Intervention de Pierre-Marie Abadie

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 2 octobre 2013 : 1ère réunion
Biogaz et méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz — Table ronde

Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Je vous remercie d'organiser cette table ronde sur la biomasse. En effet, lorsqu'on parle de transition énergétique, on évoque très souvent les énergies renouvelables comme le photovoltaïque, alors même que sur les 20 millions de tonnes équivalent pétrole de renouvelables à mettre en place pour l'année 2020, la moitié est de la biomasse sous une forme ou une autre. Pour un pays comme la France, la biomasse est donc absolument essentielle dans la transition énergétique. Le meilleur outil mis en place ces dernières années est clairement le fonds chaleur. Il est très efficace, financièrement et en termes de développement des capacités. Il est pourtant méconnu.

Concernant les objectifs de 2020 en matière d'énergies renouvelables, la France était un peu en retard en 2011 par rapport à la trajectoire. En 2012, nous étions toujours très légèrement en retard. Il faut manipuler ces chiffres avec prudence, surtout en matière d'hydroélectricité et de biomasse, énergies qui sont très dépendantes des conditions climatiques.

En production de chaleur, le principal outil est le fonds chaleur. Il faut développer et abonder ce fonds. D'autres dispositifs existent, d'une ampleur moindre. Le crédit d'impôt s'adresse aux particuliers, pour tout ce qui est poêles à bois notamment. Existent aussi les certificats d'économie d'énergie et l'éco-prêt vert à taux zéro.

En électricité, nous avons fait le choix d'un dispositif mixte composé de tarifs d'achat et d'appels d'offres. L'appel d'offres est réservé aux très grandes installations. C'est le bon outil pour permettre aux pouvoirs publics d'arbitrer, de piloter, de gérer les conflits d'usages et de prioriser les projets en fonction de la ressource. Pour les plus petites installations, de moins de 12 MW, il existe un tarif d'achat. C'est un système de guichet ouvert qui implique un pilotage moins direct des projets.

En coûts cumulés sur la période 2009-2013, près de deux milliards d'euros ont été mobilisés via le fonds chaleur. Ce sont pour l'essentiel des primes à l'investissement. Le crédit d'impôt développement durable a représenté un milliard d'euros pour 2012, avec une part de biomasse de l'ordre de 200 millions d'euros. Et l'éco-prêt à taux zéro représente quelques dizaines de millions d'euros. Pour la production d'électricité, l'habitude a été prise de compter en millions d'euros par an. Cette approche est biaisée dans la mesure où, lors de la signature d'un contrat de cogénération pour biomasse, un engagement est pris sur quinze à vingt ans. En totalité d'engagement, avec 200 millions d'euros sur vingt ans, on atteint la somme de quatre milliards. Il est important de conserver à l'esprit qu'en euros ramenés à la tonne équivalent pétrole, la chaleur reste de très loin plus efficace que la cogénération.

Quels sont les enjeux devant nous ? L'enjeu économique d'optimisation de la dépense publique vaut pour le fonds chaleur, aujourd'hui adossé à du crédit budgétaire, et donc concerné par la contrainte de maîtrise de la dépense. Cet enjeu vaut aussi pour les dépenses de contribution au service public de l'électricité (CSPE), payées par le consommateur d'électricité et en croissance régulière depuis plusieurs années. Nous avons un devoir collectif de mettre dans la CSPE les dépenses les plus efficaces.

Le deuxième enjeu concerne les conflits d'usages. Il faut éviter de créer des tensions sur la ressource en bois. De ce point de vue, l'accès à la ressource et la structuration de la filière sont essentiels. Nous avons probablement commis une erreur il y a quelques années en pensant que la seule filière énergie suffirait à faire sortir la matière des forêts. À l'occasion des grands appels d'offres, nous nous attendions à ce que les énergéticiens essaient de structurer l'amont de la filière, comme les papetiers l'avaient fait en leur temps. Ils y ont contribué en créant des plateformes de regroupement, en investissant auprès des forestiers mais cela ne suffit pas. Seuls les usages nobles feront sortir le bois. Il faut donc avoir un développement énergétique cohérent avec les usages dans le meuble et dans le bâtiment, usages à plus grande valeur ajoutée. Nous tenons à la hiérarchie des usages, qui va du bois d'oeuvre au bois énergie sous forme de chaleur, prioritairement sur l'électricité en cogénération, et excluant tout usage électrique pur. Il y a toutefois eu au moins une exception célèbre avec le dossier de Gardanne. L'électrique pur ne représente que 35 % d'efficacité énergétique. C'est un désastre en termes d'utilisation de la ressource. Lorsqu'on fait de l'électricité, il faut faire de la cogénération.

Je ne pense pas que le cas allemand puisse être totalement un modèle, tant pour la biomasse que pour le biogaz. Le système allemand verse des niveaux de subventions extrêmement élevés, dont on peut s'interroger sur la soutenabilité. Une bonne partie de la campagne électorale qui vient d'avoir lieu portait sur la soutenabilité économique de l'Energiewende, le tournant énergétique. L'une des premières tâches du nouveau gouvernement sera de réformer les dispositifs de soutien. Je rappelle que là où nous avons une CSPE de l'ordre de 13 euros du MWh, les Allemands sont déjà à 50 euros, et passeront à 70 euros dans quelques semaines.

Deuxième raison pour laquelle, à mon sens, le système allemand ne peut être dupliqué : l'impact des choix effectués en matière de biomasse sur le monde agricole. Ils ont développé, vous y avez fait allusion monsieur le Président, des cultures purement énergétiques. Cela contribue à subventionner l'agriculture allemande, c'est indéniable, mais crée des distorsions, dommageables en particulier pour l'agriculture biologique. Cela fait également monter les prix du foncier.

Quels sont nos objectifs principaux ? La priorité est la chaleur. Il nous faut viser un doublement du fonds chaleur pour atteindre l'objectif 2020. Pour l'électricité, le bilan est plus complexe. Nous sommes assez réservés sur l'usage électrique en cogénération. Nous avons lancé un certain nombre de grands appels d'offres. Il nous faut maintenant digérer ces projets.

La taille des installations doit être adaptée au territoire. C'est un débat très ancien que nous avons avec certains professionnels et avec le ministère de l'agriculture. On ne peut pas remplir le territoire de très grandes installations électriques, sachant qu'on privilégie la chaleur. Pour autant, les petites installations posent des questions d'efficacité économique, d'efficacité énergétique, et de pollution de l'air. Or, comme vous le savez, nous avons déjà des contentieux très lourds sur la qualité de l'air. Je crois qu'il faut regarder toute ouverture vers les petites installations avec beaucoup de prudence. Elles peuvent donner l'impression de bien s'intégrer dans le territoire, mais elles conduisent aussi à des ponctions non pilotées et non coordonnées sur la ressource.

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