Il faut respecter ces partis politiques. Vous demandez le respect du Sénat eu égard au rôle qui lui est dévolu dans la Constitution, mais les partis politiques participent aussi – c’est inscrit dans la Constitution – à la vie démocratique de notre pays.
Heureusement qu’il y a des formations politiques. Que veut dire cette mise en cause de ces formations politiques, si ce n’est pas du populisme ? Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne peut y avoir de liberté de candidature. C’est aux électeurs ou aux élus de choisir.
Enfin, j’ai entendu l’argument selon lequel la Constitution exige un traitement spécifique du Sénat. Pourtant, je le répète, rien dans la Constitution ne permet de justifier une telle position.
Tout d’abord, il faut rappeler que les sénateurs font déjà, en droit actuel, l’objet des mêmes inéligibilités et incompatibilités que les députés, et ce depuis très longtemps, comme certains d’entre vous ont eu l’honnêteté de le rappeler. Ainsi, les mêmes règles de cumul entre mandats locaux sont applicables aux sénateurs et aux députés.
L’article 24 de la Constitution – nous l’avons tous cité – qui a trait au rôle spécifique du Sénat ne justifie d’ailleurs en rien un traitement différencié des sénateurs. Cet article prévoit en effet que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Le Conseil constitutionnel a eu à plusieurs reprises l’occasion de préciser les conséquences de cet article. Ce dernier considère, depuis sa décision du 6 juillet 2000, que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation des collectivités, et que par suite ce corps doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il n’existe donc aucune raison constitutionnelle de faire bénéficier les sénateurs d’un régime différent de celui qui s’appliquerait aux députés.
Après analyse, rien ne justifie donc juridiquement un tel traitement.
Par ailleurs, distinguer les députés et les sénateurs ne serait ni pertinent ni opportun. Il s’agit là d’un débat non plus juridique, mais politique. Par exemple, les contraintes de disponibilité – cela reste, pour moi, un argument, monsieur Dilain – inhérentes à l’exercice du mandat de député et de sénateur sont identiques : le Sénat et l’Assemblée nationale assurent tous deux la fonction législative. En outre, la revalorisation de la fonction parlementaire a concerné les deux chambres à l’identique. Sénateurs comme députés votent la loi, contrôlent l’action du Gouvernement, évaluent les politiques publiques, conformément aux articles de notre Constitution.
Tout traitement différencié entre les sénateurs et les députés, au regard du régime de cumul avec les responsabilités locales risquerait de donner à croire que les sénateurs ont une importance moindre par rapport aux députés, alors que vous revendiquez les mêmes droits dans la procédure législative. C’est là où je ne vous suis pas sur ce sujet. Nous avons un désaccord de fond, tout à fait respectable. D’ailleurs, de ce point de vue, cet argument n’est pas seulement d’autorité ; c’est aussi évidemment le sentiment de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, dans le respect de la Constitution, le Gouvernement a choisi d’appliquer ce régime uniforme aux députés et aux sénateurs.
Enfin, je souhaite dissiper toute ambiguïté quant aux rôles respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat dans l’adoption du texte tels que le Gouvernement les envisage.
Certains d’entre vous, implicitement ou de manière plus directe, ont évoqué le pouvoir de veto qui serait accordé au Sénat sur cette réforme au cas où la solution législative adoptée définitivement ne serait pas votée par votre chambre dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Ce serait faire fi, de mon point de vue, des évolutions importantes dans l’interprétation que nous pouvons donner à l’article 46 de notre Constitution en matière de lois relatives au Sénat.
Comme vous vous en souvenez sûrement, l’interdiction du cumul, cela a été souligné, entre un mandat parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales prévue par le projet de loi organique présenté par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998 avait achoppé en raison du refus du Sénat.
En effet, la jurisprudence d’alors du Conseil constitutionnel sur la notion de lois organiques relatives au Sénat avait conduit le Gouvernement à rechercher un vote conforme, comme le prévoit le quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, qui détermine la procédure d’adoption des lois organiques relatives au Sénat. Ce faisant, l’Assemblée nationale avait donc dû entériner le recul du Sénat par rapport aux dispositions ambitieuses qui étaient proposées par le Gouvernement.
Depuis 2009, le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence sur la définition des lois organiques relatives au Sénat. Le commentaire de la décision du 12 avril 2011 est très éclairant, indiquant à ce sujet que le Conseil constitutionnel juge désormais constamment qu’est une loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Tel n’est pas le cas d’une loi dont les mêmes dispositions concernent les deux assemblées.
Ce commentaire est l’aboutissement d’une série de décisions débutée avec la décision du 3 mars 2009. Ne tordez pas les propos que j’ai tenus en commission des lois ; ils font clairement référence à ce que je viens de vous dire : nous ne sommes plus dans la situation qui était la nôtre en 2000. Même si je souhaite que vous puissiez épouser cette réforme indispensable de nos institutions et accompagner le mouvement de modernisation, de transformation de la vie publique, le vote du Sénat n’est donc pas aujourd’hui nécessaire, précisément parce que le texte de loi ne distingue pas un régime distinct pour les sénateurs par rapport aux députés.