Intervention de Benoît Hamon

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 octobre 2013 : 1ère réunion
Économie sociale et solidaire — Audition de M. Benoît Hamon ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation

Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Même si cela n'est peut-être pas conforme aux usages, je voudrais commencer ma présentation par un peu de doctrine. En répondant à la demande, par les acteurs de l'ESS, d'une loi cadre pour structurer le secteur, nous avons été confrontés à deux options. D'abord, favoriser un changement d'échelle de l'ESS. La crise nous impose de réfléchir à des modèles économiques plus tempérants, plus patients, c'est-à-dire à des entreprises ayant une préoccupation principielle de leur impact social et environnemental. Ces entreprises existent déjà : ce sont les coopératives, les fondations, les associations ou encore les mutuelles. L'idée qui guide ce texte mais aussi la politique du Gouvernement est de reprendre leurs grands principes (gouvernance démocratique, gestion par les intéressés, volonté d'utilité sociale, placement en réserve des excédents) pour proposer une définition de l'ESS inclusive, ouverte, voire conquérante. A notre sens, c'est la seule manière de parvenir au changement d'échelle. Misons sur la pollinisation de l'économie classique par l'ESS.

Ensuite, la coproduction. L'ESS, bien que ce ne soit pas sa seule fonction, répond à des besoins sociaux qui vont grandissant : voyez l'économie verte, l'économie circulaire et les services à la personne. Parce que la réponse publique ne peut pas suffire, nous devons élaborer une stratégie mixte, hybride, associant public, privé et ESS. Cela fonctionne pour la prise en charge des tout-petits : l'Etat organise la scolarisation dès deux ans dans les zones d'éducation prioritaires, le secteur privé offre des modes de garde partagée ou à domicile, les acteurs de l'ESS tiennent des crèches parentales, associatives ou encore d'entreprise. Mobilisons davantage ces derniers.

Changement d'échelle et coproduction, la philosophie du texte se décline en quatre volets. Le premier est la reconnaissance de l'ESS. Comment la définir et à quelles contreparties cette reconnaissance ouvre-t-elle droit ? J'ai été très frappé par la difficulté que nous avons à nous entendre entre décideurs publics et, parfois, entre décideurs publics et privés sur ce qu'est le modèle non lucratif. Selon moi, il s'agit de dire, non pas que ce secteur ne doit pas dégager des excédents, mais que ceux-ci sont placés dans des réserves impartageables pour consolider l'entreprise plutôt qu'utilisés pour rémunérer le capital.

Une telle approche ouvre le périmètre à de nouveaux acteurs. La question, un vieux débat, a été discutée au sein du Conseil supérieur de l'ESS ; le Conseil économique, social et environnemental a été saisi ; les partenaires sociaux classiques ont été consultés. Je n'entendais pas trancher la querelle entre les Anciens et les Modernes, mon propos était de donner à une petite société ou à un jeune entrepreneur qui voudrait créer sa structure sociale et solidaire la possibilité de reprendre le meilleur de l'ESS, ses principes, sans forcément en adopter les statuts historiques.

L'engouement que suscite l'ESS ne se dément pas. Elle représentait 15 % de la surface du dernier Salon des entrepreneurs, une part qui augmente chaque année. Plus de 70 diplômes lui sont dédiés dans les universités et des chaires lui sont consacrées dans la plupart des écoles de commerce. Ses têtes de proue sont désormais bien connues. Accompagner ce mouvement en autorisant des entreprises classiques à basculer dans l'ESS dans des conditions strictement contrôlées, tel est le choix politique du Gouvernement. Certains considéreront que nous souillons là un champ qui était protégé par des statuts historiques. En refusant les barbelés, je crois que nous avons fait le pari courageux, ambitieux et optimiste de la pollinisation de ce modèle. Nous veillerons, comme le veulent les acteurs de l'ESS, à l'exemplarité de tous.

Nous rénovons l'agrément solidaire distribué par le préfet en faveur des entreprises démontrant qu'elles poursuivent un but d'utilité sociale. La délivrance du nouvel agrément n'aura rien d'automatique. Cela musclera l'accès à l'ISF-PME, au Madelin et, surtout, aux fonds d'épargne salariale solidaires. Nous concentrerons ainsi ces outils de financement sur les entreprises qui ont plus besoin qu'une entreprise d'insertion adossée à un grand groupe du recyclage.

Deuxième volet, renforcer les droits et les pouvoirs des salariés. Le droit d'information sur les projets de cession de leur entreprise inquiète. Il existe pourtant en France pour les entreprises de plus de 50 salariés et partout en Europe, sauf dans trois autres pays. Les informations données au comité d'entreprise, extrêmement importantes puisqu'elles incluront le prix envisagé pour la cession ou encore l'identité du repreneur potentiel, faciliteront le benchmarking. Pourquoi le Gouvernement y tient-il ? Parce que d'après les rapports du groupe Banque populaire Caisses d'épargne, du Medef ou encore de la chambre de commerce Paris Île-de-France, 50 000 emplois sont détruits chaque année faute de trouver un repreneur pour des entreprises en bonne santé. Départ en retraite ou décès du patron, mauvaise évaluation du prix de l'entreprise, les causes sont multiples. Le phénomène, qui est un sujet récurrent dans le dialogue au sein des grandes familles patronales, touche plus particulièrement les petites entreprises.

Sénateurs, vous avez tous des exemples en tête, dans vos bassins d'emploi, d'entreprises de 20 à 30 salariés dans les secteurs de la menuiserie, du bâtiment ou de l'imprimerie qui ferment leurs portes. Et leur disparition dans un de vos territoires, vous le savez bien, a le même impact que celle de plus grandes sociétés dans des métropoles. Notre souci est de maintenir l'activité. Mieux informés du projet de cession et des contreparties afférentes, les salariés pourront, le cas échéant, déposer une offre de reprise sous le statut qu'ils auront choisi, que ce soit celui de la SAS ou de la SCOP.

Un mot sur les SCOP, que ce texte encourage. Après en avoir beaucoup visité, je crois que leur succès s'explique d'abord par le service rendu. Vous leur demanderez, prenons un exemple au hasard, d'imprimer les tracts pour les élections municipales : ne changeriez-vous pas de fournisseur si leur travail n'était pas de qualité ? Pour diminuer la prise de risque par les salariés, nous créons un nouveau statut, la SCOP d'amorçage. Durant une période transitoire de sept ans, des investisseurs tiers pourront être majoritaires au capital pour laisser aux salariés, qui conserveront la majorité des droits de vote, le temps de monter une SCOP en bonne et due forme. Cela ne suffira pas à préserver la totalité des 50 000 emplois détruits chaque année car un projet de reprise suppose l'émergence de managers, des projets arrivés à maturité ; cela facilitera néanmoins la transmission d'entreprise.

Nous n'avons pas souhaité introduire de clause de rachat préférentiel par les salariés, qui aurait fait peser sur le texte un risque d'inconstitutionnalité au regard de la liberté de commerce et du droit de propriété. Le parallèle avec le droit d'achat préférentiel accordé au locataire ne tient pas : une entreprise n'est pas un logement. Et sur quels critères le juge pourrait-il apprécier l'équivalence ? Les emplois, le capital ? En somme, nous aurions freiné la transmission d'entreprise quand notre préoccupation est l'emploi, encore l'emploi et toujours l'emploi. Quant au devoir de confidentialité, un salarié dont l'emploi est en jeu aura tout intérêt à le respecter.

Troisième volet, ancrer le développement de l'ESS dans les territoires. Je sais, pour m'être rendu dans je ne sais combien de départements depuis ma prise de fonctions, que les initiatives sont prises localement à partir d'un diagnostic des besoins sociaux et économiques. Nous consacrerons plusieurs millions d'euros à multiplier ce que Claude Alphandéry a appelé les pôles territoriaux de coopération économique, les PTCE, auxquels nous donnons une base légale. Ces clusters de l'ESS, qui associent entreprises solidaires et classiques, voire des collectivités, ont des résultats probants d'après les premiers bilans. Nous soutiendrons aussi l'ESS en l'inscrivant dans les schémas territoriaux de développement économique, ce qui est prévu dans le texte de ma collègue Marylise Lebranchu, et en portant la part des collectivités dans les SCIC, les sociétés coopératives d'intérêt collectif, de 20 à 50 % comme le demandent nombre d'acteurs de l'ESS.

Quatrième volet, mettre à disposition de chacune des familles de l'ESS les moyens de se développer selon son statut propre. Pour sécuriser la subvention aux associations, il faut la définir. Sinon, les collectivités territoriales, par crainte d'être en infraction avec la législation européenne, préfèrent passer par les marchés publics. Les associations n'auront plus à se conformer à un cahier des charges, et c'est tant mieux parce que cela tarit leur projet. Nous rénovons les titres associatifs pour les rendre plus attractifs pour les investisseurs et plus sûrs pour les associations. Les associations d'intérêt général se voient également offrir la possibilité de gérer des immeubles de rapport. L'assouplissement du principe de l'exclusivisme facilitera l'entrée dans le monde coopératif. Grâce aux nouveaux certificats mutualistes, le monde mutualiste pourra financer des projets de moyen et long termes. Qui dit certificat mutualiste, dit rendement ; cela inquiète. Nous avons pris les garanties nécessaires : la gouvernance mutualiste ne sera pas impactée. Quant aux fondations, ce texte leur donne les moyens de diversifier leurs outils de financement.

Pour finir, nous élargissons le principe de la révision coopérative ; il portera sur le respect des principes coopératifs, non sur la santé financière de l'entreprise.

Ce texte, très attendu, très structurant, sera une loi importante de ce quinquennat. La croissance de notre économie passe, entre autres, par un changement d'échelle de l'ESS, une économie qui rend de nombreux services aux Français et crée de l'emploi. Il y a de quoi être confiant dans l'avenir.

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