Nous sommes saisis aujourd'hui de deux propositions de loi : la première, dont je suis l'auteur, vise à garantir un contrôle des comptes des comités d'entreprise ; la seconde, présentée par notre collègue Caroline Cayeux et que j'ai cosignée, concerne également la gestion des comités d'entreprise.
Il n'est pas fréquent de discuter en commission de deux propositions de loi, déposées pratiquement en même temps (en juillet 2012) et portant sur un même sujet. Mais il faut reconnaître que la transparence des comptes des comités d'entreprise est un véritable « serpent de mer » qui traverse les années sans trouver de solutions législatives ou réglementaires, quelle que soit d'ailleurs l'orientation politique du Gouvernement.
Je tiens d'emblée à dissiper tout malentendu et éviter tout procès d'intention : ma démarche aujourd'hui ne vise qu'à renforcer l'action des comités d'entreprise, et éviter que les abus de quelques-uns portent atteinte à une institution à laquelle les salariés attachent, avec raison, une grande importance. Nul ne conteste leurs missions, et je souhaite au contraire les renforcer grâce à la transparence financière, pour que l'on ne jette plus l'opprobre sur les quelque 53 000 comités d'entreprise que compte notre pays alors que cinq ou six sont montrés du doigt.
Expression collective des salariés dans la bonne marche de l'entreprise, gestion des activités sociales et culturelles, telles sont les deux grandes missions confiées aux comités d'entreprise. C'est pourquoi le législateur a prévu deux types de subventions :
- le chef d'entreprise doit verser chaque année au comité d'entreprise une subvention de fonctionnement d'un montant égal au moins à 0,2 % de la masse salariale brute en vertu de l'article L. 2325-43 du code du travail ;
- le comité d'entreprise reçoit également une subvention spécifique pour financer les activités sociales et culturelles. Le code du travail ne prévoit pas de taux prédéterminé pour cette subvention mais instaure un mécanisme complexe d'effets cliquets afin de protéger son montant. Cette subvention, estimée par le ministère du travail à environ 0,8 % de la masse salariale sans certitude, sert à financer différentes activités comme par exemple les arbres de Noël, des soirées, des séjours, des voyages scolaires ou encore des bibliothèques.
Ces deux subventions ne sont pas fongibles afin de souligner leurs logiques bien distinctes, mais les comités d'entreprise peuvent disposer d'autres sources de revenu comme des contributions des salariés ou des revenus immobiliers.
Le Gouvernement estime que plus de la moitié des comités d'entreprise disposaient en 2009 de moins de 19 000 euros de ressources globales annuelles, tandis que 8,6 % des comités d'entreprise étaient dotés de 600 000 euros de ressources. Mais certains comités d'entreprise disposent de subventions très généreuses de la part de l'entreprise, le plus souvent pour des raisons historiques. Ainsi, les ressources du comité des activités sociales du personnel des industries électriques et gazières (en clair, l'équivalent du comité d'entreprise d'EDF et GDF Suez) avoisinaient 500 millions d'euros en 2009, dont 341,5 millions d'euros au titre du prélèvement de 1 % sur les recettes de toutes les entreprises électriques et gazières. La subvention activité sociale et culturelle de la SNCF est quant à elle égale à 1,7 % de la masse salariale, ce qui représente environ 33 millions d'euros en 2012 pour le comité central d'entreprise.
Alors que la certification des comptes concerne aujourd'hui quasiment tous les organismes, publics comme privés, et les syndicats, le comité d'entreprise reste étrangement à l'écart de cette dynamique. Vous n'ignorez pas que le commissaire aux comptes examine les états financiers et vérifie la régularité et la sincérité des comptes des entreprises, mais aussi des associations, des organisations syndicales depuis la loi du 20 août 2008, de nombreux établissements et organismes publics et bientôt des établissements publics de santé.
Certes, certains comités se soumettent volontairement à la certification de leurs comptes, mais il n'existe pas d'obligation juridique claire en la matière. En effet, à l'occasion de la recodification du code du travail en 2008, l'article R. 432-14 a subi une modification rédactionnelle, fondée d'un point de vue légistique, mais qui a entraîné des difficultés d'interprétation. La disposition initiale prévoyait que le bilan établi par le comité d'entreprise doit être approuvé « éventuellement » par le commissaire aux comptes. Cet adverbe a disparu de la nouvelle rédaction de l'article, devenu depuis l'article R. 2323-37, si bien que la version actuelle aboutit en théorie à rendre obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d'entreprise, quelle que soit leur taille.
Compte tenu de la lourdeur de la certification et de son coût (il faut compter environ 70 000 euros pour certifier un budget de 15 millions d'euros), une telle disposition ne pouvait demeurer en l'état, car elle aurait pénalisé l'immense majorité des comités d'entreprise. C'est pourquoi, saisie à la fois par les syndicats et les entreprises en tant que rapporteur du texte de recodification du code du travail, j'ai demandé par courrier au cabinet du ministre du travail dès le 21 décembre 2010 de se pencher sur les difficultés soulevées par la nouvelle rédaction de l'article R. 2323-27.
Peu après, le 7 février 2011, par un courrier commun de la CFDT, de la CFE-CGC, de la CFTC et de la CGT, les syndicats ont alerté le ministre du travail sur ces mêmes difficultés et ont demandé la création d'un groupe de travail, demande à laquelle le Gouvernement a donné une suite favorable. Piloté par la direction générale du travail (DGT), ce groupe de travail s'est réuni sept fois entre janvier et novembre 2012 ; il était composé des représentants des partenaires sociaux sur le modèle de la commission nationale de la négociation collective (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC pour les organisations syndicales de salariés; Medef, CGPME, UPA, UNAPL et FNSEA pour les organisations d'employeurs), et de fonctionnaires du ministère de la justice et du ministère de l'économie. Les partenaires sociaux ont refusé d'engager une négociation en vue d'un accord national interprofessionnel sur cette question, estimant que le cadre d'un groupe de travail tripartite était plus adapté.
Ce groupe a rendu des conclusions adoptées par consensus début 2013. Elles reprennent l'essentiel des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur le comité d'entreprise de la RATP de novembre 2011, et ne sont guère éloignées des principales dispositions de la proposition de loi de Nicolas Perruchot sur le financement des comités d'entreprise, telle qu'adoptée en séance publique à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2012. On peut présenter ces conclusions en dix points :
- les règles sur la tenue des comptes s'imposent à tous les comités, sans distinguer la subvention de fonctionnement de la contribution pour les activités sociales et culturelles, mais en considérant uniquement leurs ressources nettes globales ;
- les nouvelles règles de comptabilité s'inspirent, tout en les adaptant, des règles en vigueur pour les associations. C'est pourquoi les comités d'entreprise sont soumis, selon leur taille, à une comptabilité ultra-simplifiée (ressources inférieures à 153 000 euros), ou une comptabilité avec présentation simplifiée (ressources supérieures à 153 000 euros et obligation de ne pas remplir au moins deux des trois critères suivants : compter plus de cinquante salariés en équivalent temps plein ; disposer d'un bilan supérieur à 1,55 million d'euros et avoir plus de 3,1 millions d'euros de ressources), ou une certification des comptes dans tous les autres cas ;
- seuls les membres élus du CE peuvent arrêter et approuver les comptes, l'employeur ne prenant pas part à ces décisions ;
- les comptes doivent être consolidés si le comité contrôle plusieurs entités;
- le coût de la certification est pris en charge par le CE ;
- un rapport de gestion est obligatoire afin de rendre compréhensible par tout un chacun la présentation des comptes et les orientations du comité;
- les comptes et le rapport de gestion doivent être portés à la connaissance exclusive des salariés de l'entreprise ;
- une commission des marchés devra être mise en place dans les comités d'entreprise soumis à la certification de leurs comptes ;
- les commissaires aux comptes pourront déclencher une procédure d'alerte ;
- l'entrée en vigueur de l'obligation de tenue des comptes annuels s'appliquera à compter de l'exercice comptable 2014, tandis que l'obligation de certification est repoussée à l'exercice comptable 2015.
Il convient d'indiquer qu'un groupe de travail technique conduit par l'Autorité des normes comptables (ANC) a débuté ses travaux le 5 septembre 2012, prenant comme feuille de route les conclusions du groupe de travail de la DGT. Ses travaux se sont achevés en mars 2013 et ont permis de tracer les grandes lignes des futurs règlements de l'ANC sur le référentiel comptable applicable aux comités d'entreprise.
Bien évidemment, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, et qui ont été déposées - je le rappelle - en juillet 2012, ne pouvaient tenir compte de ces conclusions. Ma proposition de loi pose des principes généraux sur l'obligation de tenir des comptes annuels et de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, tout en renvoyant à un décret le soin de fixer les seuils. De même, la proposition de loi de notre collègue Caroline Cayeux fixe des principes en matière de publicité des documents comptables du comité d'entreprise, sur la portée du contrôle du commissaire aux comptes et impose aux comités émanant d'entreprises publiques de suivre les règles du code des marchés publics.
Suite à la saisine de notre présidente Annie David, dans le cadre du protocole adopté par le bureau du Sénat le 16 décembre 2009 sur la concertation des partenaires sociaux, ces derniers ont mis en avant les conclusions du groupe de travail de la DGT et les engagements pris lors de la dernière grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013. Parmi ces engagements, il est prévu, sur la base du relevé de conclusions du groupe de travail animé par la DGT, que des dispositions législatives seront proposées au Parlement sur la transparence des comptes des comités d'entreprise avant la fin 2013.
Le cabinet du ministre du travail, que nous avons auditionné, a indiqué qu'un projet de loi devrait être déposé en fin d'année ou en début d'année prochaine. Mais j'observe pour ma part que le sujet de la transparence financière des comités d'entreprise avait déjà été inscrit sur la feuille de route de la première grande conférence sociale, en vain. Il était pourtant prévu que « des dispositions législatives seront adoptées début 2013 sur la transparence financière des comités d'entreprise ».
En outre, la feuille de route de la deuxième conférence sociale évoque des « dispositions législatives », ce qui n'interdit donc pas de choisir comme véhicule législatif une proposition de loi, fût-elle déposée par l'opposition... dans l'esprit d'ouverture qui est le nôtre !
C'est pourquoi je souhaite, en concertation avec notre collègue Caroline Cayeux, vous présenter toute une série d'amendements, afin d'établir un texte de commission qui reprenne le plus fidèlement possible les conclusions du groupe de travail de la DGT et enrichir ainsi les deux propositions de loi, déposées voilà plus d'un an, en respectant leur philosophie initiale. Notre seul souci étant de faire progresser la transparence des comités d'entreprise, j'invite notre commission à adopter aujourd'hui ma proposition de loi modifiée par les amendements que je vais vous proposer, et dont j'ai informé tous les chefs de file des groupes de notre commission. Je forme le voeu que les élus de la majorité et le Gouvernement adoptent une attitude constructive, ouverte et bienveillante pour améliorer ce texte qui vise à renforcer la légitimité des comités d'entreprise et les droits des salariés.
Les partenaires sociaux que nous avons auditionnés souhaitent que les conclusions du groupe de travail prennent rapidement force de loi. Ils nous ont tous réclamé un texte dans les meilleurs délais. La proposition de loi et les amendements que je vous proposerai répondent bien à leurs attentes. Le temps du dialogue social a été respecté, les négociations et le travail technique sont derrière nous : à nous parlementaires de remplir maintenant notre mission.