus respectables ! De fait, vous n’avez jamais eu de mandat local, mais vous avez accompli l’exploit d’être en même temps directeur général des services du département du Gard et sénateur suppléant
M. Alain Gournac s’esclaffe.
Je comprends mieux l’opposition que vous avez manifestée à nos amendements tendant à interdire de tels exploits…
Nos collègues écologistes §sont les zélateurs de tels textes dans l’opinion et plus encore dans les médias. Je respecte profondément leurs opinions, mais sont-ils exemplaires ? Je ne parle pas ici de M. Mamère ! Je note simplement que leurs deux présidents et leur présidente de groupe parlementaire ont eu pour unique activité, avant leur mandat, celle d’assistant parlementaire….
J’ai les curriculum vitae !
Du reste, sont-ils tous trois à l’image de la société française ? Je note que chacune et chacun d’eux a un conjoint élu, parlementaire pour l’un, conseiller régional pour les deux autres. C’est un autre cumul !
Vous allez parler de ma femme, monsieur le président Mézard ?
M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre, parce que je vous respecte profondément comme je respecte tout un chacun. Mais respectez-nous aussi, ce que vous n’avez pas fait pendant des mois !
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.
Je constate simplement que vous nous donnez des leçons, en nous disant : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais je ne céderai rien ! » C’est votre droit !
Vous nous dites : « Le non-cumul permettra aux parlementaires d’être plus présents dans les assemblées. » Vous savez pertinemment que c’est faux.
Je ne comparerai pas mon travail parlementaire à celui de M. le rapporteur. Différents sites internet du genre « citoyens.com » s’en chargent déjà ! Je prendrai un autre exemple. Au Parlement européen, deux élus souhaitent se représenter et prônent le non-cumul : M. Harlem Désir et Mme Eva Joly. Or ils sont classés parmi les 30 derniers députés européens sur plus de 750 parlementaires ! Pourtant ils ne cumulent pas !
Huées sur les travées de l’UMP.
Vos arguments ne tiennent pas, et vous le savez. Vous repoussez avec mépris toutes nos propositions.
Vous ajoutez : « Ce texte, ce sont aussi des élus locaux à temps plein, c’est l’accession aux responsabilités d’une nouvelle génération, présentant des origines et des profils différents. »
Ce matin, dans la presse, un journaliste et une parlementaire affirmaient : « Le Sénat, ce sont des hommes, blancs… »
Eh bien moi, lorsque j’entends cela, je frémis !
Oui, ce projet de loi, c’est la confiscation du pouvoir par des apparatchiks qui, pour la plupart, n’ont jamais exercé d’autres fonctions. Cette « nouvelle génération », comme vous l’appelez, nous n’en voulons pas, et les Français – du moins les démocrates – se repentiront d’avoir voulu ce non-cumul.
Ce texte est une rupture, une dénaturation des institutions de la Ve République. Une majorité d’universitaires parmi les plus renommés le condamne, notamment Pierre Avril, Dominique Rousseau, Olivier Beaud et Didier Maus.
Lors des auditions en commission, Pierre Avril a dénoncé la concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République, qui s’est, à ses yeux, traduite par une caporalisation, « spécificité française ». « La règle du non-cumul prive les députés d’une assise territoriale personnelle et risque d’entraîner leur soumissions aux appareils partisans », a-t-il précisé. C’est la vérité !
Le professeur Olivier Beaud, quant à lui, a déclaré : « La lecture du rapport de la commission Jospin m’avait irrité par son dogmatisme et son manichéisme. »
Il a affirmé qu’une telle mesure ne pouvait « qu’aggraver la présidentialisation du régime, […] accentuer la concentration des pouvoirs ». Il a conclu : « Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à vingt ans dans les partis ».
Ce déséquilibre des institutions, cette perversion de l’évolution de la Ve République, autour du tout-puissant monarque républicain, méritait un autre débat que ce simulacre.
J’en viens à la dénaturation de l’esprit comme de la lettre de la Constitution quant au bicamérisme.
Vous avez décidé d’affaiblir le Sénat et de l’éteindre comme une flamme qui finirait de se consumer. Le non-cumul, auquel vous ajoutez le Haut Conseil des territoires, c’est la fin de la Haute Assemblée et la réduction du nombre de sénateurs annoncée par le président du Sénat. C’est faire du Sénat un duplicata de l’Assemblée nationale.
Autant dire la vérité et supprimer la Haute Assemblée, cette « anomalie » dénoncée par M. Jospin. Pourquoi n’assumez-vous pas vos objectifs, comme le fit loyalement le général de Gaulle en 1969 ? C’était clair, c’était loyal !
Oui, l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». C’est pour cela que les sénateurs sont élus par les grands électeurs, élus eux-mêmes. C’est pour cela que l’article 39 de la Constitution dispose que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. C’est pour cela que le quatrième alinéa de l’article 46 dispose que les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. C’est pour cela que l’article 25 ne pose pas de principe d’identité absolue du statut des membres de chaque assemblée.
Vous-même, monsieur le ministre, l’avez reconnu devant la commission des lois du Sénat la semaine dernière, en déclarant qu’un « traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de projet de loi organique relatif au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées ». Je vous remercie, vous avez dit l’essentiel ! Auriez-vous, depuis, changé d’avis ?
Le socialiste Pierre Joxe rappelait cet impératif en 1985, lors des débats consacrés au projet de loi organique limitant le cumul, de même que Michel Rocard en 1996. Alors sénateur, celui-ci déclarait qu’il était à ses yeux « normal qu’en France comme partout ailleurs le Sénat soit composé d’élus investis de responsabilités dans les collectivités locales puisqu’étant précisément là pour cela au premier chef ».
Je citerai également ces mots de notre ancien collègue, le Premier ministre Pierre Mauroy : « Le Sénat représente les collectivités territoriales. Dans une France dont tout laisse à penser qu’elle adoptera de nouvelles limitations du cumul des mandats, il y a nécessité de trouver un lieu où se confrontent les intérêts des régions, des départements et des communes. »
Le professeur Guy Carcassonne, lui-même chantre du non-cumul, évoquait en 2005, dans la revue Pouvoirs locaux, un scénario dans lequel « on ne touche à rien concernant le Sénat mais dans lequel on se borne enfin à imposer l’interdiction du cumul pour les députés. » Il ajoutait : « Beaucoup d’élus de grandes collectivités viseraient alors un mandat sénatorial et revivifieraient le Sénat dans des proportions tout à fait substantielles par la simple interdiction du cumul des députés. »
Dans un article paru le 12 septembre dernier dans Le Figaro, le professeur Didier Maus a rappelé ces réalités, à l’aide d’une analyse constitutionnelle tout à fait limpide.
Mes chers collègues, notre débat transcende les sensibilités politiques. Je rappelle à ce titre que dix-sept des dix-huit sénateurs du RDSE ont contribué à faire élire le président du Sénat, celui de notre commission des lois et le Président de la République. Ce n’est donc ni un débat entre gauche et droite, ce n’est pas davantage un débat relatif à la modernité de la vie publique, c’est bien un débat relatif aux institutions de la République, au bicamérisme et à la représentation de nos territoires.
Je salue le courage de tous ceux qui, quelle que soit leur sensibilité, disent non à une telle imposture. Je salue notamment le courage du président François Rebsamen. Savoir dire non, c’est la marque des vrais hommes d’État !
Le Président de la République déclarait dimanche : il y a un moment où ce qui nous rassemble, en tant que gaullistes, libéraux, radicaux, bref, en tant que républicains, c’est une conception commune de la France et de la République.
Mes chers collègues, ne défigurons pas cette conception de la République au nom d’intérêts partisans !
Sénatrices et sénateurs de la République, au nom de tout ce qui nous rassemble, au nom de notre histoire, et encore davantage de l’avenir de cette République que nous voulons forte, rassembleuse et respectueuse, je vous demande de rejeter ce texte tel qu’il nous est proposé et d’adresser à l’exécutif le message de la liberté de la Haute Assemblée au service de la République.
Vive le Sénat de la République ! Vive la République ! §
Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
En conséquence, M. Bernard Fournier ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre titulaire du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
En conséquence, M. André Reichardt ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre suppléant du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Hélène Lipietz.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis consciente de la rude tâche qui consiste à succéder à M. Mézard à cette tribune ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Voici le texte qui fâche, qui clive et qui transcende les familles politiques ; le texte visant à empêcher ou à limiter le cumul des mandats ou, plus exactement, à limiter le cumul du mandat de parlementaire avec d’autres mandats ou d’autres fonctions électives.
Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur l’ineptie – pardonnez-moi ce terme fort – qui consiste à priver les parlementaires d’un second tour de parole et de vote. De quoi aviez-vous peur ? Vous le savez, l’Assemblée nationale est majoritairement derrière vous, et les contestataires du Sénat n’en peuvent mais. Quant à l’urgence qu’il y a à limiter le cumul des mandats, elle est née avec moi : en 1958 ! Elle commence donc à vieillir…
Cela montre bien qu’il n’y avait aucune raison de recourir à la procédure accélérée !
Faut-il d’ailleurs croire la légende selon laquelle le général de Gaulle n’a pas voulu interdire le cumul des mandats pour que les parlementaires aient un os à ronger, eux que la Ve République a dépouillés de leurs pouvoirs ? Il doit y avoir un fond de vérité... Rappelons-nous que Louis XIV a inventé la cour pour calmer l’ardeur belliqueuse des nobles !
En laissant se développer le cancer du cumul des mandats comme aucune autre démocratie européenne ne le connaît ou comme aucune constitution précédente de la France ne l’a connu, la Ve République est en rupture avec son propre principe de démocratie énoncé à l’article 2 de la Constitution : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Car en confisquant jusqu’à vingt ou vingt-cinq mandats ou fonctions représentatives, les parlementaires qui cumulent confisquent le gouvernement de leur territoire...
Faut-il rappeler le conflit d’intérêts qui apparaît de façon évidente quand certains sénateurs ne viennent dans cet hémicycle que lors de la discussion de textes législatifs qui concernent directement leur territoire ou leurs mandats, ou encore lorsque des pans entiers d’une loi sont élaborés par deux ou à trois parlementaires d’un même département et que ceux-ci parviennent à imposer ce texte au Parlement sous couvert d’expertise locale ?
Ces parlementaires viennent défendre leur territoire, leur ville, ce qui peut être louable : comment les en blâmer ? Mais ont-ils besoin d’exercer un mandat exécutif pour cela ? Surtout, défendent-ils l’intérêt général de la Nation d’une nature par essence différente de l’intérêt local ?
De plus, où est l’égalité des candidatures quand un élu cumule ou souhaite cumuler ? N’a-t-il pas lui aussi un pouvoir ou des connaissances qui rompent l’égalité des candidatures ? N’a-t-il pas une aura que n’a pas un candidat non cumulard ?
Je le dis sans acrimonie : je peux avoir de l’estime pour ceux qui cumulent, qui accomplissent souvent, voire très souvent, un excellent travail... Mais certains d’entre eux ne font pas tout le travail ou ne le font qu’à travers le prisme de leur territoire.
Je n’ai certainement pas de mépris pour eux, les apparatchiks de la politique ; j’éprouve juste peut-être un peu de pitié : en ne faisant que de la politique, ils oublient qu’il y a une vie en dehors de celle-ci. Ils vivent, ils pensent politique. Or l’organisation de la vie de la cité, la politique, est d’abord une histoire de citoyennes et de citoyens, de rapports avec la société, de rapports dans la cité.
Ce que nous reprochent les Françaises et les Français, c’est que nous soyons déconnectés de leurs réalités... Même si nous nous penchons sur leurs problèmes en nous rendant sur les marchés ou en assurant nos permanences, nous faisons partie non plus de la société civile, mais de la société politique. Cette différence, nos concitoyens la ressentent avec une intensité jamais égalée auparavant, peut-être parce que, avant, le niveau d’instruction était moindre, ou aussi parce que désormais Internet permet au peuple de s’exprimer indépendamment des élections.
Même les élus non cumulards reprochent à ceux qui cumulent de ne pas être des élus tout à fait semblables : être sénateur et maire, conseiller régional et maire, même d’une petite commune, ouvre des portes qui sont fermées aux détenteurs d’un seul mandat.
Ainsi, un député-maire me faisait part de la difficulté qu’il éprouvait, en qualité de maire d’une sous-préfecture, à s’imposer face à la technocratie étatique. Or sa situation a un tout petit peu changé depuis qu’il est parlementaire... Par conséquent, le cumul est peut-être aussi une réponse à l’Énarchie. Dans ce cas, ne convient-il pas plutôt de changer l’ENA au lieu de vouloir instaurer la règle du non-cumul ?
Certes, parmi les élus, cumulant ou non, figurent des apparatchiks des partis, et ce quel que soit le parti, des apparatchiks de la politique, et ce quelle que soit la politique. Les parachutés qui arrivent dans une circonscription avec les beaux atours de leur parti sont aussi condamnables que les bibendums, ces élus qui empilent les écharpes autour de leur taille afin d’éviter que le naufrage de leur mandat ne les condamne à redevenir de simples citoyens, le cumul des mandats leur permettant de surnager en absence d’un véritable statut de l’élu.
Oui, je peux comprendre que certains cumulent à défaut d’un tel statut, craignant alors l’arrivée du terme de leur mandat, ou parce que le Parlement et, par voie de conséquence, les parlementaires sont rabaissés – les soixante-huitards l’avaient bien compris ! Ils cumulent en ayant la volonté de servir leurs idées, leurs concitoyens, mais aussi, il faut bien l’avouer, par besoin de reconnaissance et par soif du pouvoir.
Il est ainsi étonnant de constater l’inadéquation entre le ressenti des citoyens et celui des élus qui cumulent. Les journaux, les citoyens lambda traitent ces derniers de « cumulards ». Ce terme, quelque peu démagogique, ne me plaît absolument pas, non plus que le palmarès publié récemment.
Néanmoins, ceux qui cumulent témoignent parfois d’un profond mépris envers ceux qui ont fait le choix de ne pas cumuler – nous sommes nombreux dans ce cas – ou ceux qui n’ont pu être cumulards puisque, en France, les élus sont plus de 400 000 alors qu’il n’y a que près d’un millier de postes de parlementaires…
Comme si les non-cumulards, non seulement dans l’espace, mais aussi parfois dans le temps, avaient moins de valeur car ils sont élus moins souvent ! §Comme si leur travail était moins efficace ou moins noble, alors même qu’ils se consacrent à un seul mandat, tant sur le terrain que dans l’hémicycle !
Certes, ceux qui cumulent, dans le temps ou dans l’espace, le font avec l’onction du suffrage universel.
Ainsi, ils sont légitimés à leurs propres yeux !
Il faut toutefois garder à l’esprit que les électeurs n’ont pas vraiment le choix des candidats : ce sont bien les partis qui les choisissent, faisant des cumulards eux-mêmes les apparatchiks des partis. Même dans le cas de primaires ouvertes, leur filtre est déterminé par les partis.
Entre un candidat ayant déjà une casquette, mais qui partage vos idées, et un candidat sans casquette qui véhicule des idées auxquelles vous êtes opposé, le choix semble évident... jusqu’au jour où le non-cumul devient pour vous, simple citoyen, le critère de choix parce que vous êtes persuadé, à tort ou à raison, qu’en cumulant l’élu ne peut pas défendre l’intérêt général, mais travaille pour lui et, surtout, ne connaît plus les réalités du terrain.
Certains conçoivent le cumul comme une exigence constitutionnelle. Le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » dispose l’article 24 de la Constitution. Cette indication légitimerait que tout sénateur – allons jusqu’au bout de l’idée ! – soit en situation de cumul.
Outre le fait que rien n’interdit de comprendre cet article constitutionnel comme une simple exigence de connaissance des collectivités territoriales au travers, notamment, de l’exercice d’un précédent mandat, l’interprétation selon laquelle il serait nécessaire d’être détenteur d’un mandat territorial pour devenir sénateur aurait comme corollaire nécessaire et évident que le Sénat ne pourrait délibérer que sur les textes relatifs aux collectivités territoriales...
Inversement, l’Assemblée nationale, qui représenterait le peuple, ne pourrait pas avoir en son sein des représentants des collectivités territoriales et surtout ne pourrait pas délibérer sur l’organisation de ces dernières.
L’absurdité de ce raisonnement extrême se heurte, de plus, à un autre article de la Constitution. L’article 3 ne dispose-t-il pas qu’aucune section du peuple, en l’occurrence le Sénat, car nous faisons tout de même partie du peuple, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, fût-elle réduite à l’organisation des collectivités territoriales ?
Aujourd’hui, un sénateur homme ou femme, sans mandat territorial en cours, a suffisamment connaissance des collectivités territoriales pour traiter de ces dernières, tout comme un sénateur a des idées sur le droit des femmes ou une sénatrice sur celui des hommes, du moins je l’espère !
M. Yann Gaillard s’esclaffe.
Reste l’efficacité du travail politique. C’est sur cette efficacité que nous sommes jugés : travailler à organiser sa ville, à la faire devenir une métropole nationale, voire européenne, est certainement plus facile que d’influencer la politique nationale par le travail parlementaire. Nous en savons quelque chose au Sénat !
À l’heure actuelle, le pouvoir politique se trouve non plus au Parlement, mais dans les collectivités territoriales, alors même que celles-ci connaissent les mêmes difficultés budgétaires que le reste de la Nation.
Le désintérêt de certains parlementaires à siéger régulièrement en commission ou dans l’hémicycle est peut-être dû à l’affaiblissement du Parlement et à la présidentialisation du pouvoir en France. Dans ce cas, pour revaloriser la fonction parlementaire, ne faut-il pas commencer par revaloriser le Parlement et donc par changer de Constitution ?
Non, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez avec le présent texte n’est pas la querelle des anciens et des modernes ! La question, ici, n’est pas de prendre nos responsabilités : quels que soient nos votes, nous les émettons en conscience. Ce que vous nous proposez, c’est une transformation de notre paysage mental et un changement de notre paysage politique.
Pour nous, écologistes, le non-cumul est inscrit dans nos gênes et dans nos statuts, même si, parfois, comme dans d’autres partis, des exceptions confirment la règle.
Parce que les écologistes, doux rêveurs, pensent qu’il faut partager les mandats, répartir la représentation pour qu’elle soit plus diverse, ils voteront votre texte, monsieur le ministre, avec la conscience aiguë que nous sommes en train de transformer petit à petit, texte par texte, la Ve République. Peu à peu, nous la détricotons parce qu’elle est à bout de souffle et que nous n’avons pas le courage de dire haut et fort qu’il faut changer la Constitution de la France flamboyante de 1958, qui n’est plus adaptée à la France du XXIe siècle, dans une Europe plus présente et où les citoyens, et peut-être surtout les citoyennes, appellent de leurs vœux un autre rapport à la politique, peut-être moins viril, moins m’as-tu-vu, mais plus proche d’eux !
Nous voterons ce projet de loi organique en ayant conscience qu’il s’agit d’un nouveau coup de couteau dans une outre qui se vide peu à peu de son contenu pour abreuver les réflexions sur la nouvelle République que nous appelons de nos vœux ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cumul de mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises, deux particularités affligeantes, qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.
Un mandat de député ou de sénateur correspond à un travail à plein temps. Il en est de même pour une fonction de maire de grande ville, de président de communauté d’agglomération ou de président de conseil général. Or nul ne peut assumer correctement deux activités qui sont chacune à plein temps.
Cependant, les élus qui profitent du système sont aussi nombreux à gauche qu’à droite. C’est l’explication du combat d’arrière-garde engagé par ceux qui s’accrochent au statu quo.
Pour eux, tous les prétextes sont bons. Dans Le Figaro du 9 juillet 2012, un cumulard a même affirmé que les sénateurs qui ne cumulent pas une fonction exécutive ne sont « que des élus hors-sol, coupés de la gestion quotidienne des collectivités ». Merci pour moi !
Un autre a même prétendu que seuls les apparatchiks des partis seront dorénavant élus sénateurs.
Pour ma part, je ne cumule pas et j’ai néanmoins été élu sénateur, …
Oui, vous êtes un ancien cumulard !
Je sais que cette assemblée est majoritairement composée de cumulards, mais laissez-moi m’exprimer ! Nous sommes en démocratie ! Ceux qui sont opposés au cumul des mandats ont tout de même le droit de donner leur point de vue !
Je disais donc que, à la suite de mon élection en tant que sénateur en 2001, j’ai démissionné afin de ne pas cumuler mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Je suis donc devenu un élu « hors-sol ». Il n’empêche que, lors des élections sénatoriales de 2011, …
… sans l’investiture d’aucun parti politique, j’ai largement devancé les deux autres listes de droite, …
… qui, elles, avaient une investiture et étaient conduites par des élus super-cumulards.
C’est parce que je ne cumule pas mon mandat sénatorial avec un mandat local que j’ai le temps de me consacrer pleinement à ma fonction de sénateur, de m’occuper des réalités du terrain en visitant les communes partout dans le département de la Moselle. §
De plus, en étant simple conseiller général de base, on est largement au contact du quotidien : il faut être d’une totale mauvaise foi pour prétendre le contraire !
En fait, le cumul de mandats permet à celui qui en abuse d’étouffer la démocratie en concentrant de façon excessive les pouvoirs tout en profitant d’avantages matériels et financiers considérables. En effet, un député ou un sénateur qui est maire d’une grande ville ou président de conseil général a des moyens démesurément supérieurs à ceux d’un parlementaire de base.
Certains font même prendre en charge par la collectivité locale de nombreuses dépenses telles que celles qui sont liées à leur secrétariat, leur voiture de fonction, leurs frais de téléphone, de restaurant ou autres, qu’ils seraient sinon obligés de financer personnellement sur leur indemnité ou sur leur indemnité représentative de frais de mandat.
Enfin, je rappelle aussi que la super-concentration des pouvoirs qui est liée aux cumuls abusifs est l’un des principaux facteurs de corruption parmi les élus. Ainsi, selon une statistique évoquée le 3 avril 2013 sur la radio Europe 1, 90 % des parlementaires poursuivis pour corruption ou autres malversations sont en situation de cumul. §
Dans la mesure où environ 55 % des parlementaires sont concernés par le cumul, un simple calcul montre qu’un parlementaire qui exerce parallèlement une fonction exécutive locale a 7, 4 fois plus de risques qu’un autre d’être poursuivi pour malversation.
En interdisant les cumuls abusifs de mandats, le présent projet de loi organique contribue donc à moraliser la vie publique, à promouvoir une véritable respiration démocratique et à réduire l’absentéisme parlementaire.
Toutefois, je regrette que le Gouvernement ait reporté son application à 2017 pour les députés, à 2019 pour les parlementaires européens et à 2020 pour certains sénateurs.
Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.
Cette excellente réforme aurait dû s’appliquer dès les municipales de 2014, ce qui l’aurait enracinée de manière irréversible.
En conclusion, il est évident que la limitation des cumuls de mandats répond à une aspiration forte d’une majorité écrasante de nos concitoyens. Je tiens donc à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la détermination dont vous avez fait preuve en résistant aux pressions des cumulards de tous bords qui s’accrochent de manière pathétique aux prébendes qu’ils retirent de cette anomalie démocratique.
Ainsi, vous avez eu raison de refuser que l’on introduise une dérogation concernant les fonctions de maire de communes dont le nombre d’habitants atteint 20 000 ou 30 000 habitants. Les instigateurs de cette idée parlaient hypocritement de « petites communes », mais en fait, en raison de ce nombre habitants et des responsabilités intercommunales, on est très éloigné d’une logique de petite commune.
Vous avez eu encore plus raison de refuser la création d’une exception au profit des sénateurs. L’image du Sénat n’est déjà pas très positive dans l’opinion publique
Exclamations sur les travées de l'UMP.
… et il faut vraiment beaucoup d’inconscience pour imaginer un régime dérogatoire permettant aux seuls sénateurs cumulards de continuer à profiter du système. Pour ma part et par dignité vis-à-vis de nos concitoyens, je n’aurais jamais osé proposer une telle disposition qui reviendrait, pour le Sénat, à se servir lui-même.
Enfin, monsieur le ministre, j’ai deux regrets : d’abord, je déplore, comme je vous l’ai déjà indiqué, la date trop tardive d’entrée en vigueur du présent projet de loi organique qui s’échelonnera de 2017 à 2020.
Ensuite, je regrette que strictement rien ne soit prévu pour encadrer les cumuls de mandats exécutifs locaux. Par exemple, on pourra continuer à être maire d’une très grande ville, président de communauté urbaine et vice-président de conseil régional.
Exercer trois fonctions exécutives de cette importance, cela dépasse vraiment le raisonnable et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous expliquiez sur cette carence.
M. Philippe Bas . Monsieur le ministre, vous nous avez tout à l’heure plus ou moins aimablement invités à la réflexion. J’espère que, en écoutant nos excellents collègues les présidents François Zocchetto et Jacques Mézard, vous vous serez laissé convaincre – en dépit de toute votre détermination – que la réflexion émane plutôt du côté de ceux qui rappellent nos traditions républicaines que de ceux qui voudraient faire la loi avec des idées reçues et des lieux communs.
Mlle Sophie Joissains applaudit.
Mon groupe aborde la question de la limitation du cumul des mandats dans un esprit constructif.
Tous, dans cette assemblée, nous sommes d’ailleurs conscients que des cumuls excessifs sont aussi néfastes au Parlement qu’aux collectivités territoriales elles-mêmes. Cela n’est pas ce qui nous sépare.
Il faut aussi tirer les conséquences de la montée en puissance des intercommunalités. La réforme territoriale de 2010, que vous avez tellement critiquée, accroît encore cette nécessité.
Comme de nombreux membres de mon groupe, je me suis souvent exprimé dans le sens d’une actualisation des règles de cumul, ce qui ne signifie pas que nous soyons prêts à accepter n’importe quoi ! L’interdiction absolue d’exercer une fonction exécutive locale nous paraîtrait aussi excessive et absurde que la liberté absolue qui prévalait avant 1985. Nous refusons d’envoyer le balancier d’un extrême à l’autre. Nous sommes pour la recherche d’un équilibre.
Le Sénat a toujours été très ouvert sur cette question. Il a contribué à la limitation du cumul des mandats même quand il était dans l’opposition des gouvernements qui en avaient pris l’initiative, ceux de MM. Fabius et Jospin. Il a ainsi voté les lois de 1985 et de 2000 qui ont établi et étendu le régime des incompatibilités entre mandats locaux et nationaux et plafonné le montant total des indemnités pouvant être perçues par un parlementaire.
Ces lois ont déjà drastiquement réduit le nombre de cumuls possibles. Elles ont fait l’objet d’un large consensus et été adoptées – j’appelle votre attention sur ce point, monsieur le ministre – en termes identiques par les deux assemblées. Ce que vos prédécesseurs sont parvenus à obtenir, vous pouvez, vous aussi, si vous y mettez de la bonne volonté, le réussir.
C’était, il est vrai, une période de la Ve République où le Gouvernement recherchait, autant qu’il le pouvait, un accord du Parlement – Assemblée nationale et Sénat –, sans considérer la représentation nationale comme une simple courroie de transmission.
Aujourd’hui encore, un consensus serait possible si le Gouvernement et l’Assemblée nationale voulaient bien s’en donner la peine.
Nous pensons qu’une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire peuvent se compléter utilement, et ce dans l’intérêt de nos concitoyens.
L’accès aux grands centres de décisions nationaux et la connaissance des grands enjeux de la politique nationale sont profitables aux territoires et à leurs habitants.
Inversement, la responsabilité opérationnelle de services publics locaux est utile à l’exercice de mandats parlementaires. Elle favorise des approches peut-être moins idéologiques et militantes que vous ne le souhaiteriez, mais plus indépendantes, plus pragmatiques et plus responsables.
L’idée selon laquelle les parlementaires libérés de leurs fonctions locales pourraient davantage participer à des activités bénévoles et associatives utiles à leur connaissance du terrain est sympathique, mais ces expériences ne sauraient remplacer l’exercice de responsabilités publiques. Et il faut choisir entre les arguments : on ne peut vouloir à la fois que le temps libéré soit consacré à la fonction parlementaire et qu’il serve en même temps à des activités associatives de terrain.
Cela étant, le lien entre élus nationaux et citoyens ne serait en aucun cas renforcé par l’interdiction d’exercer une fonction exécutive locale, bien au contraire.
Il serait grandement affaibli ! Et cela, nous ne le voulons pas.
La vérité, c’est que vous répondez à l’antiparlementarisme par le populisme
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
… en accréditant l’idée que ni les parlementaires ni les responsables politiques locaux ne font correctement leur travail aujourd’hui quand ils assument en même temps ces deux activités pourtant complémentaires.
Or rien ne prouve la réalité de ce postulat. Au contraire, un grand nombre de collègues qui ne figurent pas parmi les moins assidus sont également très présents dans leur département au titre de leurs responsabilités locales.
C’est le seul privilège que nous revendiquons.
Les causes de l’antiparlementarisme ne résident d’ailleurs pas principalement dans le statut ou le comportement des élus, sauf dans des cas exceptionnels que nous savons dénoncer avec force. Elles résident plus sûrement dans le sentiment de l’impuissance publique, en particulier en matière de lutte contre l’insécurité, d’emploi, de pouvoir d’achat. Et telles sont les vraies urgences pour les Français !
Le présent projet de loi organique souffre, de surcroît, d’incohérences majeures.
S’il était adopté, un maire continuerait à se voir garantir par le code du travail, comme par le statut des fonctionnaires, de pouvoir exercer une activité professionnelle salariée à 75 % au moins de son temps de travail, soit vingt-huit heures. Il pourrait aussi bien poursuivre toute activité professionnelle indépendante, très prenante, mais il n’aurait le droit d’être ni député ni sénateur. Son activité privée serait donc mieux traitée qu’une activité publique. Et je ne parle pas des cumuls de mandats locaux qui permettent pourtant actuellement – le président Jacques Mézard l’a rappelé – à quelques élus de percevoir des indemnités plus élevées que celles d’un parlementaire et nullement réglementées. Or vous ne proposez aucune mesure sur ce point.
Quant au parlementaire, il continue à bénéficier du principe du libre exercice d’une profession dans les limites prévues par les incompatibilités récemment réexaminées par le Parlement. Il pourrait aussi exercer d’importantes responsabilités nationales dans un parti politique. On lui permettrait également d’assurer la présidence d’organismes nationaux : fédérations hospitalières, fédérations de logement social, Caisse des dépôts et consignations, Centre national de la fonction publique territoriale, UBIFRANCE. Mais il ne pourrait être ni maire d’une commune, fût-elle une commune de 200 habitants, ni vice-président d’un conseil général ni président de conseil régional.
L’on constate que, derrière l’apparente simplicité du projet du Gouvernement, se cachent la plus grande confusion intellectuelle – voilà la réflexion que l’on peut faire – et les plus grandes contradictions. Dans tous les cas, des activités pouvant être fortement rémunérées bénéficieraient d’un traitement privilégié par rapport à l’exercice de mandats publics au service des Français.
Sans parler d’hypocrisie ou d’imposture, on peut tout de même relever que ce projet de loi organique agite les symboles politiques sans traiter en profondeur les réalités. Les Français ne tarderont pas à s’en apercevoir. Gare aux effets boomerang ! C’est par ce genre de faux-semblants que l’on nourrit l’antiparlementarisme.
Nous ne souhaitons pas, par principe, différencier les sénateurs des députés. Nous souhaiterions même que des règles identiques continuent à leur être appliquées en matière d’incompatibilités, comme c’est le cas, non pas depuis toujours, mais tout de même depuis 1887.
C’est le Gouvernement et l’Assemblée nationale qui, par leur intransigeance sur des positions extrêmes – « révolutionnaires », avez-vous dit – nous imposent d’envisager cette solution.
Nous sommes cependant soucieux de donner toutes ses chances au maintien d’un régime de limitation des cumuls commun aux membres des deux assemblées. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à permettre l’exercice d’une fonction exécutive locale par les uns et par les autres. Cet amendement apporterait des restrictions importantes aux règles actuelles de cumul.
Seraient notamment englobées toutes les fonctions de maire et d’adjoint, de président et de vice-président d’une intercommunalité, de vice-président de conseil départemental et régional. Aucune de ces fonctions n’est actuellement prise en compte. Cela constituerait donc une évolution importante, en même temps acceptable du point de vue de nos institutions.
La seule différence avec le texte qui émane de l’Assemblée nationale résiderait dans la possibilité d’exercer l’une de ces fonctions tout en restant parlementaire.
Nous avons conscience que la majorité à l’Assemblée nationale, qui s’est clairement exprimée en faveur d’un choix plus radical, n’acceptera pas facilement la mesure que nous proposons par le biais de cet amendement, surtout si le Gouvernement ne l’approuve pas au Sénat. Mon groupe a cependant déposé cet amendement en signe de bonne volonté, pour inviter le Gouvernement à ne pas se montrer fermé et à rechercher un compromis raisonnable avec tous les groupes du Sénat.
Nous avons aussi conscience que cette option est la plus contraire au choix du Président de la République et au premier vote de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi nous proposerons un autre amendement visant à introduire une distinction entre députés et sénateurs en matière de cumuls et laissant l’Assemblée nationale adopter un régime plus restrictif pour les députés, si telle est sa volonté.
Si la France a choisi d’avoir un régime bicaméral, c’est dans l’intérêt d’une discussion parlementaire de qualité, pour élaborer de meilleures lois.
C’est aussi parce que, à côté de l’Assemblée nationale représentant directement le peuple, nous avons voulu avoir une assemblée démocratique représentant les territoires au travers de leurs collectivités et aussi, ne les oublions pas, les Français de l’étranger. Le lien entre les sénateurs et les territoires est donc inscrit au cœur de l’identité du Sénat. C’est l’article 24 de la Constitution : « Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République » et les Français de l’étranger. Comprenez que nous y soyons viscéralement attachés ! Notre légitimité en dépend. Pleinement parlementaires, nous sommes aussi maires parmi les maires, élus locaux parmi les élus locaux.
Ce qui n’est déjà pas souhaitable pour les députés serait donc inconcevable pour les sénateurs. Le bicamérisme n’est certes pas obligatoire : c’est une organisation constitutionnelle dont on peut débattre. Cependant, il n’a d’intérêt que si l’identité de chaque assemblée et son apport particulier sont respectés.
La différenciation que nous proposons est somme toute assez modeste : inéligibilités et incompatibilités resteront identiques. La seule différence, c'est que le député ne pourra exercer qu’un mandat délibératif local, comme l’Assemblée nationale l’a voulu, alors que le sénateur pourra détenir un mandat exécutif, comme nous souhaitons que le Sénat le décide.
Cette différenciation est justifiée par d’autres spécificités du Sénat, qui ont été rappelées par le président Mézard et sur lesquelles je ne reviens pas.
Monsieur le ministre, pour nous dissuader d’adopter cette solution, on nous dit parfois – comme vous l’avez d’ailleurs vous-même fait, et avec une certaine véhémence ! – qu’une différence supplémentaire, parmi tant d’autres, pourrait à terme conduire à une remise en cause du rôle du Sénat.
Pourtant, cette différence serait circonscrite à la seule possibilité pour les sénateurs d’exercer une fonction exécutive locale, ce qui n’est pas consubstantiel à la définition du statut commun des parlementaires héritée de la tradition républicaine et respecterait la vocation propre du Sénat.
Il y aurait dans cet argument de dissuasion une menace grave et inacceptable pour nos institutions. Comme nous sommes par construction indépendants et libres, nous sommes heureusement insensibles à ce genre de pression. Et nous le sommes d’autant plus que – faut-il le rappeler ? – aucune révision constitutionnelle ne peut se faire sans notre accord !
Avant de conclure, il me faut dire quelques mots de la procédure législative.
Plusieurs de nos collègues l’ont rappelé avec raison, le recours à la procédure accélérée pour un texte qui n’entrera en vigueur qu’à partir de 2017 n’est en rien justifié.
Je considère même qu’il s’agit d’un abus de droit.
Le début de l’examen du présent texte s’est déroulé dans des conditions exécrables. Le rapport de M. Sutour a été examiné par la commission de manière improvisée.
Monsieur le ministre, vous nous dites que le Président de la République a annoncé cette réforme pendant sa campagne électorale, que cela fait longtemps que l’on en parle et que les positions des uns et des autres sont déjà connues. Soit ! Mais cela ne vaut pas dispense d’une délibération parlementaire approfondie. Ce type d’argument est très choquant et, pourtant, il ne cesse d’être invoqué, comme si certains pensaient que le Parlement est de trop et que le vote de la loi ne devrait plus être qu’une formalité, aussi vite expédiée qu’un conseil des ministres. §
Le recours à la procédure accélérée n’est pas seulement une entrave au plein exercice des droits du Parlement. C’est aussi une manière de faire délibérer le Sénat sous la menace de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. C’est particulièrement choquant quand un projet concerne les sénateurs en même temps que les députés. Mais, en l’occurrence, ce serait de toute façon en pure perte que le Gouvernement ferait peser la menace, car son texte comporte déjà une disposition organique spécifique aux sénateurs.
Cette dernière concerne le remplacement des sénateurs qui sont élus au scrutin majoritaire et qui abandonneraient leur mandat parlementaire pour une fonction exécutive locale. Vous pourriez renoncer à cette disposition, mais, monsieur le ministre, vous ne le ferez pas : vous auriez trop peur que des élections partielles vous fassent perdre une majorité déjà courte et fragile au Sénat. §
Mais il y a davantage : plusieurs amendements, dont l’un des nôtres, visent à définir un régime particulier d’incompatibilités pour les sénateurs. Si le Sénat devait voter en faveur de l’un de ces amendements, il va de soi que son adoption priverait le Gouvernement du droit de passer en force avec la complicité de l’Assemblée nationale, car in fine le texte aurait plus sûrement encore le caractère de loi organique relative au Sénat.
L’analyse juridique est simple. Je ne vous l’épargnerai pas, même si vous la connaissez bien, puisque vous y avez-vous-même fait référence : l’article L.O. 297 du code électoral, qui aligne jusqu’à présent l’intégralité du régime des incompatibilités des sénateurs sur celui des députés, ne peut entraîner l’application de nouvelles incompatibilités aux sénateurs par la seule volonté de l’Assemblée nationale, …
… si le Sénat décide le contraire par un vote modifiant cet article de loi organique relative au Sénat.
Sinon, la garantie du quatrième paragraphe de l’article 46 de la Constitution, ultime rempart des droits du Sénat, serait en réalité vidée de toute substance au mépris de la volonté des constituants. §Je rappelle les termes de cette disposition constitutionnelle : « Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. » C'est clair !
La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’application de cette disposition, quoique restrictive, ne saurait permettre à l’Assemblée nationale non seulement d’empêcher l’application aux sénateurs d’une disposition organique spécifique au Sénat qu’ils auraient adoptée, mais encore de leur imposer dans un même élan une disposition organique générale qu’ils auraient expressément refusée. Ce serait par trop contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution, qui a précisément entendu préserver les droits du Sénat sur toute question de nature organique le concernant spécifiquement.
L’article L.O. 297 du code précité n’est pas un chèque en blanc du Sénat pour l’éternité : il ne peut valoir a priori pour toute modification à venir du régime des incompatibilités. Adopté en 1985 dans sa forme actuelle pour un état donné de ces incompatibilités, il a été maintenu tel quel lors de modifications qui ont toutes été approuvées par le Sénat, sans que jamais le dernier mot ait été donné à l'Assemblée nationale. Ce serait la première fois qu’il permettrait l’application au Sénat de règles que celui-ci aurait rejetées pour lui-même.
Cette réalité juridique s’impose à tous. La portée de l’article 46 de la Constitution est d’ailleurs pleinement reconnue par le Gouvernement lui-même. Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois le 10 septembre dernier, vous avez tout à fait spontanément, et avec une grande honnêteté intellectuelle, énoncé sans détour et de la manière la plus claire l’interprétation qu’il convient de lui donner, en déclarant qu’un traitement différencié des sénateurs changerait la qualification juridique de la loi organique sur le cumul ; elle serait inévitablement considérée par le Conseil comme une décision relative au Sénat imposant un vote conforme des deux assemblées. Je ne doute pas que ce sera votre ligne de conduite !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC . – MM. Jacques Mézard et Nicolas Alfonsi applaudissent également.
Il n’y a donc aucune ambiguïté : le dernier mot ne pourra revenir à l’Assemblée nationale si le Sénat différencie les règles nouvelles applicables aux mandats locaux des sénateurs par rapport à celles qui s’appliqueraient aux députés. Aucune autre lecture de la Constitution n’est recevable.
C’est dire que nous allons délibérer dans le plein exercice de nos prérogatives parlementaires, dans une égalité totale avec l’Assemblée nationale. Si celle-ci devait modifier ou supprimer une disposition de loi organique relative au Sénat que nous aurions adoptée, nous devrions nécessairement nous prononcer de nouveau pour parvenir à une rédaction commune. Et nous le ferions avec cet état d’esprit constructif que j’ai rappelé en commençant cette intervention ! §
Monsieur le ministre, vous avez dit votre fierté de présenter le présent projet au Parlement. C'est aussi avec fierté, certains de servir notre idéal républicain, que nous nous y opposons !
D’ailleurs, comme toutes les grandes personnalités politiques de notre pays, vous avez su concilier vos mandats de député, de responsable d’un important parti politique et de maire d’une grande ville – d’autres, vous l’avez rappelé, étaient présidents de conseil général. Ni eux ni vous n’exprimiez alors aucune espèce de contrition, ni le moindre remords. Vous ne donniez pas non plus de signe public d’épuisement §; vous manifestiez, au contraire, beaucoup d’enthousiasme pour l’exercice de vos mandats complémentaires, et vos électeurs vous suivaient.
Puissiez-vous aujourd’hui retrouver cet enthousiasme : nous sommes nombreux à le partager dans la passion du service des Français !
Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent vivement l’orateur . – Mmes et MM. les sénateurs de l’UDI-UC, ainsi que M. Jacques Mézard, applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui est le point d’orgue d’une longue succession d’échanges, de débats, de confrontations plus ou moins polémiques, de sondages et d’articles de presse ou de reportages.
La relecture de toutes ces prises de positions, que ce soit celles d’éditorialistes, de responsables politiques, d’élus, de juristes ou de constitutionalistes, montre à l’évidence que l’interdiction de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat exécutif local est, contrairement à ce que l’on dit, loin de faire l’unanimité.
On cite sans cesse des sondages, mais l’opinion publique n’est pas aussi unanime que l’on veut bien le penser : elle est en majorité favorable à une interdiction générale du cumul, sauf si cela doit concerner son sénateur-maire ou son député-maire ! §Mes collègues le savent bien !
Il est donc tout à fait naturel que ces divergences se retrouvent à l’intérieur du groupe socialiste. Vous l’avez d’ailleurs constaté en écoutant le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, dont je salue le travail, et le rapporteur du texte, Simon Sutour, tous deux membres du groupe socialiste. Ils sont favorables à l’interdiction du cumul, mais d’autres membres de mon groupe y sont opposés.
Nous en avons débattu sereinement, ce qui rompt avec l’image quelque peu monolithique que l’on donne toujours du groupe socialiste, avec sincérité et dans le respect des arguments et des convictions de chacun. Car le sujet est d’importance, puisqu’il touche au fonctionnement de nos institutions.
Ma conviction est connue : je considère que les sénateurs, élus par des élus à une immense majorité pour les représenter dans l’assemblée des collectivités territoriales de la République – c'est l’article 24 de la Constitution, dont il est inutile de rappeler les termes – doivent pouvoir cumuler un mandat exécutif local et leur mandat de parlementaire.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE . – M. François Zocchetto applaudit également.
Je n’évoquerai pas ici les députés, dont j’estime que, étant élus au suffrage universel et d’une autre manière que nous, il est logique et normal qu’ils ne puissent pas cumuler. §
En revanche, le cumul d’un mandat sénatorial avec un mandat exécutif local est pour moi une évidence. Je ne vois pas comment les grands électeurs, qui sont maires ou membres d’exécutifs locaux dans leur grande majorité, pourraient sereinement confier la mission de représenter les collectivités territoriales à un autre élu que l’un des leurs.
On peut objecter que la loi autorisera le cumul avec un mandat de simple conseiller municipal, général ou régional. Certes, mais ce n’est pas une fonction exécutive : ce n’est donc pas un mandat qui confère, me semble-t-il, l’expertise permettant aux parlementaires d’améliorer les textes législatifs à l’aune de leur expérience et de leur vécu.
M. François Rebsamen. On peut objecter aussi que le collège électoral des sénateurs confère à ces derniers leur légitimité de représentants des collectivités locales puisqu’il est composé d’élus locaux. C'est vrai, et c'est d’ailleurs la position défendue par le ministre de l’intérieur, que je salue. Mais ce serait mal connaître les maires de penser qu’ils envisageraient d’être représentés par des élus qui pourraient ne pas être, eux-mêmes, maires.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
On nous dit également que le non-cumul permettra de revaloriser l’image des parlementaires auprès de l’opinion – vaste débat. Mes chers collègues, si c’était aussi simple…
Par ces temps de populisme et de démagogie, je crois que c’est malheureusement beaucoup plus compliqué !
… qui, je le rappelle, est déjà écrêté. À ce propos, je vous signale que je voterai personnellement un amendement allant dans ce sens.
Les Français voient aussi dans le non-cumul une sorte de sanction à l’égard de la classe politique nationale, qu’ils tiennent malheureusement en bien piètre estime, alors que les élus locaux conservent parallèlement leur bonne image auprès d’eux – qu’ils cumulent ou pas, d’ailleurs.
On nous dit enfin que l’absentéisme serait dû au cumul de mandats.
Comme vous le savez, la réalité dément bien souvent cet argument. Tous les sénateurs, y compris ceux qui cumulent, travaillent. Personne n’en doute.
Si la faculté de cumul est supprimée pour les sénateurs, nous devrons, à n’en pas douter, mener une réflexion institutionnelle sur notre bicamérisme et son évolution.
Je ne prétends pas m'inspirer du modèle allemand puisque nous ne nous trouvons pas dans une République fédérale. Mais nous le constatons bien, d'autres possibilités existent pour assurer une représentation des collectivités.
Mes chers collègues, l’interdiction du cumul de mandats figure parmi les engagements pris par le Président de la République. Il est donc logique que le Gouvernement ait présenté un projet de loi organique allant en ce sens au Parlement, qui doit l’examiner.
Les députés ont voté cette interdiction. À titre personnel, je regrette qu’ils se soient autorisés à choisir et pour eux, et pour nous… §C’est maintenant au Sénat qu’il appartient de se déterminer, car le Parlement, dont fait partie la Haute Assemblée, délibère librement. L’avenir dira quelles conséquences aura cette rupture du lien local sur l’architecture de nos institutions.
Je pourrais demander pourquoi s’attaquer uniquement au cumul entre un mandat exécutif local et un mandat parlementaire. Je pourrais demander pourquoi passer sous silence le cumul dans le temps ou le cumul des fonctions. Je pourrais demander pourquoi la mesure proposée fait l’impasse sur un véritable statut de l’élu – malgré le beau travail effectué par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur au nom de la commission des lois –, qui devrait en être le corollaire. Je pourrais demander en quoi l’absence de « grands élus » affaiblirait le Sénat. Mais ces questions seraient considérées comme des manœuvres dilatoires...
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est ma conviction profonde que j’exprime devant vous en cet instant.
Je pense sincèrement que l’expertise du Sénat, reconnue et appréciée, la sagesse dont il fait preuve lorsqu’il apporte bien souvent des améliorations aux textes législatifs, en quelques mots, son rôle de législateur avisé, seraient affaiblis si, demain, le lien étroit que le cumul confère entre un exercice concret du pouvoir au niveau local et le travail législatif était coupé.
Étant président de groupe, mon temps de parole s'imputera sur celui des autres intervenants de mon groupe. Je ne m'exprime aujourd’hui qu’en septième position et pour la première fois dans le calme, si bien que je m’autoriserai à dépasser quelque peu le laps de temps qui m’était imparti, monsieur le président. (MM. Baylet et Mézard approuvent)
Le bicamérisme ne se définit pas comme les pouvoirs des assemblées, mais comme leurs pouvoirs respectifs au sein du Parlement.
Je considère donc, pour ma part, qu’une telle disposition organique, si elle était adoptée en l’état par le Sénat, l’affaiblirait de facto par rapport à l’Assemblée nationale. Et cela, je ne le souhaite pas. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de mon groupe vient de le rappeler à l'instant, limiter le cumul – l'« accumulation » serais-je tentée de dire – des mandats était un engagement de campagne du Président de la République. Que cet engagement se traduise en un projet de loi soumis au Parlement n’a rien d’une surprise.
Il était de toute façon nécessaire de légiférer sur le sujet et de nettoyer des tiroirs sans doute un peu trop poussiéreux. J’en veux pour preuve certains textes élaborés par la Haute Assemblée qui ne sont pas allés au bout de leur parcours législatif.
Le débat est passionné. Tant mieux ! La démocratie démontre ainsi toute sa vitalité. D’ailleurs une démocratie dans laquelle les décisions ne font pas l'objet de débats et sont votées à l'unanimité s'appelle plutôt une dictature…
En qualité de chef de file de mon groupe, je suis respectueuse de toutes les positions qui ont été exprimées, sans esprit dogmatique ni jugement péjoratif. Pas plus que je n’accuserai un non-cumulard – comme j’ai pu l'entendre ici et là dans les couloirs – de n’être qu’un candidat ayant perdu ou n’ayant pas gagné un autre mandat que celui qu’il détient, je n’affirmerai pas que les partisans d'un maintien argumenté d'une certaine forme de cumul sont crispés sur le passé.
À quelques exceptions près, tous et toutes nous partageons la volonté de rénover le Parlement et ses deux chambres caractérisées par leurs spécificités : le Sénat représentant des territoires et des collectivités territoriales, l’Assemblée nationale représentant les citoyens.
Quelques idées, du moins dans mon groupe, font consensus.
Tout d’abord, à la limitation du cumul des mandats est fortement associée l’interdiction du cumul des indemnités. Oui, sans doute faut-il interdire ce dernier et redonner à l'indemnité parlementaire sa réelle vocation : permettre à son bénéficiaire de vivre de façon autonome et indépendante, sans être soumis à des pressions, et non de s'enrichir à titre personnel, en accumulant diverses indemnités et en « gratouillant » partout afin d’en récupérer le plus possible.
Ensuite, un premier pas est fait vers l’intégration – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent – des mandats locaux exercés au nom d'une intercommunalité, reconnus comme des mandats locaux à part entière puisque leurs détenteurs sont soumis à l'interdiction du cumul avec les mandats parlementaires.
Par ailleurs, la volonté apparaît de préserver la spécificité de la représentation des territoires par le Sénat, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas toujours partagés.
Enfin, la volonté d'améliorer la qualité du travail du Sénat, d'éviter des conflits d'intérêts et, peut-être, une gestion trop prégnante des dossiers locaux à l’échelon national sont des idées largement défendues au sein de mon groupe. Là encore, les moyens pour y parvenir ne sont pas forcément partagés.
J’en arrive à un sujet, déjà largement évoqué à cette tribune, qui suscite des vives craintes et des débats : la perte du lien avec le terrain. Ce lien devrait-il se réduire à celui qui se noue lors des comices agricoles ou des inaugurations ? Ce n’est pas au cours de telles manifestations que l'on apprend le plus sur les difficultés rencontrées par les collectivités, sur les conséquences de l'application des lois que nous votons dans cet hémicycle ou de l’exercice de nouvelles compétences, etc.
Une incompréhension et une inquiétude demeurent : pourquoi placer sur un pied d’égalité les fonctions de conseiller municipal, régional, général et, demain, départemental ? Ce serait méconnaître les différences qui existent entre mandat local et mandat national. Un mandat de conseiller général n’a pas grand-chose à voir avec un mandat de conseiller municipal, qu’il s'agisse d'une commune de 100 000 habitants ou de 250 habitants.
Une autre question soulève de grands débats : le non-cumul des mandats, tel qu’il nous est proposé, règlera-t-il vraiment le problème de l'absentéisme ?
Au contraire, les sénateurs qui ne seront plus membres d’un exécutif local ne souffriront-ils pas d'un déficit d'image, si bien que, pour le combler, ils seront obligés d'être encore plus présents sur le terrain ?
Par ailleurs, voici ce qui aurait pu être fait en amont de la présentation de ce texte, et qui aurait sans doute été de nature à apaiser le débat : s'attaquer aussi au problème de l'accumulation des mandats locaux. Ces cumuls horizontaux heurtent peut-être davantage les parlementaires que nous sommes que les citoyens, qui en voient moins les conséquences.
Il aurait également convenu d'anticiper plus en amont les conséquences du présent projet de loi organique et de réaliser, peut-être, une étude d'impact : l'interdiction de cumuler un mandat de maire d'une commune – quelle que soit sa taille – avec un mandat de parlementaire ne conduira-t-elle pas ces élus locaux à opter pour des mandats de conseiller général et régional, inversant l'équilibre de la représentation des territoires au sein de notre Haute Assemblée ? N’aurait-on pu apaiser ainsi un certain nombre des craintes qui ont été exprimées sur la mort programmée du Sénat ?
En tout état de cause, que le texte finalement adopté soit celui qui a été voté par l’Assemblée nationale, celui qui sera voté par le Sénat ou encore un texte de consensus, il faudra en suivre les évolutions. La féminisation des fonctions, dont nous avons parlé hier dans cette enceinte lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – je constate que les hommes étaient d’ailleurs beaucoup moins nombreux – évoluera-t-elle positivement ? Qu’en sera-t-il de l'absentéisme ? La qualité du travail s'améliorera-t-elle ? Surtout, les relations entre le Sénat et l’Assemblée nationale se caractériseront-elles par un dialogue renouvelé qui contribuera à une véritable modernisation du Parlement ?
Tous les membres de mon groupe n’ont pas encore arrêté leur position ; leur vote dépendra de l'évolution du texte. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la crise économique que nous traversons depuis plusieurs années, s’ajoute une crise de la démocratie représentative sans précédent.
Le sentiment de défiance des citoyens envers leurs élus n’a jamais été aussi prégnant. Et n’oublions pas un sentiment d’éloignement, voire d’abandon. Ce rejet s’accompagne d’une profonde interrogation sur l’efficacité de nos institutions et sur notre rôle de parlementaire.
Pour contrer ce ressentiment, il nous faut répondre aux aspirations légitimes de nos concitoyens à plus de transparence, de représentativité et d’égalité.
Tout d’abord, je peux l’affirmer sans me tromper, nos assemblées sont loin de ressembler à la société qu’elles représentent ; plus grave encore, nous apprenons que 80 % des Français estiment que nous formons une caste qui s’arc-boute sur ses privilèges.
Le présent projet de loi organique donnera un souffle nouveau à notre démocratie en permettant, n’en doutons pas, l’entrée dans notre hémicycle d’un plus grand nombre de femmes, encore trop largement minoritaires, de jeunes, d’ouvriers, d’employés ou de Français issus de l’immigration, ces dernières catégories de personnes en étant magistralement absentes …
À cet égard, et ce fait est reconnu par tous aujourd’hui, la loi sur la parité est très bénéfique là où elle s’applique. Pourtant, que n’a-t-on pas entendu lors de son examen ! Je constate que nous avons ici une bonne marge de progression.
Le présent projet de loi organique conduira à diversifier la classe politique : est-ce cela qui inquiète ? Je pense au contraire que la diversité des parcours passés, personnels, professionnels ou électifs des uns et des autres enrichira nos débats, apportera des idées neuves. Pour les sénateurs de mon groupe, la démocratie implique non un super-professionnalisme des élus, mais une hétérogénéité d’expériences qui fonde leur légitimité et leur force. Sans cela, c’est la démocratie que l’on continue de blesser, au mépris du peuple souverain.
Doit-on considérer qu’un parlementaire n’exerçant pas de mandat exécutif local serait moins bon qu’un autre qui ne se dédie qu’à sa mission législative nationale ? C’est un propos que l’on entend depuis le début de l’après-midi. Ce serait faire insulte à certains de nos éminents collègues, puisque 23 % des sénateurs n’exercent pas d’autre mandat et 40 % aucune fonction exécutive locale.
Pourquoi les parlementaires seraient-ils déconnectés des réalités locales ? Ils ont déjà acquis une bonne connaissance du terrain avant d’accéder à un mandat national. Cette expérience nécessaire d’élu local ne peut, bien évidemment, être contestée pour les sénateurs.
Toutefois, selon le principe de subsidiarité, point n’est besoin d’un mandat national pour répondre aux problématiques du terrain : l’école, les services publics, les infrastructures, le développement économique, les réseaux. En effet, et nous le savons bien, deux autorités de niveaux différents n’ont pas à prendre en considération les mêmes problèmes. Ainsi, les questions de politique nationale ne sont pas de la compétence des collectivités locales.
Si nous devenons tous des élus nationaux sans mandat exécutif local, nous allons en effet devoir réfléchir aux moyens de mieux affirmer notre présence dans nos départements et mieux relayer notre travail parlementaire.
Nous pourrons également réfléchir à la création de passerelles nouvelles, par exemple avec le Conseil économique, social et environnemental, dont la fonction a évolué et qui se prononce de plus en plus sur les sujets qui intéressent les parlementaires.
Nos concitoyens, mais aussi le monde syndical, associatif, économique, les élus locaux attendent de notre part plus de proximité et d’échanges. Ce texte organique ouvrira des pistes nouvelles de réflexion qui conduiront, j’en suis sûre, à revaloriser le rôle du parlementaire. Nul motif d’inquiétude pour nous.
Nous devons aussi répondre à l’aspiration à plus d’égalité de nos concitoyens. Pour les sénateurs de mon groupe, faire le choix du cumul des mandats, c’est maintenir un système profondément inégalitaire.
En effet, les maires de villes comparables n’ont pas le même pouvoir ni, d'ailleurs, les mêmes moyens selon qu’ils sont ou non parlementaires. En outre, cette inégalité se constate sur un autre terrain : celui de la représentation égale des citoyens. Par le biais du cumul des mandats, certains citoyens sont mieux représentés que d’autres. Or nous sommes élus pour participer à la détermination de la politique nationale, à la formation de la volonté générale, et non pour nous transformer en « VRP » de tel ou tel territoire.
À cet égard, le débat sur l’acte III de la décentralisation a illustré de façon bien regrettable cette logique poussée à l’extrême : les territoires étaient mis en concurrence, chacun défendait sa ville, sa métropole, le regard national a été biaisé par la confusion des genres.
Répondre à cette exigence forte de rénovation de la démocratie implique également que les parlementaires aient du temps pour s’occuper de la chose publique.
Notre mission première, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et, aujourd’hui, évaluer les politiques publiques, requiert du temps.
Les sujets dont nous avons à connaître sont variés, complexes et techniques ; ils sont le reflet non seulement de notre société, mais aussi de la multiplication des sources du droit, qu’elles soient européennes, voire internationales, ou encore d’autres contraintes dans lesquelles notre action est enserrée.
Alors que notre société est celle de la vitesse, que le temps se monnaye, nous devons prendre la mesure de la chance qui nous sera offerte par le présent projet de loi organique. Les hommes et les femmes politiques ont besoin de leur temps, de tout leur temps !
Cette remarque vaut aussi pour les élus locaux. En effet, les lois successives de décentralisation ont changé la morphologie de notre pays et les missions de ces élus. Le mandat local exige des arbitrages constants et une présence à plein temps. L’exercice de mandats locaux, tels qu’ils existent aujourd’hui, ne laisse que peu de temps aux parlementaires qui les détiennent.
Cette question du temps n’est pas anodine, car c’est seulement en ayant du temps à disposition que les parlementaires pourront faire du Parlement un véritable pouvoir au sens où l’entendait Montesquieu : un pouvoir qui arrête le pouvoir, un pouvoir qui éclaire et conseille les autres pouvoirs.
Ce projet de loi organique traduit selon nous le renouveau dont le Parlement et la classe politique tout entière ont besoin. C’est aussi la condition du contrat social.
Si nous comprenons les inquiétudes des uns, car ce texte aura un impact dès les prochaines élections municipales, aucune fausse bonne raison n’est aujourd’hui acceptable, aucune fausse bonne raison ne serait comprise par nos concitoyens. La pétition contre le cumul de mandats qui circule depuis le rejet de ce texte par la commission des lois a déjà recueilli plus de 100 000 signatures !
Il s’agit non pas de convaincre, mais de faire preuve de volonté et de courage. Selon nous, aucune hésitation n’est permise. La mise en application de ce projet de loi organique constitue l’opportunité de repenser notre action tant ici au Sénat que dans nos départements, de privilégier le travail en équipe et en réseau. Nous gagnerons en efficacité et en lisibilité ; le travail parlementaire, j’en suis sûre, en sortira grandi.
Cet acte politique majeur est, je le souhaite, la première étape indispensable pour redonner du sens à notre démocratie, du sens et de la noblesse au politique, et pour restaurer la confiance de nos concitoyens.
Bien sûr, il appelle d’autres dispositions, que vous aurez sans doute à cœur de nous présenter, monsieur le ministre, telles que la limitation du cumul des mandats dans le temps, le statut de l’élu, l’interdiction de cumuler des indemnités – tout cela a été dit. Mais il est attendu par nos concitoyens, et nous leur devons une réponse claire et unanime, tant le climat politique devient délétère. L’inverse aurait un effet dévastateur.
C’est pourquoi, après un débat que nous souhaitons fructueux et respectueux dans notre hémicycle, comme nous en avons l’habitude, nous appelons de nos vœux l’adoption de ce texte. Le groupe communiste républicain et citoyen votera unanimement en sa faveur.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord regretter que le texte qui nous est présenté soit examiné, une fois de plus, après engagement de la procédure accélérée, tant décriée par la gauche lorsqu’elle était dans l’opposition et qui, aujourd'hui, l’accepte sans broncher. Peut-être la gauche s’habitue-t-elle à ces méthodes, le recours à cette procédure étant désormais quasi permanent…
En l’espèce, je m’étonne toutefois d’une telle pratique dans la mesure où il n’y a aucune urgence dans les faits. En effet, au mépris, d’ailleurs, des engagements du Président de la République et du Premier ministre, vous avez décidé, monsieur le ministre, de n’appliquer le texte qui nous est soumis qu’en 2017, c'est-à-dire dans quatre ans. Vous l’avouerez, c’est pour le moins curieux ! Vos prédécesseurs confrontés au problème du cumul des mandats, pourtant socialistes, avaient eu plus d’égards envers le Sénat puisque les textes examinés en 1985 et en 2000 avaient fait l’objet respectivement de deux et de trois lectures
En réalité, et vous l’avez clairement dit dans votre propos, vous voulez une fois de plus écourter le débat et donner au plus vite le dernier mot à l’Assemblée nationale, sans vous soucier du point de vue du Sénat. Une fois de plus, le Gouvernement témoigne de son mépris pour la Haute Assemblée, dans la droite ligne des propos de Lionel Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique ».
Monsieur le président du Sénat, vous êtes le garant des prérogatives de la Haute Assemblée. Je m’étonne que vous tolériez cela, vous qui déclariez, lors de votre élection, votre volonté « que notre assemblée soit confortée dans ses prérogatives, restaurée dans son rôle de représentant des élus locaux et des territoires, rénovée dans son mode de fonctionnement ».
Les amitiés politiques ne doivent pas vous conduire à laisser ainsi piétiner notre institution !
Sur le fond, le présent projet de loi organique a au moins un avantage : il va conduire les socialistes à mettre en 2017 leurs actes en conformité avec l’engagement pris huit ans plus tôt, en 2009, selon lequel tout élu à une élection parlementaire abandonnera ses mandats exécutifs locaux dans les trois mois. Cet engagement, pourtant rappelé par Mme Aubry, n’a pas, semble-t-il, été entendu si j’en crois le palmarès établi par le magazine L’Express, qui atteste que les plus grands cumulards sont à gauche ! Je n’oublie pas non plus la situation de certains collègues qui siègent sur la gauche de cet hémicycle…
Le parti socialiste nous demande donc de légiférer pour que ses élus respectent leurs engagements, soit ! Mais vous conviendrez que c’est un peu court.
Alors, pour justifier cette réforme, vous nous indiquez, monsieur le ministre, qu’il s’agit de tirer les conséquences de la décentralisation. Mais si tel était vraiment le cas, vous proposeriez la mise en place, tant attendue, d’un statut de l’élu local, qui est dans la droite ligne de la décentralisation ! Et vous ne baisseriez pas les dotations des collectivités locales pour la première fois de notre histoire ! Vous n’imposeriez pas sans aucune concertation une réforme des rythmes scolaires qui leur pose de graves problèmes en termes de financement et d’organisation ! §Oui, je comprends que cette remarque vous gêne ! Vous n’imposeriez pas sans arrêt de nouvelles normes aux collectivités. Bref, cet argument ne tient pas !
Toujours selon vous, monsieur le ministre, le texte serait également destiné à renforcer les droits du Parlement. Il est vrai que ceux-ci en ont bien besoin, et la manière dont vous nous traitez aujourd'hui encore en témoigne. Nous sommes bien loin des engagements du Président de la République sur ce sujet. Toutefois, ce que vous proposez ne renforcera en rien les droits du Parlement, pas plus d’ailleurs qu’il ne permettra le renouvellement de la classe politique – j’y reviendrai tout à l’heure.
Enfin, vous nous expliquez que le présent texte organique répond aux attentes de nos concitoyens. Je crois qu’aujourd’hui les Françaises et les Français ont malheureusement d’autres attentes…
Le chômage devait baisser en 2013, les augmentations d’impôt ne devaient toucher que les riches ; vous vous faisiez fort de rétablir la sécurité. Certes, il est plus difficile de répondre à ces préoccupations qu’à la prétendue volonté de nos concitoyens de lutter contre le cumul.
Le texte que vous nous présentez est donc, avant tout, destiné à répondre au populisme et à l’antiparlementarisme ambiants et, par là même, à les encourager.
L’opinion publique est opposée au cumul, alors, supprimons le cumul : cela s’appelle ni plus ni moins de la démagogie !
Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est non pas la suppression du cumul des mandats, mais la modernisation de la vie politique, ce qui n’est pas la même chose. Or votre texte ne permettra pas cette modernisation, car il n’aborde que la question du cumul, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg.
En réalité, vous nous proposez un texte qui réussit à être à la fois insuffisant dans son étendue et, sans doute pour tenter de compenser cette insuffisance, excessif dans sa portée.
Je voudrais le rappeler, pour ce qui me concerne, je suis favorable à ce que l’on aille plus loin dans la limite du cumul et que l’on clarifie les règles existantes. Il n’est pas normal que les présidences d’EPCI ne soient pas concernées par l’interdiction de cumul, alors que les fonctions de conseiller municipal de communes de plus de 3 500 habitants le sont.
Je vous rappelle que j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’interdiction avait été adoptée pour les EPCI de plus de 30 000 habitants. C’était un premier pas qui, malheureusement, n’a pas franchi le barrage de l’Assemblée nationale. Je ne me souviens pas, d’ailleurs, avoir été beaucoup soutenu à l’époque par mes collègues siégeant sur les travées situées sur la gauche de cet hémicycle …
Je suis donc favorable à un renforcement des textes existants, mais pas à une interdiction totale de tout cumul, comme vous le proposez.
Franchement, qui peut considérer que l’on ne peut pas être parlementaire et adjoint au maire d’une commune de 150 habitants ou vice-président d’un syndicat scolaire gérant une école primaire en milieu rural ? Personne !
Et si tel était le cas, si la fonction parlementaire exige un engagement à plein temps, pourquoi alors avoir permis dans le récent texte relatif à la transparence de la vie publique qu’elle puisse être cumulée avec une activité professionnelle ? Pourquoi pourrait-on être parlementaire et avocat et non parlementaire et élu local ? Cela montre bien, monsieur le ministre, à quel point vous êtes dans l’excès et dans la démagogie !
Dans le même temps, ce texte apparaît tout à fait insuffisant. Pourquoi le non-cumul ne concerne-t-il pas les grands élus locaux ? Pourquoi un parlementaire ne pourrait-il pas être adjoint au maire d’une petite commune quand un maire de grande ville pourra continuer à présider l’agglomération, à être vice-président du conseil général ou à présider divers syndicats ?
Je vous signale que dans le département dont je suis élu j’arrive, selon le classement d’un magazine national, loin derrière le maire du chef-lieu qui n’est pourtant pas parlementaire !
Votre projet est également insuffisant parce que si l’on veut moderniser la vie publique et renouveler la classe politique – ce que vous prétendez vouloir faire –, il faut limiter le nombre de mandats dans le temps, comme l’avait d’ailleurs décidé la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette disposition permettrait un véritable renouvellement de la classe politique.
À cet égard, l’exercice successif de trois mandats parlementaires me semble suffisant et c’est ce que propose le groupe UDI-UC.
Il faut également, comme c’est le cas dans les grandes démocraties, que les hauts fonctionnaires élus au Parlement démissionnent de la fonction publique.
Le projet de loi organique est encore insuffisant, car si l’on veut que les parlementaires ne soient que parlementaires, ils n’ont pas besoin d’être si nombreux. Si vous voulez renforcer le rôle du Parlement, il faut que les parlementaires disposent de plus de moyens pour travailler, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, et pour contrôler le Gouvernement. Cela n’est possible, vous le savez, que si l’on réduit leur nombre.
Enfin, ce texte est dangereux pour notre institution. Je vous rappelle que, en application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représente les collectivités locales. Comment pourrons-nous représenter les collectivités locales si, demain, aucun d’entre nous ne participe plus à un exécutif, même d’une petite commune ?
Vous me rétorquerez que l’on pourra toujours être conseiller municipal, mais vous savez très bien qu’un conseiller municipal demeure très éloigné de la gestion de la commune dont il est élu. Sur ce point, je partage tout à fait le point de vue du président du groupe socialiste.
J’ajoute, ce qui est rarement évoqué, qu’un sénateur, s’il n’est pas en charge d’un exécutif, contrairement à un député, est peu en contact avec les citoyens. Il l’est avec les élus, certes, mais pas avec les citoyens. Or si je connais les problèmes de mes concitoyens, …
… leurs difficultés en matière de logement, d’emploi, ou encore leurs difficultés de fin de mois, c’est parce que je suis maire ! Le jour où nous n’exercerons plus ces fonctions, nous serons totalement déconnectés des préoccupations de nos concitoyens et, par là même, des réalités du pays.
Des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité des collectivités locales dont ils ont en charge la représentation ; des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité du pays et de leurs concitoyens, alors qu’ils doivent légiférer ; des sénateurs beaucoup moins présents sur le terrain, puisque vous avez obtenu que 75 % d’entre eux soient désormais élus au scrutin proportionnel et doivent ainsi plus leur élection aux partis politiques qu’aux grands électeurs : on le constate, le texte qui nous est proposé affaiblirait gravement notre institution.
Monsieur le ministre, le Sénat est, je crois, coupable aux yeux du Gouvernement d’être le dernier bastion de défense de la ruralité et des territoires. §
Vous avez réduit le poids des élus ruraux dans les assemblées départementales après que l’on a réduit leur poids dans les communautés de communes et d’agglomération. Vous avez réduit le rôle des élus ruraux dans le collège sénatorial. C’est à présent au rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités locales que vous vous attaquez.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC, résolument ouvert à de réelles évolutions sur le sujet et à une véritable modernisation de la vie publique, ne votera pas le projet de loi organique en l’état. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout ou presque a été dit sur le cumul des mandats. Dans le peu de temps dont je dispose, permettez-moi d’aborder cette question sous un angle parfois occulté.
Abdelmalek Sayad, le grand sociologue trop tôt disparu, a écrit : « Exister, c’est exister politiquement ».
La question est donc posée : nos instances politiques, en n’étant pas représentatives de l’ensemble de la population française, n’en condamnent-elles pas certaines catégories à une forme d’inexistence ? Femmes, jeunes, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres, personnes issues de l’immigration, ultramarins s’y retrouvent-ils à proportion de leur présence réelle dans la société? Certes, non.
Rien d’étonnant à cela. Comme le rappelait le philosophe et économiste Cornelius Castoriadis, « dès qu’il y a des représentants permanents, l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées du corps des citoyens pour être remises au corps restreint des représentants qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d’infléchir, de bien de façons, l’issue des prochaines élections».
Le cumul des mandats, ça sert à cela aussi, et donc à limiter la fluidité de la circulation du personnel politique, son rajeunissement, sa féminisation, sa diversification. §
Si le texte débattu aujourd’hui est adopté, le renouvellement sociologique espéré des élus aura-t-il lieu ? Ce n’est même pas sûr !
La loi sur la parité entre les hommes et les femmes fournit un précédent très modérément encourageant. Elle a eu quelques bons effets, certes, mais le vivier de recrutement des femmes élues est resté le même – anciennes collaboratrices devenues députées –, impliquant une surreprésentation de certains profils sociologiques ; globalement, les mêmes que ceux des hommes : blancs, plus de cinquante ans, de milieu aisé, éduqués…. Dans ces conditions, je peine à imaginer ce qu’il en ira demain – pour m’en tenir à ce seul aspect des choses – de la représentation de la diversité.
« Diversité », doux terme consensuel, héritage des années 2000. Est-il bien compatible avec notre universalisme républicain, selon lequel l’égalité se réalise en faisant abstraction, justement, des différences de naissance entre les individus ? Toute revendication portée au nom d’un groupe n’est-elle pas, chez nous, a priori illégitime ?
Le « clientélisme électoral », quant à lui, perdure, ciblant qui les Juifs, qui les musulmans, qui les Arméniens, qui les Asiatiques, voire toutes ces populations, et ce alors même qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du vote ethnique sur le résultat d’une élection.
« Diversité », contorsion rhétorique éloignant de nous le spectre du fameux communautarisme, nous évitant surtout d’appeler un chat un chat et rendant d’un coup invisibles ces minorités que l’on appelle pourtant « visibles ».
Les chiffres parlent. Nous avons bien noté une légère percée au Parlement. Les personnes issues de la diversité n’y représentaient que 1 % des élus jusqu’aux dernières élections. Pas de véritable bond, pourtant, ne doit être noté. À l’Assemblée nationale, l’avancée est modeste : une petite dizaine en tout, hors outremers. Au Sénat, la situation n’est guère plus glorieuse : nous nous comptons sur les doigts d’une seule main...
Redescendons sur terre : seulement 2, 2 % des 9 737 candidats se présentant aux dernières élections cantonales en métropole étaient issus des minorités visibles, alors que les personnes d’origine maghrébine, turque, africaine ou asiatique représentent 8 % à 10 % de la population française ! Le déséquilibre est patent, plus à l’UMP qu’au parti socialiste, il faut l’avouer. Quelle frilosité !
Quels sont les arguments avancés pour la justifier ? La peur de faire le jeu du Front national ou la crainte que, une fois élus, ces gens-là ne défendent d’abord les intérêts de leur communauté d’origine. Est-ce bien vrai ? Dès 2008, 57 % des Français estimaient qu’il n’y avait pas assez de personnes appartenant à une « minorité visible » parmi les parlementaires et 85 % d’entre eux se disaient prêts à voter pour un candidat issu d’une telle minorité.
Ce contexte a-t-il changé depuis ? Peut-être. Ce sont plutôt les partis politiques qui ne changent pas. Oubliées, les interventions du parti socialiste de 2005 au congrès du Mans, soulignant que « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la société française » !
Sourires sur les travées de l'UMP.
Il y en aura pour tout le monde, mon cher collègue !
Effacées, les trente-cinq propositions pour une diversité en mouvement émises par l’UMP en 2007, et la volonté affichée de promouvoir des candidats de la diversité ! §
Dès 2009, le sociologue Éric Keslassy, dans son rapport pour l’Institut Montaigne, institut de droite, …
… la suppression du cumul des mandats, à défaut, bien sûr, d’une transposition des dispositions déjà prises dans le domaine de la parité à la représentation de la diversité dans le paysage politique.
En résumé, je voterai pour l’interdiction du cumul, non seulement parce que le groupe EELV le préconise depuis fort longtemps, mais aussi en vertu d’une conviction personnelle profonde et dans l’espoir, même ténu, que ce texte donnera un petit coup de pouce au renouvellement de notre représentation politique.
Encore faudra-t-il, d’une part, un peu plus de transparence et de volontarisme au sein des partis politiques lors des désignations et dans les jeux des réseaux et, d’autre part, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer les propos tenus à la fois par notre collègue Philippe Bas, dont je loue la rigueur et la clarté de la démonstration juridique, par le président Zocchetto, qui a parfaitement décrit les conditions d’examen du texte et ses conséquences, et par le président Mézard, qui a su exprimer très haut l’attachement d’une très large majorité du Sénat, par-delà les clivages politiques, à un équilibre législatif et institutionnel, fondement même de la Ve République.
Je voudrais aborder la question qui nous est soumise sous l’angle du bon fonctionnement de nos institutions, car, au fond, c’est cela qui compte.
Avant d’atteindre notre hémicycle, les débats politiques et médiatiques ne m’ont pas semblé avoir toujours été à la hauteur des enjeux, mélangeant populisme, amalgames et stigmatisations. Monsieur le ministre, j’ai éprouvé une certaine peine en vous entendant parler de votre respect pour le débat que nous allions avoir ces jours-ci, au Sénat.
À l’écoute de ces différents points de vue, nous aurions pu finir par oublier de nous poser les vraies questions. Selon moi, deux sont essentielles. Tout d’abord, le non-cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction élective locale améliorera-t-il l’exercice de l’un et de l’autre de ces mandats ? Ensuite, quelles conséquences pourrait avoir le non-cumul des mandats sur le fonctionnement des institutions, notamment de la Haute Assemblée ?
Monsieur le ministre, je prends acte de vos propos liminaires. Je constate également que la stigmatisation des élus et la flatterie des penchants antiparlementaires d’une certaine opinion publique ont accompagné ce débat. J’ai horreur du mot « cumulard », qui rime avec « charognard » !
J’ai vu des classements baroques, dans lesquels on mélange tout : mandat, fonction, indemnité.
On peut légitimement s’interroger sur ce point, quand on passe au crible de l’analyse les arguments affichés pour justifier la réforme.
Au fond, qui, parmi nous, est réellement convaincu qu’un tel interdit va permettre d’améliorer le travail des élus, les obligeant à se consacrer à un mandat unique ? J’ai pu le constater pendant des années en tant que vice-président et président du Sénat, mais aussi en tant que président de commission, les plus assidus au Parlement sont souvent ceux qui ont de vraies responsabilités locales. §
Voilà qui fait vaciller l’argumentation !
La vraie question, mes chers collègues, est celle dont nous avions débattu à l’époque avec Henri de Raincourt : le problème ne vient-il pas de l’accumulation des textes que nous devons examiner et de l’organisation même de nos débats, en commission comme en séance, qui, souvent, ont peu d’intérêt, parce que nous n’allons pas à l’essentiel ?
Voilà la vraie question à se poser, quand on parle de présentéisme !
À cet égard, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas conduit une réflexion sur le cumul des fonctions, dont on sait qu’elles peuvent parfois être plus chronophages que des mandats ?
Pourquoi, au fond, ne pas interdire toute activité professionnelle aux parlementaires ?
Plus immédiatement, en fragilisant la force politique que procure l’exercice simultané d’un mandat exécutif local et d’un mandat parlementaire, ce texte va contribuer à écarter encore plus de la vie publique ceux qui ne bénéficient pas de la protection d’un emploi garanti, comme les fonctionnaires ou assimilés. §
Contrairement à ce que disait Mme Benbassa, qui a malheureusement quitté l’hémicycle, ce n’est pas comme cela que l’on va construire la diversité.
Les fonctionnaires ou assimilés, qui constituent un quart de la population active, représentent 55 % des députés !
Travailler à la diversité, c’est permettre à des ouvriers, à des chefs d’entreprise, à des fonctionnaires, à toutes les professions, en somme, d’être présents dans nos assemblées…
En outre, au-delà de ses vices de conception, la réforme proposée entraînera un effet majeur, qui ne me paraît pas pouvoir être accepté. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez dit le contraire, mais l’adoption de ce texte créera des députés et des sénateurs qui, progressivement, deviendront des parlementaires « hors-sol ».
De fait, l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sera déplacé.
Ne nous leurrons donc pas ! Le projet de loi organique annonce une perte vertigineuse d’influence de nos territoires sur les décisions nationales.
En dépit de la proclamation constitutionnelle, notre République « décentralisée » reste centralisée et, pour moi, c’est positif. L’interdiction concrète d’être parlementaire faite aux maires, aux maires adjoints, aux présidents et aux vice-présidents de conseil général ou régional, aux présidents et aux vice-présidents de syndicats intercommunaux à vocation unique que décrivait Hervé Maurey et qui font partie de la vie quotidienne de notre territoire, va entraver leur capacité à se faire entendre, à faire émerger les dossiers locaux les plus prioritaires.
Pour le Parlement, la logique de la réforme ne devrait-elle pas, d’ailleurs, entraîner une contraction des effectifs ? Pour le Sénat, la dichotomie instituée porte directement atteinte à son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales.
Comment les sénateurs pourront-ils amender, c’est-à-dire améliorer, les lois pour les rendre mieux applicables dans les territoires ? Vous le voyez bien, mes chers collègues, de nombreux textes soumis à notre examen sont déjà déconnectés de la réalité des territoires ! §
Mais il y aura également des conséquences plus insidieuses. Quelle sera la force de la légitimité spécifique d’un sénateur pour représenter les collectivités territoriales, dès lors qu’il ne pourra pas lui-même assumer un exécutif local ? Comment un sénateur pourra-t-il prétendre assurer son rôle constitutionnel et représenter les élus et les collectivités de son département, si, tout comme à un député, il lui est interdit l’exercice des fonctions exécutives locales ? §
Des députés seront un jour fondés à dire que le Sénat n’a pas plus de légitimité que l’Assemblée nationale à représenter les territoires.
N’oublions pas que cette réforme est couplée à une modification délibérée du collège électoral sénatorial visant à affaiblir le poids des territoires pauvres démographiquement, notamment les territoires ruraux.
N’oublions pas, non plus, l’augmentation continue de la part des sénateurs élus à la proportionnelle. En 2017, les trois quarts d’entre nous seront élus de cette manière, ce qui renforcera encore l’influence des partis dans le scrutin, au détriment de celle des élus du territoire.
Telle est la réalité : une transformation profonde de notre assemblée et de sa mission.
Tout cela relève, à mon sens, d’un travail de sape délibéré de la Haute Assemblée. Un tel affaiblissement eut sans doute pu être évité si des aménagements à l’interdiction de cumul avaient été introduits – peut-être le seront-ils ? – pour les sénateurs dans le dispositif. J’ai entendu les propos tenus à ce sujet voilà un instant par François Rebsamen.
Mes chers collègues, c’est bien l’avenir de notre institution qui est en cause.
Cet affaiblissement programmé de notre assemblée et de la représentation des territoires n’ouvre-t-il pas inéluctablement la voie à un abandon des politiques d’équilibre territorial, garanties par les mécanismes institutionnels que l’on nous propose de bouleverser ?
Au fond, mes chers collègues, au-delà de la question du cumul, c’est bien de nos institutions qu’il s’agit cet après-midi. Notre débat ne porte sur rien d’autre que sur la place, le rôle et la spécificité du Sénat. Tout cela mérite vraiment autre chose qu’un examen expéditif en commission et un débat qui se tient dans l’urgence.
Je vous en conjure, mes chers collègues, gardons-nous de ne plus croire en nous-mêmes, en l’importance de nos débats en commission et en séance, et dans le dialogue avec l’Assemblée nationale.
Oui, je vous en conjure, dans les heures qui viennent, il sera important de croire au Sénat de la République. Et c’est de cela dont nous débattrons ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer le travail du rapporteur Simon Sutour, …
… sa sérénité, qui ne devait pas toujours être chose aisée, son investissement et sa volonté de tenir une ligne politique claire. Le présent projet de loi organique est important pour nous-mêmes comme pour nos concitoyens ; il appelle des prises de position courageuses.
Parmi les engagements pris par François Hollande devant les Français durant la campagne présidentielle, figure celui qui est relatif au cumul des mandats. Il nous revient aujourd’hui de le tenir.
La proposition du candidat se voulait un ferment de la modernisation de notre vie démocratique. Elle le demeure, et elle a probablement contribué à susciter le mouvement d’espoir qui a permis l’alternance politique.
Respecter aujourd’hui cette prise de position, c’est, d’une certaine manière, conforter le suffrage universel. Nous devons prendre en compte le résultat du scrutin et honorer les promesses qui y ont concouru, particulièrement lorsque l’on sait que la majorité des Français y est favorable.
Mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, personne ne doit être mis à l’index.
Il n’existe pas de bons sénateurs, qui seraient favorables à la réforme, et de mauvais sénateurs, qui y seraient hostiles. §Essayons simplement de voir quel est le meilleur chemin à emprunter vers une plus grande efficacité démocratique.
Ces derniers temps, il a beaucoup été question du déclin du politique. Son impuissance, ressentie par nos concitoyens, suscite, nous le savons tous, une dangereuse désaffection, que nous constatons, malheureusement, scrutin après scrutin. Au-delà du contexte économique et social, elle est aussi entretenue par la difficulté des élus à prendre des décisions dans un environnement dont la complexité croît à une vitesse vertigineuse, alors même qu’ils sont dotés de responsabilités nouvelles, du fait des lois de décentralisation.
L’afflux de normes et de textes législatifs nécessite des connaissances plus variées et plus approfondies. Au bout du compte, la fonction de maire aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était voilà encore trente ans.
De ce fait, notre fonctionnement démocratique est confronté à un autre risque, celui de voir les administrations ou technostructures diverses prendre le pas sur les représentants du suffrage universel. Ce risque est bien réel, quand l’exercice de multiples responsabilités, présidences et vice-présidences diverses, se couple avec celui d’un exécutif local et du travail parlementaire. Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’une administration de l’État et des collectivités territoriales très compétente, soucieuse de l’intérêt général. Mais elle doit rester ce qu’elle est – et c’est déjà beaucoup –, un outil d’aide à la décision ; rien de moins, rien de plus.
Nos responsabilités électives comme la manière de les exercer ont donc évolué. Il est demandé plus de temps, plus de connaissances, parfois spécialisées, pour être mieux à même de juger, d’apprécier, de choisir, de décider et pour nous, parlementaires, de légiférer.
C’est aussi la raison pour laquelle notre démocratie doit évoluer. Et c’est le sens de la réforme proposée par le Gouvernement.
Rappelons que le cumul des mandats est une spécificité bien française. Le phénomène est marginal chez nos voisins européens. Alors que près de 80 % des parlementaires français ont un mandat local, c’est le cas de seulement 24 % des parlementaires allemands, de 20 % des espagnols, de 13 % des italiens, de 6 % des hollandais, et de 3 % des britanniques. Je ne suis pas persuadé que cette particularité soit le gage d’une plus grande disponibilité démocratique.
Aller vers une limitation du cumul des mandats, c’est plutôt, me semble-t-il, aller dans le sens de l’Histoire.
Jusqu’en 1985, il n’existait aucune limite. C’est le gouvernement Fabius, en cohérence avec la mise en œuvre de la décentralisation, qui imposa une première série de restrictions, mettant fin aux cumuls les plus notoires. C’est le dispositif adopté en 2000, sous le gouvernement Jospin, qui limita le cumul entre deux fonctions parlementaires, ainsi qu’entre trois fonctions électives locales. Nous sommes partis de très loin ; aujourd’hui, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape indispensable.
Mes chers collègues, nous n’avons pas systématiquement vocation à perpétuer les traditions. Nous devons plutôt, lorsque c’est utile, tenter de rompre avec elles. Je pense, au regard des nécessités de notre temps, que voter le présent projet de loi organique, c’est renforcer le Sénat, et non l’affaiblir, c’est améliorer son image, et non la ternir.
La défense du bicamérisme, lequel est absolument indispensable à notre vie démocratique, n’est pas la défense du conservatisme. Pour le faire vivre, il nous faut le réformer, le moderniser, ce qui implique parfois une modification de nos méthodes de travail parlementaire. C’est le gage d’une plus grande efficacité, dans un monde qui exige des adaptations de plus en plus rapides.
Au-delà du projet de loi organique, c’est cette belle ambition qui doit guider nos choix présents et à venir.
Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.
M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà longtemps que j’ai quitté Sciences Po, mais, si j’en crois mes souvenirs, confirmés par les interventions de certains orateurs, la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
Je vous le demande, mes chers collègues, comment le Sénat pourra-t-il encore représenter les collectivités territoriales si l’on interdit aux élus qui sont à leur tête d’y siéger ? Certes, les élus locaux, qui composent l’essentiel du corps électoral pour les élections sénatoriales, pourront toujours élire de simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Mais en quoi ces élus, qui participent aux délibérations des assemblées locales mais ne sont pas au cœur des problématiques de mise en œuvre sur le terrain de la loi et des normes, pourront-ils porter au Parlement la voix spécifique des collectivités ?
Je vous laisse imaginer où nous en serions sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que la commission des lois étudie actuellement en vue de la deuxième lecture, si le texte n’était examiné que par de simples conseillers municipaux. Aurions-nous pu effectuer le travail très important qui a été mené par notre rapporteur René Vandierendonck si nous ne disposions pas de l’expérience de gestion des collectivités territoriales qui est la nôtre ? Certainement pas ! Nous aurions abouti à un monstre technocratique !
Avez-vous déjà vu l’un de nos concitoyens, confronté à un problème dans sa commune, demander un rendez-vous à un simple conseiller plutôt qu’au maire ou à l’adjoint ayant la délégation dans le domaine concerné ? Bien sûr que non !
M. le ministre nous a déclaré voilà quinze jours, avec – il faut bien le dire – le zèle du repenti, que les Français voulaient « des maires à plein temps et des parlementaires à plein temps ». Dont acte !
Mais alors pourquoi les grands électeurs s’obstinent-ils dans bien des cas à donner la préférence au maire ou au président de conseil général candidats aux élections sénatoriales plutôt qu’au simple conseiller municipal ou départemental et, a fortiori, au candidat ne détenant aucun mandat électif ? Parce que les premiers sont naturellement mieux connus ? Sûrement ! Mais tout aussi sûrement parce que les électeurs, qui sont souvent bien éloignés des combines et calculs politiques auxquels on assiste parfois – mais bien évidemment pas avec ce texte…
Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
On nous rétorque qu’il est très difficile, voire impossible, d’assumer pleinement à la fois son mandat de maire et son mandat de parlementaire. Et l’on trouve des exemples qui semblent le démontrer. Mais il y en a autant, sinon plus, qui prouvent exactement le contraire.
Loin de moi l’idée de vouloir personnaliser le débat, mais, à en croire l’étude que L’Express a publiée fort à propos la semaine dernière, notre rapporteur représente un « modèle de non-cumul », puisqu’il n’exerce aucun mandat autre que celui de sénateur.
Quelle chance pour le Gouvernement que ce soit lui qui ait été désigné rapporteur de ce texte : voilà bien le premier projet de loi d’une telle importance au sujet duquel le rapporteur ne propose aucune modification par rapport au texte initial !
Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Et quelle diligence dans l’instruction du projet : auditions du ministre et de quelques constitutionnalistes le mardi après-midi et présentation du rapport bouclé dès le lendemain matin à la commission compétente ! Le rapporteur a effectivement fait en toute indépendance un travail sans comparaison avec ce qu’aurait fait un sénateur cumulard, qui, lui, a besoin de dormir la nuit entre le mardi et le mercredi !
Mêmes mouvements.
Quelques jours de travail suivis d’une procédure d’examen accélérée devant le Parlement, et le tour est joué : plus de sénateur-maire ou de député-maire !
Cherchez l’erreur : quelle sera la valeur ajoutée du Sénat si les sénateurs perdent leurs spécificités et ne sont plus adossés à ce qui leur donne aujourd’hui toute leur légitimité, c’est-à-dire l’exercice d’un mandat local, tout spécialement, dans un exécutif !
Certes, monsieur le ministre, vous nous faites remarquer que le sénateur-maire et le député-maire sont des spécificités françaises et qu’il faut désormais « aller dans le sens de l’Histoire » et « participer à ce beau mouvement de modernisation et de changement » que vous nous proposez. Dont acte !
Mais, et je le rappelle à l’orateur précédent, il existe une grande différence entre l’organisation politique et administrative de la France et celle des pays voisins : en France, tout ou presque procède de décisions centralisées prises à Paris, contrairement à ce qui se passe en Allemagne avec les Länder ou en Espagne avec les communautés autonomes. La plupart des démocraties occidentales ont une organisation qui laisse la part belle aux échelons locaux et fait de leurs élus les contrepoids nécessaires à la toute-puissance du pouvoir central.
Allez donc demander aux présidents de conseil départemental quelle est aujourd'hui leur marge d’autonomie quand ils n’ont même plus les moyens de financer les dépenses obligatoires que leur impose l’État !
Et qu’en sera-t-il demain, une fois le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles voté et le Haut Conseil des territoires institué ? Présidée par le Premier ministre, cette instance aura pour mission – cela figure dans le texte – d’assurer la concertation entre l’État et les collectivités territoriales. Le Sénat apparaîtra alors comme inutile, voire redondant. La boucle sera bouclée : le Gouvernement aura dès lors tous les pouvoirs avec sa majorité politique à l’Assemblée nationale, et le Sénat n’aura plus lieu d’être. Les collectivités territoriales seront représentées ailleurs, au sein du nouvel organe, par quelques notables locaux désignés dans les conditions fixées par un décret gouvernemental.
Et qu’en sera-t-il des incompatibilités horizontales, auxquelles on ne touche pas ? Le maire d’une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants pourra toujours présider sa communauté urbaine, alors que l’adjoint au maire d’une commune de cent cinquante habitants – je n’ose pas parler d’une commune de neuf habitants, comme la plus petite commune de la Marne – ne pourra pas être en même temps sénateur, trop occupé qu’il sera par l’exercice de son mandat local… Mais de qui se moque-t-on ?
À qui veut-on faire croire cela ?
Certes, cela permettra de renouveler plus qu’aujourd’hui le personnel politique ; de ce point de vue, c’est certainement un progrès. C’est pourquoi il ne s’agit pas pour nous de dire : « Tout va très bien ; circulez, il n’y a rien à voir ! » Il faut effectivement tenir compte de la charge de travail croissante que représente pour nombre d’élus l’exercice de leur mandat. Nous devons aussi mieux nous préoccuper du renouvellement du personnel politique – je reprends une expression que l’on entend parfois –, y compris des sénateurs.
Plusieurs amendements seront donc proposés en vue de moderniser le Sénat, et non de supprimer ses spécificités, comme le voudraient les auteurs du présent projet de loi organique, démarche qui aboutirait à court ou à moyen terme à la disparition pure et simple de la Haute Assemblée et à l’extinction de la voix spécifique des collectivités territoriales au Parlement.
Nous ne pouvons pas l’accepter, sauf à vouloir rompre l’équilibre de nos institutions et aggraver la soumission du Parlement au Gouvernement. Or, précisément, cela, nous n’en voulons pas !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où j’interviens, beaucoup a déjà été dit, d’ailleurs brillamment, notamment par Jacques Mézard, Philippe Bas ou Gérard Larcher.
Nos collègues ont exposé les arguments qui nous conduisent à contester votre réforme, monsieur le ministre. Mais ce que j’ai trouvé le plus indélicat, pour ne pas dire pire, c’est la manière dont vous avez traité l’institution sénatoriale à cette tribune alors que vous représentez à ce banc le Gouvernement ! Je me permets simplement de reprendre les mots qui ont été les vôtres : « Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale qui, en première lecture, […] a nettement adopté ce texte par 300 voix. Ce mouvement est inéluctable. »
Permettez-moi de vous rappeler un événement déjà un peu ancien. Au mois de janvier 1995, Jacques Chirac, alors candidat à la présidence de la République, était au plus bas dans les sondages, et tout le monde donnait un autre candidat déjà élu. Souvenez-vous alors de cette apostrophe de Philippe Séguin : « Arrêtez de croire qu’il va y avoir une élection présidentielle ! Arrêtez de croire qu’il va y avoir une campagne, un débat, des explications, toutes choses si vulgaires ! Le vainqueur a déjà été désigné. Proclamé. Fêté. Encensé. Adulé. Il est élu. Il n’y a pas à le choisir ; il y a à le célébrer. Ça n’est pas la peine de vous déranger. Circulez, il n’y a plus rien à voir! » On a vu ce qu’il en était quelques mois plus tard…
Voilà, monsieur le ministre, ce que vous avez déclaré cet après-midi. C’est probablement ce qui est le plus insupportable de la part d’un ministre de la République, de surcroît investi des fonctions qui sont les vôtres. Vous êtes chargé non seulement, bien évidemment, de la sécurité, mais également des collectivités territoriales ; dans cet hémicycle, vous êtes un élu parmi les élus.
J’aimerais vous faire part d’un autre souvenir. L’un de mes prédécesseurs à la tête de ma commune était un sénateur socialiste. Peut-être certains d’entre vous l’ont-ils d’ailleurs connu. Je fais référence à M. Roland Bernard, qui était maire de la ville d’Oullins, 26 000 habitants, et sénateur du Rhône en même temps. Il a perdu sa mairie, comme cela peut arriver, dans le cadre d’une élection municipale partielle en 1990. Lors du renouvellement sénatorial suivant, en 1995, son parti ne lui a pas accordé l’investiture, estimant qu’un candidat n’exerçant plus de mandat local n’avait plus de légitimité pour être candidat au Sénat et représenter les collectivités territoriales. »
En d’autres termes, dans l’esprit de nos institutions, la Haute Assemblée est bien la chambre de nos collectivités et de nos territoires. Tout le monde a bien rappelé ici les fondements de la distinction entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Voilà ce qui fait la richesse de notre Parlement et de notre organisation institutionnelle, reconnue par notre Loi fondamentale.
Nous sommes d'accord pour envisager des réformes. Il faut rediscuter, avancer. D’ailleurs, avec notre collègue Georges Labazée, nous avons remis un rapport sur le sujet à la demande de la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Mme Jacqueline Gourault. Nous avons dressé des constats simples. Tout à l’heure, M. le ministre a invoqué certains titres du rapport pour pouvoir railler nos travaux. Mais il n’est pas entré dans le détail de nos propositions…
Je voudrais attirer votre attention sur un point. Ce n’est pas une réforme que vous engagez : outre que vous programmez à terme la suppression du Sénat – notre collègue Gérard Larcher l’a rappelé –, vous vous livrez à des arrangements et à des petits calculs électoraux.
Si vous aviez véritablement voulu moderniser notre vie politique, vous auriez abordé de nombreux autres sujets. Par exemple, le cumul des fonctions est bien plus insupportable que le cumul des mandats. Combien d’entre nous président, au titre de leur mandat de maire, de président d’établissement public de coopération intercommunale ou de parlementaire, une société d’économie mixte ou un office public d’aménagement et de construction ? Je pourrais encore vous citer bien d’autres occupations diverses et variées extrêmement chronophages ! Voilà un sujet qu’il aurait fallu traiter ; avec Georges Labazée, nous avions émis des propositions dans notre rapport. Je ne vois rien de tel dans votre texte.
Vous auriez également pu évoquer le cumul de certains mandats de manière transversale. Dans le cadre de nos travaux, nous avons constaté de grandes disparités : la situation des élus cumulant deux mandats locaux est bien plus intéressante, du point de vue de la réalité du pouvoir et des indemnités, que celle d’un élu local en même temps parlementaire. Nous avons même découvert que certaines indemnités n’étaient pas déclarées par un grand nombre d’élus – j’ignore s’il s’agit d’omissions volontaires… –, échappant ainsi parfois aux règles de l’écrêtement, faute d’un dispositif opérationnel permettant de véritablement contrôler qui fait quoi dans les territoires.
Nous avons formulé des propositions ; le projet de loi organique, lui, est totalement muet sur toutes ces questions.
Je précise d’ailleurs que nos travaux avaient débuté avec Mme Voynet, sous la précédente mandature. Si vous n’avez pas lu notre rapport, vous pouvez aller le retirer à la distribution ; il est à votre disposition.
Voilà ce que je tenais à dire sur le cumul des fonctions.
La semaine dernière, le journal L’Express a publié un dossier sur le cumul des mandats. Nos concitoyens auront du mal à se forger une opinion sérieuse à partir des déclarations de cet hebdomadaire, qui ne tiennent pas longtemps la route. Elles contiennent des aberrations, voire des contrevérités. De plus, un certain nombre d’élus sont placés sur le banc des accusés d’une manière qui est globalement injuste. Je tenais à le rappeler, car ce qui nous a été présenté relève tout simplement du populisme.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous faire part, en sachant que tout cela a déjà été dit, et sans doute plus brillamment.
Il aurait cependant été possible d’aller beaucoup plus loin, au fond des choses, en nous concentrant sur nos objectifs, c'est-à-dire une plus grande disponibilité de nos élus, des agendas mieux organisés, plus d’assiduité.
Nous aurions aussi pu commencer par toiletter le règlement de nos assemblées, par balayer devant notre porte…
… afin de mettre un peu d’ordre sur ce sujet. Le président Larcher a essayé, …
… il a fait avancer les choses. Mais nous savons d’où sont venus les blocages…
On ne peut donc pas tout mettre sur le dos du cumul des mandats, en agitant, à la veille des élections municipales, une population qui, déjà, fait l’amalgame entre cumul des mandats et cumul des indemnités. En ajoutant à tout cela l’affaire de votre collègue Cahuzac et en mélangeant bien, on obtient une situation politique de circonstance bien intéressante, dont on espère tirer les fruits le moment venu, au moment des élections.
Ce n’est pas comme cela que l’on doit réformer la République et nos institutions ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur représente une véritable mutation démocratique dans notre pays, où le cumul des mandats est une caractéristique de la vie politique.
Il s’agit bien, en effet, d’une spécificité française, ainsi que le démontre indiscutablement la comparaison avec les grandes démocraties. Dans tous ces pays, le cumul est extrêmement faible, atteignant au maximum 20 %. En France, six parlementaires sur dix exercent en même temps une fonction exécutive locale, huit sur dix, un autre mandat. Et cette réalité n’a cessé de progresser dans l’histoire de notre République.
Cette spécificité française, qui concerne l’ensemble du territoire, s’est imposée dans les faits, petit à petit, à bon nombre d’entre nous. Elle nous oblige à revoir notre manière d’exercer nos responsabilités politiques.
Dans cette période où nous voyons croître la défiance des citoyens quant à la capacité de la classe politique à répondre à leurs attentes, et alors que cette relation de confiance est de plus en plus fragile, il me semble nécessaire de réfléchir à une nouvelle manière de concevoir la vie politique en France.
Depuis trente ans, les lois de décentralisation ont très fortement modifié l’exercice d’un mandat local et l’ont rendu de plus en plus complexe, nécessitant de plus en plus d’expertise et de disponibilité pour écouter les citoyens, comme pour accompagner des projets.
Dans le même temps, le mandat national, lui aussi, est chronophage et exigeant. Chacun le sait, si nos agendas du mardi, du mercredi, parfois du jeudi, sont aussi compliqués à bâtir, c’est parce que toutes les réunions se tiennent durant ces quelques jours.
C’est parce que, à partir du mercredi soir, nombre d’entre nous retournent dans leur circonscription, …
La question du non-cumul a été maintes fois posée. Les lois organiques de décembre 1985 et d’avril 2000, portées par des majorités de gauche, ont constitué de premières avancées. Elles ont, en effet, limité les possibilités de cumul en mettant fin à la possibilité d’être simultanément maire, président de conseil général, président de conseil régional, député ou sénateur et même parlementaire européen !
Aujourd’hui, il semble nécessaire, pour nos citoyens, d’aller plus loin. C’est la volonté du Président de la république, c’est également la volonté de nombre d’entre nous, en particulier à gauche.
Cette avancée démocratique, la gauche ne saurait la limiter à ses propres élus. Une même loi s’appliquera donc à tout le monde, en même temps et dans les mêmes conditions, non en limitant, cette fois-ci, mais bien en supprimant le cumul d’un mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local.
Ce changement, qui concerne une grande majorité d’entre nous, est un changement fort. Il emportera des conséquences directes sur notre vie, sur le renouvellement de la classe politique, sur la manière même de concevoir et de faire de la politique, et cela tant sur un plan personnel que sur un plan plus technique, « professionnel », pourrait-on dire.
La vie politique est en pleine évolution, grâce au projet de loi sur la réforme des collectivités locales, dont nous débattons depuis quelques semaines, grâce à la parité dans les conseils départementaux et, désormais, dans les communes de plus de 1000 habitants, que nous avons votée, grâce à l’élection au suffrage universel des représentants communautaires, votée également. Ce projet de loi de non-cumul s’inscrit dans cette dynamique, dans cette évolution.
J’entends ceux qui pensent que l’interdiction de cumuler va diminuer l’enracinement des parlementaires. En aucun cas, pourtant, ce projet de loi n’interdit à un parlementaire de poursuivre son implication dans une équipe locale. La dynamique sera différente, le parlementaire ne sera plus l’animateur de l’équipe locale, mais, n’en doutons pas, il s’insérera toujours dans la dynamique de la collectivité, il accompagnera une nouvelle génération dans les responsabilités politiques, …
… il apportera une vision nationale à l’équipe locale, et il nourrira sa vision d’élu des expériences locales afin d’alimenter le débat national. Dans cette nouvelle dynamique, quelle que soit la taille de la commune ou de l’EPCI, le parlementaire ne pourra plus être le leader exécutif local.
La souplesse chronologique dans la mise en place du non-cumul permet à chacun de s’organiser, ou, pour le moins, d’établir un plan d’action afin de se trouver en situation de non-cumul au bon moment. Je sais d’expérience que cette souplesse est nécessaire car, comme je le disais en introduction de mon propos, le non-cumul est une réelle évolution pour chacun d’entre nous, mais aussi pour tous ceux qui font, ou veulent faire, de la politique.
(Mme Corinne Bouchoux opine.) ; plus de temps pour exercer nos mandats, mais pas encore plus de moyens ou de protection.
Mme Corinne Bouchoux opine de nouveau.
Les mandats se succéderont, au lieu de se cumuler, et les parlementaires que nous sommes disposeront, sans aucun doute, de plus de temps pour se consacrer à la richesse d’une session parlementaire. §
À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault sur la problématique du statut de l’élu marquait les prémices de cette évolution. Ce travail doit se poursuivre, en parallèle de celui que nous accomplissons aujourd’hui. Le statut de l’élu est en effet incontournable pour l’évolution démocratique que nous appelons de nos vœux. Cela ne concerne que peu, il est vrai, les parlementaires que nous sommes, qui avons droit à une sécurité sociale, une retraite…
Enfin, il semble nécessaire de réfléchir aux moyens de travail dont doivent bénéficier les parlementaires pour exercer leurs missions. Aujourd’hui, si nous ne nous battons pas plus pour cela, c’est parce que nombre d’entre nous, faute d’en bénéficier comme parlementaires, trouvent ces moyens au sein des exécutifs locaux.
Une fois la loi sur le non-cumul mise en application, nous aurons besoin de moyens supplémentaires, et nous devrons l’expliquer. Nous devons tout à la fois faire la loi, en évaluer les effets et l’effectivité, contrôler l’activité du Gouvernement : cela mérite de disposer de temps et de moyens.
J’avais commencé mon propos en vous parlant de mutation démocratique, eu égard à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il s’agit en réalité d’une étape, afin que nous parvenions à maintenir le dialogue avec nos citoyens et que nous confortions nos institutions démocratiques.
Notre société n’est pas figée, nos institutions non plus, et la vie politique accompagne ce mouvement. Le changement est nécessaire, il est réclamé par nos concitoyens. §Nous devons, chaque jour, nous réinventer, nous assurer que nous jouissons toujours de leur confiance, et traduire concrètement leurs nouvelles exigences, même si cela est parfois difficile.
C’est donc la manière de faire qui changera. Nous articulerons mieux le travail parlementaire et le dialogue avec les citoyens sur le terrain. Nous articulerons mieux l’élaboration de la loi et la réalité dans nos circonscriptions.
Cette loi renforcera l’image et la fonction parlementaires. Elle participe ainsi à la rénovation de notre vie politique. §
Je voudrais également m’adresser à mon collègue Jean-Pierre Sueur, dont j’ai beaucoup apprécié l’intervention. Il a fait la démonstration que, pendant trente ans, dans notre département – nous avons la chance d’être issus du même –, il a rencontré de grandes difficultés pour cumuler plus d’un an et demi.
En revanche, les mêmes électeurs ont décidé que moi, qui le côtoie dans mes fonctions politiques locales depuis trente ans, je devais cumuler pour être performant !
Mon cher collègue, je ne crois pas qu’il s’agisse vraiment des mêmes électeurs !
Cela n’entrave pourtant pas notre amitié ni les bonnes relations que nous entretenons sur le terrain.
Je voudrais également remercier mon collègue Bruno Retailleau, qui m’a fait don de son temps de parole.
J’ai préparé une courte intervention et je me suis posé quelques questions. Qu’est-ce qui conduit le Gouvernement à nous jeter des leurres en permanence et à nous détourner de l’essentiel ?
Le principal sujet de préoccupation des français, en septembre 2013, est-il la transparence ou le cumul des mandats de leurs parlementaires ?
… sur le chômage, l’emploi, la sécurité, la fiscalité, la complexité administrative, les poids des charges, ou encore la compétitivité ?
Monsieur le ministre, observez bien les actuels mouvements de rue, les grèves qui s’enchaînent, les pétitions qui circulent, la mauvaise humeur des contribuables, des entrepreneurs, ou des commerçants agressés. Voyez ce qui se passe à Nice, à Marseille
M. Claude Bérit-Débat s’exclame.
Il est vrai que le nouveau Président avait promis de renforcer la République exemplaire. Cela n’a nullement empêché un ministre du budget de frauder le fisc. Il faut donc faire croire aux Français que leurs malheurs viennent du cumul, les médias s’en chargent actuellement. §
Lorsqu’on prend connaissance du projet de loi organique et de toutes déclarations qui fleurissent dans les médias et lorsqu’on voit la manière dont on oriente, voire manipule l’opinion, on peut vraiment s’interroger sur les véritables objectifs des concepteurs de ce texte et sur la fiabilité de leurs arguments.
N’y a-t-il pas beaucoup d’hypocrisie et d’arrière-pensées ?
Loin de moi l’idée de prétendre qu’il n’y a ni anomalies, ni abus, et qu’aucune amélioration ne doit être apportée. Cependant, la manière dont le sujet est abordé suscite de multiples interrogations. Comme toujours, on traite non pas le fond, mais seulement la forme.
Le PS, qui, comme d’autres bien sûr, a beaucoup péché en matière de cumul, veut-il se faire pardonner ?
Comment expliquer que ce parti, qui est en tête de tous les classements des grands cumuls, se veut aussi radical dans ses propositions ? Y a-t-il des règlements de comptes en vue ?
Le Président de la République, qui a fait partie de ceux qui cumulaient beaucoup, est aujourd’hui, comme par un hasard heureux, à la tête de la meute qui traque cette catégorie aujourd’hui honteuse, celle des cumulards ! Il a été touché par la grâce ! Il fait partie des repentis, avec vous, monsieur le ministre, comme notre collègue Jacques Mézard en a fait tout à l'heure la démonstration. §
M. Éric Doligé. Nous voilà face à un syndrome bien connu, qui consiste, pour quelqu’un qui manque de force de caractère ou se trouve en situation de dépendance, à supplier son prochain afin de se protéger de ses propres turpitudes.
M. Michel Vergoz s’exclame.
Ce n’est pas nouveau : vous connaissez ces joueurs invétérés qui se font interdire de casino.
Nous découvrons aujourd’hui une nouvelle race à protéger : les parlementaires tentés par le cumul ! Vincent Eblé vient de nous en faire la démonstration en disant : « Nous ne pouvons pas l’appliquer seulement aux socialistes, donc nous allons l’appliquer à tout le monde ».
Nous avons déjà entendu, il y a quelques mois, la chanson de « l’exemplarité ». Les membres du Gouvernement étaient, par définition, des héros de l’honnêteté. Subitement, est apparue l’affaire Cahuzac, puis le texte sur la transparence. Le débat qui a suivi nous a clairement montré que la majorité voulait de la transparence, mais pas trop…
Face à la grogne des Français, qui croulent sous les prélèvements, la complexité administrative ou les ras-le-bol en tous genres, il fallait faire diversion, et voilà cette belle affaire du cumul.
Avant d’en revenir à quelques aspects de ce texte qui, nous le savons, est très attendu et va changer la vie des Français
Sourires sur les travées de l’UMP.
La courbe du chômage, selon le Président et ses ministres, et ce malgré les analyses contraires de l’INSEE, de l’OCDE, et de bien d’autres encore, devait baisser avant l’été, puis avant la fin de l’année 2013. Quelle belle promesse, répétée ! Promesse non tenue et intenable du fait de choix destructeurs. Nous constatons que les agences de Pôle emploi rayent des chômeurs à jet continu, sur instruction. Par ailleurs, la course aux emplois aidés est engagée, il faut en inscrire un maximum avant la fin de l’année. Je pense que le Sénat devrait lancer une commission d’enquête sur ce sujet. §
Il est vrai qu’il n’a jamais été dit que le chômage devait baisser, mais seulement que la courbe de la progression devait s’inverser, ce qui n’implique pas une baisse. Le Gouvernement part toutefois à l’assaut avec des sabres de bois. Les emplois d’avenir, qui n’ont d’avenir que le nom, les contrats de génération, le crédit d’impôt aux entreprises, dont on sait comment il fonctionne... Tout cela est compliqué et coûteux, et ne fait qu’illusion.
Où est l’embellie promise, qui doit nous sortir de cette spirale infernale ? La fin du cumul va-t-elle enfin chasser les nuages ?
Les impôts ne devaient pas augmenter.
On a vu ce qu’il en a été. Depuis, on est entré dans l’ère de la pause, dont on sait qu’elle est totalement improbable, avec la hausse de la TVA et la suppression de certaines politiques familiales ainsi que l’autorisation donnée aux départements d’augmenter leurs impôts pour combler les faiblesses de l’État.
Dimanche, le Président annonçait la pause en 2014 ; hier, on apprenait que ce serait en 2015.
En augmentant les prélèvements, le Gouvernement affaiblit la compétitivité des entreprises.
Je sais que vous êtes dérangés lorsqu’on vous dit certaines choses. Ce n’est pas grave !
Je repense en cet instant à une possibilité qui pourrait être ouverte d’explorer une piste d’économies. Chaque année, la facture énergétique nous coûte 68 milliards d’euros. Ne pourrait-on chercher à comprendre comment exploiter l’huile et le gaz de schiste ? Nos deux collègues Jean-Claude Lenoir et Delphine Bataille viennent de nous offrir l’opportunité de rechercher des solutions sans nuire à l’environnement.
Et puis, il y a le modèle américain. Ayant actuellement des affinités avec le Président Obama, le Président de la République pourrait lui parler de cette question...
Il n’en est rien, nous avons une idée géniale pour faire des économies et donc baisser la pression fiscale : mettre en place la fin du cumul des mandats des parlementaires. Cela n’aura aucun effet. Bien au contraire !
Abordons maintenant la sécurité, vaste sujet qui pourrit la vie quotidienne des Français.
Il y en a un, écoutez-moi !
« Je vais déclarer la guerre à la barbarie à Marseille », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. C’était là l’une des grandes promesses-annonces, répétée d’ailleurs en boucle.
Les jours se suivent et se ressemblent : toujours plus d’agressions et de violence. La délinquance et la criminalité progressent. La violence ne cesse d’augmenter.
De manière subliminale, on fait croire aux habitants de ces communes qu’un maire qui ne cumulera plus cette fonction avec un mandat parlementaire aura plus de temps pour s’occuper de la question de la criminalité dans sa ville.
Non, c’est la réalité ! Vous êtes en permanence en train de faire croire aux Français que nous n’arrivons pas à diriger nos communes parce que nous cumulons !
Finalement, au travers de ces trois sujets, je ne me suis pas vraiment éloigné de celui qui nous occupe, à savoir le cumul des mandats des parlementaires.
Qu’y a-t-il de si honteux dans le cumul des mandats ? Les fonctions cumulées ? Les indemnités qui s’additionnent ? L’impossibilité de remplir ses missions ? Le risque d’absentéisme ?
D’ailleurs, est-ce une spécificité des parlementaires ? Il est évident que non.
J’évoquerai le cumul des mandats des élus en général, mais nombre de catégories de citoyens cumulent, et ce dans des secteurs très variés. Si je les cite, c’est non pas pour les montrer du doigt – à mes yeux, le mot « cumul » n’est pas honteux en soi –, mais parce que ce sont les sous-entendus qui donnent parfois à ce terme une connotation très négative. Nous sommes là au cœur du sujet, avec le coupable cumul des parlementaires. Peut-être faudrait-il démystifier le cumul ?
Dans tous les secteurs associatifs, des présidents cumulent des mandats au niveau local, départemental, régional, national et dans de multiples commissions pour défendre leurs associations.
Dans les grands conseils d’administration, des chefs d’entreprise s’adoubent parce qu’ils souhaitent profiter de leur savoir-faire et de leurs réseaux.
Chez nos amis les pompiers, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, certains ont des responsabilités multiples, syndicales, associatives. Tout en étant professionnels durant 96 gardes de 24 heures par an, ils peuvent également, les autres jours, être volontaires dans un ou plusieurs centres.
Nombre d’enseignants publics donnent également des cours dans des structures privées.
N’y a-t-il pas de réels cumuls dans le monde des médias ?
Dans tous les domaines, vous pourrez trouver des cumuls de fonctions, de métiers et de revenus ou d’indemnités. Est-ce honteux ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Parmi les élus, vous avez fléché uniquement les parlementaires. Pourquoi ne pas évoquer les élus non parlementaires ? Cela aurait été plus transparent et plus courageux.
Comme cela a été souligné, de nombreux élus locaux cumulent parfois plus de fonctions que les parlementaires. De plus, la règle du cumul des indemnités à une fois et demie celle du parlementaire ne leur est pas appliquée ou rarement.
Trouvez-vous normal que des élus, parfois au plus haut niveau – puisque c’est le cas du Président de la République ! –, puissent être placés en détachement auprès de collectivités, afin de pouvoir bénéficier d’avantages, notamment en matière de progression de carrière et de retraite ?
Faut-il légiférer pour faire découvrir aux Français que l’on peut avoir commencé au bas de l’échelle à la Cour des comptes et franchir tous les échelons sans y mettre les pieds et toucher la retraite maximale ? On dit que tout travail mérite salaire. Dans le cas présent, il est possible d’avoir une retraite à taux plein sans avoir travaillé. Est-ce normal ?
Monsieur le ministre, vous avez choisi, à la demande du Président de la République, de supprimer tout cumul de fonctions exécutives avec un mandat de parlementaire. Dans la mesure où, en dépit des réticences du Sénat et de nombre de vos collègues du parti socialiste, l'Assemblée nationale imposera, comme vous l’avez dit dans votre intervention liminaire, le texte, nous pouvons essayer de l’améliorer.
Pour ma part, je défendrai quelques amendements visant à souligner certains aspects.
En premier, je considère que, si l’on doit réorganiser le cumul des fonctions, on ne doit pas prendre des dispositions maximalistes et irréversibles.
On est en droit de se poser une multitude de questions légitimes, qui n’ont pas été traitées. Nous sommes plus dans la précipitation et la pression que dans la réflexion.
Monsieur le ministre, souhaitons que ce débat évite de dresser une caricature des parlementaires. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une société hypermédiatisée, il faut bien sûr trouver des boucs émissaires. Je vous conseille à tous – je dis bien « tous » ! – de relire la fable intitulée Les Animaux malades de la peste.
La crise de la représentation dont nous voyons l’aggravation dans tous les secteurs de la vie non seulement politique, mais également économique et sociale – il existe une véritable crise de la représentation ! – tiendrait, paraît-il, à une raison unique pour ce qui concerne les parlementaires : le cumul des mandats. D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens critiquent plus le cumul des indemnités que celui des mandats. Ainsi que l’a très justement noté précédemment le président Rebsamen, ils ne font pas vraiment la distinction entre les deux.
Dans ce cas, il convient aussi de s’attaquer au cumul des indemnités de certains barons locaux, qui ne sont pas parlementaires. Monsieur le ministre, je pourrais vous donner quelques exemples qui montrent que la multiplication des indemnités ne se justifie pas vraiment.
Certes, la décentralisation, qui a confié aux collectivités locales de nouvelles responsabilités, autrefois assumées par l’État, a vu émerger des fonctions de plus en plus lourdes et sans doute aujourd’hui peu compatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Notre excellent collègue de Seine-et-Marne a indiqué précédemment qu’il se repentait presque d’avoir été président de conseil général et parlementaire ; il a, me semble-t-il, quitté l’hémicycle.
Certains se vantent de ne pas cumuler de mandats. Voilà qui est formidable ! Mais je me méfie des repentis. Pour ma part, je me garderai bien de vous faire part de mon expérience personnelle – il faut garder une certaine humilité, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, si ce n’est pour vous dire que, depuis 1986, j’ai assumé à la fois un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales. Je suis un affreux ! §Cependant, toutes ces fonctions, quelles qu’elles soient, ont nourri, je vous l’assure, à la fois ma réflexion de législateur et mon expérience de gestion locale.
Néanmoins, ce qui m’a toujours frappé, c’est la manière dont le Sénat aborde les questions relatives aux collectivités locales, mais pas seulement, monsieur le président Sueur. Voyez ce qu’il en est des textes concernant l’enfance. Des maires se retrouvent aussi confrontés à ces difficultés. Tout cela compte. Notre assemblée est révélatrice de la compétence et de l’expérience de beaucoup de nos collègues.
Pourtant, nos collègues députés sont aussi « cumulards » que nous. Pourquoi ne consacrent-ils pas autant de temps et de minutie à améliorer la législation ? Cela tient au fait qu’ils n’ont pas tout à fait les mêmes préoccupations que nous ! Ceux d’entre nous qui ont été député le savent bien. Certains n’accordent de l’importance qu’au créneau de quinze à seize heures des mardis et mercredis !
Il faut se poser la question : Pourquoi le cumul des mandats, pourtant limité en 1985 et en 2000, avec l’accord du Sénat…
… – je ne me souviens pas de la loi de 1985, mais les dispositions de la loi organique de 2000 ont été votées en termes identiques par les deux assemblées –, n’a pas vraiment cessé, ou, plutôt, s’est étendu en raison, notamment, du développement de l’intercommunalité et du démembrement des collectivités locales dans d’innombrables institutions. Et avec la métropole de Paris, on ne pourra plus faire que cela !
Ce cumul s’explique par le besoin d’une implantation. C’est ainsi que cela se passe. On fait confiance aux personnes reconnues localement pour accéder au mandat de parlementaire.
Pourquoi serait-ce choquant et scandaleux ? Je ne pense pas qu’il en soit ainsi, à condition toutefois de ne pas cumuler trop de mandats et fonctions au point de ne plus pouvoir exercer pleinement chacun d’entre eux.
Faut-il interdire totalement le cumul du mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales, le limiter, et faut-il réserver un traitement particulier au Sénat ?
Tout d’abord, il n’est pas prouvé, même si des contre-exemples existent, que l’exercice de fonctions locales empêche d’assumer pleinement un mandat parlementaire. C’est une question d’organisation et de disponibilité. Il ne faut pas non plus prendre trop de loisirs !
Je réponds par là même à l’interview de M. Sutour ce matin. De ce point de vue, le rapport de notre collègue n’est pas totalement pertinent.
Pour avoir cosigné, avec plusieurs de mes collègues, une proposition de loi interdisant aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale importante – présidence d’un conseil général ou régional, maire d’une grande ville, présidence d’une communauté d’agglomération, etc. –, j’estime que nous devrions plutôt nous engager dans cette voie. C’est d’ailleurs ce que nous proposons, d’autant que la limitation du cumul des indemnités serait liée à celle du cumul des mandats.
Toutefois, la question importante sur laquelle vous avez longuement insisté, monsieur le ministre, monsieur le président Sueur, est relative à la spécificité du Sénat.
On nous brandit la perspective apocalyptique d’un abaissement du Sénat si l’on adopte la disposition visant à réserver un sort particulier aux sénateurs. Or si abaissement il y a, il est largement dû à l’absence de majorité dans notre assemblée et à la manière dont les choses se passent depuis quelques mois. §
M. Jean-Jacques Hyest. Même si cela ne s’est pas passé sans difficulté avec le général de Gaulle, la Constitution de la Ve République avait redonné au Sénat, à comparer avec le Conseil de la IVe République, un rôle équivalant à celui de l’Assemblée nationale : il est législateur comme l’Assemblée nationale, tout en assurant, de surcroît, la représentation des collectivités locales. La règle du dernier mot donné à l’Assemblée nationale n’est donc que subsidiaire, même si elle a été très utilisée au cours des derniers mois. Le recours à la procédure accélérée pour l’examen des textes devient presque une habitude.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Certes, tel n’a pas été le cas pour le projet de loi relatif aux métropoles, mais, sur un tel texte, il était difficile de recourir à cette procédure. En ayant recours à la procédure accélérée quasiment sur tous les textes, il n’y a plus de dialogue entre les deux assemblées. Telle est la réalité !
Je suis d’accord pour déclencher cette procédure pour des textes simples n’exigeant pas de longs débats, mais je ne le suis pas pour tous les textes similaires à celui que nous examinons aujourd'hui.
Vous affirmez, monsieur le ministre, que la suppression du cumul des mandats va magiquement revaloriser le rôle du Parlement. La révision constitutionnelle de 1995 visait en théorie principalement – souvenez-vous-en, mes chers collègues qui étiez alors parlementaires – à réguler le travail parlementaire. Le Parlement devait siéger trois jours par semaine et un nombre maximum de jours de séance avait été fixé. Ces principes ont été oubliés, et tout s’est même accéléré. L’échec de cette révision est évident. La révision constitutionnelle de 2008, que la gauche avait pourtant refusée dans sa majorité, avait aussi pour objectif de revaloriser le Parlement. Malgré ces révisions constitutionnelles, avons-nous véritablement progressé dans le sens d’une République plus parlementaire ? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.
On connaît une inflation échevelée de la législation, mais on n’a, il est vrai, plus rien à dire : à partir du moment où l’on trouve une phrase dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, on ne devient que spectateur de la future législation.
Un spécialiste aussi avisé que Pierre Avril nous met en garde contre une réforme qui couperait la représentation nationale des élus locaux et, surtout, qui accélérerait la présidentialisation du régime. Aussi, je ne suis pas prêt à accepter le dogmatisme et le manichéisme dont beaucoup de rapports nous ont asséné la nécessité, au nom de la modernité.
D’ailleurs, je constate que les auteurs de ces trois rapports, MM. Balladur, Attali et Jospin – qui certes a été conseiller général –, n’ont jamais exercé de mandat exécutif local. Jamais !
En tout cas, Raymond Barre m’a toujours dit que le mandat de maire était sa plus belle expérience, et qu’il regrettait de ne pas l’avoir exercé plus tôt.
M. Manuel Valls, ministre. Pas d’attaque personnelle contre M. Hyest !
Sourires.
Nouveaux sourires.
Mes chers collègues, il semblerait que notre débat soit vain.
Je n’ignore rien des menaces qui pèsent sur la commune, au nom de la modernité : le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ainsi que le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové en sont les prolégomènes – nous en reparlerons. D’autres menaces pèsent sur le département, déjà asphyxié financièrement, avec l’invention du binôme.
Sourires sur les travées de l’UMP.
Demain, d’autres peut-être viseront le Sénat, qui pourtant a bien servi la République.
Monsieur le ministre, moi qui ai toujours défendu l’égale qualité de législateur du Sénat et de l’Assemblée nationale, je voterai les amendements instaurant une spécificité du Sénat en matière de cumul des fonctions exécutives locales. Je les voterai d’autant plus que votre projet de loi organique est sans nul doute un projet de loi organique relatif au Sénat, comme l’a très brillamment démontré notre collègue Philippe Bas !
Applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en prenant la parole, après de nombreux autres orateurs, dans ce débat sur le cumul des mandats, j’ai l’impression d’aborder une arlésienne, et sans doute l’une des plus anciennes de notre République, en tout cas pour ce qui est des dernières décennies.
Quelque respect que j’éprouve pour Alphonse Daudet, et pour Bizet qui s’est efforcé de mettre en musique son vaudeville, je ne suis pas mécontent que le Gouvernement nous offre la possibilité de mettre un terme à cette dispute en nous présentant un projet de loi organique et un projet de loi dont l’annonce – peut-on s’en étonner ? – figurait dans le programme du Président de la République.
Il me semble donc que nous sommes fondés à débattre de cette question, mais aussi à nous interroger sur les raisons qui poussent le Gouvernement à nous présenter ces projets de loi et qui peuvent nous pousser à les adopter.
S’il s’agissait de moraliser la vie publique, comme j’ai cru comprendre que certains le soutenaient, nous serions tous en droit de protester ; nous n’avons pas à rougir de tenir nos mandats, et parfois plusieurs mandats, de la confiance de nos concitoyens. De ce point de vue, du reste, il eût suffi d’interdire le cumul des indemnités pour régler le problème d’une manière claire, nette et définitive.
Si, en revanche, il s’agit de moderniser nos institutions politiques, parlementaires et locales, le débat mérite d’être repris, tant le malaise civique est profond. Je regrette d’ailleurs que cette question n’ait été évoquée qu’à la marge par les oratrices et les orateurs qui m’ont précédé.
Au fond, ce qui pose aujourd’hui question, c’est le fonctionnement de nos institutions, l’idée que nos concitoyens s’en font et l’écart, qu’ils perçoivent comme de plus en plus grand, entre ce que nous représentons et leur vie quotidienne.
Dans ces conditions, la limitation, voire l’interdiction, du cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat exécutif local sont-elles la solution ? La réponse est : oui et non à la fois.
Oui, si l’on veut bien considérer que, en réponse aux appels que nos concitoyens nous adressent, nous devons commencer à nous adapter et à mettre en place des règles accordées au temps présent.
D’où vient le cumul ? Il est, au départ, la conséquence de la centralisation de nos institutions. En effet, bondir au Parlement, à la Chambre des députés ou au Sénat était une manière pour l’élu local de pouvoir résister au préfet ou au ministre.
Paradoxalement, la décentralisation, qui aurait dû mettre un terme à ce phénomène, l’a presque accentué. C’est dire qu’il a une autre cause, qui tient à la dévalorisation de notre Parlement, lequel est le cœur même des institutions de la Ve République.
En d’autres termes, si l’on veut aujourd’hui renforcer la confiance que nos concitoyens portent à la politique et à leurs parlementaires, il faut à la fois interdire le cumul et supprimer la cause qui l’entraîne, c’est-à-dire l’insuffisance des moyens et des prérogatives propres de nos assemblées.
À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement n’ait pas présenté, ni même annoncé, une réforme d’envergure propre à satisfaire cette ambition.
Monsieur le président, monsieur le président du groupe socialiste, je souhaiterais que le président du Sénat se saisisse très rapidement de cette question, afin qu’une réflexion soit engagée qui débouche sur des propositions concrètes pour conforter la réforme sur le cumul des mandats en donnant à nos assemblées les moyens et les prérogatives qui leur manquent.
Certains orateurs ont prétendu que, si nous votions cette réforme, nous mettrions en danger l’équilibre des institutions. Je suis de l’avis contraire et je crois même qu’elle assurera l’avenir de notre Sénat.
Il y a quelques instants, un ancien président du Sénat, qui s’est d’ailleurs absenté, …
M. Gaëtan Gorce. … comme Mme Benbassa, ainsi qu’il l’a alors souligné, a évoqué le risque qui pèserait sur notre assemblée ; sans doute pensait-il à de futures responsabilités… Assurément, il y a dans ce débat une démagogie populaire, ou populiste ; mais il me semble qu’il y a aussi une forme de démagogie parlementaire, qui consiste à flatter les habitudes et à refuser le changement.
M. Claude Dilain ainsi que Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz applaudissent.
Mes chers collègues, si nous voulons que le Sénat se renforce et qu’il joue pleinement son rôle, nous ne devons pas le tenir à l’écart des mouvements plus généraux réclamés par nos concitoyens !
S’il est une idée que nous devons garder à l’esprit et qui doit commander notre réflexion, c’est la raison pour laquelle le cumul, qui ne posait pas problème à nos concitoyens il y a vingt ou trente ans et qui a été toléré sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, est brusquement devenu un sujet de préoccupation et de réprobation, ce dont témoignent toutes les indications dont nous disposons.
De fait, le lien de confiance entre nos concitoyens et les parlementaires s’est progressivement affaibli ; mes chers collègues, c’est ce lien qu’il faut de nouveau renforcer !
Ce renforcement passe par l’interdiction du cumul dans les conditions qui nous sont proposées, comme par la transparence des patrimoines ; à cet égard, je regrette que l’Assemblée nationale ait poussé une forme d’hypocrisie jusqu’à prévoir la sanction de ceux qui révéleraient le contenu des déclarations de patrimoine, lesquelles seront consultables. Ce renforcement passera aussi par une réforme de nos institutions et par une extension des prérogatives des assemblées.
Bien plus, restaurer la confiance exigera de nous tous, non seulement que nous prenions les mesures indispensables pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi que nous incarnions la République dans ses valeurs les plus hautes – je suis persuadé que ce souci habite en permanence chacune et chacun d’entre nous. En d’autres termes, nous devons faire preuve à la fois de constance, d’humilité, de travail et d’attention à ce que pensent nos concitoyens.
Mes chers collègues, ce n’est pas là seulement l’affaire d’une loi ; il nous appartient d’opérer une prise de conscience si nous voulons que la politique, qui est un art noble et un engagement digne d’être valorisé, soit de nouveau respectée, c’est-à-dire que notre démocratie fonctionne. Pour cela, il faut avancer pas à pas sur le chemin qui nous est proposé, et même aller un peu plus loin – monsieur le ministre, j’y invite le Gouvernement et la majorité.
Oui, le changement est nécessaire ; je me réjouis que, dans ce domaine, pour le coup, le changement, ce soit maintenant !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi qui nous sont soumis auraient pu être importants et fondateurs, du point de vue de notre conception de la politique et de son exercice. Malheureusement, je pense que ce n’est pas le cas, tout simplement parce que leur objet n’est pas celui qui est affiché.
On prétend lutter contre le cumul des mandats. En réalité, ces projets de loi ne régleront pas le problème.
Plusieurs collègues ont déjà souligné la nécessité de distinguer précisément le cumul des mandats, le cumul des fonctions et le cumul des indemnités. Or le phénomène qui se produit en France depuis des années, et qui s’est accéléré ces derniers temps, entretenu encore par le projet de loi en cours d’examen sur la réforme territoriale, est la multiplication du nombre des mandats.
De fait, on n’arrête pas de créer de nouveaux mandats…
M. Hugues Portelli. … et de nouvelles fonctions, alors que la première façon de régler le problème du cumul serait d’arrêter d’en créer
M. René-Paul Savary applaudit.
Alors que nous avions déjà les communes, les départements et les régions, on crée des établissements publics de plus en plus nombreux, les derniers en date étant les métropoles. Du coup, la distinction entre les établissements publics de coopération intercommunale et les collectivités territoriales ne tiendra plus, puisque ces établissements auront des compétences et des financements de plus en plus importants, et que leurs responsables seront élus comme ceux des collectivités territoriales.
Je vous le demande : comment peut-on lutter contre le cumul des mandats et des fonctions lorsqu’on s’emploie de façon systématique à multiplier lesdits mandats et lesdites fonctions ?
Par ailleurs, quand on discute avec nos concitoyens, on s’aperçoit qu’ils se préoccupent surtout du cumul des indemnités. Compte tenu de la passion égalitaire qui caractérise la France, notamment la France républicaine, c’est sur ce plan qu’il aurait fallu porter le fer ; or on ne l’a pas fait, ou de façon tout à fait partielle et insuffisante.
Si l’objet réel des projets de loi n’est pas la lutte contre le cumul, quel est-il donc ? À mon avis, ils ont deux buts précis.
En premier lieu, ils visent à abattre une fois pour toutes une certaine façon de faire de la politique dans notre pays.
Traditionnellement, en France, on faisait de la politique en s’engageant au niveau local : on était d’abord conseiller municipal, ensuite maire, éventuellement conseiller général, puis on grimpait les échelons du cursus jusqu’à devenir député, voire sénateur, et même, si possible, Président de la République.
Cette conception de la politique, fondée sur un cursus honorum, avait une cohérence, qui tenait principalement à la volonté des élus locaux de tenir face au pouvoir central de l’État : en cumulant sa fonction avec celle d’élu national, l’élu local se donnait les moyens de résister au préfet et au ministre.
Entre nous, mes chers collègues, cette vérité vaut toujours aujourd’hui. En effet, ce n’est pas parce qu’on a donné un pouvoir réglementaire résiduel aux collectivités territoriales qu’on a créé un véritable pouvoir local. La France ne sera jamais l’Allemagne, ni l’Espagne ou l’Italie, ni même le Royaume-Uni !
Cette cohérence était aussi électorale : elle reposait sur le scrutin uninominal majoritaire, dont l’élu local tirait une assise et une légitimité propre qui lui permettaient de résister à la légitimité administrative du pouvoir central.
Mes chers collègues, de cette conception française de la politique, le Sénat était en quelque sorte le fleuron.
Seulement, cette conception est aujourd’hui battue en brèche par deux autres.
La première conception, traditionnelle, est dominante dans les pays voisins : les élus sont des « fonctionnaires de parti » dont la carrière est réglée par leur parti. Ce système fonctionne lorsque les partis ont de nombreux adhérents, ce qui n’est pas le cas en France : dans la plupart des pays voisins, un seul parti a autant d’adhérents que tous les partis français réunis !
En outre, dans les pays où il existe, ce système repose sur un scrutin proportionnel de liste.
Ma ville est notamment jumelée avec des villes d’Italie, d’Espagne ou d’Allemagne : leurs maires m’expliquent qu’après un mandat de quatre ou huit ans, n’ayant pas le droit de rester en fonction, ils passeront à l’échelle de la région, voire un jour à l’échelle du Parlement national. Cette façon de faire de la politique ne fonctionne pas chez nous, parce que les Français n’aiment pas les partis et n’y adhèrent pas, de sorte que ce système ne serait pas légitime.
La seconde conception qui s’oppose à la conception traditionnelle dont j’ai parlé est arrivée avec la Ve République, mais a été complètement pervertie.
Le général de Gaulle voulait l’indépendance de l’État, garantie par des hauts fonctionnaires neutres au service de l’intérêt général. Seulement, un phénomène s’est produit que le Général n’avait pas prévu : ces hauts fonctionnaires se sont mis à faire de la politique.
Ils ont peuplé les cabinets ministériels, sont entrés dans les partis, et de là se sont fait élire député, voire sénateur ; ils ont accédé au Gouvernement, et jusqu’à la présidence de la République.
C’est cette nouvelle classe politique, bien évidemment, qui porte le fer contre l’ancienne, dont nous sommes les derniers fossiles, les derniers dinosaures. Elle y arrive en s’alliant avec les fonctionnaires des partis. C’est la réalité aujourd’hui.
… dont je reconnais au demeurant la cohérence.
C’est la raison pour laquelle ce texte s’attaque au maillon le plus fort, le Sénat, bastion de la politique « à l’ancienne », …
… pour parler en termes de modernité, comme M. le ministre.
Il est nécessaire d’amoindrir la Haute Assemblée, et ce de deux façons. Premièrement, il faut empêcher que les sénateurs soient en même temps des élus locaux. Alors qu’ils tiraient leur légitimité de leur seule élection locale, puisqu’ils ne sont pas élus au suffrage universel direct, ils ne pourront plus prétendre à un tel mandat. Deuxièmement, il convient d’introduire, par doses progressives, la proportionnelle, pour que les partis nomment les sénateurs et que ces derniers n’aient plus d’ancrage territorial. La boucle est ainsi bouclée ! Tel est le vrai but. §
Monsieur le ministre, ce projet de loi permettra, à terme, de couper le personnel politique français en deux.
Il y aura les élus nationaux, dont le destin sera de plus en plus lié à celui du président de la République, puisque les députés, sans ancrage territorial, seront élus comme lui et finiront leur carrière politique comme lui. Notez une chose : en 2007 et en 2012, quels députés ont résisté aux vagues bleue puis rose ? Ceux qui étaient également des élus locaux ! Tous les autres ont été balayés
MM. Joël Guerriau et Yves Détraigne ainsi que Mlle Sophie Joissains et Mme Caroline Cayeux applaudissent.
En face, vous aurez un personnel politique local. Sera-t-il puissant pour autant ? Pas du tout ! Il sera atomisé par la multitude des collectivités et des EPCI, dans lesquels il se répartira. Du coup, il n’aura pas les moyens de peser face au pouvoir central.
Monsieur le ministre, à titre personnel, je suis plutôt favorable au cumul des mandats, mais un vrai et je vais vous dire lequel. On aurait pu faire une vraie réforme. Cela aurait supposé de limiter le nombre des collectivités et des établissements publics locaux et de créer un véritable pouvoir local. §Carcelui qui a un vrai pouvoir local, grand ou petit, n’est pas tenté de cumuler au niveau national. La carrière locale qu’il déroule le satisfait amplement.
Par ailleurs, il fallait également réformer la représentation nationale, y compris le Sénat. Je suis de ceux, minoritaires, qui pensent qu’une représentation identique à celle que nous avions sous la IIIe République n’est ni moderne ni démocratique.
Vous ne me ferez jamais défendre un système qui remonte à deux siècles !
Franchement, monsieur le ministre, le remplacer par un système pire encore, dans lequel le Sénat conserve ses pouvoirs tout en perdant sa légitimité territoriale, ce n’est pas possible ! §
M. Yves Daudigny . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je suis socialiste, j’apporte soutien et appui à l’action que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault mène pour la modernisation de la France, le rétablissement de ses grands équilibres
M. Rémy Pointereau s’exclame.
Mais qu’il n’y ait aujourd’hui aucun flou : je combats les dispositions de la loi, qui conduiront en particulier, si elle est votée, à interdire l’exercice simultané d’un mandat de sénateur et d’une responsabilité exécutive locale.
J’assume ici, à cette tribune, sans honte, devant les citoyens de notre pays, ce double engagement de contribuer, dans notre Haute Assemblée, à l’élaboration des lois de la France et de présider, dans l’Aisne, l’assemblée départementale.
Je l’assume d’abord parce que ce double exercice ne résulte pas d’un quelconque coup de force ou d’une liberté de choix confisquée aux citoyens ou aux grands électeurs. Il est le fruit de scrutins vécus dans une totale transparence. Et l’analyse des résultats, ceux des dernières élections législatives par exemple, montre souvent que, dans l’isoloir, l’électeur demande ce que, dans les sondages, le citoyen rejette.
Je l’assume ensuite parce que l’interdiction envisagée engendrera l’émergence exclusive d’un type de parcours d’élu. Mes chers collègues, s’il n’avait pas été possible au président d’un conseil général d’être candidat à un mandat national, jamais le plaisir ne m’aurait été donné de vous connaître, et vous n’auriez jamais eu la possibilité ou subi la contrainte de m’écouter. §
La diversité des trajectoires politiques est une richesse des assemblées, de la nôtre en particulier, et j’ai tout respect pour les collègues qui font le choix de la non-conjonction d’un mandat parlementaire et d’une responsabilité locale.
Je souhaite la même tolérance pour celles et ceux qui font un autre choix, …
Mlle Sophie Joissains applaudit.
Ce choix permet d’éclairer l’action exécutive locale, par le traitement et la connaissance des dossiers au plus haut niveau. Il enrichit le débat parlementaire de l’expérience réelle et directe de celui ou celle qui non seulement participe à la vie des assemblées locales, mais aussi doit décider, assumer la gestion, avoir une vision.
Je ne renierai pas aujourd’hui plus de trois décennies d’engagement dans l’action publique et d’exercice de responsabilités communales, communautaires, départementales puis maintenant nationales au sein de la Haute Assemblée.
Je ne renierai pas trente années d’une vie politique construite pierre par pierre, sur des bases de travail, de compétences progressivement acquises, de connaissance et de reconnaissance, de dialogue et de confiance.
Mais la question ne peut se réduire à la seule complémentarité ni à l’inclusion dans un territoire.
L’éminent professeur Pierre Avril, lors de son intervention au Sénat le 10 septembre dernier, affirmait que « l’on ne peut s’affranchir de la spécificité du Sénat », spécificité instaurée par l’article 24 de notre Constitution.
Bien sûr, le débat n’est pas tranché concernant l’interprétation de l’alinéa 4 de cet article, aux termes duquel le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour assurer cette représentation, un sénateur se doit-il ou non d’être implanté au sein d’un territoire par le biais d’une fonction locale ? Un sénateur devrait-il même avoir l’obligation, pour exercer son mandat parlementaire, d’être maire, président de conseil général – comme c’est mon cas, ainsi que celui de trente-trois de mes collègues sénateurs et de onze de mes collègues députés – ou bien encore président de conseil régional ?
Ma position est celle du libre choix ; c’est la situation présente, qui assure une diversité des situations. Je ferai simplement miens les mots des avocats Jean-Pierre Mignard et Jorge Mendes Constante, qui, en mai 2010, écrivaient que si on leur interdisait le cumul, « les représentants des collectivités territoriales – c’est-à-dire les sénateurs – seraient détachés de tout lien local, un détachement imposé contraire à l’esprit de la Constitution ». À leurs yeux, ce non-cumul « décapiterait le Sénat ».
Je passerai également sur l’argument mettant en avant l’exception française et l’originalité de la situation du Président de la République. À cet égard, de nombreux juristes et universitaires, comme l’historien Patrick Weil, que je cite, car son implication dans ce débat a été forte, ont pointé l’« incontestable contrepoids » que représente le cumul des mandats au regard de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. §
Le débat pourrait encore s’élargir dans deux directions que je ne ferai qu’évoquer.
Première direction, le professeur Dominique Rousseau, lors de son intervention au Sénat, affirmait que « le Sénat n’a de légitimité dans une République que s’il n’est pas le doublon de l’Assemblée nationale ». Je partage ce point de vue. La dimension duale, à la fois locale et nationale, de la représentation qu’octroie au Sénat notre Constitution participe de cette légitimité.
Seconde direction, je vous invite, mes chers collègues, que vous soyez pour ou contre ce projet de loi, à ne pas nourrir les populismes qui se développent dans l’indifférence, le rejet ou même la haine des élites, des élus, des parlementaires. Les élus qui conjuguent mandat parlementaire et exécutif local ne sont pas les criminels d’un idéal démocratique, assoiffés de pouvoirs ou d’avantages. Comme d’autres élus, ils fondent leur action sur des idéaux et des valeurs. Comme d’autres élus, ils sont porteurs de l’intérêt général et des attentes de leurs concitoyens.
« La liberté ne peut constituer qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir », écrivait Montesquieu.
Vous l’avez compris, en cohérence avec les engagements qui ont toujours été les miens, parce que j’ai la conviction que les dispositions en discussion, si elles étaient définitivement adoptées, sont porteuses pour le Sénat d’un exercice démocratique dégradé, je ne voterai pas ce texte en l’état.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP . – MM. Gérard Miquel, Robert Tropeano et François Fortassin applaudissent également.
Non, nous sommes tout à fait dans les délais puisque nous travaillons sur la première série d’amendements quinze jours avant d’engager l’examen des amendements extérieurs.
Cette réunion sera reportée d’environ trois quarts d’heure. Nous la tiendrons en effet juste après la réponse que fera M. le ministre aux orateurs, vers vingt heures quinze.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous confirme que, pour la cohérence de notre débat, nous achèverons la discussion générale commune avant la suspension du dîner, qui devrait intervenir vers vingt heures quinze.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Caroline Cayeux. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur le cumul des mandats qu’il nous est proposé d’examiner aujourd’hui pose, selon moi, de sérieux problèmes. Je pense notamment, monsieur le ministre, à votre conception de l’organisation politique et territoriale de notre pays, et tout particulièrement au respect du rôle des sénateurs. Je ne suis d’ailleurs pas la première, à cette heure-ci, à intervenir en ce sens.
Ce projet de loi est en effet inadapté aux réalités auxquelles nous sommes confrontés sur le terrain et, donc, inapproprié au bon fonctionnement de notre démocratie. La preuve en est qu’à droite, comme au centre et à gauche, cette réforme, qui coupe les partis politiques en deux, fait voler en éclat les clivages partisans. Quant à la commission des lois, elle a rejeté les deux textes que vous nous présentez.
Il est vrai que la proposition 48 du candidat Hollande, qui sonne comme un dogme, s’impose à vous sans alternative. Mais est-ce réellement un sujet de société ou s’agit-il d’un effet de mode ? Surtout, ce texte était-il si urgent, au regard des difficultés que nos concitoyens rencontrent chaque jour ? Ils payent toujours plus d’impôt, sont toujours plus nombreux à subir le chômage et souffrent toujours plus d’insécurité dans leur ville. Je m’arrêterai là, mon collègue Éric Doligé l’ayant excellemment démontré.
Ce projet est inadapté, je le disais voilà quelques instants. Monsieur le ministre, est-il bien raisonnable, au moment où vous vous apprêtez à supprimer des milliards destinés aux collectivités locales dans les années qui viennent, d’augmenter encore le nombre des élus ?
Vous avez abandonné le conseiller territorial, qui remplaçait à la fois le conseiller général et le conseiller régional, pour finalement le remplacer par le conseiller départemental. Malgré la diminution du nombre des cantons, le nombre des conseillers départementaux restera stable, puisque, au nom du respect de la parité, il faudra désormais être élu en binôme. En Picardie, par exemple, alors que nous aurions dû compter 109 conseillers territoriaux au lieu de 186 conseillers régionaux et départementaux à ce jour, ce nombre demeurera identique en 2015, bien que le nombre des cantons ait été divisé par deux.
Aux termes du projet de loi qui nous est soumis, vous multiplierez demain le nombre des élus, les parlementaires, d’une part, les élus locaux, d’autre part. Au moment où tout le monde parle d’économies, je regrette cette inflation budgétaire.
Ce projet de loi est tout sauf réaliste, il est inapproprié et me fait penser à du bricolage territorial parce que, avant de s’attaquer au cumul des mandats de manière idéologique et dogmatique, il eût été plus sage de préparer un vrai et grand statut de l’élu local, que nous n’avons cessé de réclamer : un statut qui donne à tout citoyen l’envie d’être élu – et aujourd’hui, franchement, on ne se bouscule pas pour l’être et on se bousculera de moins en moins –, un statut qui garantisse la transparence et permette une efficacité accrue, un statut qui organise aussi concrètement la fin du mandat pour celles et ceux qui devront retourner dans la vie active.
Monsieur le ministre, vous qui avez été député-maire d’Évry – et j’ai cru comprendre que ce double rôle vous convenait et vous passionnait –, vous savez que les élus qui cumulent ne cumulent pas leurs indemnités – nous sommes écrêtés – et qu’ils jouissent de peu de privilèges : ils cumulent l’efficacité et les responsabilités…
C’est ce lien qu’il me paraît indispensable de conserver, tout particulièrement ici, au Sénat. Qui mieux qu’un maire ou qu’un élu local est à même de juger ce qui doit être amélioré dans sa ville, son département ou sa région ? Et un maire qui a la chance d’être parlementaire est doublement efficace.
Parlementaire depuis deux ans, mais maire d’une ville depuis près de treize ans – à l’époque, je ne cumulais pas –, je dois vous avouer que j’ai pu apprécier la différence du poids de l’élue locale que j’étais alors. Je devais sans arrêt me battre pour faire valoir les droits de mon territoire et de ses habitants, pour faire reconnaître notre action politique au niveau national. Maintenant que je suis parlementaire, Beauvais est entendue, Beauvais est respectée.
C’est aussi le drame de l’effet pervers de notre système politique et médiatique. On ne voit qu’à travers les parlementaires ! Pourtant, qui fait vivre nos villes, nos agglomérations, nos départements ? Ce sont les élus locaux, les élus « d’en bas », si vous me permettez l’expression.
C’est pourquoi je considère, comme de très nombreux collègues ici, qu’un parlementaire doit être autorisé à exercer une fonction exécutive locale, d’autant plus que, pour ce qui nous concerne, c’est là le fondement même de notre mandat de sénateur.
Mais avec ce projet de non-cumul strict des mandats, vous allez donner à la France et à nos concitoyens deux sortes d’élus, les parlementaires « d’en haut » et les élus locaux « d’en bas », alors que la force de notre modèle politique est sa capacité à permettre à tous les citoyens de représenter un jour leur territoire, leur ville, leur campagne au plus haut niveau de l’État.
Avec votre projet de loi, vous couperez malheureusement le lien qui existe entre la représentation nationale et nos territoires, lien encore plus fort ici au Sénat puisque ce sont nos collègues élus qui nous désignent. Vous contribuerez à mettre en place dans nos assemblées respectives au mieux des techniciens ou des technocrates, au pis des militants des partis politiques.
Plus grave encore, vous vous priverez de l’expertise des sénateurs, qui sont élus par d’autres élus qui leur ont fait confiance. Nous sommes attachés à la responsabilité que nous ont accordée nos électeurs.
C’est donc tout particulièrement la spécificité du Sénat qui est en danger aujourd’hui et, contrairement aux idées reçues, pour une démocratie moderne et utile, efficace et dynamique, j’oserais dire : oui, il faut favoriser le cumul entre un mandat national et un exécutif local.
Monsieur le ministre, Victor Hugo disait : « Je préfère ma conscience à la consigne. » Il me semble que, dans votre passé de député-maire, vous aviez conscience que ce double mandat était un plus pour votre ville. Aussi, je vous demande de donner aux élus la capacité de garder les pieds sur terre, mais aussi d’avoir le pouvoir de vous interpeller comme je le fais ici ce soir au plus haut niveau de la nation.
Applaudissements sur les travées de l'UMP . – M. Yves Détraigne applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport d’information de mars 2012 de nos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée sur le cumul des mandats et l’étude de législation comparée, de juillet 2012, dans sept pays de l’Union européenne, portant sur le même sujet font apparaître que la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse guère 20 % dans la plupart des pays européens alors qu’elle est en France de 83 % pour les députés et de 78 % pour les sénateurs.
Certes, l’organisation territoriale diffère. Il est donc compréhensible que le niveau de cumul varie selon que l’État est unitaire ou fédéral.
Néanmoins, cela en dit long sur la situation actuelle s’agissant du renouvellement de la classe politique, surtout lorsqu’on sait qu’en 1936 seulement 36 % des députés exerçaient un mandat local. §
Si l’on ajoute à ce constat une grave crise de confiance des citoyens à l’égard de la représentation nationale, ce qui traduit un grand désarroi citoyen, il est urgent de prendre des mesures pour préserver le pacte républicain.
Cela explique que François Hollande, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, se soit notamment engagé à faire voter une loi sur le cumul des mandats et des fonctions électives.
Le texte qui nous est soumis est donc la concrétisation de cet engagement. Il reprend les principales suggestions de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.
Le projet de loi traite de la limitation du cumul dans l’espace, mais non dans le temps. Ses dispositions ont été renforcées par les députés, qui ont élargi le champ de l’incompatibilité aux fonctions « dérivées de mandats locaux » et limité les hypothèses de cumul d’indemnités.
Au Sénat, le débat s’est engagé de manière différente qu’à l’Assemblée nationale. Ainsi, un certain nombre de collègues estiment que l’interdiction d’exercer concomitamment un mandat parlementaire et une fonction élective romprait le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Ils évoquent la spécificité du mandat sénatorial et demandent sa reconnaissance en s’appuyant sur l’article 24 de la Constitution, qui dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela justifierait, selon eux, la possibilité de cumuler une fonction exécutive locale et un mandat de sénateur.
Cette question divise d’ailleurs la doctrine, comme nous avons pu le constater lors d’une audition organisée la semaine dernière par la commission des lois de notre assemblée.
Que faut-il en penser ? Je ne doute pas de la sincérité des collègues qui demandent la reconnaissance de la spécificité du mandat sénatorial ; ils pensent probablement défendre ainsi à la fois les prérogatives du Sénat et le bicaméralisme.
En revanche, je ne suis pas du tout convaincu par leur argumentation, qui ne paraît ni solide juridiquement ni opportune politiquement.
Il semble d’abord difficile d’invoquer la spécificité du mandat sénatorial alors que le régime des incompatibilités des sénateurs est aligné sur celui des députés. Ce n’est pas là le fruit du hasard, contrairement à ce que prétendent certains juristes.
En outre, il est très peu probable que le Conseil constitutionnel donne de l’article 24 de la Constitution une interprétation reconnaissant un traitement différencié pour les sénateurs. Et quand bien même irait-il dans ce sens – ce qui m’étonnerait fort, car il faudrait alors qu’il opère un revirement de jurisprudence –, ne serait-ce pas la voie ouverte à une restriction des compétences du Sénat, en quelque sorte à une forme de « relégation », en le cantonnant à l’examen des seuls textes relatifs aux collectivités locales, …
… à l’instar de ce qui prévaut dans un certain nombre d’États voisins ?
En réalité, la reconnaissance d’un traitement différencié pour les sénateurs pourrait bien se traduire, à terme, par un affaiblissement du Sénat…
… et par l’instauration d’un bicaméralisme très déséquilibré.
Sur le plan politique, enfin, un traitement différencié des sénateurs paraît totalement inopportun. En effet, l’existence et l’utilité du Sénat sont aujourd’hui beaucoup moins contestées par les citoyens qu’elles ne l’étaient il y a une quinzaine d’années. L’action de rénovation de notre assemblée et de son fonctionnement explique certainement cette évolution positive.
Eh bien, mes chers collègues, si, contrairement aux députés, les sénatrices et sénateurs ne devaient pas être concernés par les dispositions du présent texte, il serait à craindre que le Sénat n’échappe pas à une très forte détérioration de son image, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir quant à son existence.
Alors, mes chers collègues, pour ces diverses raisons, il ne faut pas chercher à obtenir un traitement différent des sénateurs par rapport aux députés ! En effet, les deux projets de loi que nous examinons autorisent le cumul d’un mandat parlementaire national ou européen avec un mandat local, départemental ou régional, non exécutif. Ils permettent donc de maintenir le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Il en irait différemment si ces projets visaient à instaurer le mandat unique. Or tel n’est pas le cas !
Je voterai donc ces projets de loi que je juge absolument nécessaires. Je note d’ailleurs qu’ils sont très voisins des deux propositions de loi que j’avais déposées sur le même sujet en 2006, et qui n’ont jamais été examinées.
Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions de mes excellents collègues Philippe Bas et Gérard Larcher, qui ont, respectivement, apporté un éclairage juridique et institutionnel sur les dangers des projets de loi qui nous sont soumis. J’approuve en tout point leurs démonstrations. Je salue également les interventions des présidents Jacques Mézard, François Zocchetto et François Rebsamen.
Monsieur le ministre, votre texte qui vise à interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale, même mineure, est excellent… pour le parti socialiste. §
Il est excellent pour la gauche, parce qu’elle s’offre, à moindres frais, une réforme facile et populaire, quitte à ne pas réfléchir aux conséquences institutionnelles de ce choix.
Il est excellent pour le parti socialiste, parce qu’il flatte la fibre poujadiste qui sommeille en chaque Français quand il est accablé par une situation économique et sociale dont il ne voit pas l’issue.
Or, quand un parti est en désamour dans l’opinion, qu’y a-t-il de plus habile que de jeter le discrédit sur l’ensemble de la classe politique ?
Il est aussi excellent pour le Président de la République, parce qu’il s’offre le luxe de se donner une image de fermeté en résistant à une majorité prétendument récalcitrante, alors que depuis le début de son quinquennat, il va de renoncement en renoncement sur tous ses engagements de campagne.
Il est excellent pour le Premier ministre et son gouvernement, puisqu’il coupe désormais tout lien entre l’élu et son territoire. Puisque le parlementaire n’assiéra plus sa légitimité sur son enracinement local, le parti socialiste pourra investir les candidats de son choix, sans lien avec les territoires.
Ne vous occupez pas du parti socialiste, occupez-vous plutôt de l’UMP !
Il est excellent pour la République des « camarades », puisque, dorénavant, les candidats seront cooptés dans un petit cénacle de la rue de Solférino. Cela sera particulièrement vrai pour le Sénat puisque près des trois quarts de ses membres seront élus au scrutin proportionnel. N’importe quel « camarade » pourra être placé en début de liste, quitte à n’avoir aucun lien avec son territoire pour assurer son élection.
Il est excellent, enfin, pour les officines d’influence de la gauche, qui pourront faire voter les lois les plus absurdes – je pense à la réforme de la justice, insufflée par le Syndicat de la magistrature, ou la réforme de l’école, par les syndicats d’enseignants –, sans que les parlementaires puissent faire remonter la voix du peuple.
Mais il y a un autre point que, en tant que sénateur de Paris, je souhaite aborder : l’interdiction faite aux maires d’arrondissement et à leurs adjoints d’être parlementaire.
Je pourrais éventuellement comprendre que l’on interdise le cumul de mandats en cas de fonctions électives excessivement prenantes, par exemple s’il s’agit du maire d’une capitale de plus de 2 millions d’habitants ou du maire d’une des grandes villes françaises. À une certaine époque, monsieur le ministre, vos réflexions vous avaient d’ailleurs conduit à envisager de fixer un seuil de population pour l’interdiction de cumuler une fonction élective. À défaut de trouver ce seuil, vous avez proposé une stricte interdiction, qui, déjà absurde pour une petite commune, devient ridicule pour une mairie d’arrondissement.
Comme vous le savez, un maire d’arrondissement est loin d’exercer la totalité des compétences de son secteur – et que dire de ses adjoints ? Je vous épargne la liste de ses compétences. Mais tout un chacun sait bien ici qu’elles ne justifient pas que les maires d’arrondissement soient traités comme des maires de plein exercice. J’ajoute que, dans le cas de Paris, ce ne sont pas les temps de déplacement du Parlement à la circonscription qui occuperont une place trop importante dans l’agenda de l’élu !
Sérieusement, rien ne peut justifier cette interdiction, à part, peut-être, votre volonté de niveler vers le bas. Mme Hidalgo craint-elle à ce point de ne pas exercer de leadership sur ses troupes qu’elle s’ingénie à empêcher tout maire d’arrondissement d’être député ou sénateur ?
Un maire d’arrondissement siégeant au Parlement, ce n’est pas un handicap pour Paris ! En interdisant aux grands élus parisiens d’être parlementaire, on affaiblit leur influence institutionnelle.
En vérité, la seule vraie réforme serait, comme on l’a déjà dit dans cet hémicycle et à l’Assemblée Nationale, de faire élire le maire de Paris directement par les Parisiens, et le problème de cumul ne se poserait plus ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous nous trouvons au cœur de ce débat passionné, je me permets de rappeler que la passion n’interdit pas le respect, tant des opinions exprimées que de celles et ceux qui les défendent. Nous avons tous la volonté de voir le Sénat sortir grandi de nos échanges : à cet égard, il me semble que l’issue de ce débat ne sera pas le seul élément à compter ; sa teneur et sa qualité auront aussi leur importance.
À ce stade, beaucoup de choses ont été dites. Pour ma part, je ne souhaite pas engager le débat sous l’angle des problèmes de disponibilité. Après tout, il s’agit là d’une question d’organisation personnelle. Je ne souhaite pas non plus l’aborder en évoquant les indemnités. Ces dernières font déjà l’objet d’un écrêtement et il suffit de décider qu’on ne peut avoir qu’une seule indemnité pour régler la question. Je me demande d’ailleurs pourquoi nous ne l’avons pas fait plus tôt, puisque tout le monde semble d’accord sur ce point… Enfin, je n’aborderai pas la problématique au travers des questions juridiques. Les positions avancées dans ce cadre sont nombreuses et contradictoires, et je n’ai pas l’expertise pour les arbitrer.
En revanche, je voudrais poser deux questions.
La première question porte sur la légitimité de la représentation. Dès lors que, selon la Constitution, le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, qui a le plus de légitimité pour mener à bien cette mission ?
De toute évidence, les élus locaux, en particulier les maires, ont cette légitimité. Personne ne peut le nier ! Dans le cadre de son mandat, un maire acquiert un certain nombre de connaissances
M. Yves Détraigne opine.
Mais cette légitimité vaut aussi pour les anciens maires. On ne devient pas amnésique parce qu’on a été élu sénateur ! À titre personnel, je me souviens parfaitement des seize années que j’ai passées à la mairie de Clichy-sous-Bois. Tout ne s’est pas envolé d’un seul coup ! D’ailleurs, M. Hugues Portelli a oublié un détail en évoquant le cursus honorum : en changeant de fonction, on abandonnait l’ancienne ; on n’était pas tribun et questeur en même temps.
Voilà donc un point très important. Rien n’interdit à un élu local de devenir sénateur, mais rien ne l’empêche non plus de démissionner. Son expertise et sa légitimité n’en seront pas diminuées.
Par ailleurs, il n’est pas forcément nécessaire d’être maire ou président d’un exécutif local pour acquérir cette expertise. Je ne suis pas d’accord avec les propos qui ont été tenus sur le sujet, selon lesquels un conseiller municipal n’a pas le même niveau d’expertise. Bien sûr que si ! Il connaît aussi son territoire. Je dirai même, quitte à faire un peu de provocation, qu’il a dans certains cas une meilleure connaissance de la population que le maire lui-même, plus au fait des dossiers que de la situation de ses administrés. §
Je savais que mes propos allaient susciter des réactions.
J’ai entendu à plusieurs reprises que nous devions être enracinés dans le territoire. Mais les élus locaux sont-ils les seuls à l’être ? Ne pensez-vous pas, mes chers collègues, qu’un médecin, …
… un commerçant, un éducateur, un enseignant n’a pas une connaissance aussi approfondie de son territoire ? Je vais vous faire un aveu : pendant plus de seize ans, j’ai cumulé la fonction de maire de Clichy-sous-Bois et une activité de pédiatre libéral dans cette ville, et je vous assure que j’ai appris autant de choses dans mon bureau de maire que dans mon cabinet de médecin.
L’expertise dont je me sers ici, je la tire autant de la première expérience que de la seconde !
S’il est indiscutable que les élus locaux ont un point de vue sur les questions que nous traitons dans cette enceinte, ont-ils pour autant le monopole de la défense des collectivités territoriales ? Non ! Il serait donc intéressant que d’autres points de vue puissent aussi s’exprimer.
Je dirais même qu’à travers son activité le Sénat peut permettre de rassembler ces différents points de vue.
La seconde question – je m’étonne que l’on n’en parle pas plus – est celle du conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Vous allez me dire que le pouvoir législatif national n’a rien à voir avec un pouvoir exécutif local… Relisez les comptes rendus de nos séances ! Vous verrez combien de présidents d’exécutif local, à cette tribune, ne font que défendre les intérêts de leur collectivité territoriale.
Ils doivent donc le faire. Mais si nous avons été élus à l’Assemblée nationale ou au Sénat, c’est pour élaborer la loi de tous les Français !
Il y a là, me semble-t-il, une confusion très préjudiciable et j’en ai assez d’entendre des membres de cette assemblée, dans cet hémicycle, prétendre que ce qui est bon pour leur ville l’est aussi pour la France et que ce qui n’est pas bon pour leur ville ne l’est pas non plus pour le pays. Je vous assure que je ne suis pas caricatural…
Enfin, s’agissant de la question du contre-pouvoir, le professeur Olivier Beaud nous a expliqué lors de son audition que les « barons locaux » – il a, me semble-t-il, employé le terme – étaient nécessaires car ils constituaient un contre-pouvoir. Certes, mais avez-vous vraiment le sentiment que les citoyens aspirent à ce genre de contre-pouvoirs ? N’attendent-ils pas autre chose ? C’est un point important et je vous demande d’y réfléchir.
Pour toutes ces raisons, c’est en conscience que je voterai ce texte, et non simplement pour respecter un engagement du Président de la République ou une consigne. §
De nombreux arguments ont été avancés et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous aurons l’occasion de les reprendre dans les heures qui viennent.
Je ne m’étends pas sur l’argument, déjà entendu s’agissant d’autres textes institutionnels, selon lequel, plutôt que d’examiner ce genre de projets de loi, nous ferions mieux de concentrer le débat sur les vrais sujets intéressant les Français – la situation économique, les problèmes de sécurité, les questions internationales, etc. Fort bien ! Mais, dans ce cas, prévoyons immédiatement d’interdire à l’Assemblée nationale ou au Sénat, en temps de crise, d’aborder toute une série de questions.
On pourrait y inclure les questions d’actualité et les questions au Gouvernement et, ainsi, priver chacun d’entre vous d’une partie de ses prérogatives.
Par conséquent, je ne crois pas cet argument pertinent. Ce projet de loi est essentiel. Vous l’avez vous-mêmes dit, c’est un changement, une révolution. Comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, ses effets sont importants et il faut donc imaginer les conséquences à terme, comme cela a été dit tant par ceux qui s’opposent à ce texte que par ceux qui le soutiennent. Je l’assume, c’est un changement, une révolution !
Certains d’entre vous – je pense notamment à M. Mézard – ont évoqué l’évolution de mes positions en ce domaine. J’observe, à cet égard, que vous êtes nombreux à défendre l’idée d’une spécificité sénatoriale, ce qui signifie que vous êtes favorables à la fin du cumul de mandats pour les députés.
Pour ma part, effectivement, j’ai évolué et cela me semble tout à fait honorable. Il ne s’agissait pas d’un diktat. Le parti socialiste est une grande formation politique et il a décidé de consulter ses militants. Le choix qui en a résulté n’est pas uniquement le choix de Mme Martine Aubry, c’est le choix des militants. François Hollande a porté ce choix dans le cadre d’une primaire où tous les candidats socialistes ont défendu cette idée parce qu’elle s’était imposée à nous.
Évidemment, il y a notre conscience – encore que, sur ce sujet, ne faisons tout de même pas trop appel à la conscience – et nos engagements politiques. Mais il y a aussi les engagements du candidat, aujourd’hui Président de la République, devant les électeurs.
Par ailleurs, même si, comme le rappelait M. Dilain, la question du temps n’est pas essentielle, je sais qu’il est particulièrement difficile d’exercer simultanément un mandat de député et une fonction de maire et de président d’une agglomération, quand bien même celle-ci n’est située qu’à trente kilomètres de Paris. Mais des arguments ont été avancés sur la question.
Ce n’est pas un problème personnel, monsieur Mézard. C’est un problème politique, lié à la conception que l’on peut avoir, aujourd’hui, et du rôle des élus locaux et du rôle du Parlement.
De ce point de vue, j’attire votre attention sur le fait que je n’ai jamais employé le terme « cumulards », étant sensible à sa très grande connotation négative. Comme je l’ai déjà mentionné, je connais l’implication des élus locaux et le rapport affectif que l’on peut entretenir avec la collectivité locale que l’on anime, tout en étant parlementaire. Je ne jette l’opprobre sur personne. Je sais ce que la rupture de cette relation peut avoir de douloureux, y compris pour celui qui est nommé ministre.
En effet, j’attire votre attention sur le fait qu’avec certaines argumentations entendues ici, on pourrait parfaitement démontrer qu’un ministre peut aussi être responsable d’un exécutif local. C’est tout de même ce qui s’est passé pendant des années, avant que l’on ne décide de mettre fin à ces pratiques. Cette décision a été prise non pas par tout le monde, mais par ce gouvernement et à la demande de l’actuel Président de la République.
Quoi qu’il en soit, étant ministre et ayant été maire d’une ville pendant onze ans, je suis conscient de ce que représente une telle rupture.
Pour autant, je maintiens qu’elle est la conséquence de trente ans de décentralisation. On ne peut à la fois évoquer les grandes heures de la IIIe République et ignorer les compétences des élus locaux dans une France décentralisée.
Je n’ai pas parlé de « cumulards » ni d’« apparatchiks » selon l’expression employée par certains. Je le dis avec tranquillité une nouvelle fois, ces termes sont déplacés et aucun sénateur, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne mérite le mépris.
De toute façon, celui qui est candidat, qu’il soit maire ou président d’une assemblée délibérante, peut ensuite abandonner ce mandat en étant au clair avec les électeurs, donc le corps des élus. Le candidat se fait élire par les élus, qui le choisissent. Tous les conseillers municipaux ne sont pas des « apparatchiks » ! Par conséquent, ce procès est tout à fait insupportable.
Par ailleurs, monsieur Mézard, il se trouve que je connais Simon Sutour depuis bien plus longtemps que vous.
M. Manuel Valls, ministre. Les propos que vous avez tenus à son égard – j’entre là dans un débat entre parlementaires, et je vous prie de m’en excuser – ne correspondent pas du tout à la réalité de ce département. S’il a été élu, c’est parce qu’il a été candidat, et s’il a été candidat, c’est parce qu’il avait suffisamment d’expérience et de connaissance sur ce département. En outre, il a participé à régénérer la vie politique dans le département du Gard. Tous ceux qui sont élus ont une légitimité, qu’il nous faut accepter, au lieu de la qualifier avec des mots qui se veulent blessants.
Très bien ! et applaudissementssur les travées du groupe socialiste. –
Certains d’entre vous ont mis en cause l’usage de la procédure accélérée. Or, je veux le redire, c’est, au nom de la clarté démocratique, au moment où les formations politiques, auxquelles nombre d’entre vous appartiennent, désignent leurs candidats aux élections municipales qu’il est nécessaire que la règle soit connue, pour éviter toute incertitude.
Cette loi sera, en tout état de cause, promulguée avant les élections municipales de 2014, et plus tôt elle le sera, plus le choix de nos concitoyens pourra avoir lieu dans la clarté. Elle ne pouvait pas s’appliquer à partir de 2014 pour des raisons que j’ai indiquées, de nature constitutionnelle et politique.
Si vous êtes tous indépendants, la plupart d’entre vous militent dans des formations politiques de longue date.
Il faut respecter ces partis politiques. Vous demandez le respect du Sénat eu égard au rôle qui lui est dévolu dans la Constitution, mais les partis politiques participent aussi – c’est inscrit dans la Constitution – à la vie démocratique de notre pays.
Heureusement qu’il y a des formations politiques. Que veut dire cette mise en cause de ces formations politiques, si ce n’est pas du populisme ? Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne peut y avoir de liberté de candidature. C’est aux électeurs ou aux élus de choisir.
Enfin, j’ai entendu l’argument selon lequel la Constitution exige un traitement spécifique du Sénat. Pourtant, je le répète, rien dans la Constitution ne permet de justifier une telle position.
Tout d’abord, il faut rappeler que les sénateurs font déjà, en droit actuel, l’objet des mêmes inéligibilités et incompatibilités que les députés, et ce depuis très longtemps, comme certains d’entre vous ont eu l’honnêteté de le rappeler. Ainsi, les mêmes règles de cumul entre mandats locaux sont applicables aux sénateurs et aux députés.
L’article 24 de la Constitution – nous l’avons tous cité – qui a trait au rôle spécifique du Sénat ne justifie d’ailleurs en rien un traitement différencié des sénateurs. Cet article prévoit en effet que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Le Conseil constitutionnel a eu à plusieurs reprises l’occasion de préciser les conséquences de cet article. Ce dernier considère, depuis sa décision du 6 juillet 2000, que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation des collectivités, et que par suite ce corps doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il n’existe donc aucune raison constitutionnelle de faire bénéficier les sénateurs d’un régime différent de celui qui s’appliquerait aux députés.
Après analyse, rien ne justifie donc juridiquement un tel traitement.
Par ailleurs, distinguer les députés et les sénateurs ne serait ni pertinent ni opportun. Il s’agit là d’un débat non plus juridique, mais politique. Par exemple, les contraintes de disponibilité – cela reste, pour moi, un argument, monsieur Dilain – inhérentes à l’exercice du mandat de député et de sénateur sont identiques : le Sénat et l’Assemblée nationale assurent tous deux la fonction législative. En outre, la revalorisation de la fonction parlementaire a concerné les deux chambres à l’identique. Sénateurs comme députés votent la loi, contrôlent l’action du Gouvernement, évaluent les politiques publiques, conformément aux articles de notre Constitution.
Tout traitement différencié entre les sénateurs et les députés, au regard du régime de cumul avec les responsabilités locales risquerait de donner à croire que les sénateurs ont une importance moindre par rapport aux députés, alors que vous revendiquez les mêmes droits dans la procédure législative. C’est là où je ne vous suis pas sur ce sujet. Nous avons un désaccord de fond, tout à fait respectable. D’ailleurs, de ce point de vue, cet argument n’est pas seulement d’autorité ; c’est aussi évidemment le sentiment de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, dans le respect de la Constitution, le Gouvernement a choisi d’appliquer ce régime uniforme aux députés et aux sénateurs.
Enfin, je souhaite dissiper toute ambiguïté quant aux rôles respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat dans l’adoption du texte tels que le Gouvernement les envisage.
Certains d’entre vous, implicitement ou de manière plus directe, ont évoqué le pouvoir de veto qui serait accordé au Sénat sur cette réforme au cas où la solution législative adoptée définitivement ne serait pas votée par votre chambre dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Ce serait faire fi, de mon point de vue, des évolutions importantes dans l’interprétation que nous pouvons donner à l’article 46 de notre Constitution en matière de lois relatives au Sénat.
Comme vous vous en souvenez sûrement, l’interdiction du cumul, cela a été souligné, entre un mandat parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales prévue par le projet de loi organique présenté par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998 avait achoppé en raison du refus du Sénat.
En effet, la jurisprudence d’alors du Conseil constitutionnel sur la notion de lois organiques relatives au Sénat avait conduit le Gouvernement à rechercher un vote conforme, comme le prévoit le quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, qui détermine la procédure d’adoption des lois organiques relatives au Sénat. Ce faisant, l’Assemblée nationale avait donc dû entériner le recul du Sénat par rapport aux dispositions ambitieuses qui étaient proposées par le Gouvernement.
Depuis 2009, le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence sur la définition des lois organiques relatives au Sénat. Le commentaire de la décision du 12 avril 2011 est très éclairant, indiquant à ce sujet que le Conseil constitutionnel juge désormais constamment qu’est une loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Tel n’est pas le cas d’une loi dont les mêmes dispositions concernent les deux assemblées.
Ce commentaire est l’aboutissement d’une série de décisions débutée avec la décision du 3 mars 2009. Ne tordez pas les propos que j’ai tenus en commission des lois ; ils font clairement référence à ce que je viens de vous dire : nous ne sommes plus dans la situation qui était la nôtre en 2000. Même si je souhaite que vous puissiez épouser cette réforme indispensable de nos institutions et accompagner le mouvement de modernisation, de transformation de la vie publique, le vote du Sénat n’est donc pas aujourd’hui nécessaire, précisément parce que le texte de loi ne distingue pas un régime distinct pour les sénateurs par rapport aux députés.
M. Philippe Bas s’exclame.
Mesdames, messieurs, je respecte le Sénat et je suis ici au banc des ministres, comme mes prédécesseurs ou comme mes successeurs, pour écouter attentivement votre expression. Ce débat est tout à fait noble, mais j’ai invité le Sénat à épouser ce mouvement de l’Histoire, cette réforme, au nom du respect que j’ai pour votre assemblée. En effet, je vois bien le risque que vous courez, mesdames, messieurs les sénateurs. En vous opposant à un texte, alors que vous savez quel sera le vote final de l’Assemblée nationale, vous risquez, par ce vote, de prêter le flanc à la critique et à la caricature, …
… mais c’est votre liberté. Écoutez-moi jusqu’au bout, s’il vous plaît.
Je connais la qualité du travail du Sénat, je l’ai constaté sur la loi antiterroriste ou sur les questions d’immigration que j’ai eu à présenter devant vous. Je sais la qualité de vos rapports parlementaires, la qualité de chacun d’entre vous dans son lien avec le territoire, mais je connais aussi l’histoire du Sénat.
Le Sénat peut être rebelle…
M. Manuel Valls, ministre. … – vous y faisiez allusion. Il peut aussi empêcher des évolutions, comme il l’a fait plus récemment pour le cumul des mandats – j’ai évoqué ce point voilà un instant. Il a connu des moments moins glorieux, dans les années vingt et trente, quand, à plusieurs reprises, alors que l’Assemblée nationale avait avancé sur le droit de vote des femmes, non seulement il n’a pas accepté ce principe, mais il a même refusé d’examiner le sujet.
M. Philippe Bas s’exclame.
Faisons attention, monsieur Bas : au-delà de tous les arguments, et nous les échangeons, l’enjeu est aussi, pour le Sénat, son rapport à l’opinion et pas seulement aux élus. D’ailleurs, certains d’entre vous l’ont compris.
Je vois bien l’argument : il faudrait une réforme institutionnelle, un nouvel acte de la décentralisation, de vrais pouvoirs pour les collectivités territoriales, un statut de l’élu pour évoluer, certains prévoyant un dispositif qui s’appliquerait non pas aux maires des grandes villes, aux présidents de conseil général ou régional, mais avec un seuil. Cela veut bien dire qu’une prise de conscience s’est faite concernant la nécessité de limiter le cumul des mandats.
Nous vous proposons d’aller plus loin, c’est-à-dire d’aller vers cette interdiction. Pour ma part, sans être naïf, car je suis lucide, j’ai un peu d’expérience et j’entends ce qui est dit comme ce qui ne l’est pas, et, même si, je le sais, ce sera difficile, je souhaiterais, pour le Sénat et pour notre démocratie, que nous allions ensemble jusqu’au bout. Vous connaissez par ailleurs la détermination du Gouvernement.
En tout cas, je vous remercie tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos arguments et de l’exposé de vos convictions respectives
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Mézard et les membres du groupe RDSE ont déposé une motion tendant au renvoi à la commission du projet de loi organique. La commission des lois, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, va se réunir immédiatement, et, comme il convient qu’elle donne un avis sur cette motion, j’informe les membres de la commission que cet avis sera ajouté à l’ordre du jour de sa réunion.
Conformément au règlement du Sénat, la motion devrait être discutée à la reprise de nos travaux et, si elle était adoptée, la commission des lois se réunirait de nouveau.
En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois n° 2010–837 et n° 2010–838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis ce jour un vote favorable (17 voix pour, 0 voix contre et 4 bulletins blancs) à la nomination de M. Philippe Wahl à la présidence du conseil d’administration de La Poste.
Acte est donné de cette communication.
En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système des retraites, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2013.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 septembre 2013, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la transparence de la vie publique.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.