En tant que rapporteurs de la commission des finances, nous avons regardé de plus près les moyens financiers - au sens large - dont disposent les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre leur politique foncière. Nos auditions nous ont convaincus de l'existence de trois difficultés majeures : l'instabilité des mécanismes, leur complexité, et l'absence d'informations fiables.
Les résidences principales sont exonérées de taxation sur les plus-values, laquelle rapportait néanmoins 1,2 milliard d'euros en 2011. Or cet impôt, qui influe sur les décisions des propriétaires de foncier, bâti ou non, porte sur la même assiette que certaines taxations optionnelles des collectivités territoriales : leur marge de manoeuvre est donc limitée par les initiatives de l'État.
Dans sa décision du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 15 de la loi de finances pour 2013 portant réforme du régime des plus-values immobilières, après avoir apprécié l'ensemble des impositions et des prélèvements sociaux -portant sur les plus-values immobilières- au regard du principe d'équité fiscale. Compte tenu de l'imbrication des dispositifs fiscaux, une concertation préalable entre l'État et les collectivités territoriales devrait être systématiquement organisée avant la présentation de nouvelles réformes touchant la taxation du foncier. De même, les études d'impact fournies lors de la présentation de ces réformes au Parlement devraient évaluer globalement leurs conséquences sur l'ensemble des collectivités publiques.
La grande caractéristique de la fiscalité d'État sur le foncier est son instabilité, préjudiciable aux acteurs du marché, mais également à l'élaboration par les collectivités locales d'une politique foncière à cinq ou dix ans. Le premier régime de taxation des plus-values de cessions immobilières, instauré par la loi du 19 juillet 1976, a perduré vingt-sept ans. La loi de finances pour 2004 l'a modifié pour appliquer à l'assiette de la taxe un taux unique et réduire la durée de détention du bien ouvrant droit à exonération de vingt-deux à quinze années. Le système a été appliqué pendant sept ans. En 2011, la durée de détention a été portée à trente ans. La même année, deux lois de finances rectificatives ont prévu des exceptions et des modifications. Puis la loi de finances pour 2013 a introduit dans un système à peine stabilisé des régimes différenciés selon la nature du foncier et des régimes transitoires avec des dates d'application différées. La réforme annoncée en juin 2013, et censée entrer en vigueur au 1er septembre quoique figurant dans le projet de loi de finances pour 2014, maintient les prélèvements sociaux sur trente ans, raccourcit le délai de détention à vingt-deux années et crée un nouveau système transitoire exceptionnel applicable à une partie seulement des biens fonciers...
Si l'on ajoute à cela les régimes de taxation des plus-values immobilières introduits dans les années 2000 au profit des collectivités territoriales et l'autorisation annoncée par le Gouvernement, pour les départements, d'augmenter les droits de mutation à titre onéreux, mesure dont les effets pourraient être contradictoires avec les objectifs de la réforme des plus-values immobilières, on comprend que la modification permanente de la règle du jeu déstabilise les acteurs et gèle les marchés. Les phénomènes de rétention foncière se trouvent confortés et la rareté du foncier pousse les prix à la hausse.
Pour réduire cette instabilité, nous proposons, d'une part, que le Gouvernement assure la clarté et la cohérence des mesures fiscales qu'il préconise et respecte le droit du Parlement à débattre de manière satisfaisante de la loi fiscale en renonçant à annoncer des mesures ni évaluées, ni discutées, ni votées ; d'autre part, nous suggérons un moratoire d'au moins cinq ans dans le domaine de la fiscalité foncière. Comme nous l'ont expliqué les notaires, les trente années prévues par le régime actuel dépassent les perspectives de temps d'une personne physique : nous sommes favorables à un retour au délai de vingt-deux ans.
La question de l'opportunité d'un choc d'offre -qui peut être incitatif ou pénalisant-, de son coût et de son ciblage, est plus délicate. Lors des dernières réformes, les débats parlementaires ont montré la difficulté à trancher entre un ciblage sur les immeubles bâtis, supposé favorable au monde urbain dense et d'un rendement fiscal élevé, et un ciblage sur les terrains constructibles, considéré comme plus efficace pour la production de logements neufs. L'efficacité même de ce type de mesures est incertaine, car le marché foncier ne répond pas, loin s'en faut, aux seules incitations fiscales.
D'aucuns proposent de renverser la logique actuelle de la taxation des plus-values immobilières en les augmentant au fil du temps ; le Conseil d'analyse économique suggère même de taxer la détention plutôt que les transactions. Un tel système, en supprimant les plus-values immobilières actuelles et les droits de mutation à titre onéreux pour augmenter la taxe foncière en imposant les plus-values latentes, aboutirait, d'une part, à taxer le contribuable sans prendre en compte la trésorerie dont il devra disposer pour acquitter l'impôt et, d'autre part, à transférer le poids de l'impôt foncier des propriétaires de résidences secondaires et de terrains nus aux propriétaires de résidences principales, actuellement exonérées. Nous sommes plutôt favorables au régime le plus simple possible, stable et de nature à garantir la neutralité fiscale vis-à-vis des décisions des personnes physiques.