La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur, et à l'élaboration du texte sur la proposition de loi organique n° 812 (2012-2013), de M. François Marc et Mme Michèle André, relative à la nomination du président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne.
Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi organique relative à la nomination du président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne que j'ai co-signée avec le rapporteur général François Marc, à qui il revient également de rapporter ce texte.
Je ne vais pas prolonger trop longtemps le suspense : je vous propose d'adopter sans modification cette proposition de loi organique, dont Michèle André et moi sommes les auteurs, comme elle vient de le rappeler.
Naturellement, il convient d'étayer cette position, même si Michèle André l'a déjà fait en grande partie quand elle a défendu, en juillet dernier, un amendement « miroir » dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation - d'ailleurs adopté par le Sénat et devenu l'article 72 quinquies A de ce projet de loi.
En France, l'Etat considère que les jeux sont son affaire. Cela vient de loin puisque ce sont deux lois du XIXe siècle qui ont établi les grands principes sur lesquels reposent encore aujourd'hui notre droit en la matière :
- pour les loteries, une loi de la Monarchie de juillet (loi du 21 mai 1836), complétée en 1983 et abrogée seulement l'année dernière afin d'être codifiée au sein du code de la sécurité intérieure ;
- pour les courses hippiques, une loi de la IIIe République (loi du 2 juin 1891), la distinction entre pari mutuel sur les hippodromes (PMH) et pari mutuel urbain (PMU) ayant été établie ultérieurement par la loi du 16 avril 1930.
Les jeux et paris ont été organisés et exploités par deux monopoles, sur les paris hippiques d'une part, et sur les loteries, jeux de grattage et paris sportifs d'autre part. Le groupement d'intérêt économique PMU a ainsi été constitué en 1983 par les sociétés de courses, et la Française des jeux (FdJ) a succédé à France Loto en 1990, sous la forme d'une société anonyme publique détenue à 72 % par l'Etat.
C'est dire si la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (loi n° 2010-476) a bousculé des principes plus que séculaires pour ce qui concerne les jeux d'argent et de hasard en posant le principe de l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne.
Pour autant, chacun le sait, les jeux se trouvent au carrefour de préoccupations multiples de grande importance pour l'Etat, en particulier la lutte contre le blanchiment d'argent, la prévention de l'addiction, la préservation de l'intégrité des compétitions, mais aussi la préservation des recettes publiques et du financement de certaines filières. Le montant total de ces prélèvements était de l'ordre de 5,6 milliards d'euros en 2012. Avec François Trucy, nous nous étions d'ailleurs interrogés, en 2010, sur la possible érosion de ces recettes publiques. Fort heureusement, pour l'instant, elles font mieux que se maintenir.
Les jeux en ligne ne sont pas épargnés a priori par les risques associés aux jeux, bien au contraire. Le fait de pouvoir jouer chez soi sur des supports dématérialisés peut, au contraire, accentuer certains de ces risques. Le législateur de 2010 a donc dû pallier l'absence de contrôle direct des opérateurs par l'Etat par l'établissement de règles strictes.
Un régulateur sectoriel a donc été chargé de veiller à la bonne application de ces règles par chacun : l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).
Le rôle de l'ARJEL est évidemment d'une grande importance. Elle doit définir les catégories de compétition et les phases de jeu pouvant faire l'objet de paris sportifs en ligne. Elle octroie les agréments aux opérateurs qui les sollicitent. Elle contrôle le respect de leurs obligations par les opérateurs agréés et, le cas échéant, enclenche le processus de sanction. Elle évalue les résultats des actions menées par les opérateurs agréés en matière de prévention du jeu excessif ou pathologique. Elle effectue les contrôles nécessaires en matière de lutte contre les conflits d'intérêts. Elle lutte contre les sites illégaux. Elle propose également aux pouvoirs publics les évolutions législatives et réglementaires qui lui semblent nécessaires.
Il nous a donc semblé, à Michèle André et moi, que la présidence de l'ARJEL gagnerait à faire partie des emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Pour mémoire, un grand nombre de présidents d'autorités de régulation relève déjà de ce régime, comme l'Autorité de la concurrence, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité des normes comptables, etc.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter cette proposition de loi organique. Son dispositif sera complété par l'article que nous avons inséré dans le projet de loi relatif à la consommation, qui précise que ce sont les commissions des finances des deux assemblées qui seront compétentes pour se prononcer sur la nomination du président de l'ARJEL.
Présidence de M. Philippe Marini, président.
Je remercie le rapporteur général de cette présentation. Cette proposition de loi organique n'est effectivement pas une surprise après nos débats du mois de juillet sur le projet de loi relatif à la consommation.
Je suis très satisfait du dépôt de cette proposition de loi organique. Elle est très opportune et je soutiendrai donc son adoption. Je considère qu'il s'agit de la première évolution significative de la loi du 12 mai 2010 après une « revoyure », prévue par la loi elle-même, un peu décevante.
Vous vous souvenez à quel point nous avons lutté, il y a trois ans, afin d'obtenir la création dans la loi d'un Comité consultatif des jeux (CCJ) qui a pu mettre de l'ordre dans les interventions disparates des différents ministères - pas moins de sept étaient concernés - et d'appréhender le phénomène des jeux dans sa globalité, notamment au travers de l'Observatoire des jeux. Seule la menace d'une navette prolongée, incompatible avec une entrée en vigueur de la loi avant la Coupe du monde de football de 2010, avait pu débloquer le dossier.
Quant à l'ARJEL, créée elle aussi par la loi du 12 mai 2010, elle a su pour l'instant répondre aux défis de la libéralisation.
En conclusion, ce texte me convient très bien et je remercie leurs auteurs de l'avoir déposé.
Je n'ai pas d'observation particulière à formuler sur la proposition de loi organique, mais je tiens à remercier le rapporteur général pour son rappel historique. Il est vrai que le sujet des jeux a des racines lointaines.
Ainsi, souvenons-nous que le 16 juillet 1789, deux jours après la prise de la Bastille, le peuple se pressait au tirage de la Loterie royale, à l'Hôtel de Ville de Paris. Des débats passionnés ont eu lieu au sein de la Convention afin de savoir s'il fallait supprimer cette loterie. Robespierre souhaitait d'ailleurs plutôt son maintien, à l'inverse de Mirabeau. Finalement, la loterie, supprimée par la Convention, a été rapidement rétablie sous le Directoire puis fortement développée par Napoléon Bonaparte, essentiellement pour des raisons budgétaires, en l'occurrence plus fortes que celles de la morale...
Comme l'a rappelé François Marc, nous avons déjà examiné le principe de la nomination du président de l'ARJEL après avis public des commissions des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la consommation, porté par Benoît Hamon, dont j'étais rapporteure pour avis. Ce texte comprenait d'ailleurs un véritable volet sur la régulation des jeux. C'est à cette occasion que j'ai constaté que de nombreux acteurs du monde des jeux, aux points de vue divers par ailleurs, se rejoignent pour se féliciter de l'action de l'ARJEL. Et la presse, qui se fait parfois l'écho de scandales liés à des paris truqués, souligne que la France est peut-être moins exposée que d'autres pays du fait de sa réglementation et grâce à son régulateur sectoriel.
J'ajouterai que la loi du 12 mai 2010 montre bien qu'il est techniquement possible de taxer un secteur économique en ligne sur lequel opèrent des groupes internationaux. Plus de 600 millions d'euros ont été ainsi prélevés sur les mises encaissées par les opérateurs en 2011 et en 2012, les deux premières années pleines de la réforme. Il est vrai que des impératifs d'ordre public justifient, pour le secteur des jeux, une procédure d'agrément nationale qui permet notamment d'assurer l'effectivité des prélèvements.
Restons quand même prudents : le combat n'est jamais gagné. Certes, aujourd'hui, le jeu légal, correctement encadré, capte une très forte part du marché global des jeux en ligne.
Mais les opérateurs souffrent sur le plan économique. Cela ne saurait durer trop longtemps sans avoir des conséquences. Personne n'a intérêt à voir apparaître certaines dérives.
Je remercie l'ensemble des intervenants. Je pense que le dispositif proposé par le texte que nous examinons sera utile et que nous pouvons nous retrouver pour l'adopter.
Je vais donc mettre aux voix la proposition de loi organique relative à la nomination du président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne.
La proposition de loi organique est adoptée sans modification.
Puis la commission procède à l'examen du rapport de Mme Michèle André, rapporteure, sur le projet de loi n° 517 (2012-2013), autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale passée entre la France et le Canada, dont le Sénat a été saisi en premier lieu.
La convention fiscale franco-canadienne a été signée à Paris le 2 mai 1975, puis modifiée à deux reprises, en 1987 et en 1995. Elle est largement conforme au modèle de convention fiscale élaboré par l'OCDE, qui fixe le standard international en la matière.
Je vous épargne une description du Canada et de ses relations avec la France : ce n'est pas le sujet de l'avenant. En effet, celui-ci n'a pas pour objet de modifier les dispositions de la convention, mais d'en étendre le champ d'application à la Nouvelle-Calédonie, qui en était jusque-là exclue.
Cette extension répond à un besoin bien précis : permettre l'achèvement et la pérennisation du grand projet minier de Koniambo.
Une courte explication s'impose : en 1998, les accords de Bercy portant sur la valorisation du nickel au nord de la Nouvelle-Calédonie avaient prévu que l'exploitation du massif de Koniambo serait réalisée par un consortium canadien et néo-calédonien. C'est la société canadienne Falconbridge, rachetée par le groupe suisse Xstrata en 2006, qui a été choisie et qui a réalisé l'essentiel des 4,35 milliards de dollars d'investissement - 85 % pour être précise.
Pour que son engagement soit rentable, la société Falconbridge doit pouvoir rapatrier ses dividendes au Canada en franchise d'impôt, grâce au régime canadien des sociétés mères, qui est l'équivalent du régime mère-fille en droit français. Or le régime des sociétés mères nécessite l'existence d'une convention fiscale : en étendant le champ de la convention franco-canadienne à la Nouvelle-Calédonie, cette condition est désormais remplie.
Je souligne que ce régime des sociétés mères, nécessaire à l'équilibre financier du projet, n'est en aucun cas dérogatoire ; je souligne également qu'il n'aura aucun impact budgétaire pour la France, puisque la réduction d'impôt est à la charge du Trésor canadien, qui a donné son accord de longue date.
L'usine de Koniambo est un projet crucial pour le développement économique et social de la province Nord de la Nouvelle-Calédonie. À terme, l'usine pourrait employer directement près de 1 000 personnes, et indirectement près de 5 200 personnes, et porter à 15 % la part de la Nouvelle-Calédonie dans la production mondiale de nickel. Ce grand projet a d'ailleurs depuis longtemps suscité l'intérêt de notre commission, et particulièrement de nos collègues Roland du Luart en 1996, Henri Torre en 2005, et Eric Doligé en 2011.
La construction de l'usine est aujourd'hui presque achevée, et une première coulée de nickel a pu avoir lieu en avril 2013, peu de temps avant la visite du Premier ministre le 26 juillet dernier.
Les négociations de l'avenant ont formellement débuté en 2008. Il a été signé à Paris le 2 février 2010, puis approuvé par le congrès néo-calédonien le 20 septembre 2012, conformément à la procédure prévue. Du côté du Canada, les procédures internes requises pour l'entrée en vigueur sont achevées et ont été notifiées à la France.
Par ailleurs, la négociation de l'avenant a été l'occasion d'actualiser les stipulations de la convention franco-canadienne relatives à l'échange de renseignements fiscaux. Il s'agit de mettre le dispositif en conformité avec le dernier modèle de l'OCDE, qui date de 2010. Il serait ainsi explicitement précisé que l'État requis doit transmettre les informations demandées, quand bien même il n'en aurait pas l'usage pour l'application de sa propre loi fiscale. Les données bancaires sont elles aussi explicitement visées dans cette nouvelle version.
Cela dit, cette actualisation se limite à l'échange d'informations sur demande. Or, vous n'ignorez pas qu'il se forme en ce moment un consensus européen et international en faveur du passage à l'échange automatique d'informations fiscales, supposé bien plus efficace que l'échange à la demande pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Cette question, devenue incontournable après l'adoption du dispositif « FATCA » par les Etats-Unis, figurait à l'ordre du jour du sommet du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013, et fait l'objet de plusieurs négociations entre États membres de l'Union européenne - notamment à l'initiative de la France.
Il importera donc, le moment venu, de modifier une nouvelle fois la convention franco-canadienne, lorsqu'un nouveau standard permettant l'échange automatique aura été adopté au niveau international. Compte tenu de la bonne coopération fiscale entre la France et le Canada, je ne doute pas que cette occasion se présentera.
Compte tenu de ces observations, je vous propose d'adopter sans modification ce projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre la France et le Canada.
Malgré l'excellence du rapport présenté, j'ai, pour ma part, quelques états d'âme à livrer.
Il s'agit d'optimiser une opération d'un grand groupe international, opération au demeurant déjà décidée et pour des investissements déjà réalisés.
Surtout, nous sommes dans une phase de mise en oeuvre des nouvelles conventions types de l'OCDE. Faut-il nous précipiter pour ratifier une convention qui est conforme au précédent modèle, alors que le nouveau est en cours de définition et devrait permettre d'assurer une lutte plus efficace contre l'optimisation fiscale des sociétés multinationales sans âme ?
J'entends bien vos observations. Le bénéfice du régime mère-filles était, dès le départ, une condition nécessaire pour le financement du projet. Le fait que la Nouvelle-Calédonie était exclue de la convention fiscale franco-canadienne nous oblige à adopter l'avenant que je vous ai présenté.
Je ne doute pas que, dans les mois, voire les années qui viennent, nous pourrons opérer quelques progrès avec notre partenaire canadien s'agissant de la signature d'une nouvelle convention fiscale.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.
La commission procède enfin à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la gestion du patrimoine immobilier affecté aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU).
Nous allons maintenant procéder à une « audition pour suite à donner » à une enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF.
L'enquête d'aujourd'hui concerne le patrimoine immobilier dédié aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU).
Cette enquête vient utilement compléter les précédents travaux, réalisés par la Cour des comptes à notre demande, sur le patrimoine « privé », non affecté aux soins, des établissements publics de santé. Cette enquête nous est particulièrement utile pour se situer dans l'environnement complexe du monde hospitalier.
Il y a eu une prise de conscience, parmi les hôpitaux, des enjeux que représente le patrimoine immobilier. Cette prise de conscience progressive s'explique notamment par la forte dégradation des finances hospitalières. L'endettement des hôpitaux publics a presque doublé depuis 2006 et continue de progresser, pour s'établir à plus de 26 milliards d'euros.
Le Premier ministre a annoncé, le 9 juillet dernier, l'objectif de réaliser 45 milliards d'euros d'investissement dans les hôpitaux sur les dix prochaines années. A cet égard, l'enquête de terrain de la Cour des comptes nous fournit de précieux éléments de réflexion. Le monde hospitalier est en effet parfois contradictoire. Les grands sites hospitaliers ont connu des périodes successives de développement, une sorte de sédimentation de l'espace, qui n'a pas toujours débouché sur des solutions optimales en termes d'organisation de l'espace.
Plusieurs questions se posent. Quels enseignements tirer des expériences passées pour les futurs investissements immobiliers hospitaliers ? Quelles idées peuvent être avancées pour rendre encore plus efficace la maîtrise d'ouvrage publique ? Les décisions prises dans ce domaine ont des conséquences sur une longue période.
Suivant l'usage, l'audition est ouverte aux membres de la commission des affaires sociales, représentée par notre collègue Yves Daudigny, rapporteur général, sénateur et président du Conseil général de l'Aisne. Elle est également ouverte à la presse.
Je donnerai tout d'abord la parole à M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, pour un résumé des travaux de la Cour. Assisté de Mesdames Marianne Lévy-Rosenwald, Céline Prévost-Mouttalib et Sylvie Apparitio, il nous présentera une synthèse de cette étude aussi concrète que possible.
À l'issue de cet exposé, Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Santé » et rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), s'exprimera et posera ses questions. Les rapporteurs généraux, s'ils le souhaitent, pourront aussi intervenir.
Puis, nous entendrons trois intervenants : Jean Debeaupuis, représentant l'autorité de tutelle et directeur général de l'offre de soins ; Philippe Domy, président de la conférence des directeurs généraux de CHU et directeur général du CHU de Montpellier et Christian Anastasy, directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP).
Je rappelle aux membres de la commission des finances que nous aurons, à l'issue de cette audition, à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.
Je donne maintenant la parole à Antoine Durrleman. Je le remercie ainsi que ses collaborateurs pour la qualité du travail accompli.
M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Je vous présenterai l'étude menée par la Cour des comptes au travers des trois questions suivantes : de quoi parlons-nous ? Comment en parlons-nous ? Qu'en disons-nous ?
Les trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) représentent 21 % de l'ensemble de l'offre hospitalière et 25 % du patrimoine immobilier hospitalier. Ils constituent le fleuron de l'offre hospitalière publique et préfigurent l'évolution à venir du monde hospitalier. Vous comprendrez donc que nos conclusions ne se limitent pas aux seuls CHU.
Dans la mesure où ces centres se caractérisent par une grande diversité, nous avons concentré notre analyse sur sept établissements nous paraissant correspondre à un panel représentatif : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Toulouse, Tours et Besançon.
Cette enquête intervient à un moment particulier et charnière dans l'évolution des CHU. Les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » ont en effet permis de dégager des financements considérables, respectivement 16 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Les CHU en ont été les principaux bénéficiaires du fait de leur état de vétusté avancée. Aujourd'hui, ces efforts de financement ont trouvé leur aboutissement, tandis que d'autres crédits sont prévus pour l'avenir. Nous nous sommes donc attachés à éclairer tant le passé que le futur avec, à l'esprit, les notions indispensables de progrès médical et d'efficience des coûts.
Voici les principaux éléments de conclusion suite à nos travaux.
Tout d'abord, si des efforts ont été réalisés, la connaissance du patrimoine immobilier des CHU demeure imparfaite. Parmi les efforts notables, je veux en particulier relever l'atlas du patrimoine immobilier, établi par le CHU de Toulouse. On doit néanmoins regretter l'absence d'une méthodologie commune permettant une vision agrégée du patrimoine immobilier des centres. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) met en place un nouvel outil de connaissance partagée dans ce domaine. Mais nous avons constaté que celui-ci reste largement inconnu dans les CHU, ce qui appelle une plus forte implication des équipes hospitalières sur ce projet.
En outre, l'effort de financement a obtenu des résultats positifs, mais les gains d'efficience auraient pu être plus importants. Parmi les résultats obtenus, on peut notamment évoquer l'amélioration de l'accueil du patient et l'intégration du progrès médical. Toutefois, des difficultés subsistent. L'accroissement des normes (générales et spécifiques) a eu pour conséquence une véritable course poursuite. Par exemple, à Tours, plus de 1 000 normes ont dû être intégrées en dix ans. La DGOS doit se mobiliser sur ce terrain. En particulier, la pression des normes incendie a mobilisé d'importants financements. Il faut rappeler que 16 % des bâtiments hospitaliers sont interdits d'exploitation. Certains CHU ont enregistré de réels progrès. Ainsi, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a réussi à lever trente interdictions, mais vingt-deux nouvelles ont été prononcées. Il convient de rappeler que la responsabilité personnelle des directeurs généraux des CHU est engagée sur ce terrain. Une question se pose : plutôt que de rechercher une mise en conformité à tout prix, ne vaut-il pas mieux abandonner certains sites ? Dans cette perspective, la reconversion de l'Hôtel-Dieu à Paris nous paraît un exemple à suivre.
Il faut également souligner que la restructuration des CHU n'est pas achevée. Concernant les blocs opératoires ou le virage ambulatoire, des retards dans la programmation des nouveaux plateaux médicaux techniques sont à déplorer. Dans certains cas, ces plateaux ont eu tendance à s'accroître plutôt qu'à se resserrer, ce qui est paradoxal. C'est par exemple la situation à Tours. Dans le domaine de la stérilisation, l'effort d'investissement a amené à concentrer les sites. Mais un tel regroupement n'est pas toujours achevé, comme par exemple à Marseille. Des difficultés, selon nous davantage culturelles qu'opérationnelles, nous semblent freiner ce mouvement.
La modernisation s'est traduite par une augmentation des surfaces : + 30 % au CHU d'Orléans par exemple. Cette augmentation est justifiée par l'amélioration des conditions d'accueil du patient. Mais elle trouve aussi son explication dans l'augmentation du nombre de lits. Or, les durées moyennes de séjour se réduisent fortement et la part de la médecine ambulatoire s'accroît. Dès lors, on peut penser que le levier d'efficience représenté par la modernisation et l'investissement immobilier aurait pu être mieux utilisé.
Les CHU ont déjà beaucoup évolué. On doit notamment citer une professionnalisation plus affirmée, l'intégration des problématiques de maintenance, une meilleure maîtrise d'ouvrage et une plus grande prise en compte des enjeux financiers. Nous avons ainsi relevé de bonnes pratiques en matière de réorganisation à Toulouse et Paris. Toutefois, des progrès restent à accomplir dans la programmation en faveur d'un resserrement des surfaces. Celui-ci suppose une bonne connaissance du coût de fonctionnement au mètre carré. Par exemple, à la Pitié-Salpêtrière à Paris, ce coût s'élève à 107 euros par mètre carré. La mesure relative au ratio entre les différentes surfaces (dédiées à la circulation, à l'accueil, à l'hospitalier...) doit être plus rigoureuse. Par exemple, nous avons relevé une surface importante non affectée aux soins à l'hôpital Port-Royal à Paris. A cet égard, il convient de rappeler que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a pour objectif une réduction de 15 % de ses surfaces d'ici à 2015.
Par ailleurs, les tutelles doivent également avoir une vision claire des programmations. De création récente, les autorités régionales de santé (ARS) souffrent d'une certaine forme de myopie : elles manquent d'expertise, de moyens et de vision transversale. Pour s'opposer à certains projets peu efficients, les ARS doivent désormais acquérir un surcroît d'expertise.
En ce qui concerne les autorités de tutelle nationales, nous avons constaté un resserrage très net de leur contrôle (par exemple s'agissant des emprunts contractés par des CHU connaissant des difficultés financières). Concernant les projets immobiliers, un référentiel a été mis en place, ainsi qu'un dispositif de contre-expertise. Cette dynamique s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de la programmation des finances publiques pour la période allant de 2012 à 2017. Le commissariat général à l'investissement recommande le déclenchement de l'expertise à partir d'un certain seuil de masse financière. Selon nous, ce seuil doit toutefois être assez bas pour permettre l'exercice d'une réelle contre-expertise. Nous pensons également qu'il faut inclure dans cette réflexion les investissements liés aux problématiques de mise en sécurité. Ces dernières se traduisent en effet souvent par la rénovation du bâtiment.
Les pouvoirs publics ont demandé l'élaboration de schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS), ce qui correspond à une offre de soins territorialisée. Un outil reste toutefois à finaliser et devra être mis en partage : il s'agit de la grille et de la méthode d'évaluation du retour sur investissement.
En conclusion, je voudrais dire que, pour notre pays, l'hôpital public est à la Ve République ce que l'école fut à la IIIe République : un vecteur de progrès essentiel à notre pacte social. Nous espérons que le rapport de la Cour des comptes présenté ce matin aide à progresser encore davantage sur ce chemin.
Je vous remercie Monsieur le président. Il était en effet important d'apporter cette dimension historique à l'évolution des CHU et des hôpitaux publics dans leur ensemble. Je donne maintenant la parole à Jean-Pierre Caffet.
Monsieur le président, je vous rejoins sur l'intérêt d'alimenter notre réflexion par une remise en perspective historique.
Tout d'abord, permettez-moi de rappeler les motifs qui ont conduit la commission des finances à confier une enquête à la Cour des comptes sur le patrimoine immobilier hospitalier : d'une part, il s'agissait d'établir l'état des connaissances et la nature du patrimoine détenu par les hôpitaux ; et, d'autre part, d'analyser les modalités de gestion de leurs différents types de biens.
Ce second volet de l'enquête sur le patrimoine dédié aux soins nous est présenté à un moment décisif. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 confirme la volonté du Gouvernement de soutenir les investissements des établissements publics de santé et de mieux piloter cet investissement. Un plan de financement à hauteur de 45 milliards d'euros dans les dix prochaines années a également été annoncé. Enfin, l'expérience des plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » a montré les risques de dérapage de plans d'investissement mal calibrés ainsi que leurs conséquences négatives sur la soutenabilité financière des hôpitaux.
L'enquête de la Cour des comptes appelle trois observations principales de ma part.
Premièrement, je constate des similitudes importantes entre les résultats et les recommandations de la précédente enquête sur le patrimoine privé des hôpitaux et ces nouveaux travaux sur le patrimoine dédié aux soins. En plus du défaut de pilotage national et régional et du manque de formalisation des stratégies immobilières des hôpitaux, je relève à nouveau la fragmentation de l'information.
Certes, au niveau de chaque CHU, la connaissance du patrimoine dédié aux soins est relativement bonne. Mais qu'en est-il précisément de l'outil de recensement national « OPHELIE » ? Celui-ci était censé être opérationnel en 2012. Des expérimentations ont eu lieu, mais le champ exact des établissements concernés demeure flou. La connaissance précise de l'existant apparaît pourtant comme un préalable nécessaire à la définition d'une politique nationale efficace.
Je me tourne donc vers le directeur général de l'offre de soins : pourriez-vous préciser quels seront les établissements et la part du patrimoine hospitalier concernés par « OPHELIE » à partir de 2014 ? L'ensemble des établissements publics de santé a-t-il bien vocation à utiliser « OPHELIE » ou bien s'agira-t-il uniquement des établissements dont les comptes seront certifiés en 2014 ?
Deuxièmement, le rapport de la Cour relève une volonté récente de superviser les projets immobiliers des hôpitaux aux niveaux national et régional, au travers de nouveaux instruments.
Je m'adresse à nouveau à Jean Debeaupuis. Pourriez-vous nous présenter l'état d'avancement des schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS) qui doivent être préparés par les agences régionales de santé (ARS) ? Ces schémas auront-ils un caractère contraignant vis-à-vis des hôpitaux ? Comment est organisé le nouveau Comité interministériel de la performance et de modernisation de l'offre de soins (COPERMO), en charge d'examiner les projets d'investissement supérieurs à 50 millions d'euros ? Combien de projets ce comité devrait-il évaluer par an ? Selon quels critères ? Quelle sera l'articulation entre le COPERMO et le commissariat général à l'investissement ?
Troisièmement, je note la prise en compte par le Gouvernement des diverses recommandations de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur un point important : les prochains efforts d'investissement hospitalier ne devraient pas suivre une logique de plan à caractère pluriannuel. En pratique, est-ce-que cela signifie que les aides de l'assurance maladie ne seront inscrites en loi de financement de la sécurité sociale qu'une fois les projets sélectionnés ? Quel niveau d'autofinancement sera attendu de la part des établissements ?
Bien entendu, il sera particulièrement instructif de recueillir le sentiment de Philippe Domy, de la conférence des directeurs généraux de CHU, et de Christian Anastasy, de l'ANAP, sur les méthodes et instruments permettant de mieux piloter l'immobilier hospitalier.
Pour conclure, je tiens à saluer l'excellent travail des magistrats de la Cour des comptes. Je les remercie, ainsi que nos autres intervenants, d'avoir bien voulu venir nous éclairer sur ce sujet.
Je m'associe aux appréciations portées par le rapporteur spécial Jean-Pierre Caffet. Je voudrais compléter son propos par trois questions supplémentaires, qui s'appuient sur la philosophie de la commission des finances sur ces sujets, et qui font aussi écho au fait que le Sénat est la chambre des collectivités territoriales, et que nous avons parmi nous des élus de tous les territoires, soucieux de rendre le plus opérationnel possible le système hospitalier.
Ma première question est générale et s'adresse à Antoine Durrleman et Jean Debeaupuis. Un grand nombre d'acteurs intervient dans les décisions d'investissement immobilier hospitalier : la commission médicale d'établissement, la tutelle ministérielle, les agences régionales de santé (ARS), le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) et le Commissariat général à l'investissement (CGI) pour les projets les plus coûteux. Pouvez-vous nous expliquer comment s'articulent leurs différentes interventions ? Quel est le cheminement type d'un projet ? Afin de concrétiser les choses et de prendre un exemple relativement connu, pourriez-vous nous indiquer par quelles phases d'examen doit encore passer le projet de pôle de santé universitaire de l'Hôtel Dieu ?
Ma deuxième question s'adresse à l'ensemble de nos intervenants : plusieurs rapports recommandent de conditionner strictement les aides publiques à l'investissement hospitalier selon différents critères. La Cour des comptes propose des critères liés à l'offre de soins (diminution des capacités, réduction des surfaces...), l'IGAS et l'IGF mettent en avant des critères de gestion (désendettement, évolution des besoins en fonds de roulement, marge brute non aidée...). Quelle approche vous semble la plus pertinente au regard de la spécificité des hôpitaux ? En appliquant de telles approches de façon trop stricte, ne risque-t-on pas de détériorer l'offre de soins sur certains territoires ?
Enfin, ma troisième question s'adresse à Antoine Durrleman et Christian Anastasy : la présente enquête de la Cour des comptes n'approfondit pas la question des partenariats publics privés dans le champ hospitalier. Ce type de contrat constitue-t-il une piste pour l'intégration de la maintenance préventive ? Existe-t-il d'autres outils pour mieux prendre en compte la maintenance dès la phase de conception des projets ?
Je m'associe aux remerciements qui ont été adressés aux membres de la Cour des comptes. Pour ma part, je formulerai deux questions. La ministre de la santé et des affaires sociales a présenté la semaine dernière les grandes lignes d'une stratégie nationale de santé. Il est vrai que le discours a davantage porté sur le début de la chaîne de soins que sur l'hôpital. Mais la question peut être posée : comment prendre en compte, au-delà des normes, les évolutions à venir dans l'organisation de la chaîne de soins ? Comment prendre en compte, aussi, la cohérence de l'organisation des soins sur un territoire ? Un exemple me semble parlant à cet égard : celui de la prise en charge ambulatoire, dont il est vivement souhaité qu'elle se développe en France, à l'égal de ce qui se passe dans d'autres pays.
Ma deuxième question est plus anecdotique : la Cour écrit, dans son rapport, que plusieurs CHU se caractérisent par une certaine inventivité architecturale. Cette particularité a-t-elle pu avoir pour conséquences des difficultés supplémentaires dans l'organisation du travail, ainsi que des coûts supérieurs à ce qu'ils auraient pu être ?
Sur la question de la maîtrise d'ouvrage publique, il s'agit de savoir comment parvenir à une vision intégrée de l'investissement et des fonctionnalités si diverses d'un CHU.
Je voudrais préciser que dans « CHU », il y a « université ». Je m'étonne, tout en le regrettant, que la Cour n'ait pas consulté un certain nombre de personnes pour réaliser son enquête : le président du conseil de surveillance de chaque CHU choisi pour l'enquête, le président de la commission médicale d'établissement (CME) et le doyen de la faculté de médecine. Est-ce normal ? Cela fait dix-neuf ans que je suis président du conseil d'administration, devenu conseil de surveillance, du CHU de Tours. C'est le lien entre l'administration de l'hôpital, les élus et la population. Il ne faut pas oublier la dimension humaine des hôpitaux. Les personnels administratifs ne représentent qu'une partie de l'hôpital. Le CHU, c'est comme l'école publique. On ne parle pas ici de cliniques privées mais des CHU, créés par Robert Debré, un des succès de notre pays et dont les personnels sous aujourd'hui sous tension. Un CHU est un ensemble humain, qui doit vivre.
On m'a proposé en 1995 de supprimer l'hôpital Bretonneau, pour faire des économies, et de construire un hôpital à quinze kilomètres de la ville. J'ai imposé le maintien d'une partie du CHU en centre-ville. De plus, on a créé une maison de santé à côté, ce qui a permis de soulager les urgences. Il faut tenir compte de la vie locale sur ces sujets. Je souligne aussi que je préside le conseil de surveillance d'un CHU qui n'est pas en déficit, et qui n'est pas soumis à la législation sur les emprunts, car son endettement est limité.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est celui des normes : on découvre là ce que vivent les maires au quotidien. Pourquoi ne devrait-on pas respecter la loi, sous prétexte qu'on est dans un CHU, et au nom de l'impératif d'économies ? J'ai lu très attentivement le rapport de la Cour des comptes. Les normes d'accessibilité, les normes relatives à l'amiante, aux incendies et à la légionellose sont très importantes. Je pourrais d'ailleurs ajouter à cette liste les impératifs liés aux maladies nosocomiales.
Certaines recommandations de la Cour des comptes me semblent pertinentes : la nécessaire suppression de sites, le regroupement des fonctions logistiques, qui devrait être imposé partout, tout comme l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, que j'ai imposée en tant que président du conseil de surveillance.
De surcroît, L'Etat doit fournir au directeur du CHU et au président du conseil de surveillance un certain nombre de documents, en amont, par exemple pour établir le budget de l'établissement. Or, bien souvent, nous ne disposons pas de l'ensemble des chiffres permettant la préparation du budget de l'hôpital !
Je veux, enfin, sur un sujet plus personnel, signaler une inexactitude à la page soixante-quatorze du rapport, qui concerne le CHU de Tours. Il est indiqué que « les résistances locales des élus et de la population n'ont pas permis le regroupement du pôle pédiatrique ». Les élus et la population ne représentent pas rien !
Les élus ont souhaité regrouper la maternité et la néo-natalité, mais conserver un hôpital pédiatrique, où les enfants venant de différentes régions peuvent profiter de la présence de leurs parents à côté d'eux grâce au système de résidence qui a été instauré. Je le répète, un hôpital doit rester humain. Je plaide pour davantage de lien entre les élus et les différentes administrations. Et, en matière d'administration hospitalière, il y a un millefeuille à simplifier ; ceci serait certainement source d'économies.
Merci. Ce témoignage concret illustre l'utilité pour un maire de présider le conseil de surveillance d'un hôpital.
Je remercie à mon tour les membres de la Cour des comptes. Je souhaiterais aborder un sujet non traité dans votre présentation, celui du service d'aide médicale urgente (SAMU) et des pompiers. Je le vois à Orléans, où nous construisons un hôpital. On construit un centre d'alerte sur l'hôpital pour le SAMU, ce qui coûte très cher et, parallèlement, un deuxième centre pour les pompiers, pour un coût de 5 millions d'euros. Il y avait une économie d'échelle à réaliser, mais chacun sait qu'entre le « 15 » et le « 18 », beaucoup de tensions existent. Cela implique un manque d'efficacité, des problèmes de qualité de secours, et des surcoûts inutiles.
En pleine construction de l'hôpital, il y a déjà deux ans, nous avons réalisé que le projet comportait une centaine de places en trop. Mais, une fois que le projet était lancé, on ne pouvait plus rien faire pour pallier ce défaut. La question de l'affectation des surfaces supplémentaires n'est pas réglée et pose un vrai problème.
S'agissant des normes, il ne s'agit pas de ne pas les respecter. J'ai produit un rapport sur le sujet. Le problème vient de la superposition des normes. Peut-être pourrait-on avoir une vision plus européenne et plus égalitaire en la matière ?
Enfin, je voudrais insister sur l'impact de la désertification médicale concernant les besoins en matière de services d'urgences. A Orléans, les saturations sont extrêmes du fait de l'absence de médecins localement. Les pompiers emmènent tout le monde aux urgences, qui s'en retrouvent totalement embouteillées. En conséquence, il faudrait des surfaces supplémentaires, car nous ne sommes pas en capacité de régler ce problème dans les conditions actuelles.
Je lirai avec beaucoup d'attention l'excellent rapport de la Cour des comptes et je me joins aux remerciements précédemment exprimés. Vous évoquez la mutualisation, la coordination, les relations avec l'extérieur : ce sont des processus absolument nécessaires, qui rencontrent parfois des obstacles. Je me souviens par exemple des violentes oppositions du corps médical, en 1984, avec la mise en oeuvre de la départementalisation.
J'ai beaucoup apprécié l'intervention de Jean Germain. Dans mes fonctions de maire, ce qui m'a le plus intéressé, c'était la présidence du conseil d'administration du CHU de Rennes, que j'ai exercée pendant trente-et-un ans. Je n'ai jamais manqué une seule de ces réunions, même ministre. J'ai voté tous les budgets. On ne rend pas suffisamment hommage aux personnels des hôpitaux, si impliqués. Le directeur général doit être soutenu par le président du conseil d'administration. Je dirais même plus : lorsque l'on travaille sur le bon fonctionnement d'une institution telle qu'un CHU, il faut une parfaite entente entre le président du conseil de surveillance, le directeur général, le doyen, le président de la commission médicale d'établissement (CME) et le préfet ou son représentant.
A partir de là, quels enseignements tirer ? Premièrement, la France a une excellente administration hospitalière, mais l'administration de la santé est dépourvue de moyens, indépendamment de la qualité et du dévouement des personnes qui exercent ces fonctions.
Il y a des explications à cela : je m'agace notamment des différences d'indemnités entre hauts fonctionnaires, selon que l'on exerce au ministère des affaires sociales ou à Bercy. On doit avoir le courage de traiter cette question.
S'agissant de la tutelle, il faut être conscient de l'écart existant entre celle-ci et l'opinion générale, y compris celle des responsables hospitaliers et des élus locaux, ce qui me paraît grave dans une démocratie. Je pense que loyauté, responsabilité et bon sens ne sont pas incompatibles avec l'exercice de la tutelle.
Par ailleurs, je suis très attaché aux grands équilibres budgétaires, mais on ne peut pas raisonner de manière générale sur un sujet comme les CHU. Certes, il faut un cadre, mais n'oublions pas la territorialisation, c'est-à-dire la nécessité de répondre à des besoins différents selon les territoires. De plus, il existe une grande spécificité des CHU. Par exemple, sur le concept de durée moyenne de séjour : globalement, il y a une grande baisse de cette durée. Mais je ne pense pas que la durée de séjour dans une maternité de CHU, de l'ordre d'une journée et demie, soit la panacée, surtout lorsque l'on sait quel type de populations fréquente les maternités des CHU.
S'agissant de la sécurité : oui, il faut respecter des normes. Mais on se heurte à une application extrême des normes de sécurité dans le cadre de la commission de sécurité. Chacun se protège, cherche à se couvrir. Il faut un dialogue entre le ministère de la justice et le ministère de la santé sur ces sujets. Je ferai allusion à cet égard à un exemple personnel dans ma région : une nuit, l'incendie d'une clinique privée a causé vingt-cinq morts. Il est évident que ceci a des répercussions. Et, lorsque vous êtes membre d'un conseil d'administration, que vous avez un choix à faire entre l'acquisition de cinq portes coupe-feu dans une cave ou l'ajout d'un instrument important dans un bloc opératoire, vous n'hésitez pas ! J'en connais les conséquences.
Sur les surfaces : j'entends bien qu'il faut des normes de surface, mais il faut prendre le temps de voir concrètement comment elles peuvent être gérées. Quand on a une salle d'urgence, dans un CHU, égal au dixième de notre salle de réunion, la première chose que l'on fait est de l'agrandir, ce qui n'a rien de répréhensible.
Enfin, quand on parle de lits, il faut là encore raisonner service par service. Par exemple, en matière de soins palliatifs, on a des efforts à faire. Les coordinations sont nécessaires, il faut une certaine spécialisation. Par ailleurs, il arrive que dans certains services de nos CHU, le confort hôtelier n'égale pas le confort qui existe dans d'autres établissements privés.
Enfin, je ne suis pas opposé aux partenariats public-privé (PPP), mais je pense que le ministère doit jouer dans ce domaine un rôle de conseil et d'expertise en relation avec l'administration hospitalière, pour que, dans les rapports avec le privé, tout le monde se retrouve à égalité. De plus, l'application du PPP dans le secteur hospitalier est particulièrement difficile, tant il faut préciser de points dans le contrat. Je m'excuse pour la longueur de mon intervention, mais ce sujet me tient à coeur, et l'on ne peut pas le traiter du seul point de vue comptable.
Chacun peut ici mesurer l'engagement des élus locaux au côté des établissements hospitaliers. Nos collègues ont parlé avec leur expérience, mais aussi avec leur coeur. N'oublions pas que les CHU sont des établissements publics de l'Etat, que le principe de territorialisation s'y applique et que cela rend complexe l'exercice des fonctions de régulation et de tutelle. D'où la pluralité des organismes qui s'en occupent. Au nom de l'Etat, la vision la plus globale est celle du directeur général de l'offre de soins. Je passe donc la parole à Jean Debeaupuis.
Je remercie la Cour des comptes ainsi que la commission des finances pour avoir demandé une enquête sur ce sujet. Celle-ci est extrêmement détaillée et restitue les échanges nourris avec le ministère des affaires sociales et de la santé et avec les opérateurs concernés.
En introduction, je souhaiterais souligner deux points. Tout d'abord, quels que soient nos parcours respectifs, nous connaissons bien, autour de la table, les CHU, leurs spécificités, leurs réussites et leurs difficultés. Pour la gouvernance de ces établissements, la bonne entente entre les présidents de conseil de surveillance, que vous êtes, et l'ensemble de la communauté hospitalière est nécessaire. Ensuite, je signale que mon propos sera plus large que le champ de l'enquête. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, la DGOS, ancienne direction de l'hospitalisation, s'occupe désormais de l'offre de soins et prend en compte l'ensemble du parcours de santé. Je suis convaincu que les outils que nous avons conçus s'adressent autant aux trente-deux CHU qu'aux autres établissements de santé.
Les trois axes majeurs qui ont guidé l'action du ministère de la santé en matière de gestion patrimoniale des établissements sont une meilleure connaissance du patrimoine, le développement d'une approche plus stratégique du patrimoine existant et la mise en place d'un dispositif de pilotage renforcé, avec notamment le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) mis en place par la ministre en décembre dernier.
Sur la meilleure connaissance du patrimoine, la Cour des comptes nous appelle à aller plus loin. C'est un défi fondamental pour nous. Je rappelle qu'il concerne l'ensemble des acteurs : les établissements au premier chef, en tant que maîtres d'ouvrage, les agences régionales de santé (ARS) et l'échelon national de pilotage. Le travail de fond a abouti puisque le système d'information « OPHELIE », élaboré grâce à la collaboration de l'ANAP et de l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), sera déployé dans une trentaine d'établissements avant la fin de l'année. Cet outil va donc être testé en conditions réelles. Nous avons choisi d'articuler le déploiement de cet instrument avec la démarche de certification des comptes des établissements de santé. Les premiers établissements à faire l'objet d'une certification le seront pour les comptes de l'année 2014. La montée en charge sera ensuite progressive. Les décrets sur la certification ont récemment été examinés par le Conseil d'Etat et devraient être publiés très prochainement. Je rappelle que le seuil fixé par le Gouvernement pour la certification est de 100 millions d'euros de budget annuel. La certification et l'utilisation d' « OPHELIE » devraient donc concerner la majorité des établissements. Notre intention est bien de déployer cet outil à l'ensemble des établissements, mais en commençant par les établissements qui se sont portés volontaires et qui prendront part à la première vague de certification des comptes. J'en profite pour rectifier un point : le comité de pilotage du projet « OPHELIE » comprend naturellement des représentants des établissements publics de santé, et notamment des CHU. C'est avec eux que les décisions de partage de données et d'évolutions de l'outil seront prises.
Concernant la mobilisation des acteurs en matière de gestion du patrimoine et de certification des comptes, tous les établissements vont devoir s'engager encore plus fortement dans cette démarche de recensement, d'optimisation et de valorisation de leur patrimoine. C'est une condition évidente pour une vision sincère et fiable des immobilisations. Ce mouvement a été lancé par une circulaire publiée en octobre 2011.
Cette connaissance étant améliorée, comment avoir une approche plus stratégique du patrimoine des établissements ? Chacun a pu mesurer les limites des plans antérieurs, « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 », même s'ils ont permis la modernisation d'un patrimoine parfois vétuste : une insuffisante prise en compte du patrimoine existant, des effets d'aubaine et surtout la montée de l'endettement. Le ministère de la santé a donc entamé une démarche de remise à plat des investissements en santé au niveau régional. La circulaire du 28 mai 2013 donne un cadre général à l'élaboration des schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS). Le champ de ces schémas est le plus large possible : hospitalisation, médico-social, médecine de ville ou encore systèmes d'information.
Dans le cadre de l'élaboration des SRIS, il est demandé aux établissements et aux ARS de répondre à trois exigences. Tout d'abord, il faut argumenter et documenter le plus possible la stratégie territoriale, en cohérence avec la stratégie régionale de santé. Ensuite, les schémas devront promouvoir les parcours de santé, afin de décloisonner et renforcer les complémentarités entre la ville et les établissements de santé. Ensuite, la circulaire demande de prendre davantage en compte le patrimoine existant. La Cour des comptes souligne, en la matière, la démarche exemplaire et pionnière de l'ARS d'Ile-de-France. A priori, les SRIS ne devraient pas conduire à une augmentation des immobilisations, mais favoriser une valorisation des surfaces existantes. Les marges d'optimisation sont importantes ; elles ne sont pas incompatibles avec les priorités de santé publique telles que le développement des soins palliatifs ou des transplantations. Le parcours de santé peut être en effet réparti entre différentes régions.
La Cour des comptes recommande d'adopter un « calendrier réaliste » pour l'élaboration des SRIS, permettant l'établissement d'un état des lieux préalable. C'est bien la méthode qui a été retenue par la ministre. Les ambitions méthodologiques des SRIS ne pourront être réalisées que dans une perspective pluriannuelle. Pour répondre à votre question, Monsieur le rapporteur spécial, sur l'état actuel de préparation des SRIS, les vingt-six ARS ont envoyé durant l'été au ministère une première version des schémas. Cette première génération est amenée à être déclinée et approfondie. Il y a encore un travail méthodologique important avant d'atteindre les ambitions exposées dans la circulaire. Je terminerai sur le troisième axe, concernant le fonctionnement du COPERMO. La Cour des comptes note que ce nouveau comité est susceptible de renforcer la qualité des investissements.
Quels sont les moyens dont disposera ce comité ? S'agit-il d'une simple réunion ou y aura-t-il une substance ?
Cela fait près d'un an que ce comité se réunit en alternant des séances sur la performance et des séances sur l'investissement. Il travaille en lien avec le commissariat général à l'investissement. Déjà onze dossiers ont été examinés par le comité à l'aune des critères de cohérence territoriale, de soutenabilité financière et de validation des référentiels capacitaires les plus exigeants, et ont fait l'objet d'une validation par la ministre.
Je citerai quelques exemples de projets emblématiques avant de laisser la parole à mes voisins : le projet du CHU de Nantes, planifie dans les dix ans à venir une réduction des capacités complètes d'hospitalisation de 30 % avec un fort développement de l'ambulatoire ; le projet du CHU de Clermont-Ferrand intègre, quant à lui, une valorisation importante dans le cadre de la cession de l'Hôtel-Dieu ; le projet du CHU de Belfort-Montbéliard prévoit, à travers le regroupement sur un site unique, un gain structurel de 12 millions d'euros pour un investissement de 250 millions d'euros.
Pour répondre à l'objectif de soutenabilité, il est demandé aux établissements d'atteindre un taux de marge brute non aidée de l'ordre de 8 %.
Je me tourne à présent vers Philippe Domy, en sa qualité de président de la conférence des directeurs généraux de CHU. Avant de nous indiquer le rôle de cette conférence, pouvez-vous nous faire partager votre expérience en tant que directeur général d'un grand établissement de santé ? Quel est votre point de vue sur le paysage des différentes procédures et entités qui jouent un rôle dans le suivi des investissements hospitaliers ? Je souhaiterais également recueillir votre avis sur les relations entre les établissements de santé et les ARS. Quel est le poids de ces agences vis-à-vis des grands CHU, très structurés et très compétents ? Quelle est la valeur ajoutée de la tutelle régionale par à rapport aux grands établissements ?
Monsieur le président, mesdames messieurs les sénateurs, vos questions et vos commentaires montrent à la fois votre intérêt pour la chose hospitalière et votre attachement à ces grandes institutions de service public que sont les CHU.
Qu'est-ce que la conférence des directeurs généraux de CHU ? Vous l'avez souligné, dans la tradition d'autonomie qui est la leur, les établissements manquent parfois de coordination. C'est la raison pour laquelle, très tôt, nous avons ressenti le besoin de mieux nous connaître afin de mieux agir ensemble. Comme cela a été rappelé, les trente-deux CHU représentent une masse significative de l'offre de soins. De plus, compte tenu de nos missions, soins, enseignement, recherche, nous avons à la fois un rôle de proximité, de référence et de dynamisation de l'enseignement et de la recherche. Nous sommes donc les garants de l'anticipation d'une réponse adéquate à l'évolution des besoins de santé. Nous nous rencontrons en conséquence selon un rythme mensuel, sur des thématiques communes comme la stratégie, les affaires financières, les ressources humaines ainsi que l'architecture et l'ingénierie patrimoniale.
Le principe premier est que l'on agit bien si l'on sait ce que l'on est et ce que l'on fait. Or le premier défaut était l'insuffisance de bases de données permettant de connaître la nature et le volume du patrimoine de nos établissements. A la suite de la réalisation en 2012 d'un « Livre blanc pour l'investissement hospitalier », nous avons décidé de créer une base de données, en lien avec les services du ministère de la santé et l'ANAP. Nous sommes ensuite convenus avec la DGOS de verser cette base de données aux bases de données constituées par les prédécesseurs de l'ANAP afin d'avoir une vision consolidée, au niveau national, du patrimoine hospitalier. Il est important de noter que l'outil « OPHELIE » a pour origine une initiative des CHU et des opérateurs de terrain. Nous sommes engagés auprès du ministère afin de faire en sorte que cet outil devienne une aide à la prise de décision.
Sur les aspects plus stratégiques, je pense que nous allons connaître un bouleversement majeur dans la prise en charge des patients, notamment avec la prise en charge ambulatoire. L'objectif est d'atteindre, dans le champ de la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), la cible de 50 % des indications, établies en vue d'une intervention chirurgicale, qui seraient prises en charge en ambulatoire. Cette évolution aura un effet significatif sur l'organisation des établissements et nécessitera une refondation complète des modes de prise en charge et une adaptation des plateaux techniques.
Par rapport au sujet qui est le nôtre aujourd'hui, je souhaiterais souligner qu'une baisse du nombre de lits n'équivaut pas nécessairement à une baisse des dépenses hospitalières. En effet, le rapport entre les surfaces dédiées à l'hébergement et celles dédiées aux plateaux techniques (exploration, diagnostic, intervention...) devrait s'inverser. Or le coût d'exploitation des surfaces dévolues aux plateaux techniques est bien plus élevé. Plus nous allons monter dans la prise en charge ambulatoire, plus nous allons développer nos plateaux techniques. Sur une plus courte période, avec des équipements plus coûteux, il faudra prendre en charge davantage de patients. Le coût en plateaux techniques va donc significativement augmenter, quand bien même les fonctions hôtelières diminueront drastiquement. Au-delà de la pris en charge ambulatoire, il faut aussi noter le développement de la médecine prédictive et de la thérapie cellulaire.
Le bouleversement qui devrait avoir lieu dans les années à venir pose donc la question de la planification des différents investissements. Il est nécessaire d'adopter une démarche prospective, en tentant d'imaginer ce que sera l'hôpital dans dix ans. Nous savons d'ores-et-déjà qu'il y aura moins de fonctions d'hébergement, davantage de plateaux techniques et une logistique plus légère mais que l'hôpital ne coûtera pas moins cher !
Je comprends ce que vous indiquez à propos du transfert de surfaces entre la fonction hôtelière et la fonction d'intervention médicale. Vous nous dites que cela permettra d'accueillir plus de patients. Est-ce que cela signifie qu'il y aura davantage d'interventions ? Comment expliquer cette hausse du nombre d'interventions et de patients en ambulatoire par rapport à l'hospitalisation conventionnelle ? Est-ce l'évolution des pathologies ?
Oui, il y aura une plus grande production d'actes et donc une hausse de la productivité de l'hôpital public. Dans le même temps, nous ferons face au développement des maladies chroniques, qui nécessiteront un recours ambulatoire aux plateaux techniques plus important. Il devrait y avoir une diversification de l'offre de soins et des pratiques qui entraînera une hausse du nombre d'actes, y compris d'actes plus coûteux en interventions et en consommables.
Parallèlement, à certaines périodes de l'année, dans les services d'urgences, nous manquons de lits pour faire face aux patients en aval. Il faudrait donc réaffecter une partie du potentiel d'hébergement à l'aval immédiat, dans les services d'urgences. Les CHU sont l'un des derniers lieux où il existe une réponse permanente de proximité, de recours et de référence. Les lits tendent souvent à se remplir le week-end. Il faut également prendre en compte cet aspect médico-social, que les CHU sont les seuls à assumer.
Les hôpitaux généraux, par exemple, ferment des lits de réanimation pendant l'été.
Je me permets de signaler un point important aux élus que vous êtes : les problèmes de cohérence stratégique entre hôpitaux sont parfois liés au poids politique des présidents de conseils de surveillance.
S'agissant des ARS, il est vrai qu'il leur est parfois difficile d'assumer leur rôle face aux CHU. Il peut y avoir des déséquilibres d'expertise entre les grands établissements et les ARS. Mais il y a aussi des rivalités politiques d'un territoire à l'autre. Je plaiderais pour que les élus soient conscients de ce problème et nous aident dans la résolution de ces conflits d'intérêt. Il convient de partir de l'intérêt réel du patient et de veiller à ce qu'y soient affectés les moyens appropriés. Il faut éviter la multiplication des manoeuvres dilatoires. Par exemple, dans ma région, entre Montpellier et Nîmes, ce sont des choses que nous vivons régulièrement.
J'ajoute que la complémentarité de l'offre de soins ne s'apprécie pas uniquement au sein d'une même région. Il faut l'apprécier au niveau interrégional.
Bien sûr. La démonstration est faite au travers des schémas régionaux d'investissement en santé. Dans certaines activités telles que la chirurgie cardiaque, ou la neuroradiologie, nous voyons bien que c'est au niveau suprarégional qu'il faut s'organiser.
Monsieur Anastasy, vous êtes le directeur de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP). Expliquez-nous votre position dans ce dispositif de conseil des établissements et de l'administration centrale, et d'évaluation des investissements.
Je dirai pour commencer quelques mots sur l'ANAP. Elle résulte de la fusion de trois entités (la mission nationale d'appui à l'investissement hospitalier - MAINH -, la mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers - MEAH - et le groupement pour la modernisation du système d'information hospitalier - GMSIH), ce qui marque un effort de regroupement de la part de l'Etat pour aller dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'aspect systémique de l'organisation des établissements de santé. L'Inspection générale des finances nous considère comme un démembrement de l'Etat, et préférerait que nous ayons le statut d'un service à compétence nationale rattaché au ministère de la santé. Le Conseil d'Etat estime pour sa part que, de par son autonomie, l'ANAP est une agence, et qu'elle joue un rôle de structuration et d'accompagnement d'une politique nationale.
Au sein de l'ANAP, nous sommes tous des professionnels de terrain, des docteurs, des ingénieurs, des soignants. Nous ne créons pas de normes supplémentaires, mais nous nous employons à faire émerger les aspects les plus positifs de notre système hospitalier. On s'intéresse à ce qui va bien, en lien avec les professionnels de terrain. Par exemple, dans le domaine de la gestion des lits - la ministre a annoncé une action structurante dans cent-cinquante établissements - nous avons bâti un programme en lien avec les établissements. Nous avons fait ressortir les meilleures idées des établissements à travers une modélisation des bons outils de terrain. Notre mission est de les diffuser à grande échelle.
Quelle est la vision de l'ANAP sur les investissements immobiliers ? J'ai noté avec intérêt vos interventions qui font ressortir la complexité des réflexions auxquelles nous sommes confrontés. Deux mécanismes contradictoires sont à l'oeuvre : d'un côté, un raisonnement qui postule que la durée de séjour va baisser, et que nous aurons donc moins besoin d'une capacité d'investissement du fait d'un moindre recours aux capacités techniques et d'hébergement. Cette position est fausse. De l'autre, un raisonnement inverse, qui postule qu'en raison du vieillissement de la population, les besoins de santé vont croître et qu'il nous faudra donc davantage de lits. Cette position est également erronée. Quelle est la vérité entre ces deux thèses ? On peut faire ressortir quelques points.
Tout d'abord, le vieillissement de la population est indéniable. De plus, 70 % des personnes âgées habitent dans les villes, ce qui pose des problématiques d'accessibilité. De fait, éloigner les centres de soin des centres villes ne semble pas pertinent.
Ensuite, la part des dépenses d'assurance maladie consacrée aux pathologies chroniques ne cesse d'augmenter : elle est de plus de 50 % aujourd'hui, et sera de 70 % dans dix ans. En conséquence, la pression économique agira sur les enveloppes disponibles pour les autres acteurs du système. Il y aura un effet de vase communicant, avec une pression très forte à venir sur les établissements de santé.
Enfin, je voudrais souligner qu'aujourd'hui, on est capable de faire une carte du génome de chacun d'entre nous, mais qu'il n'y a pas encore de lien entre cette carte du génome et les thérapies géniques. Toutefois, dans dix ans, on commencera à faire ce lien, et les modes de prise en charge seront très différents d'aujourd'hui. Il est donc très difficile de faire des prévisions de long terme.
Au regard de ces constats, quelles peuvent être les pistes d'évolution ?
Je pense qu'il faut traiter les problèmes dans l'ordre. La ministre, avec la stratégie nationale de santé, a souligné la nécessité d'accompagner les personnes dans un territoire. Je rappelle que 15 millions de personnes sont concernées par des pathologies chroniques, pour un enjeu financier de 80 milliards d'euros. Il faudra donc se concentrer sur l'organisation des soins. Or, en France, nous avons deux financeurs : l'Etat, via l'assurance maladie, et les conseils généraux. C'est une spécificité par rapport à d'autres pays. Le premier enjeu est de « chaîner » les parcours (en lien avec la problématique des systèmes d'information) ; le second enjeu consiste à essayer de prendre en compte dans les financements le chaînage des parcours des personnes au sein d'un territoire. Un groupe de réflexion sur ce sujet a été lancé par la ministre. Tout cela n'est pas simple : il s'agit de modifier le modèle économique en s'efforçant de financer à due concurrence les phases du parcours de soins de façon plus cohérente.
Enfin, je souhaiterais souligner deux points qui ont seulement été mentionnés au cours de l'audition. Premièrement, s'agissant des partenariats public-privé, il faut impérativement mieux mettre en perspective les coûts d'exploitation de maintenance dans les investissements, car cela a un impact considérable (90 euros TTC le mètre carré par an estimés pour un CHU). Il y a actuellement une sous-valorisation des cycles d'exploitation de maintenance, par rapport à des investissements très coûteux.
Deuxièmement, dans le contact avec mes homologues étrangers, j'ai pu constater que, dans beaucoup de pays, les établissements de santé se préoccupent des normes environnementales, et notamment des conséquences d'une taxe carbone sur leur exploitation. Nos établissements seront confrontés à cette charge à partir de 2017, à travers leurs dépenses de consommation d'énergie et l'absence de maîtrise, par leurs investissements immobiliers, de rejets et consommations particulières. La Cour des comptes a cité le chiffre de 60 millions de mètres carrés de surface. Si l'on part d'une hypothèse de coût de 500 euros par mètre carré, on mesure l'ampleur des investissements à réaliser dans l'isolation des bâtiments des établissements hospitaliers pour éviter le paiement de la taxe carbone.
Après la qualité des différentes interventions, j'ose à peine poser une question purement budgétaire. Je comprends bien la complexité des différentes problématiques. Néanmoins, hier dans cette même salle, le ministre du budget nous a présenté le projet de budget pour 2014. Il a annoncé que 6 milliards d'euros d'économies seraient réalisées en 2014 sur les dépenses sociales, dont 2,4 milliards d'euros sur les dépenses d'assurance maladie. Il est indiqué qu'une partie de ces économies devrait provenir de gains de productivité dans le secteur hospitalier. Pensez-vous que, dans les années à venir, des gains de productivité permettront de réaliser des économies ? A vrai dire, en vous écoutant, j'ai peine à le croire.
S'agissant des économies annoncées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, la ministre a annoncé que l'objectif d'économies pour les établissements publics de santé serait de l'ordre de 440 millions d'euros. C'est à peu près le même niveau d'effort que les deux années précédentes. D'après nos échanges avec la Cour des comptes, ces efforts semblent porter leurs fruits et contribuer à un retour à l'équilibre des établissements. Nous n'avons pas le choix et une vision à long terme s'impose. Nous devrions en effet assister à des évolutions profondes de notre système d'offre de soins dans les années à venir. Les ARS, dans le cadre des SRIS, doivent aider les établissements à faire face à ces évolutions.
Nous allons tout faire pour ; et ce dans une stratégie de court, moyen et long terme. Par exemple, dans l'établissement que je dirige, nous avons un déficit structurel de 20 millions d'euros et nous sommes engagés, à court terme, dans un contrat de performance pour neutraliser les causes de ce déficit. Ceci passera notamment par une baisse des effectifs de personnel de l'ordre de 400 emplois en vingt mois. C'est un impératif à respecter si l'on souhaite dégager des marges de manoeuvre.
A moyen terme, il y a les démarches de projet d'établissement, en cohérence avec les projets régionaux de santé. Sur le long terme, interviennent les logiques de schéma d'investissement pluriannuel, comme dans les SRIS.
Merci beaucoup. En effet, il est nécessaire d'être en capacité de se projeter, et dans le même temps, il est essentiel, sur le plan du climat social, d'être capable d'apporter des réponses dans le présent.
Je passe maintenant la parole au président Durrleman pour un mot de conclusion.
Nous nous trouvons actuellement à une période où les lignes sont en train de bouger. Nous avons constaté que ce mouvement est nécessaire mais qu'il nécessite ordre et méthode pour aboutir à l'hôpital du futur. Les CHU doivent être en situation d'anticiper les progrès et la médecine de demain, ce qui n'a pas été le cas avec les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 ». Nous l'avons notamment observé à travers l'exemple de l'ambulatoire : le virage de l'ambulatoire, aujourd'hui érigé au rang d'objectif de politique publique, n'a pas été pris en compte à temps dans les investissements immobiliers. Dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2013, nous constatons qu'actuellement, l'assurance maladie paie deux fois : d'une part en finançant le maintien d'un parc de chirurgie conventionnelle, qui ne s'est pas réduit depuis dix ans, et d'autre part en surpayant les interventions réalisées en ambulatoire. Bien sûr, des financements incitatifs peuvent avoir un sens, mais maintenir le double paiement d'activités qui pourraient se substituer l'une à l'autre ne nous paraît pas normal.
Il en va de même de l'investissement hospitalier. Aujourd'hui, il est principalement financé par l'emprunt des établissements. Cette dette est supportée par des abondements de l'assurance maladie. Mais comment sont-ils financés ? Ils sont financés, en réalité, par la dette sociale. Les déficits de l'assurance maladie sont récurrents depuis plus de vingt ans. Cette dette n'est pas consolidée ; elle est pour une bonne part encore portée, à très court terme, par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
Il ne s'agit pas d'arrêter d'investir, mais d'investir sobrement et en tenant compte de la médecine de demain. C'est pour cela que nous appelons à porter notre regard vers l'étranger : l'hôpital de demain s'invente, non seulement dans les CHU français, mais aussi dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord.
Nous insistons aussi sur un autre point : privilégier l'investissement immobilier, surtout dans une logique de surdimensionnement, comporte un risque d'éviction par rapport à d'autres besoins hospitaliers, en particulier les besoins en équipements médicaux, en imagerie ou en systèmes d'information. Ce qui a été par le passé le parent pauvre de l'investissement hospitalier doit être aujourd'hui au coeur des CHU. Ces derniers doivent incarner le fer de lance de la médecine, conformément à la vision du professeur Robert Debré.
Pour cela, l'effort de tous est nécessaire. Dans notre rapport, nous montrons bien qu'il y a partout des exemples de bonnes pratiques : aux niveaux des administrations centrales, des ARS et des établissements. Mais la mutualisation de ces bonnes pratiques nous paraît encore insuffisante. Nous appelons donc à un pilotage raffermi. Si l'on souhaite que tous les progrès constatés convergent, ceci est nécessaire.
Je souhaiterais réagir aux propos de Philippe Domy concernant les urgences. Ce qu'il a dit est très juste, je l'ai moi-même vécu. Une réflexion est nécessaire sur l'organisation de notre système de soins : il n'est pas normal que la permanence des soins fonctionne aussi mal aujourd'hui. Comme cela est démontré dans le dernier rapport sur la sécurité sociale, on y met beaucoup d'argent pour peu d'efficacité. De même, nous avons étudié l'an dernier, dans le rapport public annuel, la question de la prise en charge des personnes âgées et leur proportion importante aux urgences. De nombreuses expériences ont été lancées pour améliorer la prise en charge en médecine de ville de ces personnes, mais très peu ont été évaluées et aucune n'est en situation d'être généralisée.
Nous considérons que les CHU sont l'essence même de l'hospitalisation publique. Ils ont déjà beaucoup bougé mais chaque CHU ne pourra se réinventer que dans un cadre clarifié. Sinon, le risque serait que chaque communauté médicale et hospitalière se réinvente « dans son coin » si j'ose m'exprimer ainsi.
De ce point de vue, je souhaiterais saluer le rôle de la conférence des directeurs généraux de CHU. Il s'agit d'une enceinte de partage et de maturation des réflexions très importante, même si son rôle est encore insuffisant.
Monsieur le président, je suppose, qu'à l'occasion de futures enquêtes, la Cour prendra soin de consulter les présidents des conseils de surveillance des hôpitaux. Je pense que vous avez bien noté la remarque de notre collègue Jean Germain.
En tout état de cause, le travail de la Cour des comptes est d'une grande valeur ; il s'agit d'une mise en perspective très utile des enjeux de l'immobilier hospitalier.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.