J'ai été surpris de la présentation très réductrice de la méthanisation en début de réunion, limitée au modèle allemand. Ce dernier, pas plus que le projet de méthanisation des « mille vaches », n'est représentatif de ce qu'est pour nous la méthanisation.
L'enjeu pour l'agriculture n'est pas uniquement celui de l'énergie, mais aussi celui du digestat, et ce à deux égards :
- sa qualité, car les effluents retournant ensuite au sol, les agriculteurs risquent d'être considérés comme responsables en cas de dégradation des terres. Il faut donc contrôler de très près ce qui entre dans la composition du digestat, ce qui requiert d'avoir la maitrise des unités de méthanisation ;
- sa faculté à constituer l'engrais de demain. Les intrants classiques vont voir leurs prix augmenter du fait de la raréfaction de certains minerais et de l'augmentation du prix de l'énergie. Or, leurs composants se retrouvent dans le digestat, qui peut représenter à terme de l'ordre de 75 % des besoins de l'agriculture en fertilisants. Il importe que les agriculteurs restent maîtres de sa valorisation et n'en soient pas dépossédés par de grands groupes, comme pour la commercialisation des produits agricoles.
La méthanisation est un outil de développement d'une agriculture durable. Les méthaniseurs permettent d'utiliser tous les déchets d'exploitation et, lors du retour au sol, de réduire la pression des adventices, d'empêcher la repousse et ainsi d'utiliser moins de produits phytosanitaires. Les besoins de rotation des cultures engendrent des productions dont la partie aérienne n'est parfois pas valorisable d'un point de vue alimentaire ; il peut alors être intéressant pour les agriculteurs, économiquement et environnementalement, d'y recourir pour alimenter leurs méthaniseurs. La méthanisation constitue un outil de compétitivité, notamment pour l'élevage, qui y voit un débouché pour ses effluents ; elle a ainsi permis aux éleveurs allemands d'atténuer l'impact de la crise laitière, à la différence des éleveurs français.
Il n'existe pas un seul, mais une pluralité de types de méthanisations : individuelle ou collective, petite ou grande, faisant appel à différentes méthodes de valorisation et à différents partenaires... Le plus important est qu'une partie essentielle du capital reste aux mains des agriculteurs.
Le développement de la méthanisation passe aujourd'hui par un soutien public à travers des subventions, ce qui permet d'orienter les pratiques et de réguler le marché. La prime à l'efficacité énergétique doit prendre en compte certains éléments de valorisation qui ne le sont pas actuellement. Les soutiens à la méthanisation doivent être harmonisés à l'échelle nationale et régionale.
On évoque souvent les conflits d'usages des terres agricoles, entre productions alimentaires et énergétiques. Je pense qu'il faut recadrer le débat sur ce point. En région Lorraine, si l'on mettait 1 % de la surface agricole en culture dédiée pour alimenter à 25 % les méthaniseurs, on réaliserait quatre fois l'objectif fixé pour 2020. On parle bien ici de 1 % des terres agricoles, à comparer aux 30 % de gaspillage des produits alimentaires ...
Les financeurs, auxquels s'adressent les agriculteurs projetant d'exploiter des méthaniseurs, veulent être rassurés sur les garanties d'approvisionnement. Or, les engagements que peuvent donner à cet égard les industriels des déchets ne peuvent excéder trois ans, alors que les prêts sont consentis sur une quinzaine d'années ! Si l'on n'obtient pas de garanties d'approvisionnement à plus long terme, aucun banquier, même public, ne nous suivra dans nos projets. Cela passe pour partie par l'allocation de cultures dédiées, au moins pour amorcer les projets, mais aussi par des pools bancaires, par le « fonds chaleur », par le « fonds déchets » ...
Il nous faudra également travailler sur l'instauration de tarifs différenciés dans le cadre du plan de performance énergétique, revoir les seuils des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et progresser dans la simplification du traitement administratif des dossiers.
La méthanisation constitue, pour le monde agricole, un enjeu allant bien au-delà de la seule production d'énergie.