Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 octobre 2013 : 1ère réunion
Gestion du patrimoine immobilier des centres hospitaliers universitaires chu — Audition pour suite à donner à enquête de la cour des comptes

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président :

Nous allons maintenant procéder à une « audition pour suite à donner » à une enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF.

L'enquête d'aujourd'hui concerne le patrimoine immobilier dédié aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Cette enquête vient utilement compléter les précédents travaux, réalisés par la Cour des comptes à notre demande, sur le patrimoine « privé », non affecté aux soins, des établissements publics de santé. Cette enquête nous est particulièrement utile pour se situer dans l'environnement complexe du monde hospitalier.

Il y a eu une prise de conscience, parmi les hôpitaux, des enjeux que représente le patrimoine immobilier. Cette prise de conscience progressive s'explique notamment par la forte dégradation des finances hospitalières. L'endettement des hôpitaux publics a presque doublé depuis 2006 et continue de progresser, pour s'établir à plus de 26 milliards d'euros.

Le Premier ministre a annoncé, le 9 juillet dernier, l'objectif de réaliser 45 milliards d'euros d'investissement dans les hôpitaux sur les dix prochaines années. A cet égard, l'enquête de terrain de la Cour des comptes nous fournit de précieux éléments de réflexion. Le monde hospitalier est en effet parfois contradictoire. Les grands sites hospitaliers ont connu des périodes successives de développement, une sorte de sédimentation de l'espace, qui n'a pas toujours débouché sur des solutions optimales en termes d'organisation de l'espace.

Plusieurs questions se posent. Quels enseignements tirer des expériences passées pour les futurs investissements immobiliers hospitaliers ? Quelles idées peuvent être avancées pour rendre encore plus efficace la maîtrise d'ouvrage publique ? Les décisions prises dans ce domaine ont des conséquences sur une longue période.

Suivant l'usage, l'audition est ouverte aux membres de la commission des affaires sociales, représentée par notre collègue Yves Daudigny, rapporteur général, sénateur et président du Conseil général de l'Aisne. Elle est également ouverte à la presse.

Je donnerai tout d'abord la parole à M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, pour un résumé des travaux de la Cour. Assisté de Mesdames Marianne Lévy-Rosenwald, Céline Prévost-Mouttalib et Sylvie Apparitio, il nous présentera une synthèse de cette étude aussi concrète que possible.

À l'issue de cet exposé, Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Santé » et rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), s'exprimera et posera ses questions. Les rapporteurs généraux, s'ils le souhaitent, pourront aussi intervenir.

Puis, nous entendrons trois intervenants : Jean Debeaupuis, représentant l'autorité de tutelle et directeur général de l'offre de soins ; Philippe Domy, président de la conférence des directeurs généraux de CHU et directeur général du CHU de Montpellier et Christian Anastasy, directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP).

Je rappelle aux membres de la commission des finances que nous aurons, à l'issue de cette audition, à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.

Je donne maintenant la parole à Antoine Durrleman. Je le remercie ainsi que ses collaborateurs pour la qualité du travail accompli.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Je vous présenterai l'étude menée par la Cour des comptes au travers des trois questions suivantes : de quoi parlons-nous ? Comment en parlons-nous ? Qu'en disons-nous ?

Les trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) représentent 21 % de l'ensemble de l'offre hospitalière et 25 % du patrimoine immobilier hospitalier. Ils constituent le fleuron de l'offre hospitalière publique et préfigurent l'évolution à venir du monde hospitalier. Vous comprendrez donc que nos conclusions ne se limitent pas aux seuls CHU.

Dans la mesure où ces centres se caractérisent par une grande diversité, nous avons concentré notre analyse sur sept établissements nous paraissant correspondre à un panel représentatif : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Toulouse, Tours et Besançon.

Cette enquête intervient à un moment particulier et charnière dans l'évolution des CHU. Les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » ont en effet permis de dégager des financements considérables, respectivement 16 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Les CHU en ont été les principaux bénéficiaires du fait de leur état de vétusté avancée. Aujourd'hui, ces efforts de financement ont trouvé leur aboutissement, tandis que d'autres crédits sont prévus pour l'avenir. Nous nous sommes donc attachés à éclairer tant le passé que le futur avec, à l'esprit, les notions indispensables de progrès médical et d'efficience des coûts.

Voici les principaux éléments de conclusion suite à nos travaux.

Tout d'abord, si des efforts ont été réalisés, la connaissance du patrimoine immobilier des CHU demeure imparfaite. Parmi les efforts notables, je veux en particulier relever l'atlas du patrimoine immobilier, établi par le CHU de Toulouse. On doit néanmoins regretter l'absence d'une méthodologie commune permettant une vision agrégée du patrimoine immobilier des centres. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) met en place un nouvel outil de connaissance partagée dans ce domaine. Mais nous avons constaté que celui-ci reste largement inconnu dans les CHU, ce qui appelle une plus forte implication des équipes hospitalières sur ce projet.

En outre, l'effort de financement a obtenu des résultats positifs, mais les gains d'efficience auraient pu être plus importants. Parmi les résultats obtenus, on peut notamment évoquer l'amélioration de l'accueil du patient et l'intégration du progrès médical. Toutefois, des difficultés subsistent. L'accroissement des normes (générales et spécifiques) a eu pour conséquence une véritable course poursuite. Par exemple, à Tours, plus de 1 000 normes ont dû être intégrées en dix ans. La DGOS doit se mobiliser sur ce terrain. En particulier, la pression des normes incendie a mobilisé d'importants financements. Il faut rappeler que 16 % des bâtiments hospitaliers sont interdits d'exploitation. Certains CHU ont enregistré de réels progrès. Ainsi, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a réussi à lever trente interdictions, mais vingt-deux nouvelles ont été prononcées. Il convient de rappeler que la responsabilité personnelle des directeurs généraux des CHU est engagée sur ce terrain. Une question se pose : plutôt que de rechercher une mise en conformité à tout prix, ne vaut-il pas mieux abandonner certains sites ? Dans cette perspective, la reconversion de l'Hôtel-Dieu à Paris nous paraît un exemple à suivre.

Il faut également souligner que la restructuration des CHU n'est pas achevée. Concernant les blocs opératoires ou le virage ambulatoire, des retards dans la programmation des nouveaux plateaux médicaux techniques sont à déplorer. Dans certains cas, ces plateaux ont eu tendance à s'accroître plutôt qu'à se resserrer, ce qui est paradoxal. C'est par exemple la situation à Tours. Dans le domaine de la stérilisation, l'effort d'investissement a amené à concentrer les sites. Mais un tel regroupement n'est pas toujours achevé, comme par exemple à Marseille. Des difficultés, selon nous davantage culturelles qu'opérationnelles, nous semblent freiner ce mouvement.

La modernisation s'est traduite par une augmentation des surfaces : + 30 % au CHU d'Orléans par exemple. Cette augmentation est justifiée par l'amélioration des conditions d'accueil du patient. Mais elle trouve aussi son explication dans l'augmentation du nombre de lits. Or, les durées moyennes de séjour se réduisent fortement et la part de la médecine ambulatoire s'accroît. Dès lors, on peut penser que le levier d'efficience représenté par la modernisation et l'investissement immobilier aurait pu être mieux utilisé.

Les CHU ont déjà beaucoup évolué. On doit notamment citer une professionnalisation plus affirmée, l'intégration des problématiques de maintenance, une meilleure maîtrise d'ouvrage et une plus grande prise en compte des enjeux financiers. Nous avons ainsi relevé de bonnes pratiques en matière de réorganisation à Toulouse et Paris. Toutefois, des progrès restent à accomplir dans la programmation en faveur d'un resserrement des surfaces. Celui-ci suppose une bonne connaissance du coût de fonctionnement au mètre carré. Par exemple, à la Pitié-Salpêtrière à Paris, ce coût s'élève à 107 euros par mètre carré. La mesure relative au ratio entre les différentes surfaces (dédiées à la circulation, à l'accueil, à l'hospitalier...) doit être plus rigoureuse. Par exemple, nous avons relevé une surface importante non affectée aux soins à l'hôpital Port-Royal à Paris. A cet égard, il convient de rappeler que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a pour objectif une réduction de 15 % de ses surfaces d'ici à 2015.

Par ailleurs, les tutelles doivent également avoir une vision claire des programmations. De création récente, les autorités régionales de santé (ARS) souffrent d'une certaine forme de myopie : elles manquent d'expertise, de moyens et de vision transversale. Pour s'opposer à certains projets peu efficients, les ARS doivent désormais acquérir un surcroît d'expertise.

En ce qui concerne les autorités de tutelle nationales, nous avons constaté un resserrage très net de leur contrôle (par exemple s'agissant des emprunts contractés par des CHU connaissant des difficultés financières). Concernant les projets immobiliers, un référentiel a été mis en place, ainsi qu'un dispositif de contre-expertise. Cette dynamique s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de la programmation des finances publiques pour la période allant de 2012 à 2017. Le commissariat général à l'investissement recommande le déclenchement de l'expertise à partir d'un certain seuil de masse financière. Selon nous, ce seuil doit toutefois être assez bas pour permettre l'exercice d'une réelle contre-expertise. Nous pensons également qu'il faut inclure dans cette réflexion les investissements liés aux problématiques de mise en sécurité. Ces dernières se traduisent en effet souvent par la rénovation du bâtiment.

Les pouvoirs publics ont demandé l'élaboration de schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS), ce qui correspond à une offre de soins territorialisée. Un outil reste toutefois à finaliser et devra être mis en partage : il s'agit de la grille et de la méthode d'évaluation du retour sur investissement.

En conclusion, je voudrais dire que, pour notre pays, l'hôpital public est à la Ve République ce que l'école fut à la IIIe République : un vecteur de progrès essentiel à notre pacte social. Nous espérons que le rapport de la Cour des comptes présenté ce matin aide à progresser encore davantage sur ce chemin.

Je vous remercie Monsieur le président. Il était en effet important d'apporter cette dimension historique à l'évolution des CHU et des hôpitaux publics dans leur ensemble. Je donne maintenant la parole à Jean-Pierre Caffet.

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