Intervention de André Gattolin

Réunion du 1er octobre 2013 à 14h30
Indépendance de l'audiovisuel public — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’il avait d’abord été envisagé d’inclure ces deux projets de loi dans une réforme beaucoup plus large de l’ensemble du secteur audiovisuel français, nous considérons qu’ils sont loin d’être de petits projets de loi.

Du reste, le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public, qui précise et renforce les attributions du Conseil supérieur de l’audiovisuel, a été fortement enrichi lors de son examen par l’Assemblée nationale, puis au cours des travaux menés au Sénat, en commission, depuis le mois de septembre dernier.

Lors des auditions nombreuses et très riches conduites par notre collègue David Assouline, certains sénateurs de l’opposition ont mis en doute l’apport du projet de loi en matière d’indépendance de l’audiovisuel public. Nous ne partageons pas leur point de vue !

Pour bien saisir les enjeux de la réforme, mais aussi les progrès que marque ce projet de loi ainsi que les améliorations que nous pourrions encore lui apporter, je crois qu’il n’est pas inutile de rappeler brièvement la longue et tortueuse marche de l’audiovisuel français vers plus d’indépendance.

Mes chers collègues, vous me pardonnerez ce petit détour historique, que je crois indispensable pour mesurer combien notre pays, l’une des plus anciennes et des plus grandes démocraties au monde, a été et demeure à la traîne d’autres nations en matière de régulation et d’indépendance de son secteur audiovisuel.

Notre débat sur l’indépendance de ce secteur trouve ses origines dans l’immédiat après-guerre. Inquiet de l’intense utilisation propagandiste qui avait été faite des médias, en particulier de la radio, par les régimes fasciste et nazi avant 1939 et durant l’Occupation, conscient aussi des dérives liées à la coexistence non régulée, dans l’Entre-deux-guerres, d’un puissant secteur radiophonique privé et d’un secteur public mal organisé et doté de faibles moyens, le Gouvernement provisoire issu de la Libération décida d’établir sur la radio, et indirectement aussi sur la télévision, un monopole d’État absolu dont l’instauration, du reste, était dans les cartons de l’État depuis la fin des années 1930.

C’est ainsi qu’une ordonnance du 23 mars 1945 a institué la Radiodiffusion française, la RDF : cet établissement public, ancêtre de l’Office de radiodiffusion-télévision française, l’ORTF, avait pour mission d’assurer le monopole complet de l’État sur l’ensemble des moyens de diffusion hertzienne connus à cette époque.

Dès la naissance de cet organisme, un important débat s’est fait jour au sujet de sa nature, de ses attributions et du degré d’indépendance dont il devait bénéficier.

Devait-il être une institution nationale dotée d’une certaine autonomie, sur laquelle le Gouvernement n’exercerait qu’une tutelle lointaine, un peu à l’exemple de la BBC ? Telle était la conception défendue par Jean Guignebert, journaliste très renommé avant-guerre, grand résistant et premier président du conseil supérieur de la RDF.

Devait-il, au contraire, être un pur instrument du monopole d’État, sous le contrôle direct du pouvoir exécutif ? C’est malheureusement cette seconde conception qui prévalut, lorsqu’un décret du 20 septembre 1945 plaça l’information radiophonique sous la tutelle politique et quotidienne du ministère de l’information. La télévision d’État fit l’objet du même traitement dès ses premiers balbutiements, au tout début des années 1950.

Sans doute la création de l’ORTF, en 1964, conféra-t-elle une autonomie un peu plus grande à la télévision française ; mais celle-ci demeura dans le cadre étroit du monopole étatique, tandis qu’en Grande-Bretagne, le monopole de la BBC avait été aboli dès 1955.

Il fallut attendre 1969 pour que Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre, supprime enfin le ministère de l’information, lequel fut rétabli dès 1973, peu après le renvoi d’Arthur Conte. Il faut dire que celui-ci, en tant que président de l’ORTF, avait dénoncé les pressions exercées par le Gouvernement au sujet de la nomination des directeurs de stations et d’antennes, en particulier de celle du directeur de France Culture.

C’est en 1981 seulement que le monopole d’État sur la radio fut aboli. S’agissant de la télévision, c’est en novembre 1984 que naquit Canal+, la première chaîne privée payante, autorisée dans des conditions dérogatoires si particulières que certains ne manquèrent pas de dénoncer le fait du prince.

Entre-temps, la gauche au pouvoir avait créé, en 1982, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle ; premier organisme de régulation du secteur audiovisuel français, cette institution était composée de neuf membres : trois nommés par le Président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l’Assemblée nationale.

Elle fut remplacée, en 1986, par la Commission nationale de la communication et des libertés, dont les membres, au nombre de treize, étaient nommés selon une procédure différente. En 1989, cette instance devint finalement le CSA, le mode de désignation prévu en 1982 étant rétabli.

Mes chers collègues, vous le constatez : c’est à un rythme très lent, et non sans des régressions, que nous sommes arrivés au point où nous nous trouvons aujourd’hui.

La loi organique du 5 mars 2009 a d’ailleurs marqué un nouveau recul dans l’indépendance du CSA, puisqu’elle a placé la nomination des présidents des groupes de l’audiovisuel public sous la seule responsabilité du Président de la République.

Madame la ministre, je vous félicite d’avoir compris l’importance de ce dossier et je vous remercie d’avoir fait preuve d’un grand sens de l’écoute, qui a permis au texte initial du Gouvernement d’être enrichi au fur et à mesure de l’avancement du débat parlementaire.

L’esprit général de la réforme est simple : il s’agit avant tout de donner un nouveau statut au Conseil supérieur de l’audiovisuel, pour renforcer ses pouvoirs et son autonomie. Il s’agit aussi de changer les modes de nomination de ses membres.

Ainsi, avec ce texte, nous avons l’occasion d’entailler enfin le cordon ombilical qui relie encore l’exécutif à l’audiovisuel public. Nous, écologistes, pensons qu’il faut s’en réjouir, car c’est un signal quasi inédit depuis 1958, et qu’il faut encourager, vers une sorte de « des-hyperprésidentialisation » du régime.

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