Monsieur le président, madame la ministre, chère Aurélie Filippetti, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, lors de la réforme constitutionnelle de 2008, le Sénat a fait le choix d’inscrire le pluralisme et l’indépendance des médias parmi les libertés fondamentales garanties par la loi.
Je suis fier d’avoir été, avec le groupe socialiste, à l’initiative de cette innovation, qui a emporté l’adhésion de l’ensemble du Sénat, alors même que nous étions dans l’opposition, démontrant ainsi l’attachement de notre assemblée à porter la nécessité de l’indépendance et du pluralisme jusqu’au sein de notre loi fondamentale.
Il s’agit aujourd’hui encore, dans ce projet de loi, de garantir par les textes et les mécanismes de droit que, en dépit des alternances politiques inhérentes à la vie démocratique, l’indépendance de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde soit toujours respectée.
Les médias publics jouent un rôle bien particulier dans notre démocratie : ils portent les valeurs de qualité et d’autonomie. Le travail du journaliste y est protégé, l’esprit d’indépendance, chéri.
Or, ne nous voilons pas la face, le citoyen a pu avoir l’impression, avec la réforme de 2009, que le service public n’était plus porteur de ces ambitions et de ces valeurs. Le débat avait d’ailleurs été très vif, dans cet hémicycle. Il est plus apaisé aujourd’hui.
La loi de 2009 a bien eu des effets néfastes sur l’indépendance des médias, ainsi que le souligne le rapport sur son application, dont j’ai été le co-auteur, avec notre collègue Jacques Legendre.
La suppression de la publicité, tout d’abord, a conduit à faire largement reposer le financement de France Télévisions sur la dotation de l’État. On voulait rendre le service public indépendant des annonceurs, alors qu’il l’était déjà. On l’a rendu dépendant de l’État, alors qu’il ne l’était pas ! C’est tout le paradoxe de la précédente réforme.
La nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public par le Président de la République, ensuite, a considérablement aggravé cet effet boomerang. On a voulu mettre fin à ce que certains appelaient « une hypocrisie » en assumant, dans un geste d’affranchissement généralisé, les pressions sur les médias, comme si elles étaient consubstantielles à l’exercice du pouvoir. Ce n’est pas notre façon de voir les choses.
L’onde de choc s’est propagée à l’ensemble des décisions des présidents de l’audiovisuel public, sur lesquelles le soupçon de la partialité a systématiquement pesé. Chacune d’entre elle a été commentée, analysée, disséquée au prisme des choix politiques qu’elle était censée représenter, et non comme le simple souhait de faire vivre une antenne de façon libre et pluraliste.
Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, le jugement ne portait pas sur les personnes nommées elles-mêmes : il se nourrissait du soupçon que le mode de nomination faisait peser sur leur action.
Certains pensent que l’indépendance est une exigence quotidienne, une pratique plutôt qu’une règle fixée dans le marbre et que le mode de nomination est donc secondaire. Pour ma part, je tiens pour une erreur d’opposer règle et pratique.
À mes yeux, cela reste un pari. Quelles que soient leurs qualités personnelles, rien n’assure a priori que les présidents de l’audiovisuel sauront, en toutes circonstances, garder un esprit de neutralité et d’impartialité. Il est tout de même difficile, notamment pour un président en place, de ne pas penser au renouvellement de son mandat. Ce responsable peut donc être tenté de plaire, voire de complaire, à l’autorité qui le nomme et a le pouvoir de renouveler son mandat.
Au-delà de l’exercice de l’indépendance, il faut surtout considérer les garanties d’indépendance.
On peut être indépendant dans ses actes tous les jours, mais cela ne sert à rien, surtout en ce qui concerne les médias, sans ce que j’appellerai « l’apparence de l’indépendance ». Cela ne sert à rien si la perception de cette indépendance est brouillée pour nos concitoyens, et si toutes les décisions sont jugées à l’aune de cette suspicion.
Un mode de nomination indépendant est donc, à mon sens, un préalable nécessaire à toute politique de service public. Si les règles ne suffisent certes pas à assurer l’indépendance, il n’y a pas d’indépendance sans règles.
Tel est l’objectif du présent projet de loi : fixer un ensemble de garanties offrant aux présidents de l’audiovisuel public un cadre pour exercer leur fonction sans avoir à répondre au risque du soupçon, pour prendre des décisions en étant protégés de la critique de l’asservissement.
Je veux rendre hommage au Gouvernement, et en particulier à Mme la ministre, tant il est rare qu’un exécutif vienne devant une assemblée se dessaisir d’une de ses prérogatives. Cela ne s’est pas souvent produit et ne se reproduira pas souvent !
Le service public doit rappeler chaque jour au public le principe fixé à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme. »
La garantie première de ce principe est, selon nous, l’autorité de nomination, qui doit constituer un filtre entre le pouvoir politique et les médias audiovisuels. Pour que la nomination soit pleinement légitime, cet intermédiaire doit lui-même être neutre. Le choix effectué dans le présent projet de loi est simple : les nouveaux présidents de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde seront dorénavant nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Il ne s’agit cependant pas de l’ancien CSA, que l’on pouvait soupçonner d’agir en faux nez d’un pouvoir politique, continuant à régler en sous-main la question des nominations. Voilà pour l’hypocrisie à laquelle on prétendait mettre un terme !
Cette nomination est confiée à un nouveau CSA, incontestable, dont la composition aura fait l’objet d’un large consensus politique, puisque six de ses sept membres seront nommés avec l’accord des commissions des affaires culturelles à une majorité des trois cinquièmes. Je le répète, et Mme la ministre l’a souligné elle aussi : à une majorité positive des trois cinquièmes !
Quelle que soit l’analyse que l’on fasse de cette proposition, on reconnaîtra qu’elle est révolutionnaire en droit français et qu’elle constitue une nouveauté qui n’a pas fini d’être commentée, dès lors que nous aurons de nouveau à légiférer. Elle confère plus de droits au Parlement et doit ainsi être appréciée par l’ensemble des parlementaires, qu’ils soient aujourd’hui dans l’opposition ou, demain, dans la majorité.