Intervention de Philippe Martin

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 1er octobre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Martin ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie

Philippe Martin, ministre :

Je suis depuis trois semaines en contact permanent avec le président de la fédération ovine du Mercantour. Il n'avait jamais eu au téléphone un de mes prédécesseurs... Nous avons appris ce matin que 75 % des Français soutenait la protection du loup ; certes, ce sont essentiellement des urbains qui n'en ressentent pas la menace directe, mais il faut tenir compte du fait que le loup est une espèce protégée, notamment par le droit européen, et que le plan loup que nous avons mis en place a été accepté par les associations de protection de l'espèce. Celui-ci prévoit pour trois départements de Provence-Alpes-Côte-d'azur 24 prélèvement dans les deux ans à venir, de sorte que nous n'ayons pas à l'avenir à réintroduire la brebis... Depuis trois semaines, cinq prélèvements ont déjà été effectués.

Dans cette affaire, personne ne peut dire que je fais preuve d'angélisme. Je suis élu d'un des départements les plus ruraux de notre pays. Je ne suis pas un écologiste hors sol. Je connais la réalité à laquelle nos agriculteurs sont confrontés et j'estime que l'État doit épauler ceux qui consacrent leur vie à l'élevage, comme c'est le cas de mon correspondant.

Les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables nous permettront d'atteindre notre objectif de 23 % en 2020. Je connais les difficultés de la filière solaire, le nombre d'emplois perdus, j'ai en tête la situation des salariés de l'usine Bosch de Vénissieux. Nous avons mis en place un plan d'urgence pour la filière. L'État peut agir : en lançant des appels d'offre pour toutes les énergies renouvelables, quel que soit leur degré de maturité, et en simplifiant les procédures. J'ai d'ailleurs recruté une chargée de mission déléguée à la simplification du code de l'environnement qui est devenu une montagne inefficace, car les recours sont nombreux mais les condamnations fort rares. Je veillerai à son allègement, mais sans toucher aux protections qu'il apporte. Comme en matière fiscale, chaque norme créée devrait s'accompagner de la suppression d'une autre norme.

Nous travaillons à la simplification du dispositif applicable à l'éolien. Nous avons lancé un deuxième appel d'offres. Un troisième pourra l'être. Les mécanismes de soutien doivent présenter un bon rapport coût - bénéfices. Mes services viennent de me proposer une méthode de concertation avec les différents acteurs qui nous permettra de lancer les appels d'offres sur de meilleures bases.

Restent les difficultés de la filière industrielle solaire : effectivement, le nombre de raccordements baisse. Le gouvernement a rapidement lancé un nouveau dispositif, et les candidatures à l'appel d'offres grande surface - supérieure à 1 500 mégawatts - ont témoigné d'un véritable engouement puisque nous avons d'ores et déjà des inscriptions en file d'attente.

La question de Roland Courteau fait référence au courrier qu'avec deux de mes collègues du gouvernement nous avons adressé au premier président de la Cour des comptes. Nous y plaidions, dans le cadre du renouvellement des concessions hydroélectriques, pour une mise en concurrence. Ce n'était qu'un courrier : nous poursuivons notre dialogue avec les collectivités territoriales. Certaines s'inquiètent de ce que cette procédure ne revienne à confier la gestion des barrages à des opérateurs d'autres pays, moins soucieux de réciprocité. La Commission européenne a ouvert une enquête. Nous pourrons débattre de notre souveraineté à cette occasion : j'évoquerai alors le changement de statut d'EDF, décidé par une précédente majorité, et ses conséquences... Nous voulons simplement répondre aux exigences européennes, et établir un schéma favorisant les électro-intensifs sur le long terme.

La Commission européenne a présenté sa proposition de révision de la directive relative à la taxation des produits énergétiques et de l'électricité en avril 2011. Si elle était modifiée, cette taxation reposerait d'une part sur les émissions de CO2, d'autre part sur le contenu énergétique des produits consommés. La France soutient ce texte, et l'a même anticipé en instaurant un volet carbone dans sa fiscalité. Mais cette décision requiert l'unanimité des États membres, et l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Pologne s'y opposent. Nous déplorons l'absence d'ambition en la matière mais restons engagés dans les discussions pour convaincre nos partenaires réticents.

D'une manière générale, nous souffrons de l'absence de politique énergétique européenne. Je mesure à chaque voyage l'incohérence des décisions nationales : l'Allemagne a ainsi décidé unilatéralement sa sortie du nucléaire et la réouverture de ses mines de charbon, tandis que la Pologne mise sur le gaz de schiste par patriotisme, pour moins dépendre de la Russie. Le président de la République a été le premier à proposer que l'on débatte du principe d'une politique européenne de l'énergie : ce sera l'objet du conseil européen du 20 mars prochain. Soyez les relais de notre ambition !

La composante carbone apparaît à certains incompatible avec la stabilisation des prélèvements obligatoires. Mais il y a un prélèvement sur lequel vous ne votez jamais et qui a un impact considérable sur le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises : c'est le prix de l'énergie. Le gaz a augmenté de 80% entre 2000 et 2012, et l'électricité de 20 %. Mais c'est invisible. Si nous ne faisons rien, la facture énergétique de la France va s'alourdir de 100 à 150 milliards d'euros, qui seront payés par les entreprises et les ménages. La transition énergétique n'est donc pas une lubie, c'est une nécessité.

Prenez l'exemple d'un couple parisien qui possède un véhicule à l'essence et se chauffe au gaz : en 2015, du fait de la taxe, il dépensera 42 euros de plus en gaz et 15 euros de plus en essence, et en 2016 respectivement 64 et 29 euros. Le prix de la tonne dans la composante carbone ne représente que quelques centimes d'euros par litre. Imaginez un autre couple vivant en milieu rural, doté d'une berline au gasoil et d'une cuve de fioul : il paiera en 2015 49 euros de plus en fioul et 97 euros en 2016, et pour le carburant 30 euros de plus en 2015 et 60 euros en 2016. Mais grâce à l'aide de l'État, ils consommeront moins d'énergie. C'est l'objet de la contribution climat énergie : faire gagner du pouvoir d'achat aux ménages et les sortir de l'addiction aux énergies fossiles. Il ne s'agit pas d'une fiscalité punitive, mais d'une fiscalité comportementale...mais je vous le dis tout bas, en espérant que ma voix ne porte pas jusqu'au Conseil constitutionnel !

Hervé Maurey m'a interrogé sur les gaz de schiste. Jean-Louis Borloo, qui appartient au même parti que lui, pourrait répondre, lui qui a signé distraitement des permis de fracturation hydraulique des gaz de schiste - il a reconnu devant nous n'avoir pas fait attention aux impacts éventuels de cette technique sur l'environnement... Heureusement, il y est depuis farouchement opposé. Christian Jacob s'est également montré très hostile à la fracturation hydraulique en Seine-et-Marne.

Je suis effectivement allé en Pennsylvanie : nous avons dû voir, Monsieur Lenoir, les mêmes salariés de Halliburton, l'entreprise de Dick Cheney également connue pour ses armes et ses explosifs utilisés jusqu'au Moyen-Orient. Peut-être vous avaient-ils préparé des paysages Potemkine. Pour ma part, j'ai vu un terrain ravagé, constaté les gigantesques masses d'eau utilisées et entendu le bruit assourdissant de la noria des camions. J'ai surtout observé que le propriétaire du terrain, après avoir touché les redevances auxquelles lui donne droit la législation américaine, s'était empressé de le quitter pour une somptueuse villa en Floride. Mais il faut reconnaître aux Américains une certaine cohérence : lorsque je leur ai demandé « do you know the principe de précaution ? », ils ont souri car leur logique n'est la nôtre : ils ont une âme de foreurs, tiennent à leur indépendance énergétique, et estiment que les générations suivantes sauront se débrouiller, comme eux aujourd'hui. De plus, la superficie dont ils disposent leur permet de forer des puits partout, ce que nos paysages ne supporteraient pas.

Le gaz de schiste est dans le sol : il ne va pas s'enfuir. Le problème est que c'est une nouvelle énergie fossile. Même Christophe de Margerie, le PDG de Total, considère que le modèle économique des gaz de schiste n'est pas encore viable. La fracturation écologique me laisse dubitatif...En attendant que les techniques évoluent, je préfère que nous mettions le paquet sur les énergies renouvelables.

Monsieur Retailleau, vous avez raison de vous inquiéter. Les conclusions du Giec sur les zones côtières du monde sont en effet très préoccupantes. Une montée des océans de 80 à 90 centimètres rayerait de la carte des villes et des îles entières. Les migrations climatiques associées seraient bien plus massives que celles que nous connaissons aujourd'hui. Le coût de ces bouleversements est estimé à 750 à 800 milliards d'euros. S'agissant de la tempête Xynthia, l'instruction relative à la mission de Christian Pitié et Annick Hélias est en cours de signature. Je suis prêt à vous recevoir pour que nous examinions ensemble les conclusions de cette mission.

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