Commission des affaires économiques

Réunion du 2 octobre 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • bois
  • chaleur
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  • méthanisation

La réunion

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Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise, en commun avec la commission du développement durable, deux tables rondes sur le thème de la biomasse, l'une sur les conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France, l'autre sur le biogaz et la méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Nous sommes réunis ce matin pour parler d'une question qui concerne aussi bien nos deux commissions des affaires économiques et du développement durable que le groupe d'études de l'énergie. Si on parle beaucoup d'économie circulaire en ce moment, les nouvelles énergies sont elles aussi un éternel retour à des sources d'énergie anciennes : énergie du vent, énergie de l'eau et énergie du bois qui est bien la première des énergies utilisées par l'homme. Au-delà du bois de chauffage dans les logements individuels, qui en constitue encore aujourd'hui l'utilisation principale, c'est de manière plus générale de biomasse-énergie que nous parlerons : il s'agit, dans tous les cas, de produire de l'énergie à partir des matières organiques, mais selon des procédés chimiques et techniques variés.

Les deux tables rondes seront consacrées aux deux principales voies de transformation de la biomasse en énergie.

L'énergie peut être produite par la voie sèche de la transformation thermochimique : c'est le cas en particulier de la combustion des matières organiques. La chaleur produite est utilisée pour elle-même ou pour générer de l'électricité. C'est le sujet de la première table ronde.

La mobilisation de la ressource bois est à cet égard essentielle pour atteindre l'objectif d'intégration de 20 % d'énergies renouvelables dans la production totale d'énergie de l'Union européenne en 2020. Or, sous ses différentes formes, le bois est une ressource abondante en France. La production de granulés demeure pourtant très inférieure à celle de la Suède ou de l'Allemagne. La France, paradoxalement, connaît un déficit de la balance commerciale de la filière bois dans son ensemble, d'un montant de 6,1 milliards d'euros en 2012, alors qu'elle exporte des grumes et des matières premières.

Les intervenants pourront nous indiquer comment mieux développer la filière afin de faire mieux correspondre l'offre et la demande locales, mais aussi comment arbitrer entre les différents usages du bois, car la conversion en énergie devrait concerner en priorité ses parties les moins nobles.

La taille des centrales est également un enjeu fort, notamment pour les administrations qui utilisent ce critère pour différencier les régimes d'aide. Une grande centrale à biomasse peut avoir une efficacité économique plus grande et parvient plus facilement à réduire ses émissions de particules fines. À l'inverse, de petites centrales peuvent être installées plus près des zones de collecte du bois, comme des lieux de consommation de la chaleur ou de l'électricité produits. Elles constituent également un vivier d'emplois.

Les biomasses humides sont exploitées par la voie de la méthanisation. Si ce procédé naturel est pratiqué depuis longtemps par les ruminants et se produit également dans les tourbières, il est aujourd'hui mis en oeuvre pour valoriser les déchets de la vie urbaine ou de l'agriculture. Il produit un gaz à haute valeur calorifique et riche en méthane. C'est le thème de la deuxième table ronde.

Ce biogaz peut être utilisé comme le gaz naturel, injecté dans les réseaux, brûlé en chaudière pour produire de la chaleur ou de l'électricité, voire employé sous forme de biocarburant dans les transports.

La méthanisation est, avec l'électricité photovoltaïque, l'un des rares moyens de production d'énergie qui peut exploiter des ressources urbaines, en l'occurrence les déchets. Elle trouve donc une place privilégiée dans les réseaux de chaleur.

Elle peut aussi constituer une source de revenus d'appoint pour les agriculteurs. Je serai intéressé à cet égard par le point de vue des intervenants sur les pratiques allemandes. Dans le cadre d'une mission que nous avons menée l'an dernier dans ce pays, j'ai eu l'occasion de visiter une installation de 1 900 vaches, largement robotisée, qui produisait du lait, certes, mais aussi, voire surtout, du biogaz transformé en électricité, et ce avec des subventions de la politique agricole commune. Les exploitations agricoles ont-elles vocation à devenir des centrales électriques ?

Le temps étant limité, nous avons choisi de ne pas traiter de la troisième branche de développement de la biomasse-énergie, qui est constituée par les biocarburants. Il s'agit en effet d'un sujet en soi, largement présent dans le débat public. C'est un débat technique, environnemental - et même linguistique sur les termes de biocarburant et agrocarburant.

La deuxième table ronde sera présidée par Raymond Vall, président de la commission du développement durable.

Mais je laisse à présent la parole à Ladislas Poniatowski, qui a eu l'idée de l'organisation de cette matinée et qui va présider la première table ronde en sa qualité de co-président du groupe d'études de l'énergie.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je remercie les présidents Daniel Raoul et Raymond Vall d'avoir donné leur accord pour l'organisation de cette table ronde, qui répond à une demande forte de nombreux sénateurs en raison du potentiel méconnu de la biomasse et de son impact territorial.

La première table ronde concerne les conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France. Quatre intervenants vont nous permettre de faire un état des lieux de la filière biomasse-énergie et de ses enjeux au niveau national. Le Grenelle de l'environnement avait fixé des objectifs ambitieux de production d'énergie à partir de la biomasse pour 2020 : 7 400 tonnes-équivalent pétrole de biomasse énergie en dehors des logements individuels, 1 440 tonnes-équivalent pétrole pour l'électricité.

Dans les deux cas, la structuration de la filière était conçue comme une condition de réussite et plusieurs outils ont été mis en place : fonds chaleur et appels d'offres gérés par l'Ademe pour la chaleur, tarif d'achat et appels d'offres gérés par la Commission de régulation de l'énergie pour l'électricité.

Il reste beaucoup de chemin à parcourir. En 2012, nous n'avons produit que 491 tonnes-équivalent pétrole pour l'électricité, et la part de bois-énergie utilisée en dehors des ménages demeure très minoritaire.

Dans un secteur dont le développement dépend des réglementations et des mécanismes de soutien, Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, pourra nous indiquer, je l'espère, où en est la réflexion du ministère concernant la place à donner à la biomasse-énergie et à ses priorités.

François Habègre, directeur général France chez Dalkia, apportera la vision d'un grand acteur de l'industrie et des services sur les perspectives de développement des différentes filières.

Nous savons toutefois que l'un des problèmes essentiels pour le développement de la biomasse-énergie, c'est la mobilisation de la ressource elle-même. C'est pourquoi Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois, nous expliquera ce qui peut être fait à ce niveau parmi les exploitants et les industriels du bois.

Enfin Cyril le Picard, président de l'Union de la Coopération forestière française mais aussi président de la commission France Biomasse du Syndicat des énergies renouvelables, aura une double qualification pour nous donner des pistes sur la dynamisation de la production de bois-énergie.

Après ces interventions, je donnerai la parole à l'une de nos collègues, Bernadette Bourzai, sénatrice de la Corrèze. Très active sur ces questions, elle pourrait nous indiquer de manière concrète les enjeux qui se posent pour la mise en place sur un territoire de solutions de biomasse-énergie et sur leur financement.

Debut de section - Permalien
Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Je vous remercie d'organiser cette table ronde sur la biomasse. En effet, lorsqu'on parle de transition énergétique, on évoque très souvent les énergies renouvelables comme le photovoltaïque, alors même que sur les 20 millions de tonnes équivalent pétrole de renouvelables à mettre en place pour l'année 2020, la moitié est de la biomasse sous une forme ou une autre. Pour un pays comme la France, la biomasse est donc absolument essentielle dans la transition énergétique. Le meilleur outil mis en place ces dernières années est clairement le fonds chaleur. Il est très efficace, financièrement et en termes de développement des capacités. Il est pourtant méconnu.

Concernant les objectifs de 2020 en matière d'énergies renouvelables, la France était un peu en retard en 2011 par rapport à la trajectoire. En 2012, nous étions toujours très légèrement en retard. Il faut manipuler ces chiffres avec prudence, surtout en matière d'hydroélectricité et de biomasse, énergies qui sont très dépendantes des conditions climatiques.

En production de chaleur, le principal outil est le fonds chaleur. Il faut développer et abonder ce fonds. D'autres dispositifs existent, d'une ampleur moindre. Le crédit d'impôt s'adresse aux particuliers, pour tout ce qui est poêles à bois notamment. Existent aussi les certificats d'économie d'énergie et l'éco-prêt vert à taux zéro.

En électricité, nous avons fait le choix d'un dispositif mixte composé de tarifs d'achat et d'appels d'offres. L'appel d'offres est réservé aux très grandes installations. C'est le bon outil pour permettre aux pouvoirs publics d'arbitrer, de piloter, de gérer les conflits d'usages et de prioriser les projets en fonction de la ressource. Pour les plus petites installations, de moins de 12 MW, il existe un tarif d'achat. C'est un système de guichet ouvert qui implique un pilotage moins direct des projets.

En coûts cumulés sur la période 2009-2013, près de deux milliards d'euros ont été mobilisés via le fonds chaleur. Ce sont pour l'essentiel des primes à l'investissement. Le crédit d'impôt développement durable a représenté un milliard d'euros pour 2012, avec une part de biomasse de l'ordre de 200 millions d'euros. Et l'éco-prêt à taux zéro représente quelques dizaines de millions d'euros. Pour la production d'électricité, l'habitude a été prise de compter en millions d'euros par an. Cette approche est biaisée dans la mesure où, lors de la signature d'un contrat de cogénération pour biomasse, un engagement est pris sur quinze à vingt ans. En totalité d'engagement, avec 200 millions d'euros sur vingt ans, on atteint la somme de quatre milliards. Il est important de conserver à l'esprit qu'en euros ramenés à la tonne équivalent pétrole, la chaleur reste de très loin plus efficace que la cogénération.

Quels sont les enjeux devant nous ? L'enjeu économique d'optimisation de la dépense publique vaut pour le fonds chaleur, aujourd'hui adossé à du crédit budgétaire, et donc concerné par la contrainte de maîtrise de la dépense. Cet enjeu vaut aussi pour les dépenses de contribution au service public de l'électricité (CSPE), payées par le consommateur d'électricité et en croissance régulière depuis plusieurs années. Nous avons un devoir collectif de mettre dans la CSPE les dépenses les plus efficaces.

Le deuxième enjeu concerne les conflits d'usages. Il faut éviter de créer des tensions sur la ressource en bois. De ce point de vue, l'accès à la ressource et la structuration de la filière sont essentiels. Nous avons probablement commis une erreur il y a quelques années en pensant que la seule filière énergie suffirait à faire sortir la matière des forêts. À l'occasion des grands appels d'offres, nous nous attendions à ce que les énergéticiens essaient de structurer l'amont de la filière, comme les papetiers l'avaient fait en leur temps. Ils y ont contribué en créant des plateformes de regroupement, en investissant auprès des forestiers mais cela ne suffit pas. Seuls les usages nobles feront sortir le bois. Il faut donc avoir un développement énergétique cohérent avec les usages dans le meuble et dans le bâtiment, usages à plus grande valeur ajoutée. Nous tenons à la hiérarchie des usages, qui va du bois d'oeuvre au bois énergie sous forme de chaleur, prioritairement sur l'électricité en cogénération, et excluant tout usage électrique pur. Il y a toutefois eu au moins une exception célèbre avec le dossier de Gardanne. L'électrique pur ne représente que 35 % d'efficacité énergétique. C'est un désastre en termes d'utilisation de la ressource. Lorsqu'on fait de l'électricité, il faut faire de la cogénération.

Je ne pense pas que le cas allemand puisse être totalement un modèle, tant pour la biomasse que pour le biogaz. Le système allemand verse des niveaux de subventions extrêmement élevés, dont on peut s'interroger sur la soutenabilité. Une bonne partie de la campagne électorale qui vient d'avoir lieu portait sur la soutenabilité économique de l'Energiewende, le tournant énergétique. L'une des premières tâches du nouveau gouvernement sera de réformer les dispositifs de soutien. Je rappelle que là où nous avons une CSPE de l'ordre de 13 euros du MWh, les Allemands sont déjà à 50 euros, et passeront à 70 euros dans quelques semaines.

Deuxième raison pour laquelle, à mon sens, le système allemand ne peut être dupliqué : l'impact des choix effectués en matière de biomasse sur le monde agricole. Ils ont développé, vous y avez fait allusion monsieur le Président, des cultures purement énergétiques. Cela contribue à subventionner l'agriculture allemande, c'est indéniable, mais crée des distorsions, dommageables en particulier pour l'agriculture biologique. Cela fait également monter les prix du foncier.

Quels sont nos objectifs principaux ? La priorité est la chaleur. Il nous faut viser un doublement du fonds chaleur pour atteindre l'objectif 2020. Pour l'électricité, le bilan est plus complexe. Nous sommes assez réservés sur l'usage électrique en cogénération. Nous avons lancé un certain nombre de grands appels d'offres. Il nous faut maintenant digérer ces projets.

La taille des installations doit être adaptée au territoire. C'est un débat très ancien que nous avons avec certains professionnels et avec le ministère de l'agriculture. On ne peut pas remplir le territoire de très grandes installations électriques, sachant qu'on privilégie la chaleur. Pour autant, les petites installations posent des questions d'efficacité économique, d'efficacité énergétique, et de pollution de l'air. Or, comme vous le savez, nous avons déjà des contentieux très lourds sur la qualité de l'air. Je crois qu'il faut regarder toute ouverture vers les petites installations avec beaucoup de prudence. Elles peuvent donner l'impression de bien s'intégrer dans le territoire, mais elles conduisent aussi à des ponctions non pilotées et non coordonnées sur la ressource.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

M. François Habègre, votre groupe gère huit cents réseaux de chaleur dans le monde. Compte tenu de votre expérience, quelles sont selon vous les filières les plus prometteuses en termes de biomasse pour la production d'énergie ? Peut-on espérer faire appel en priorité aux ressources locales plutôt que de transporter des granulés sur de longues distances ?

Debut de section - Permalien
François Habègre, directeur général de Dalkia France

Dalkia est un opérateur international sur l'efficacité et l'économie d'énergie à l'échelle des territoires au travers de réseaux de chaleur, d'activités sur les utilités industrielles et d'activités de services d'efficacité énergétique pour le bâtiment. Notre implication sur la biomasse concerne ces trois métiers principaux. Entre 2008 et 2013, nous avons multiplié par cinq notre intervention en France dans le domaine de la biomasse. En 2008, nous brûlions 270 000 tonnes de bois ; en 2013 nous en brûlons un peu plus de 1,5 million. C'est un effort tout à fait considérable, effectué principalement dans le domaine du chauffage, à plus de 80 %, et à 20 % dans le domaine de l'électricité. L'ensemble de ces installations représente 428 MW thermiques sur le territoire français.

Pour vous donner un exemple concret, nous développons aujourd'hui le réseau de chaleur du Grand Dijon, avec un réseau dont l'importance est multipliée par plus de trois par l'installation d'une chaufferie biomasse d'une puissance de 30 MW. Cela va permettre de chauffer de façon rationnelle, économique et écologique plus de 20 000 logements supplémentaires. Pour ces usagers, l'intérêt est d'avoir une énergie très largement déconnectée du prix des énergies fossiles. Les 50 000 tonnes de bois que nous allons brûler sur le réseau de Dijon proviennent essentiellement de sous-produits de la forêt bourguignonne à proximité immédiate, avec une génération d'emploi local aussi bien dans le monde forestier que dans la logistique et les installations de production.

Historiquement, nous avons commencé par utiliser les filières des produits connexes de scieries et du bois de recyclage. Nos premières chaufferies étaient également en Bourgogne, à Autun. Nous avons valorisé les écorces issues des scieries voisines avec des partenaires scieurs qui étaient également nos partenaires investisseurs. Nous avons ensuite développé un certain nombre de projets avec des industriels, en utilisant des sous-produits de leurs industries, par exemple de l'industrie agroalimentaire dans les malteries et les distilleries. Nous récupérons la partie de leurs déchets qui a encore une valeur énergétique pour les brûler dans des chaudières adaptées, après avoir réalisé des expérimentations dans notre laboratoire de recherche pour nous assurer des impacts, notamment sur l'atmosphère, de ces solutions techniques.

L'approvisionnement de nos grandes unités énergétiques repose aujourd'hui principalement sur la plaquette forestière. Nous avons essayé d'autres solutions, y compris de faire nos propres plantations pour avoir une idée des conditions économiques et environnementales requises pour faire des plantations dédiées au bois énergie. Nous n'avons pas trouvé le modèle pertinent : il n'y a pas pour nous de rationalité économique à poursuivre ce type de schéma. Nous restons donc bien sur un schéma d'intégration complète avec la filière amont de la forêt. Il y a des progrès à faire pour atteindre l'optimum technique et économique. Le bois, pour être compétitif, ne doit pas présenter de ruptures de charges dans sa chaîne. Les grandes chaudières mises en place notamment avec les projets CRE nous ont permis de créer des plateformes à proximité immédiate de nos grosses opérations. Ces plateformes nous donnent l'assurance de la continuité du service de cette installation et des installations avoisinantes. Le fait que les grands appels d'offres aient été nécessaires pour structurer la filière et garantir une sécurité y compris pour les plus petites installations est une réalité.

Nous utilisons encore les produits connexes de scieries. Une production de 2 m3 de bois d'oeuvre génère 1 m3 de sous-produits de bois sous la forme de sciures, d'écorces et de chutes. Il est donc très important de travailler sur l'amont de la filière pour permettre d'utiliser le bois d'oeuvre, le bois industrie et le bois énergie qui n'est qu'un des éléments d'appoint de l'industrie principale du bois d'oeuvre. Il n'y a pas de chaîne pertinente spécifique au bois énergie. Nous avons également dans nos filières d'approvisionnement le bois de récupération, notamment le bois d'emballage. Il est important de sortir le bois d'emballage du statut de déchet pour en faire un vrai produit. Nous sommes naturellement très attentifs à la qualité en amont de ce bois d'emballage pour qu'il n'y ait pas de colles ou d'adjuvants qui perturbent à la fois le fonctionnement de nos équipements et l'environnement.

Je voulais souligner que je suis en parfait accord sur la nécessité absolue de développer le fonds chaleur. C'est de loin le procédé le plus efficace. Si on ne double pas le fonds chaleur, nous ne tiendrons pas les objectifs pour 2020. Sur la partie électricité, je pense qu'il n'y aura plus de grands appels d'offres de la CRE. En revanche, si on veut développer à la marge l'électricité cogénérée sur des petites installations, il faudra prévoir des tarifs d'obligation d'achat adaptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

M. Nicolas Douzain-Didier, la Fédération nationale du bois comprend aussi bien des exploitants que des scieurs et des industriels. Comment la biomasse-énergie s'inscrit-elle dans les différents usages du bois et quels sont les freins à la mobilisation de la ressource ?

Debut de section - Permalien
Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois

La Fédération nationale du bois ou FNB comprend quatre-vingts organisations à la fois nationales ou régionales. Cela va des pépiniéristes aux exploitants forestiers, en passant par les scieurs, les industriels du bois, le bois emballage et les producteurs de granulés. L'énergie est aujourd'hui présente dans trois des sources de bois énergie : la forêt, l'industrie du bois et le recyclage, en particulier avec les bois d'emballage.

Quand on compare le bois à d'autres biens industriels, on constate que le secteur a un potentiel de croissance important. Un rapport rendu la semaine dernière par l'Union européenne indique que la filière forêt-bois représente 7 % du PIB de l'Union et trois millions et demi d'emplois. Ce secteur est un vrai relais de croissance. Tous les secteurs industriels n'ont pas ce type de perspective ou d'ambition.

L'économie de la forêt et des produits forestiers est certes dictée par les marchés, aujourd'hui mondialisés, mais aussi et de façon très forte par les politiques publiques. L'Office national des forêts, notre opérateur public national, commercialise 40 % des bois. Le prix d'un sciage est encore à 65 % du prix de la grume. Les questions de biodiversité, de bois énergie, de transition énergétique sont importantes et la profession ne peut guider seule sa politique industrielle. Nous formulons le voeu d'une synchronisation des politiques publiques et industrielles.

Depuis le 12 septembre, date à laquelle notre filière a été identifiée comme filière d'avenir, nous avons l'espoir que ce voeu a été entendu. Les objectifs politiques en matière de bois énergie n'ont pas été fixés par la profession. Nous n'avons pas vraiment été partie prenante. Il convient aujourd'hui de revenir autour de la table et de reformater nos objectifs aux horizons 2020 et 2030 de façon concertée et sur l'ensemble de la filière. La priorité pour nous est la constitution d'un fonds de mobilisation forestier. La politique menée par l'ADEME avec le fonds chaleur a produit des effets extrêmement positifs, mais il faut rester synchronisé entre l'offre et la demande de bois. Moins de cinq millions de mètres-cubes de bois ont été mobilisés l'an dernier sur le territoire national. La météo n'est pas en cause. Il y a donc une certaine urgence à constituer ce fonds de mobilisation, que nous quantifions à environ 100 millions d'euros, pour réaliser des aménagements concrets avec les territoires, notamment créer des routes forestières afin de capter des bois aujourd'hui inaccessibles. Pour nous, le risque sous-jacent, et Gardanne l'illustre bien, c'est que lorsque les ambitions ne sont pas à la mesure de nos moyens, on crée un aspirateur d'importation de bois énergie.

L'industrie du bois va au-delà de la valeur ajoutée qu'elle peut dégager. Chaque mètre-cube collecté en forêt génère du bois énergie forestier, mais aussi des connexes et du bois énergie dit industriel, ce qui permet une combinaison positive. Toutes les mesures qui vont dans le sens de l'amélioration de la compétitivité de notre industrie du bois amélioreront également la disponibilité en bois énergie.

Concernant le fonds chaleur, le taux d'aide accordé quand on monte une installation in situ est plus faible que si on le fait dans une autre industrie. Le taux de rachat de l'électricité quand on monte une micro-cogénération dans une scierie est juste en-dessous du seuil de rentabilité. Il s'agit là de sujets concrets de gains de compétitivité par rapport à des outils de politique industrielle dont disposent tous nos concurrents des autres pays européens, que ce soit en Suède, en Autriche, ou en Allemagne. Si nous ne sommes pas attentifs à la politique d'aide mise en oeuvre dans les pays voisins, nous risquons la fuite de matière. C'est ce qui se passe pour le bois de recyclage où nous n'avons pas su monter collectivement cette filière de valorisation et où la moitié du bois part en Italie, en Belgique ou en Allemagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Nous avons bien compris vos messages et demandes de partenariat ; sachez que certains parlementaires ici présents défendent vos positions et sont intervenus sur la constitution d'un fonds de mobilisation...

Monsieur Cyril Le Picard, vous avez la « double casquette » de représentant syndical et de représentant des coopératives forestières ; quelle est votre vision de la structuration et de la dynamisation de la filière bois-énergie ?

Debut de section - Permalien
Cyril Le Picard, président de l'Union de la coopération forestière française (UCFF) et de France Biomasse Énergie

Merci de m'accueillir, je représente en effet deux structures différentes. Les membres de l'UCFF, qui défend les intérêts des forestiers privés, emploient 1 000 salariés et réalisent 350 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'UCFF accompagne les propriétaires forestiers dans la gestion de leurs parcelles, y compris - et surtout, en ce moment - pour ce qui est des petites surfaces.

France Biomasse Énergie, qui est la branche « biomasse » du Syndicat des énergies renouvelables, représente les filières chauffage bois, cogénération biomasse, biogaz, biocarburants et déchets. Nous ne participerons pas à la table ronde relative au biogaz, mais nous avons préparé un plan de relance biogaz, sujet d'importance également.

La biomasse représente aujourd'hui 65 % des énergies renouvelables, et le bois-énergie 46 %, ce qui en fait la première de ces sources d'énergie alternatives. Il faut donc faire prendre conscience aux propriétaires forestiers qu'elle constitue une industrie à part entière, et une source potentielle de revenus. Il convient, dans ce cadre, de mettre en place des chaînes d'approvisionnement à proximité des lieux d'utilisation, en recourant aux organisations de producteurs, telles que les coopératives.

Les propriétaires forestiers ne doivent pas se sentir seuls. Or, il y a un grand morcellement des surfaces : 3,2 millions d'entre eux détiennent moins d'un hectare de forêt. Il faut absolument les inciter au rassemblement. Nous avons mis en place des structures à cet effet.

Le client doit être écouté avec attention ; nous avons des efforts à faire à cet égard, au niveau de la structuration de l'amont.

S'agissant de la dynamisation du marché, il nous faut mettre au point un plan de coupe du bois d'oeuvre, ce qui permet en outre d'éviter les conflits d'usages. Le chantier « biomasse » est en effet un vrai chantier forestier.

Le propriétaire forestier a une approche patrimoniale de son bien ; il doit devenir désormais producteur de bois de façon plus soutenue. Il faut également le faire participer à la gestion durable de la forêt, ce qui passe par des coupes d'arbres.

Il convient de dynamiser l'aval de la filière. Je me réjouis à cet égard que nous soyons désormais répertoriés dans cette catégorie de la chaîne de valeur.

La loi d'avenir « forêt-bois » devrait être débattue au Parlement en début d'année prochaine. Nous avons participé activement, auprès du ministre, à sa préparation, notamment sur l'approvisionnement et la coupe en forêt. La fiscalité forestière doit être pérennisée pour soutenir la coupe, la replantation et l'approvisionnement. À défaut, l'avenir de la filière sera obscurci. Or, un certain nombre d'incitations fiscales seront supprimées au 31 décembre de cette année. Des échanges récents que j'ai eus avec le ministère en charge de l'agriculture, il est toutefois ressorti que la loi de finances rectificative serait ouverte sur la continuation du dispositif « DEFI travaux ».

Le rôle d'un propriétaire forestier n'est pas seulement de couper, mais aussi de replanter. Une pédagogie adaptée doit être entreprise à son égard. Je reste globalement très optimiste pour l'avenir de la filière.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je crains que les dispositions législatives sur la forêt ne soient noyées dans la future loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, ce qui ne servirait pas vos intérêts. Bernadette Bourzai, chère collègue, pouvez-vous à présent nous parler de l'expérience que vous avez menée au niveau local ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Élue maire en 2000, j'ai porté depuis 2001 un réseau de chaleur de biomasse forestière. Il consiste en deux chaudières de plus de 6 MW au total, qui alimentent un réseau de 4,2 km desservant bâtiments publics et logements. Il a bénéficié de l'adhésion d'industriels, qui consomment durant l'été l'énergie dont les particuliers sont alors moins demandeurs. Ce réseau a commencé à fonctionner sous forme de délégation de service public en 2005, alors que le baril de pétrole oscillait entre 30 et 35 euros. Le recours à ce mécanisme juridique se justifiait par la lourdeur des investissements, que la commune, endettée, ne pouvait prendre en charge, ainsi que par la difficulté pour celle-ci à bénéficier de l'ingénierie nécessaires à sa mise en régie. Quatre sociétés ont concouru à l'appel d'offres. Celle qui l'a emporté a conçu, réalisé et fait fonctionner le réseau. La délégation lui a été concédée pour une durée de 24 ans, à l'issue desquels le réseau reviendra à la commune.

Le financement de ce projet n'a pas posé de problème, du fait des concours de l'Etat, de l'Agence pour le développement et la maîtrise de l'énergie (Ademe), de la région, du département et de l'Union européenne. La commune n'a ainsi supporté que le cinquième des frais d'étude préalable. En revanche, nous avons été confrontés à un conflit d'usages lié aux premiers appels d'offres de la Commission de régulation de l'électricité (CRE), lancés pour produire de l'électricité sans cogénération, et non de la chaleur. Cette procédure a désorganisé le marché de l'approvisionnement, tant dans les quantités délivrées qu'au niveau des prix. À cet égard, le projet de Gardanne m'apparaît comme une totale aberration sur laquelle il faudrait revenir.

La Cour des Comptes, dans son rapport de juillet 2013, a évoqué une filière porteuse, mais victime de son mode de financement. Il est certes nécessaire d'abonder le « fonds chaleur », mais il faut aller plus loin, en instaurant de nouveaux modes de financement, en remplaçant les subventions par des avances remboursables, ainsi qu'en instaurant un fonds de mutualisation entre les réseaux de chaleur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Quoiqu'insuffisamment valorisée, la biomasse est la première filière française d'énergies renouvelables. Un plan stratégique avait été annoncé par la ministre Delphine Batho pour développer la filière bois-énergie ; où en sommes-nous aujourd'hui ? Sa mise en oeuvre devrait à mon avis satisfaire deux impératifs : d'une part, développer les petites et moyennes installations, et non pas uniquement les plus importantes ; d'autre part, veiller au respect d'un équilibre satisfaisant dans la gestion locale des forêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Le bois constitue l'une des principales ressources en matière de biomasse ; il doit être largement utilisé pour parvenir aux objectifs que nous nous sommes fixés à l'horizon 2020. Il importe de s'adapter à la physionomie des ressources forestières région par région. Éviter de construire de trop vastes projets préviendrait la survenance de conflits d'usages. À ce titre, Gardanne est en effet une grossière erreur.

Tous les professionnels se réjouissent du « fonds chaleur », mais regrettent la suppression du fonds forestier national, il y a dix ans. Il faudrait aujourd'hui le rétablir, et le doter d'une centaine de millions d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vairetto

Le développement de grosses unités de production déstructure les filières locales, y compris dans d'autres secteurs que celui de l'énergie, et occasionne des pertes de rendement. En Rhône-Alpes par exemple, des installations industrielles sont menacées par de tels méga projets. Il faut s'interroger sur l'opportunité de les arrêter.

Il y a une déperdition d'énergie dans les actions menées en faveur de la forêt ; il faudrait davantage de cohérence.

En Suisse, les propriétaires forestiers doivent confier leurs ressources en bois à des professionnels ; avez-vous des précisions sur ce modèle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Il faut se soucier de ces conflits d'usages. J'observe régulièrement que des quantités extrêmement importantes de bois déchiqueté, à l'occasion d'activités d'entretien de voies publiques, sont perdues ; avez-vous réfléchi à ce gâchis ? Les moyens mécanisés d'entretien provoquent de véritables massacres dans nos forêts ! Et la replantation d'arbres est aujourd'hui bien inférieure à ce qu'elle était.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Certes, la loi d'avenir sur l'agriculture intégrera le secteur de la forêt, mais que nous reprocherait-on si ce n'était pas le cas ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Plusieurs enjeux me semblent aujourd'hui s'imposer. L'amont doit être pris en considération, et nous y sommes très sensibles. Nous avons cependant sur ce point une différence d'approche avec le ministère en charge de l'agriculture - avec lequel nous travaillons par ailleurs étroitement - s'agissant des arbitrages financiers.

Les grandes installations occasionnent certes des difficultés, mais ne sont pas totalement négatives, au vu des préoccupations que nous avons intégrées dans les appels d'offres. Cela a entraîné des éléments perturbateurs, mais les commissions régionales « biomasse » assurent le pilotage. Le taux de chute naturel est très élevé dans ce type de projets ; il faut donc regarder de façon dynamique leur réalisation. Il n'y a pas eu de gros dérapage, sauf pour le quatrième appel d'offres CRE. Des projets uniquement électriques ont été retenus, ce qui ne correspondait pas aux préconisations du ministère de l'énergie et de l'écologie ; nous allons tenter à présent de les gérer au mieux en respectant les engagements qui ont été pris.

Les petites installations sont l'objet d'une quasi « guerre de religion », qui ne mène pas aux bons dosages. Ainsi, leurs tarifs ne sont pas tous bien calés, car ils ont été fixés au gré de discussions interministérielles sous enveloppe. Avant de les réviser toutefois, il nous faut préciser deux points : affirmer clairement la nécessité de les piloter et être vigilant sur la qualité des apports, d'autant que les plus petites ne sont même pas contrôlées ; préciser les financements que l'on souhaite allouer à ces dispositifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

C'est ici, au Sénat, qu'un amendement de prise en charge des installations plus petites avait été adopté ...

Debut de section - Permalien
Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois

S'agissant du fonds de mobilisation, la loi d'avenir agricole interviendra sans doute trop tard car le débat aura lieu en 2014 et l'application du texte au mieux en 2015, nous faisant perdre ainsi deux ans. Si l'urgence de la mobilisation forestière n'est pas intégrée dans le processus de décision, nous aurons à gérer des conflits d'usages, comme ça a été le cas au début de l'année dans l'Ouest. Les stocks de bois dans la filière sont au plus bas.

Pour ce qui est des financements, d'autres pays ont trouvé des solutions. Le ministère de l'agriculture consacre 7 % de son budget à la forêt, qui représente 440 000 emplois. Si c'est ce dernier facteur qui doit être pris en compte, peut-être faudrait-il revoir les financements à la hausse ?

Debut de section - Permalien
Cyril Le Picard, président de l'Union de la coopération forestière française (UCFF) et de France Biomasse Énergie

France Biomasse Énergie a participé à l'élaboration du « plan biomasse », qui sera intégré dans la future loi de programmation sur la transition énergétique, prévue pour 2014.

En ce qui concerne les plantations, il faut être très rigoureux, en y procédant systématiquement dès que l'on coupe du bois. Il faut accompagner cette obligation d'une incitation, afin que le propriétaire forestier y ait un intérêt.

Le fonds forestier, qui constitue une coquille vide, nous inquiète beaucoup.

Debut de section - Permalien
François Habègre, directeur général de Dalkia France

L'amont et l'aval sont très étroitement liés dans la filière bois : une chaudière à bois est extrêmement sensible à la qualité du bois qui l'alimente.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

En effet ; en tant que président du groupe d'études « énergie », je risque d'ailleurs de revenir vers vous à ce sujet, pour aller voir avec nos collègues le fonctionnement de certaines centrales dont les apports en combustibles sont très diversifiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Il serait bon également d'inviter le comité interprofessionnel du bois énergie (CIBE) afin de discuter du système d'avance remboursable et du fonds de mutualisation des réseaux ...

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Merci à l'ensemble des intervenants, je cède à présent la place au président Raymond Vall pour introduire la deuxième table-ronde, portant sur le biogaz et la méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Cette table-ronde va nous permettre de déterminer le potentiel économique du biogaz et de la méthanisation, autour de trois grandes questions. Que peut apporter la méthanisation pour une exploitation agricole et quels sont les risques de conflit d'usages avec les cultures alimentaires ? Quel est le potentiel du biogaz par rapport aux autres sources de gaz, et les conditions de sa réalisation ? Quel est l'impact du biogaz sur l'organisation des réseaux ?

Debut de section - Permalien
Laurent Paquin, membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), responsable du dossier énergie

J'ai été surpris de la présentation très réductrice de la méthanisation en début de réunion, limitée au modèle allemand. Ce dernier, pas plus que le projet de méthanisation des « mille vaches », n'est représentatif de ce qu'est pour nous la méthanisation.

L'enjeu pour l'agriculture n'est pas uniquement celui de l'énergie, mais aussi celui du digestat, et ce à deux égards :

- sa qualité, car les effluents retournant ensuite au sol, les agriculteurs risquent d'être considérés comme responsables en cas de dégradation des terres. Il faut donc contrôler de très près ce qui entre dans la composition du digestat, ce qui requiert d'avoir la maitrise des unités de méthanisation ;

- sa faculté à constituer l'engrais de demain. Les intrants classiques vont voir leurs prix augmenter du fait de la raréfaction de certains minerais et de l'augmentation du prix de l'énergie. Or, leurs composants se retrouvent dans le digestat, qui peut représenter à terme de l'ordre de 75 % des besoins de l'agriculture en fertilisants. Il importe que les agriculteurs restent maîtres de sa valorisation et n'en soient pas dépossédés par de grands groupes, comme pour la commercialisation des produits agricoles.

La méthanisation est un outil de développement d'une agriculture durable. Les méthaniseurs permettent d'utiliser tous les déchets d'exploitation et, lors du retour au sol, de réduire la pression des adventices, d'empêcher la repousse et ainsi d'utiliser moins de produits phytosanitaires. Les besoins de rotation des cultures engendrent des productions dont la partie aérienne n'est parfois pas valorisable d'un point de vue alimentaire ; il peut alors être intéressant pour les agriculteurs, économiquement et environnementalement, d'y recourir pour alimenter leurs méthaniseurs. La méthanisation constitue un outil de compétitivité, notamment pour l'élevage, qui y voit un débouché pour ses effluents ; elle a ainsi permis aux éleveurs allemands d'atténuer l'impact de la crise laitière, à la différence des éleveurs français.

Il n'existe pas un seul, mais une pluralité de types de méthanisations : individuelle ou collective, petite ou grande, faisant appel à différentes méthodes de valorisation et à différents partenaires... Le plus important est qu'une partie essentielle du capital reste aux mains des agriculteurs.

Le développement de la méthanisation passe aujourd'hui par un soutien public à travers des subventions, ce qui permet d'orienter les pratiques et de réguler le marché. La prime à l'efficacité énergétique doit prendre en compte certains éléments de valorisation qui ne le sont pas actuellement. Les soutiens à la méthanisation doivent être harmonisés à l'échelle nationale et régionale.

On évoque souvent les conflits d'usages des terres agricoles, entre productions alimentaires et énergétiques. Je pense qu'il faut recadrer le débat sur ce point. En région Lorraine, si l'on mettait 1 % de la surface agricole en culture dédiée pour alimenter à 25 % les méthaniseurs, on réaliserait quatre fois l'objectif fixé pour 2020. On parle bien ici de 1 % des terres agricoles, à comparer aux 30 % de gaspillage des produits alimentaires ...

Les financeurs, auxquels s'adressent les agriculteurs projetant d'exploiter des méthaniseurs, veulent être rassurés sur les garanties d'approvisionnement. Or, les engagements que peuvent donner à cet égard les industriels des déchets ne peuvent excéder trois ans, alors que les prêts sont consentis sur une quinzaine d'années ! Si l'on n'obtient pas de garanties d'approvisionnement à plus long terme, aucun banquier, même public, ne nous suivra dans nos projets. Cela passe pour partie par l'allocation de cultures dédiées, au moins pour amorcer les projets, mais aussi par des pools bancaires, par le « fonds chaleur », par le « fonds déchets » ...

Il nous faudra également travailler sur l'instauration de tarifs différenciés dans le cadre du plan de performance énergétique, revoir les seuils des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et progresser dans la simplification du traitement administratif des dossiers.

La méthanisation constitue, pour le monde agricole, un enjeu allant bien au-delà de la seule production d'énergie.

Debut de section - Permalien
Pierre Guyard, directeur des marchés collectivités et habitat (Cofely Services)

La part du gaz issu de la méthanisation dans la consommation est pratiquement nulle aujourd'hui. Le principal partenaire sera le monde agricole, mais aussi les gestionnaires de déchets. On peut mélanger les déchets agricoles et urbains ou récupérer du gaz de méthanisation derrière les stations de traitement d'eau potable. Il y a aussi un potentiel dans la filière industrielle. Le principal enjeu, c'est toutefois celui de la méthanisation agricole, qui pourrait représenter 80 % de la méthanisation en 2020 :

- soit le biogaz produit peut être utilisé directement sur place, notamment par une valorisation thermique lorsque cela est possible : dans ce cas, on va prendre contact avec des activités telles que la restauration collective, qui pourraient fournir de la matière première ;

- soit le biogaz est injecté dans les réseaux de gaz existants ou utilisé dans des véhicules qui roulent au gaz naturel : c'est le cas de certaines flottes d'entreprises. L'enjeu, c'est que l'on est parti quasiment de zéro pour atteindre un objectif que nous fixons, à l'horizon 2030, à 10 % de la consommation de gaz.

Toutefois les projets de méthanisation sont difficiles à mener à bien. Il faut les faire accepter par la population et les collectivités territoriales doivent donner l'exemple. Un gros effort de communication institutionnelle permettrait d'accélérer la réalisation des projets.

Debut de section - Permalien
Catherine Foulonneau, déléguée stratégie régulation (GrDF)

Le biogaz peut être injecté dans les réseaux après avoir été épuré sous la forme de biométhane. C'est une belle filière qui se met en place : elle utilise des déchets, dont elle permet le retour à la terre, ce qui suscite de grands espoirs dans les collectivités territoriales. Il s'agit aussi de projets fédérateurs, qui réunissent les agriculteurs et les collectivités dans des projets communs.

Bien que les textes sur le biométhane ne soient parus qu'en novembre 2011, nous avons déjà 365 projets enregistrés, et plus de 90 sont enregistrés sur le réseau de transport. Comme ce sont des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), les démarches sont lentes et prennent au moins quatre à cinq ans. Elles créent des emplois non délocalisables, par exemple dans le tri et la valorisation des déchets.

S'agissant des réseaux, ils pourront absorber ce biogaz sans difficulté. Je rappelle que, jusqu'aux années 1960, le système de distribution du gaz était très décentralisé avec la présence de nombreuses usines de production de gaz à travers le territoire. Puis la France a fait le choix du gaz naturel et a mis en place un grand réseau de transport interconnecté et un réseau de distribution. La transition énergétique va nous ramener, avec le biométhane, vers un réseau décentralisé, avec des sites d'injection et de soutirage un peu partout en France. Le réseau existe donc déjà et il peut accueillir la production de biogaz.

C'est une énergie vertueuse dont le potentiel est très important. En mobilisant tout le potentiel technique, on pourrait atteindre une production de 200 téra-wattheures. Si on ajoute la gazéification de la biomasse, voire des technologies à base de micro-algues ou d'hydrogènes, on pourrait même aller jusqu'à une proportion de gaz « vert » de quasiment 100 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

On a évoqué le « modèle » allemand de la méthanisation, mais je crains que l'utilisation sur place du biogaz n'engendre un modèle d'agriculture non compatible avec les modes d'organisation de l'agriculture en France. S'agissant de l'approvisionnement à partir de produits céréaliers, les cours ont pratiquement doublé sur les marchés mondiaux, ce qui renchérit considérablement les coûts.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

C'est dans les Ardennes qu'a été créée la première ferme méthanière. Je souhaiterais savoir s'il y a toujours des risques sanitaires liés à l'utilisation du gaz produit. Je partage l'avis selon lequel les agriculteurs ont tout intérêt à contrôler les installations pour éviter l'arrivée des financiers. Enfin les délais d'autorisation sont beaucoup trop longs : c'est un problème de surabondance des normes et des dossiers à remplir.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Les réseaux de gaz ne touchent pas toutes les communes, tout particulièrement en zone rurale où est produit le biogaz. Comment traitez-vous le problème du raccordement pour l'injection du biogaz ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Ce débat montre ce que le monde rural peut apporter à l'énergie de notre pays. Nos exploitations sont de petite taille par rapport à d'autres pays. Quel système mettre en place pour les associer dans ce type de projet ? Je me réjouis que le digestat réponde aussi aux besoins d'engrais. Ne faudrait-il pas, dans les chambres d'agriculture, former de vrais professionnels pour monter les dossiers ?

La biomasse est l'une des réponses pour la transition énergétique : il faut 1 850 éoliennes, 13 000 hectares de photovoltaïque ou 360 000 hectares de forêt pour remplacer une tranche nucléaire de 1 100 MW ! Mais il faut aller jusqu'aux réseaux pour injecter le biogaz : êtes-vous prêts à investir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Puisqu'on livre du fioul aux particuliers, pourquoi n'irait-on pas chercher le biogaz par camion-citerne chez les agriculteurs qui le produisent ?

Debut de section - Permalien
Catherine Foulonneau, déléguée stratégie régulation (GrDF)

Après une étude approfondie sur les conséquences sanitaires de l'injection de biogaz, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a conclu en 2008 à la possibilité d'injecter du biométhane dans les réseaux. La purification utilise d'ailleurs des membranes mises au point par Air Liquide et produites en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Y'a-t-il une distorsion de traitement entre le gaz produit dans une décharge et celui qui provient de la méthanisation agricole ?

Debut de section - Permalien
Catherine Foulonneau, déléguée stratégie régulation (GrDF)

Non, l'un comme l'autre peuvent être utilisés. On utilise à Lille des déchets urbains, qui font rouler 130 bus de ville. À Forbach, une installation conjugue cogénération et injection de biogaz à partir de déchets urbains provenant de 297 communes pour faire rouler des bus et des véhicules qui, justement, collectent les déchets. À Chaumes-en-Brie, le poste de transport de gaz est même à l'arrêt depuis le 28 août, car 1 500 habitants sur 5 communes sont approvisionnés en biométhane à 100 %, sans que les consommateurs aient vu la différence par rapport au gaz importé.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

On pourrait donc espérer éviter le coût de l'inhumation des déchets ? C'est un véritable espoir.

Debut de section - Permalien
Catherine Foulonneau, déléguée stratégie régulation (GrDF)

Une partie du coût est payé par les consommateurs de gaz, par l'intermédiaire d'une taxe analogue à la contribution au service public de l'électricité. Par ailleurs, l'Ademe aide les installations avec le fonds déchets.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Dans le cas des déchets, la part de méthane produit n'est pas très importante, sauf si on met en place un tri mécano-biologique (TMB). Il faut un investissement coûteux au départ.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

C'est un projet d'économie circulaire ; mais quel institutionnel est au centre pour lancer la démarche ?

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

C'est à la fois les collectivités, avec des subventions et des avances remboursables, et les agriculteurs, travaillant ensemble.

Debut de section - Permalien
Catherine Foulonneau, déléguée stratégie régulation (GrDF)

Les réseaux de distribution de gaz n'atteignent que 9 500 communes sur 36 000. Mais les tarifs nécessitent d'atteindre un volume de 60 m3 par heure. Un agriculteur, s'il ne met pas en place une cogénération, doit se regrouper avec d'autres ; ensemble, ils s'adressent à la collectivité locale, qui apporte ses propres déchets et peut apporter un terrain proche du réseau. Certains modèles de distribution sont aussi à l'étude, en s'inspirant de celui de la bouteille de lait qu'on dépose pleine et qu'on remporte vide.

On parvient ainsi à mettre en place des unités d'injection. Les grosses ou moyennes unités présentent des avantages pour procéder à l'odorisation du gaz et améliorer sa qualité. Une unité concerne typiquement plusieurs milliers d'habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

La biomasse et le biogaz, contrairement à d'autres formes d'énergie renouvelable, peuvent être produits dans toutes les régions. Toutefois le biogaz dépend de l'accès au réseau et j'ai constaté que certains projets étaient écartés. La cogénération, elle, implique une réorganisation en profondeur.

Debut de section - Permalien
Laurent Paquin, membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), responsable du dossier énergie

L'injection n'est pas le problème le plus difficile. C'est plutôt l'équilibre économique des projets et la constitution des plans d'approvisionnement. Il faut savoir qu'un projet peut coûter plusieurs millions d'euros et on ne peut pas se lancer sans avoir très soigneusement préparé le projet. Une aide est nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je trouve que l'aide au développement du biogaz est plus raisonnable que les tarifs d'achat très élevés qui ont été mis en place pour l'électricité photovoltaïque...

Debut de section - Permalien
Laurent Paquin, membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), responsable du dossier énergie

Avec les effets d'échelle, les installations sont deux fois moins coûteuses en Allemagne qu'en France. La subvention, par rapport au tarif d'achat, présente l'avantage de mieux s'adapter à l'évolution des techniques et des prix. La difficulté, c'est que les banquiers exigent un approvisionnement garanti sur le long terme, qui est difficile à obtenir.

Sur le plan régional, la méthanisation se développe tout particulièrement dans le Grand Ouest et là où apparaissent des opportunités liées aux collectivités territoriales, à la présence d'industries, de cantines. Toutefois il faut bien, au départ, installer un méthaniseur : c'est le démarrage qui est difficile.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

C'est le rôle des collectivités de s'impliquer dans ce système, même si la rentabilité n'est pas immédiate.

Debut de section - Permalien
Laurent Paquin, membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), responsable du dossier énergie

La méthanisation, ce n'est pas un modèle unique. Entre cogénération et injection, valorisation sous forme de chaleur, par exemple pour faire du séchage de bois ou même de denrées agricoles de la ferme elle-même : les conséquences peuvent être multiples et aucune exploitation ne doit en être exclue. La méthanisation peut s'adapter aux différents types d'exploitation et à chaque région.

Les chambres d'agricultures sont en train de se structurer. Un travail s'organise entre les coopératives, les chambres d'agriculture et les instituts de recherche.

Enfin, il faut souligner que le tri mécano-biologique présente des problèmes pour le retour au sol de la matière organique.

Debut de section - Permalien
Pierre Guyard, directeur des marchés collectivités et habitat (Cofely Services)

Nous sommes en pleine économie circulaire. Le gaz produit de la chaleur qui alimente les écoles, les piscines, les maisons de retraite, ainsi que des industries qui ont besoin de capacités de séchage...

Nous mettons ainsi en place une démarche de « territoire à énergie positive ». Les collectivités sont fédératrices, en lien avec les agriculteurs.

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, sur le projet de loi n° 805 (2012-2013) relatif à l'économie sociale et solidaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je remercie M. Hamon d'être venu nous présenter son projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, l'ESS. Notre commission s'est penchée très en amont sur ce secteur : nous y avons consacré un groupe d'études et, en juillet 2012 Marc Daunis et Marie-Noëlle Lienemann ont remis en son nom un premier rapport centré sur les coopératives économiques.

L'ESS, ce qui n'est pas anodin dans notre situation économique, participe pleinement à la création de richesses. Fortement territorialisée, elle est source d'emplois non délocalisables - je pense, bien sûr, à toutes les associations qui offrent des services à la personne, pas aux grandes banques mutualistes... Ce contexte explique sûrement votre volonté de lui donner une définition et de procéder aux nécessaires adaptations pour accompagner son développement.

Marc Daunis et Marie-Noëlle Lienemann traitaient déjà dans leur rapport du droit d'information des salariés sur les projets de cession de leur entreprise. Si l'objectif est intéressant, les modalités posent question. La confidentialité, par exemple, pourrait entraîner des effets pervers. La mesure présente à la fois des avantages et des inconvénients, comme je l'ai dit au Premier ministre. J'aimerais que nous en rediscutions.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation

Même si cela n'est peut-être pas conforme aux usages, je voudrais commencer ma présentation par un peu de doctrine. En répondant à la demande, par les acteurs de l'ESS, d'une loi cadre pour structurer le secteur, nous avons été confrontés à deux options. D'abord, favoriser un changement d'échelle de l'ESS. La crise nous impose de réfléchir à des modèles économiques plus tempérants, plus patients, c'est-à-dire à des entreprises ayant une préoccupation principielle de leur impact social et environnemental. Ces entreprises existent déjà : ce sont les coopératives, les fondations, les associations ou encore les mutuelles. L'idée qui guide ce texte mais aussi la politique du Gouvernement est de reprendre leurs grands principes (gouvernance démocratique, gestion par les intéressés, volonté d'utilité sociale, placement en réserve des excédents) pour proposer une définition de l'ESS inclusive, ouverte, voire conquérante. A notre sens, c'est la seule manière de parvenir au changement d'échelle. Misons sur la pollinisation de l'économie classique par l'ESS.

Ensuite, la coproduction. L'ESS, bien que ce ne soit pas sa seule fonction, répond à des besoins sociaux qui vont grandissant : voyez l'économie verte, l'économie circulaire et les services à la personne. Parce que la réponse publique ne peut pas suffire, nous devons élaborer une stratégie mixte, hybride, associant public, privé et ESS. Cela fonctionne pour la prise en charge des tout-petits : l'Etat organise la scolarisation dès deux ans dans les zones d'éducation prioritaires, le secteur privé offre des modes de garde partagée ou à domicile, les acteurs de l'ESS tiennent des crèches parentales, associatives ou encore d'entreprise. Mobilisons davantage ces derniers.

Changement d'échelle et coproduction, la philosophie du texte se décline en quatre volets. Le premier est la reconnaissance de l'ESS. Comment la définir et à quelles contreparties cette reconnaissance ouvre-t-elle droit ? J'ai été très frappé par la difficulté que nous avons à nous entendre entre décideurs publics et, parfois, entre décideurs publics et privés sur ce qu'est le modèle non lucratif. Selon moi, il s'agit de dire, non pas que ce secteur ne doit pas dégager des excédents, mais que ceux-ci sont placés dans des réserves impartageables pour consolider l'entreprise plutôt qu'utilisés pour rémunérer le capital.

Une telle approche ouvre le périmètre à de nouveaux acteurs. La question, un vieux débat, a été discutée au sein du Conseil supérieur de l'ESS ; le Conseil économique, social et environnemental a été saisi ; les partenaires sociaux classiques ont été consultés. Je n'entendais pas trancher la querelle entre les Anciens et les Modernes, mon propos était de donner à une petite société ou à un jeune entrepreneur qui voudrait créer sa structure sociale et solidaire la possibilité de reprendre le meilleur de l'ESS, ses principes, sans forcément en adopter les statuts historiques.

L'engouement que suscite l'ESS ne se dément pas. Elle représentait 15 % de la surface du dernier Salon des entrepreneurs, une part qui augmente chaque année. Plus de 70 diplômes lui sont dédiés dans les universités et des chaires lui sont consacrées dans la plupart des écoles de commerce. Ses têtes de proue sont désormais bien connues. Accompagner ce mouvement en autorisant des entreprises classiques à basculer dans l'ESS dans des conditions strictement contrôlées, tel est le choix politique du Gouvernement. Certains considéreront que nous souillons là un champ qui était protégé par des statuts historiques. En refusant les barbelés, je crois que nous avons fait le pari courageux, ambitieux et optimiste de la pollinisation de ce modèle. Nous veillerons, comme le veulent les acteurs de l'ESS, à l'exemplarité de tous.

Nous rénovons l'agrément solidaire distribué par le préfet en faveur des entreprises démontrant qu'elles poursuivent un but d'utilité sociale. La délivrance du nouvel agrément n'aura rien d'automatique. Cela musclera l'accès à l'ISF-PME, au Madelin et, surtout, aux fonds d'épargne salariale solidaires. Nous concentrerons ainsi ces outils de financement sur les entreprises qui ont plus besoin qu'une entreprise d'insertion adossée à un grand groupe du recyclage.

Deuxième volet, renforcer les droits et les pouvoirs des salariés. Le droit d'information sur les projets de cession de leur entreprise inquiète. Il existe pourtant en France pour les entreprises de plus de 50 salariés et partout en Europe, sauf dans trois autres pays. Les informations données au comité d'entreprise, extrêmement importantes puisqu'elles incluront le prix envisagé pour la cession ou encore l'identité du repreneur potentiel, faciliteront le benchmarking. Pourquoi le Gouvernement y tient-il ? Parce que d'après les rapports du groupe Banque populaire Caisses d'épargne, du Medef ou encore de la chambre de commerce Paris Île-de-France, 50 000 emplois sont détruits chaque année faute de trouver un repreneur pour des entreprises en bonne santé. Départ en retraite ou décès du patron, mauvaise évaluation du prix de l'entreprise, les causes sont multiples. Le phénomène, qui est un sujet récurrent dans le dialogue au sein des grandes familles patronales, touche plus particulièrement les petites entreprises.

Sénateurs, vous avez tous des exemples en tête, dans vos bassins d'emploi, d'entreprises de 20 à 30 salariés dans les secteurs de la menuiserie, du bâtiment ou de l'imprimerie qui ferment leurs portes. Et leur disparition dans un de vos territoires, vous le savez bien, a le même impact que celle de plus grandes sociétés dans des métropoles. Notre souci est de maintenir l'activité. Mieux informés du projet de cession et des contreparties afférentes, les salariés pourront, le cas échéant, déposer une offre de reprise sous le statut qu'ils auront choisi, que ce soit celui de la SAS ou de la SCOP.

Un mot sur les SCOP, que ce texte encourage. Après en avoir beaucoup visité, je crois que leur succès s'explique d'abord par le service rendu. Vous leur demanderez, prenons un exemple au hasard, d'imprimer les tracts pour les élections municipales : ne changeriez-vous pas de fournisseur si leur travail n'était pas de qualité ? Pour diminuer la prise de risque par les salariés, nous créons un nouveau statut, la SCOP d'amorçage. Durant une période transitoire de sept ans, des investisseurs tiers pourront être majoritaires au capital pour laisser aux salariés, qui conserveront la majorité des droits de vote, le temps de monter une SCOP en bonne et due forme. Cela ne suffira pas à préserver la totalité des 50 000 emplois détruits chaque année car un projet de reprise suppose l'émergence de managers, des projets arrivés à maturité ; cela facilitera néanmoins la transmission d'entreprise.

Nous n'avons pas souhaité introduire de clause de rachat préférentiel par les salariés, qui aurait fait peser sur le texte un risque d'inconstitutionnalité au regard de la liberté de commerce et du droit de propriété. Le parallèle avec le droit d'achat préférentiel accordé au locataire ne tient pas : une entreprise n'est pas un logement. Et sur quels critères le juge pourrait-il apprécier l'équivalence ? Les emplois, le capital ? En somme, nous aurions freiné la transmission d'entreprise quand notre préoccupation est l'emploi, encore l'emploi et toujours l'emploi. Quant au devoir de confidentialité, un salarié dont l'emploi est en jeu aura tout intérêt à le respecter.

Troisième volet, ancrer le développement de l'ESS dans les territoires. Je sais, pour m'être rendu dans je ne sais combien de départements depuis ma prise de fonctions, que les initiatives sont prises localement à partir d'un diagnostic des besoins sociaux et économiques. Nous consacrerons plusieurs millions d'euros à multiplier ce que Claude Alphandéry a appelé les pôles territoriaux de coopération économique, les PTCE, auxquels nous donnons une base légale. Ces clusters de l'ESS, qui associent entreprises solidaires et classiques, voire des collectivités, ont des résultats probants d'après les premiers bilans. Nous soutiendrons aussi l'ESS en l'inscrivant dans les schémas territoriaux de développement économique, ce qui est prévu dans le texte de ma collègue Marylise Lebranchu, et en portant la part des collectivités dans les SCIC, les sociétés coopératives d'intérêt collectif, de 20 à 50 % comme le demandent nombre d'acteurs de l'ESS.

Quatrième volet, mettre à disposition de chacune des familles de l'ESS les moyens de se développer selon son statut propre. Pour sécuriser la subvention aux associations, il faut la définir. Sinon, les collectivités territoriales, par crainte d'être en infraction avec la législation européenne, préfèrent passer par les marchés publics. Les associations n'auront plus à se conformer à un cahier des charges, et c'est tant mieux parce que cela tarit leur projet. Nous rénovons les titres associatifs pour les rendre plus attractifs pour les investisseurs et plus sûrs pour les associations. Les associations d'intérêt général se voient également offrir la possibilité de gérer des immeubles de rapport. L'assouplissement du principe de l'exclusivisme facilitera l'entrée dans le monde coopératif. Grâce aux nouveaux certificats mutualistes, le monde mutualiste pourra financer des projets de moyen et long termes. Qui dit certificat mutualiste, dit rendement ; cela inquiète. Nous avons pris les garanties nécessaires : la gouvernance mutualiste ne sera pas impactée. Quant aux fondations, ce texte leur donne les moyens de diversifier leurs outils de financement.

Pour finir, nous élargissons le principe de la révision coopérative ; il portera sur le respect des principes coopératifs, non sur la santé financière de l'entreprise.

Ce texte, très attendu, très structurant, sera une loi importante de ce quinquennat. La croissance de notre économie passe, entre autres, par un changement d'échelle de l'ESS, une économie qui rend de nombreux services aux Français et crée de l'emploi. Il y a de quoi être confiant dans l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Effectivement, ce projet de loi est particulièrement important pour nos territoires et pour notre économie. L'ESS, sans être la matrice unique, représente une alternative à l'économie classique dans une période qui n'est pas seulement de crise mais aussi de mutation. Nos travaux au sein de notre groupe d'étude et la quarantaine d'auditions auxquelles nous avons procédé nous ont persuadés de la nécessité de mieux définir le périmètre l'ESS pour développer le secteur. De nos auditions, des travaux du groupe d'étude, de la large concertation que vous avez conduite au sein du Conseil supérieur de l'ESS, nous avons retiré trois convictions. La première est que la quasi-totalité des acteurs de l'ESS font dorénavant leur votre démarche inclusive, bien que la tentation d'en rester à un périmètre identitaire ait été grande. La deuxième, et ce n'est pas contradictoire, est que nous devons préciser le périmètre de l'ESS pour le structurer. Si cette forme d'économie est extrêmement hétérogène dans ses métiers, ses statuts, ses finalités et ses dimensions, elle repose sur un socle commun. À nous de le mettre en valeur sans casser ce qui existe déjà sur le terrain. Une gageure ! La troisième est qu'il nous faut tout faire pour préserver un équilibre global sur ce sujet qui n'est pas franco-français. En Espagne, au Portugal et au Canada, on parle également beaucoup de l'ESS. Nous serons attentifs, dans nos travaux, à ces trois fondamentaux : démarche inclusive, effet structurant, équilibre global.

Sur le volet territorial, l'inscription de l'ESS dans les schémas et contrats de développement territoriaux concerne uniquement le Grand Paris. Ne serait-il pas éminemment souhaitable de le prévoir pour toutes les collectivités et pour tous les dispositifs de contractualisation ? Notre commission vous proposera d'y réfléchir.

Ne pensez-vous pas qu'il faut définir l'innovation sociale dans la loi plutôt que de laisser BPI France en décider ? Après tout, on a bien défini l'innovation technologique.... Là aussi, nous devons sécuriser.

Ne faut-il pas consolider la définition de l'ESS pour répondre aux inquiétudes ? L'approche inclusive suppose des garanties telles qu'une déclaration de principe. En l'absence de statut contraignant, nous devons pouvoir vérifier que l'entreprise respecte les critères de l'ESS. Pourquoi ne pas généraliser la procédure de révision coopérative à tout le secteur de l'ESS ? Dans le même temps, veillons à ne pas imposer des lourdeurs administratives insupportables pour les entreprises d'utilité sociale.

Enfin, plusieurs représentants nous ont fait part de leur souhait de voir renforcés les dispositifs locaux d'accompagnement, les DLA. Qu'en pensez-vous ? Pour ma part, je m'attacherai à consolider ce secteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

Je m'exprimerai à titre personnel, car mon avis n'a pas encore fait l'objet d'un débat collectif et contradictoire au sein de la commission des finances, qui s'est saisie des articles touchant à la législation fiscale et financière. J'aimerais d'abord une définition un peu plus précise de l'ESS : à l'heure où le marché européen de l'assurance est de plus en plus concurrentiel et compétitif, il convient d'opérer une distinction très nette entre ce qui relève de la mutuelle et ce qui n'en relève pas. Je me réjouis du travail réalisé sur le droit d'information des salariés.

Les certificats mutualistes et paritaires ont retenu toute notre attention. Le point est à traiter avec beaucoup de sérieux, ce qui est le cas dans ce projet de loi puisqu'il y consacre six pages. De fait, il modifie en profondeur le code des assurances. Revenons, pour mieux comprendre l'enjeu, à la définition de la mutuelle : une société de personnes, et non de capital, qui s'associent librement dans un esprit de solidarité, sans poursuivre de but lucratif. La question se pose aussi pour l'agrément : l'accord passé entre une grande entreprise et la fondation Abbé Pierre a fait beaucoup parler. Le danger est de confondre sociétaires et actionnaires. La gouvernance des mutuelles doit rester séparée de la question des intérêts. Auparavant, les mutuelles demandaient une contribution supplémentaire aux sociétaires en cas de besoin. Tout le monde se souvient de l'affaire de la MAIF et de cette deux-chevaux, percutant une locomotive qui était tombée sur une péniche...

Avec les certificats, les fonds recueillis auprès des sociétaires seront rémunérés. Vérifions que les sociétaires pourront retrouver leur argent à un moment donné. Par exemple, qu'arrivera-t-il en cas de décès ? Nous devons à la fois rester dans les clous du droit de la concurrence et respecter l'esprit mutualiste. Autrement dit, le projet de loi est satisfaisant à deux ou trois virgules près, que nous proposerons de déplacer pour donner suite aux demandes de l'Autorité de contrôle prudentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Merci, monsieur le Ministre, pour la large concertation que vous avez organisée en amont de ce projet. Vous avez une grande ambition pour l'ESS et pour la France : faire passer à ce secteur un cap. Comment les entreprises qui ont déjà le statut aborderont-elles cette mutation et, de surcroît, dans la mondialisation ? Comment les autres deviendront-elles des acteurs de l'ESS ? Repoussons l'hyperprudence comme la banalisation du concept.

Un des défis est de s'assurer de la pérennité de la visée sociale et solidaire. Certains la déclarent pour bénéficier des financements solidaires durant cinq ou six ans, puis reprennent les bonnes vieilles habitudes. À vérifier... Comment contrôler ce qui est purement déclaratif ? Nous vous proposerons peut-être quelques améliorations.

L'innovation sociale constitue un autre champ de la mutation à engager. Si je n'y reviens pas après Marc Daunis, je vous dis bravo pour le statut de la SCOP d'amorçage ! Sa durée, sept ans, est un compromis entre les cinq ans que demandait le Trésor, et les dix ans que voulaient les SCOP. Franchement, sept ans, ça reste un peu court dans certains cas pour démarrer une SCOP. Dans l'industrie, on a besoin d'un gros capital. Pourquoi ne pas prévoir une clause de prolongation ?

Les groupes coopératifs, un beau sujet qui tombe à pic. En France, il est incomparablement plus facile de former une holding classique que de transformer toutes les structures du groupe en coopératives. S'il y a des groupements coopératifs, le cadre que vous proposez de leur donner ne résout pas ce problème. Nous déposerons des amendements pour y remédier.

Le sixième engagement du candidat Hollande consistait à faciliter la transmission et la reprise des entreprises par les salariés en instituant un droit de préférence de rachat à égalité d'offre au bénéfice des salariés. Cette proposition me semble constitutionnelle, réalisable, et j'ai fait des propositions pour la concrétiser. Nous défendrons des amendements en ce sens. Il ne s'agit en aucune façon de spolier le propriétaire de l'entreprise.

Voyez cette entreprise savoyarde de haute technologie qu'un fonds américano-singapourien voulait racheter : à égalité d'offre avec les salariés désireux de se constituer en SCOP, le tribunal avait dans un premier temps donné raison au fonds. Quand vous avez fait appel, le juge s'est montré attentif au fait que celui-ci avait déjà racheté une entreprise suisse, envoyé les brevets aux Etats-Unis, les salariés à Singapour tout en valorisant les biens fonciers en Suisse : il a donc tranché en faveur de la SCOP, qui fonctionne très bien depuis lors.

J'ai soulevé la question de la gouvernance coopérative lors du débat relatif à la loi bancaire, en faisant observer que certaines banques coopératives n'étaient pas plus démocratiques que les banques privées. On m'a dit que cette question relevait de la loi sur l'ESS. Ne convient-il pas de rajouter au projet un chapitre intitulé « De la gouvernance démocratique coopérative et mutualiste dans le secteur bancaire » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Les dispositions améliorant l'information des salariés ou renforçant leur pouvoir de reprise gagneraient à être précisées pour les cas où la reprise de l'entreprise n'est souhaitée que par deux ou trois salariés. Nous savons, pour avoir vécu des moments difficiles, que ce serait une bonne chose.

La loi doit faciliter la vie des collectivités dans leurs relations avec les entreprises de biomasse ou de biométhane, particulièrement importantes, comme avec les entreprises privées, notamment agricoles. Or son article 14 soumet les sociétés coopératives dont l'activité dépasse un certain seuil défini par décret en Conseil d'État à une révision tous les cinq ans : on le conçoit pour d'importantes mutuelles, mais pour les 140 coopératives laitières et 80 coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) que compte le Jura, est-ce raisonnable ? S'agit-il d'un seuil de sociétaires, de chiffre d'affaires ? Le coût du contrôle est évalué à 4 000 à 5 000 euros, ce qui n'est pas rien.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Le ministre, que je remercie pour la clarté de sa présentation, a parlé des 50 000 emplois détruits lorsque des entreprises en bonne santé ferment faute de repreneurs. L'offre de reprise par les salariés doit être une hypothèse non prioritaire, sous peine d'inconstitutionnalité. Quels sont les risques de contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne ? La Commission de Bruxelles, toujours soucieuse du respect du marché libre et non faussé, est sans doute peu concernée par la pollinisation de l'économie classique par l'ESS.

Les crédits municipaux sont des établissements publics. Ils financent le monde associatif, culturel, social, sportif, et sont un acteur de l'épargne solidaire et du micro-crédit. Ne serait-il pas intéressant de les inclure dans le champ de l'ESS ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

En étendant la procédure de révision à l'ensemble des familles coopératives, l'article 14 peut conduire à la perte de la qualité de coopérative. Aucune autre procédure ne fait peser de telles sanctions sur quelque entreprise que ce soit. En cas de dysfonctionnement, n'est-ce pas à l'assemblée générale des sociétaires qu'il revient de changer les choses ? Les salariés d'entreprises comme Inter Mutuelles Assistance accomplissent un travail remarquable et doivent, simultanément, prendre de lourdes décisions, par exemple pour organiser un rapatriement. Un peu de souplesse est nécessaire. Je ne veux pas que ce texte aboutisse à mener la vie plus dure aux SCOP qu'aux autres entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Le retrait de la qualité de coopérative existe déjà, il n'est jamais utilisé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

Dans ce cas, inutile de le mettre dans la loi !

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Ce texte définit l'ESS de manière inclusive. Pour être éligible à la qualité d'entreprise de ce secteur, il faut remplir tout de même remplir certains critères. Comment le respect de ceux-ci sera-t-il vérifié, y aura-t-il une évaluation annuelle ?

Aux termes de l'article 4, les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire - indépendantes et au fonctionnement très hétérogène - seront regroupées au sein d'un conseil national. Comment vous y prendrez-vous pour les homogénéiser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Le projet de loi veut multiplier les pôles territoriaux de coopération économique afin de créer de l'emploi dans les territoires. À titre expérimental, vous avez lancé un premier appel à projets destiné à faire émerger quinze de ces pôles : avez-vous pensé aux outre-mer, dont on connaît la situation difficile en termes d'emploi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Les entreprises d'insertion de notre pays, si elles ont des statuts variés, n'en font pas moins du bon travail. Or la loi fait dépendre les conditions d'entrée dans le champ de l'ESS du statut de l'entreprise : pour y prétendre, les entreprises commerciales devront satisfaire à davantage de critères. Ce distinguo est fâcheux : je connais beaucoup d'entreprises commerciales qui réalisent un excellent travail.

Les coopératives ont des formes diverses et variées. La procédure de révision ne me choque pas : c'est la contrepartie nécessaire du statut. En revanche, que comptez-vous faire du régime fiscal des coopératives ? Où en est ce débat ? Les entreprises privées dénoncent souvent des distorsions de concurrence en faveur des coopératives qui s'aventurent sur le terrain concurrentiel. Il faut probablement trouver un équilibre. Quelle ligne défendez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Cette loi est très importante et très attendue, particulièrement dans les outre-mer. Nous avons en effet du social, il nous reste de la solidarité, mais il nous manque toujours l'économie. L'article 51 de la loi autorise le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures d'adaptation justifiées par la situation des départements et régions d'outre-mer. J'ai une méfiance naturelle pour les ordonnances, qui dépossèdent le législateur de sa compétence, mais elles sont un outil rapide et efficace.

Cela étant, prévoir une possibilité de dérogation ne remplace pas l'action. Et la situation en outre-mer est critique. Notre niveau de chômage n'a rien à voir avec celui de la métropole : nous sommes tout près d'une explosion. Avez-vous déjà réfléchi aux adaptations nécessaires ? À défaut, les élus d'outre-mer sont là pour alimenter votre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Nous serons attentifs aux articles 11 et 12, afin d'assurer le respect de l'engagement pris par l'ensemble des partis politiques et le président de la République lors des élections, d'ouvrir aux salariés une préférence de rachat à égalité d'offre. Cette proposition a d'ailleurs été appuyée par le Conseil économique, social et environnemental et l'ensemble des syndicats. L'argument de l'atteinte au droit de propriété privée ne tient pas, puisque le propriétaire peut librement décider de fixer le prix de sa cession.

Pourquoi l'épargne salariale et les fonds spécialisés, à l'exception de l'enveloppe de 500 millions d'euros de la BPI, sont-ils absents de ce texte ? Comment répartir intelligemment ces 500 millions, c'est-à-dire éviter qu'ils soient captés par quelques-uns ? Les outre-mer pourraient en profiter : M. Mohamed Soilihi a souligné la gravité de la situation, et Paul Vergès nous a exposé hier en réunion de groupe le cas, plus complexe encore, de la Réunion.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Chastan

J'ai bien noté les éclaircissements apportés par la loi aux rapports entre les collectivités territoriales et les entreprises de l'ESS, notamment en matière de participations et de subventions... L'autre versant du sujet, la prestation de service par ces structures, notamment les Cuma, m'intéresse tout autant : le projet de loi les limite aux zones rurales, communes de moins de 3 500 habitants ou intercommunalités ne comptant pas de communes de plus de 3 500 habitants. Or l'on peut trouver une ou deux communes de 3 500 à 10 000 habitants dans de petites communautés de communes en milieu rural : le critère sera-t-il communal ou intercommunal ? C'est d'autant plus important que les prestations techniques, notamment d'Etat, vont diminuant.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Le gouvernement souhaite amender le texte de Marylise Lebranchu pour intégrer un volet ESS aux schémas régionaux de développement économique et d'innovation. Le développement de l'ESS figurera également dans la prochaine génération de contrats de plan État-régions.

Notre réflexion est toujours active sur le lien entre ESS et territoires. Je demeure notamment réservé sur le chef-de-filat : si la région, qui le revendique, est compétente en matière économique, les départements financent l'insertion par l'activité économique à hauteur de 25 % - il est vrai que toutes les structures de ce domaine ne relèvent pas de l'ESS, même si elles peuvent être socialement responsables ; enfin, ce sont les communes et leurs communautés qui financent les associations. Nous souhaitons respecter tous les échelons, sans définir de chef-de-filat.

La définition de l'ESS n'est pas arrêtée. J'étais récemment au LH Forum sur l'économie positive, laquelle englobe l'ESS. J'ai fait remarquer que certaines grandes enseignes s'en réclamant délocalisent leurs sièges sociaux dans des zones à basse fiscalité : c'est une conception assez particulière de l'économie positive... Business social, responsabilité sociale et environnementale des entreprises, ESS, finance sociale, finance solidaire, finance à impact social, voilà un champ large. Nous préférons nous en tenir à une définition simple de l'ESS, fondée sur un critère de gouvernance démocratique, d'objectifs autres que la distribution de bénéfices. Ce modèle correspond environ à 10% du PIB français, volume que nous souhaitons accroître.

Ce texte rejoint les préoccupations d'autres législateurs nationaux, mais aussi des réflexions mondiales. A l'initiative du Royaume-Uni, le dernier G8 a, pour la première fois, évoqué la finance à impact social. La vision britannique, dictée par ce qui leur reste de corps intermédiaire et de puissance publique, et mue par la nécessité de faire rentrer des capitaux dans les politiques sociales, s'est alors opposée à la vision américano-française, guidée par la volonté de développer un secteur privé à but non lucratif déjà significatif.

Je suis ouvert à votre demande sur l'innovation sociale, Marc Daunis. Le Fonds d'innovation sociale sera abondé pour une moitié par les régions, pour l'autre par BPI France et doté de plusieurs dizaines de millions d'euros pour financer des projets sociaux d'avant-garde. Nous devons lui donner une définition écrite de l'innovation sociale, ne serait-ce qu'en raison de ses obligations de reddition de comptes.

Les organisations de salariés de l'ESS nous ont interpellés à plusieurs reprises sur la déclaration de principe, faisant valoir que les employeurs de l'économie sociale pouvaient s'abstenir de faire du social chez eux. Mon approche n'est pas morale ; je ne distingue pas une bonne économie sociale et solidaire d'une mauvaise économie privée ; on trouve de nombreuses entreprises classiques dans lesquelles les salariés sont heureux, et ce n'est pas parce que le statut des entreprises de l'ESS les oblige à rendre impartageables leurs excédents et les soumet à un régime fiscal particulier chargé de compenser leur déficit d'attractivité vis-à-vis des capitaux extérieurs que leurs patrons traitent correctement leurs salariés. Ces entreprises doivent redevenir des locomotives en matière d'égalité femmes-hommes ou de politiques autour du Conseil supérieur de l'ESS, formalisant leurs engagements à défendre des idées plus progressistes.

Je suis favorable à ce qu'on réserve des marchés publics. La difficulté est que la directive « Marchés publics », qui pourrait introduire dans notre droit le principe des marchés réservés pour les entreprises accueillant les publics vulnérables - travailleurs handicapés ou éloignés de l'emploi, n'est pas encore adoptée.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Les dispositifs locaux d'accompagnement jouent un rôle essentiel d'aide aux acteurs de terrain. Nous verrons ce que nous pouvons faire.

La révision coopérative existe déjà dans la coopération agricole, les coopératives HLM, les SCOP, les taxis... Elle se limite aujourd'hui à un examen de la santé financière de l'entreprise, souvent effectué par un commissaire aux comptes. Or, les sociétaires eux-mêmes s'inquiètent parfois de savoir si la holding qu'est devenue leur entreprise est restée une coopérative. Leur régime fiscal particulier se justifie par le fait que, n'assurant pas la rémunération des capitaux tiers, elles en attirent peu. Reste qu'il faut s'interroger sur leur statut lorsque ce régime s'applique à une part décroissante de leurs activités. La révision coopérative portera désormais sur toutes les familles, sera concentrée sur le diagnostic du fonctionnement coopératif de la société, et sera adaptée aux tailles et aux secteurs d'activité - la loi de Stéphane Le Foll y reviendra en matière agricole. Je reste ouvert sur la question des seuils.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Nous ne cherchons nullement à punir, seulement à conforter notre modèle coopératif. Il ne s'agit pas de l'arme nucléaire que l'on dénonce - songez que l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) peut décider de démanteler une entreprise, pensez également à l'Autorité de la concurrence. Il ne s'agit là que de retirer aux sociétés coopératives un statut lorsqu'elles ne sont plus fondées à s'en prévaloir...

La possession d'un certificat mutualiste n'ouvre pas droit au vote en assemblée générale. Cette garantie préserve la gouvernance du modèle mutualiste, percutée de l'extérieur par certains textes et par l'ACP elle-même, sous l'influence des logiques d'aptitude (le fit and proper) exigeant des administrateurs qualifiés. Remettre en cause le principe de l'élection par ses pairs au motif d'une qualification insuffisante démolirait le modèle mutualiste. Au demeurant, les acteurs mutualistes se sont engagés à garantir la formation de leurs administrateurs.

Le certificat mutualiste est en outre un outil pour lever des fonds propres indispensable dans un univers concurrentiel féroce. Les commissaires Barnier et Tajani sont convaincus du bien-fondé de cette proposition. Le texte de loi est mûr, tous les acteurs mutualistes européens se sont accordés, mais il manque toujours le statut européen de la mutuelle nécessaire au développement de nos établissements dans un climat de concurrence équitable et sans abandon de leur statut.

Le risque de dérive capitalistique est faible. L'existence de titres participatifs en est la preuve, le capital peut être rémunéré dans le monde mutualiste. Je reste néanmoins ouvert à toute proposition d'amélioration sur ce sujet.

L'ouverture d'un droit préférentiel de rachat par les salariés de leur entreprise faisait partie des 60 engagements de François Hollande. Il faut distinguer la concurrence entre plusieurs offres de reprise d'une entreprise en difficulté de la transmission classique d'entreprise : le droit d'information des salariés leur permet alors de formuler une offre. La SET est un parfait exemple des difficultés auxquelles nous avons été confrontés. Le fonds américano-singapourien mettait 10,5 millions d'euros sur la table, les salariés, qui garantissaient l'emploi et possédaient le savoir-faire, 4,5 millions d'euros. Le tribunal de commerce a tranché en faveur du premier, ignorant sans doute que la SET était une entreprise de défense au sens de la direction du Trésor. En raison du risque de délocalisation de la production, de captation des brevets et de disparition de l'entreprise, nous avons fait appel, avec le soutien de tous les élus. Le juge a finalement tranché en faveur des salariés en invoquant la garantie d'ancrage territorial de l'activité. La difficulté réside en fait pour le juge dans la notion d'offres égales - ce qui n'était pas le cas ici.

Le droit d'information préalable des salariés minimise les risques d'allongement excessif des procédures. Les salariés disposent d'un délai pour formuler une offre, qui ne lie toutefois le cédant en rien.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

En l'espèce, la SET était une entreprise en liquidation.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

C'est déjà le droit positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Il s'agit d'arriver à orienter les décisions de justice dans cet esprit.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Encore faut-il passer le cap du Conseil constitutionnel. Sur ce sujet comme sur les autres, je préfère toujours retravailler ma copie pour ne décevoir personne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Sur ce point, nous ne sommes pas prêts à affaiblir par des amendements ce qui apparaît déjà comme un point d'équilibre. Le message est clair.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Il faut aller le plus loin possible sans déstabiliser l'ensemble du texte.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

J'ai entendu les interpellations. Je travaille sur ce sujet depuis un an et demi, j'ai rencontré tous les acteurs, mais je reste prêt à en discuter avec vous.

Georges Patient, notre appel à projets concerne une première tranche de pôles territoriaux. La date limite des candidatures est fixée au 31 octobre. Nous ferons alors une première sélection. Certains pôles labellisés comme tels, en matière culturelle, sanitaire ou généralistes, ne bénéficient pas pour autant d'une aide de l'État. Si des projets émergeaient dans les outre-mer, je serais bien sûr très favorable à ce qu'ils soient retenus.

Les ordonnances ne réjouissent jamais les parlementaires. Une multitude de mesures seront extrêmement utiles pour lutter contre le chômage de masse. Nos dispositifs de financement de l'ESS sont parfaitement opérationnels. BPI France consacrera 500 millions d'euros à l'ESS - et il ne s'agira pas seulement d'un effet de présentation. Nous avons eu des séances de travail fructueuses ; les outils de financement sont identifiés : prêt participatif social et solidaire, fonds de 50 à 100 millions dédié à l'amorçage des SCOP - je ne suis d'ailleurs pas fermé à la discussion sur les sept ans. Le Fonds d'innovation sociale accordera des avances remboursables.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Nous avons constaté à l'occasion d'un récent tour de table sur ces questions de financement l'engagement de toutes les parties, et celui, personnel, de Jean-Pierre Jouyet.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Les crédits municipaux n'ont pas de gouvernance démocratique ni de statut de droit privé, ce qui complique leur insertion dans le champ de l'ESS.

Comment s'assurer que les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire poursuivent des missions semblables sur l'ensemble du territoire et avec des moyens proportionnés aux besoins ? Le conventionnement avec l'État est un premier pas dans leur homogénéisation. Nous avons écarté une consularisation, qui aurait été prématurée et coûteuse.

Debut de section - Permalien
Benoît Hamon, ministre délégué

Les chambres de commerce doivent accompagner plus activement les porteurs de projets. Parce que je compte en outre sur leur engagement dans la formation des salariés et managers des entreprises de l'ESS, j'ai regretté qu'elles manifestent auprès du Premier ministre leur désaccord sur le droit d'information des salariés. Nous continuerons néanmoins à les mobiliser sur la transmission d'entreprise et pour le maintien de l'emploi.

Le monde coopératif regroupe plus de 30 familles. L'objectif demeure de structurer ce paysage. Mon cabinet et moi-même restons prêts à enrichir le texte avec vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je vous remercie d'avoir répondu avec une telle disponibilité à des questions dont le nombre prouve l'intérêt du sujet.