Intervention de Jean-Michel Hourriez

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 octobre 2013 : 1ère réunion
Avenir et justice du système de retraites — Audition du conseil d'orientation des retraites cor

Jean-Michel Hourriez, responsable des études :

Les analyses du COR s'intéressent aux facteurs explicatifs des écarts persistants entre les pensions de retraites des hommes et des femmes et proposent des voies de réflexion sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux.

Si l'on considère les dernières statistiques publiées sur les personnes retraitées de plus de 65 ans, on constate des écarts très importants entre la pension moyenne des femmes et celle des hommes, la pension moyenne d'une femme étant de 879 euros par mois alors que celle d'un homme s'élève à 1 657 euros par mois. Ce rapport d'un sur deux vaut pour l'ensemble des générations qui sont actuellement à la retraite. On ne prend en considération que les droits à retraite propres, sans tenir compte des pensions de réversion. Les droits directs issus de l'activité professionnelle sont donc, de manière générale, beaucoup plus faibles pour les femmes que pour les hommes, ces écarts étant encore plus marqués pour les populations les plus âgées alors qu'ils ont déjà diminués pour les générations suivantes. Ainsi, pour les femmes nées après 1945, qui ont pris récemment leur retraite, on constate que ces écarts se sont sensiblement réduits.

Par ailleurs, des projections, réalisées conjointement avec l'INSEE, montrent que ces écarts vont continuer à diminuer. Ainsi, pour les générations nées dans les années 1950, qui prennent leur retraite aujourd'hui, ces écarts ne seront plus que de 30 %. Pour ceux qui ont actuellement 30-40 ans, ils se réduiront à 20 %.

Malgré cette amélioration, les pensions moyennes des femmes demeureront sensiblement inférieures à celles des hommes, même pour les générations actives les plus jeunes. Il n'y aura pas de résorption spontanée de ces écarts, du moins à l'horizon prévisible des trente ou quarante prochaines années. Cette persistance des écarts de pension de droit direct a amené le COR à s'interroger sur la question des droits familiaux, qui permettent de les compenser partiellement.

Pour appréhender complètement la situation des femmes au moment de la retraite, outre l'examen de leurs droits directs, il faut aussi prendre en considération leur situation conjugale et matrimoniale, qui influe fortement sur leur niveau de vie à la retraite. La situation d'une femme au moment de la retraite est très différente selon qu'elle est soit mariée ou veuve, soit célibataire ou divorcée. Les femmes mariées bénéficient en effet de la pension de leur conjoint vivant ; les veuves perçoivent la pension de réversion de leur conjoint décédé ; les femmes célibataires disposent de leurs seuls droits propres.

Les travaux du COR menés en 2008 sur les droits conjugaux et familiaux ont permis de vérifier que le mécanisme français de la pension de réversion permet en moyenne de garantir le maintien du niveau de vie antérieur au décès : le niveau de vie moyen d'une veuve demeure sensiblement identique au niveau de vie du couple antérieur au décès.

En revanche, la situation en termes de niveau de vie des femmes célibataires ou divorcées pourrait être plus préoccupante, surtout si elles vivent seules sans conjoint de fait, car elles ne bénéficieront que de leur retraite propre.

Si l'on s'intéresse au niveau de vie actuel des femmes retraitées, 15 % de celles-ci sont en situation de pauvreté. Ce taux est comparable à celui observé pour l'ensemble de la population française, mais demeure supérieur à celui de l'ensemble des retraités qui n'est que de 10 %. À titre de comparaison, le taux de pauvreté des femmes jeunes qui élèvent seules leurs enfants est de 30 % environ.

Si pour l'instant, la situation des femmes âgées en termes de niveau de vie ne semble pas inquiétante, l'avenir est incertain. Qu'est-ce qui, de l'amélioration des pensions individuelles des femmes relativement aux hommes ou de la détérioration des situations conjugales au fil des générations, va influer de manière prépondérante sur les pensions futures des femmes ?

Au fil des générations, le modèle du couple stable perd de sa prédominance : si les femmes âgées de plus de 65 ans aujourd'hui sont, à plus de 90 %, mariées ou veuves, trois femmes sur dix, dans la génération qui arrive aujourd'hui à la retraite, sont divorcées ; quant aux femmes plus jeunes (moins de 40 ans), elles sont nombreuses à rester célibataires. Selon certains démographes, un tiers de femmes seront encore célibataires au moment de la retraite dans ces générations. Elles ne bénéficieront donc pas de droits à réversion.

Voilà donc pour le constat d'ensemble.

Il faut maintenant que nous nous interrogions sur l'origine de cette persistance prévisible d'un écart de l'ordre de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Une part de l'explication est à rechercher dans le mode de calcul des retraites, le montant de la pension étant fonction, d'une part de la durée d'assurance validée tous régimes, d'autre part du salaire de référence - par exemple, au régime général, le salaire des 25 meilleures années.

Les écarts de pension entre hommes et femmes proviennent des deux éléments combinés. Les femmes qui partent aujourd'hui à la retraite sont désavantagées par rapport aux hommes tant en termes de durée d'assurance que de salaire de référence. Néanmoins, pour les générations futures de retraités, notamment les femmes nés après 1960 qui prendront leur retraite après 2020, on s'attend, sur la base de la législation actuelle en matière de retraite, à une certaine convergence des durées moyennes validées par les hommes et les femmes. La source principale des écarts résultera donc de l'infériorité des salaires féminins.

Mais il faut aussi considérer le taux d'activité des femmes, qui restera inférieur à celui des hommes, même si le différentiel entre taux d'activité masculin et féminin tend à décroître chez les jeunes générations.

Aujourd'hui, si les femmes travaillent pendant presque toute leur vie active, elles persistent toutefois à interrompre leur activité au moment des naissances : après une première naissance, 38 % des femmes ne travaillent pas, chiffre qui passe respectivement à 51 % et à 69 % après une seconde et une troisième naissance. Il y a donc un comportement persistant d'inactivité féminine après les naissances ; ces interruptions demeurent toutefois temporaires et leur durée a tendance à baisser (de l'ordre de trois années, pendant lesquelles les femmes bénéficient du complément de libre choix d'activité).

Si le taux d'activité des femmes demeure inférieur à ceux des hommes entre l'âge de 25 et 45 ans, les taux d'activité féminin et masculin deviennent similaires après 45 ans. Les durées cotisées par les femmes demeureront donc inférieures.

Les droits familiaux permettent de valider des trimestres supplémentaires au titre des enfants : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant bénéficie de fait aux femmes, même si elle a été ouverte récemment en droit aux hommes, et l'allocation vieillesse des parents au foyer (AVFP) permet aux femmes qui ont interrompu leur activité de valider des trimestres à hauteur de la durée d'interruption, sachant que le nombre de trimestres validés est extrêmement variable puisque certaines femmes mère de 3 enfants peuvent valider au titre de l'AVPF jusqu'à 21 ans.

Ces droits familiaux que sont l'AVPF et la MDA permettront, à terme, que les durées validées par les femmes et les hommes soient à peu près identiques ; cela ne vaut cependant pas encore pour les générations qui partent actuellement à la retraite.

L'autre paramètre qui influe sur le calcul de la pension de retraite, le salaire de référence, demeure inférieur pour les femmes. Les salaires horaires des femmes, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, restent inférieurs à ceux des hommes, de 15 à 20 % en équivalent temps complet.

Le travail à temps partiel des femmes (une femme sur trois) qui s'est beaucoup développé depuis les années 1990, contribue aussi à accroître l'écart entre les salaires de référence des femmes et des hommes.

Ces deux effets, écart de salaire horaire et activité à temps partiel, conduisent à des écarts de salaires de référence entre les hommes et les femmes ; heureusement, le système de retraite corrige en partie certains écarts salariaux car un dispositif (minimum contributif dans le régime général ; minimum garanti dans la fonction publique) permet aux femmes à très bas salaires de percevoir une pension portée à hauteur d'un montant minimum. Au régime général, le minimum contributif est de l'ordre de 600 euros par mois, ce qui a permis d'atteindre un objectif fixé par la loi de 2003 sur les retraites consistant à garantir 85 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) à toute personne qui a travaillé pendant 40 ans.

Ces correctifs ne concernent toutefois que les salaires de références trop bas.

Dans ses rapports de 2008 et 2013, le COR a avancé plusieurs pistes de réflexion sur les droits familiaux et conjugaux. S'agissant des droits conjugaux, le COR a pris conscience que l'évolution des structures conjugales pourrait conduire à adapter le mécanisme de la réversion, notamment, en cas de divorce, en la proratisant en fonction de la durée du mariage, ou en l'étendant à certains couples non mariés.

Le COR a aussi indiqué des pistes beaucoup plus radicales de réformes de la réversion, parmi lesquelles l'introduction de dispositifs de partage des droits, inspiré de certains exemples étrangers comme celui de l'Allemagne, où est opéré un partage égal et systématique des droits à la retraite propres entre les deux conjoints au moment d'un divorce.

Le COR a néanmoins émis des réserves sur de tels dispositifs de partage des droits, d'autant qu'ils ne sont pas systématiquement favorables aux femmes. Par ailleurs, si la mise en oeuvre d'un tel système est aisée dans des régimes de retraite à points, elle serait complexe en France qui connaît principalement des régimes de retraite à annuités.

La tendance au fil des générations est à des unions de plus en plus fragiles, les unions mariées se raréfiant et s'abrégeant, de même que la cohabitation - sous forme de pacte civil de solidarité (PACS) ou d'union libre - tend à devenir plus brève.

Cette tendance de fond conduit à une perte d'efficacité des droits conjugaux pour compenser les inégalités hommes-femmes.

De ce fait, on a pu observer une tendance, dans les pays étrangers qui ont depuis 20 ou 30 ans développé des droits familiaux liés aux enfants, à majorer directement les droits propres des femmes indépendamment de leur situation conjugale.

Les droits familiaux recouvrent essentiellement trois types de dispositifs : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant, l'allocation vieillesse de parent au foyer (AVPF) qui compense les périodes d'interruption sous certaines conditions, et un troisième dispositif, sous la forme d'une majoration de pension (en général de 10 %), pour les parents d'au moins trois enfants. Ce dispositif concerne à la fois les hommes et les femmes.

L'évolution à moyen ou long terme de la MDA conduit le COR à envisager de privilégier des majorations de montant afin de compenser les écarts de salaire de référence qui persistent entre les hommes et les femmes, en dépit de la convergence progressive des durées d'assurance. Le bénéfice de la MDA peut en effet inciter certaines femmes ayant élevé plusieurs enfants sans interrompre leur activité professionnelle à prendre leur retraite prématurément, ce qui va à l'encontre d'objectifs d'augmentation du taux d'emploi des seniors.

S'agissant de l'AVPF, il faudrait plutôt simplifier ce dispositif dont les conditions d'ouverture de droits sont assez complexes, et privilégier des durées d'interruption plus courtes mais qui seraient davantage compensées. Ainsi l'AVPF accorde-t-elle actuellement des droits sur la base du SMIC : on peut imaginer qu'elle s'oriente sur une base salariale plus favorable. En compensation, la durée de l'AVPF pourrait être limitée à trois ans par enfant.

Quant aux majorations pour les parents d'au moins trois enfants, qui concernent à la fois les hommes et les femmes, elles ne permettent pas de réduire les écarts de pension entre les hommes et les femmes : elles les accroissent même légèrement.

L'idée serait, dans une logique de redistribution entre retraités, de remplacer ces majorations proportionnelles au montant de la pension par des majorations forfaitaires, qui permettraient de mieux réduire les inégalités entre hauts et bas revenus.

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