Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à une table ronde relative à la pénibilité, dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIVe) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Nous entamons nos travaux relatifs au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, qui sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale du 7 au 15 octobre. Nous l'examinerons en commission le 23 octobre, avant la discussion en séance publique prévue du lundi 28 octobre au 5 novembre.
La réforme de 2010 comportait déjà un volet pénibilité, mais retenait une définition strictement médicale, ce qui a fortement réduit son impact. Les mesures visant à prévenir la pénibilité au travail ont, elles aussi, produit des effets limités.
Le nouveau projet de loi crée un compte personnel de prévention de la pénibilité, financé par des cotisations des employeurs, grâce auquel le salarié pourra acquérir, à compter de 2015, des droits en termes de formation, de compensation d'un passage à temps partiel ou d'acquisition de trimestres supplémentaires pour la retraite ; le départ pourrait être anticipé de deux ans au plus. On peut regretter l'absence d'un véritable volet prévention et que ce départ anticipé n'intervienne qu'à soixante ans.
Pour évoquer ce sujet, qui est au coeur des inégalités face à la retraite, nous recevons Christian Jacques, président du cabinet Emergences, Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail (Creapt).
Je suis en effet statisticien et ergonome au Creapt et directeur de recherches retraité - mais actif - au Centre d'études de l'emploi (CEE). En tant que spécialiste du vieillissement au travail, je suis membre du Conseil d'orientation des retraites (COR). J'ai également participé à la commission Moreau pour l'avenir des retraites, et je me suis particulièrement impliqué dans le volet pénibilité de son rapport.
Le retour de la pénibilité dans le débat social et politique est une bonne nouvelle, tant les occasions de s'emparer des questions de santé au travail sont peu nombreuses, mais le terme demeure flottant, faute de définition scientifique précise. Nous distinguons trois notions. D'abord, la pénibilité au sens courant du terme : est pénible ce qui est vécu comme tel, y compris les trajets domicile-travail, la saleté du poste de travail ou les mauvaises relations avec les supérieurs hiérarchiques. Autant de nuisances qui rendent le travail pénible mais n'ont pas pour autant vocation à être prises en compte sous la forme d'un départ anticipé à la retraite.
Deuxième forme de pénibilité, celle qui est due à l'état de santé. Avec l'âge, les troubles de santé augmentent, ce qui n'est pas compatible avec certains emplois. Dans ce cas, s'il doit y avoir départ anticipé, ce ne peut être qu'en raison de l'état de santé, non du travail. Les dispositifs existants - comme le licenciement pour inaptitude ou invalidité - seront de plus en plus sollicités : si l'on augmente le nombre d'années de cotisation requises, on trouvera de plus en plus de personnes de cinquante-neuf, soixante ou soixante et un ans au travail, d'où un accroissement mécanique du nombre de personnes dans une telle situation.
Troisième définition, celle que donne la loi de 2010 : les contraintes, nuisances et rythmes de travail « susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé ». S'agissant de l'impact à long terme du travail, sur l'espérance de vie et sur la santé au grand âge, il est légitime d'envisager, comme le faisait le rapport Struillou de 2003, une compensation par la possibilité de gagner quelques années de retraite en bonne santé.
Le rapport Lasfargues de 2005 fait la synthèse des connaissances scientifiques sur les liens établis entre certaines caractéristiques du travail et l'espérance de vie ainsi que la santé au grand âge. Sont notamment en cause le travail de nuit, qui laisse potentiellement des traces à long terme sur l'appareil cardiovasculaire et l'exposition aux produits toxiques professionnels cancérogènes - amiante, mais aussi goudrons ou pesticides - à laquelle est attribuée la moitié des disparités sociales en matière de cancer du poumon. Les grands efforts physiques dans le travail ont un lien avec la qualité de vie au grand âge : si leur impact sur l'espérance de vie n'est pas avéré, la probabilité est grande pour celui qui en a réalisé de devenir un retraité en mauvaise santé.
Je me retrouve volontiers dans la réforme aujourd'hui sur la table avec la création du compte personnel de prévention de la pénibilité qui associe formation, possibilité de passage à temps partiel et départ anticipé. En l'état, sans doute pour des raisons de coût et de charge administrative, le texte ne traite pas de la pénibilité passée, au risque de poser un problème d'équité entre générations et, surtout, d'inciter les quinquagénaires à accomplir un travail pénible pendant les dernières années de leur vie professionnelle afin d'accumuler des points ! C'est exactement l'inverse de la démarche de prévention que préconise le texte...
J'ai travaillé sur la prévention de la pénibilité aussi bien comme fonctionnaire de la Direction générale du travail qu'en entreprise, Toute personne cherchant à prévenir la pénibilité privilégie la prévention primaire plutôt que la compensation ; en rémunérant la pénibilité, on incite au contraire les personnes à y rester. Ainsi, des salariés peuvent souhaiter travailler de nuit pour la rémunération qui en découle. Cela vaut également pour les primes d'insalubrité. Difficile dès lors d'inciter véritablement à la prévention. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité peut, à mon sens, devenir un vrai compte de prévention.
On distingue trois populations dans l'entreprise : le stock, soit les personnes longtemps exposées à des facteurs de pénibilité et éprouvant en conséquence des difficultés ; le flux, soit les populations qui ont d'ores et déjà été exposées, ne manifestent pas encore d'inaptitude mais vont se retrouver en difficulté avec l'allongement de la vie au travail, car l'on ne pourra pas travailler plus longtemps à conditions de travail constantes ; enfin, les nouveaux entrants. La pénibilité doit être appréhendée sous l'angle d'un parcours et non à un instant précis. Il faut étudier la démographie au travail et éviter que des populations ne se retrouvent prisonnières des postes pénibles, condamnées à reconstituer le stock.
La fiche individuelle d'exposition à la pénibilité incite dans une certaine mesure à la prévention de par la tâche supplémentaire qu'elle représente pour les entreprises. Plus elles font de la prévention, et moins elles doivent faire de fiches d'exposition. De même, le compte de prévention peut être utilisé dans une logique de compensation, avec pour but d'accumuler des points, ou dans une logique de prévention, avec pour but de l'alléger au maximum. Il ne faut pas bien sûr s'orienter vers la première possibilité mais au contraire chercher à tendre vers la non-exposition.
Il faut distinguer la pénibilité ressentie par les salariés de la pénibilité reconnue par la loi, la grande pénibilité. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne se retrouvent pas complètement dans cette définition. J'ai ainsi été amené à apprécier la pénibilité découlant de la manutention manuelle dans une grande entreprise de métallurgie. Etant donné la présence de ponts élévateurs et l'absence de travaux répétitifs, les critères légaux ne s'appliquaient pas. Difficile toutefois de nier que le travail des salariés à la sortie du laminoir était pénible... Il en serait de même pour les vendeurs des grands magasins, debout, dans le bruit, face à des clients désagréables. Il faudra faire preuve de pédagogie, distinguer la grande pénibilité de l'exposition à un risque : ce n'est pas la même chose d'être exposé, en hiver, au froid extérieur et de travailler dans la température négative d'une chambre froide. La détermination des seuils ouvrant droit au dispositif est un exercice compliqué qui relève souvent d'un compromis social dans l'entreprise ; celle-ci ne sera pas pour autant dispensée de mener en amont une politique volontariste de prévention.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité peut devenir un outil de prévention s'il incite à anticiper, à former les employés, en s'inscrivant dans une logique de parcours. Il ne doit pas seulement permettre l'adaptation du poste de travail des salariés déjà exposés.
Je partage ces analyses. Le projet de loi marque un progrès par rapport à la réforme de 2010 et à son approche médicalisée. Les fiches individuelles d'exposition à la pénibilité serviront de support au compte personnel de prévention. Les accords et les plans d'action de prévention de la pénibilité mis en place dans les entreprises n'ont pas à ce jour fait l'objet d'un vrai bilan.
S'il parle du salarié et de l'employeur, le texte de 2010 oublie la dimension collective du diagnostic. Un certain nombre de salariés, à commencer par les plus jeunes, ont du mal à reconnaître et à exprimer la pénibilité. Cela posera la question du suivi des fiches individuelles, sachant qu'à ce jour les CHSCT n'interviennent pas pour vérifier l'existence et le suivi des plans d'action. Or le salarié doit être soutenu et accompagné pour vérifier sa fiche individuelle, qui déterminera le contenu de son compte personnel, et le cas échéant la contester. Le délai de contestation prévu par le texte n'est que de deux ans. Ne pourrait-on pas dès lors associer les CHSCT au diagnostic et leur confier le soutien aux salariés ?
La réponse à la pénibilité doit avant tout passer par la prévention. Il ne s'agit pas uniquement d'organiser l'exfiltration de salariés en situation de travail difficile, d'où l'intérêt d'un dispositif en deux volets, comportant une dimension formation pour faciliter les reconversions. Il faut d'abord mieux garantir une véritable prévention réduisant partout les situations de pénibilité. Il serait judicieux d'articuler la contribution complémentaire de l'entreprise avec les efforts, réalisés et mesurés, de celle-ci en matière de prévention. Le texte n'en tient pas suffisamment compte. Or, c'est au plus près des postes de travail, avec les salariés, que l'on devrait enrichir ce concept de pénibilité. Ainsi, les critères de pénibilité actuels ne prennent pas en compte les grands déplacements professionnels, les troubles musculo-squelettiques ni l'exposition aux rayonnements ionisants. Avançons sur le chemin ouvert en 2003 et en 2010.
Ce débat a rappelé la dimension individuelle mais aussi collective de la pénibilité au travail, ainsi que le rôle des instances de l'entreprise et des employeurs pour réduire celle-ci. Les facteurs d'exposition aux risques tels qu'ils ont été définis par les partenaires sociaux vous semblent-ils convenir ? Quid des risques psychosociaux, que vous n'avez pas abordés ?
Les trois modalités d'utilisation prévues par le compte personnel de prévention de la pénibilité - formation, temps partiel et départ anticipé - vous paraissent-elles pertinentes et suffisantes ? La cotisation additionnelle des entreprises vous semble-t-elle de nature à faire baisser l'exposition à la pénibilité et à inciter les entreprises à agir en faveur de la prévention ?
Enfin, le projet de loi prévoit une application au 1er janvier 2015 : cela vous paraît-il réaliste ? Pour ma part, je doute que les salariés les plus âgés aient envie de se précipiter sur les emplois les plus pénibles, comme M. Volkoff semble le craindre...
La définition actuelle de la pénibilité est cohérente, car elle a été pensée dans une logique de compensation, et non de prévention. Les dix critères couvrent un spectre très large, conduisant les entreprises à évaluer des risques jusque-là occultés parce que difficiles à évaluer, comme les vibrations, les gestes répétitifs ou les postures pénibles. Il ne faut pas négliger le travail nécessaire pour tenir compte de ces critères.
Les risques psychosociaux sont une réalité pour les salariés, dont il ne faut pas négliger le ressenti. En application du principe général de prévention des risques posé par le code du travail, les entreprises ont obligation de travailler sur cette question. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité ne peut englober tous les risques, ne le surchargeons pas. N'oublions pas non plus la question de l'attractivité : une personne - ou un secteur - ne doit pas se voir stigmatisé à cause de son compte : gare à la logique de compteur !
Je ne saurais vous répondre sur la mise en oeuvre au 1er janvier 2015 mais en général, mieux vaut commencer tôt et avancer tranquillement, sans prendre de décision à la hâte.
Les trois modalités d'utilisation du compte sont cohérentes. Si la compensation est légitime, il faut également tout faire pour éviter de reconstituer le stock. L'obligation de formation ne doit pas être assortie d'une obligation de changer de poste : certains peuvent avoir des raisons de vouloir travailler de nuit, par exemple à l'hôpital, ce qui n'ôte rien au risque sur la santé à long terme du travail de nuit.
Je rejoins M. Lanouzière sur les dix critères comme sur les risques psychosociaux. La littérature scientifique sur les rayonnements ionisants mériterait d'être étudiée. Cela dit, il ne faut pas faire jouer aux connaissances scientifiques plus que leur rôle : il revient in fine au débat social de trancher et de définir les seuils d'exposition.
Le rapport Struillou légitimait une triple source de financement. Il est normal que les entreprises créatrices de pénibilité et de risques à long terme participent au financement du dispositif, d'autant que cela peut favoriser la prévention. Il paraît également normal que l'ensemble des employeurs y contribuent, dans la mesure où toutes les entreprises bénéficient, en tant que clientes, du travail « pénible » de certaines. Troisième source de financement, l'argent public. Toute la société profite en effet de la pénibilité du travail de quelques-uns, qui rendent accessibles quotidiennement biens et services : nous avons besoin que l'industrie sidérurgique fonctionne de nuit, et nous ne savons pas la faire marcher autrement qu'en exposant les fondeurs à la chaleur.
Le travail de nuit est obligatoire dans certaines professions, mais les partenaires sociaux préfèrent les compensations salariales au repos compensateur par exemple. Notez que dans les hôpitaux, les personnels soignants tournent sur tous les postes, de sorte que tous ou presque travaillent la nuit.
Ne faut-il pas restreindre les possibilités de compensation pécuniaire, et inciter les entreprises à se pencher davantage sur la qualité de l'organisation du travail ?
Le rapport sénatorial sur le mal-être au travail insistait sur l'importance de la souffrance liée au trajet : la crainte d'être en retard, de perdre en salaire, a souvent des incidences sur les conditions de travail, les risques psychosociaux et l'état de santé. Nous avions pensé qu'il fallait prendre ces éléments en compte dans la mesure de la pénibilité.
Si le compte pénibilité consiste à cumuler des points afin de partir plus vite à la retraite, alors c'est le contraire de ce qu'il faut faire. Cela suppose une véritable révolution culturelle : dans l'entreprise où je travaillais, il n'était pas rare de revendiquer, avec le soutien des syndicats, le fait d'occuper un travail difficile ou insalubre pour obtenir des primes. Il faut au contraire s'efforcer de rendre le travail moins pénible.
Toutes les entreprises doivent participer à cet effort - rappelez-vous que nous avons dû revenir sur la participation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et au Fonds de cessation anticipé d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) des seules entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante. Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les financements déjà engagés par les entreprises en matière de prévention dans le cadre de la branche AT-MP ?
Certains critères de pénibilité sont correctement définis : c'est le cas du bruit, à partir de quatre-vingt-cinq décibels. Les autres critères sont-ils aussi précis et suffisamment uniformisés ? Quand les kinésithérapeutes revendiquent la pénibilité de leur travail, ne risque-t-on pas d'ouvrir une brèche dangereuse pour les finances de l'Etat ? Les personnes polyexposées - comment les définir ? - cumulent-elles les points ? Enfin, une première estimation du coût du dispositif l'a chiffré à 500 millions d'euros en 2020, et 2,5 milliards d'euros en 2040. Or depuis, de nombreuses professions se sont manifestées...
J'ai présidé des CHSCT d'hôpitaux et d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pendant de nombreuses années. Prodiguer des soins à des personnes gravement atteintes est une tâche pénible. Les aides-soignants travaillent de nuit, et sont souvent victimes de lombalgies et de troubles musculo-squelettiques. Confrontés à la maladie et à la mort en permanence, certains tombent en dépression. Je vois mal dans ces conditions comment fonctionnera le système de décompte des points.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité est une idée intéressante, mais potentiellement stigmatisante, par exemple pour ceux qui ont accumulé des points et sont à la recherche d'un emploi. Quel est précisément son champ d'application ? Le décompte serait fonction du nombre d'heures travaillées : il devrait donc être différent pour les salariés ou fonctionnaires d'une part, et pour les travailleurs indépendants d'autre part, qui choisissent leur volume de travail.
En tant que président de conseil général, je sais que le travail sur les routes est pénible et dangereux, que les travailleurs sociaux sont confrontés à l'agressivité de certains usagers, que le personnel des collèges fait face à l'indiscipline des collégiens, que les fonctionnaires subissent la pression de la réduction des dépenses... A l'échelle d'un département, tout le monde a un travail pénible. Comment va-t-on faire évoluer le dispositif ?
La sécurité sociale envisagerait d'accorder une prime de 5 000 euros aux artisans coiffeurs pour les aider à aménager leurs postes de travail. Trouvez-vous normal que la sécurité sociale, censée couvrir des risques et bien qu'elle ait déjà diversifié ses missions, s'empare de questions sur lesquelles nous nous apprêtons à légiférer ?
Quelle différence faites-vous entre un travail pénible et un emploi dangereux ?
Dans le dispositif, l'accumulation des points donnera droit à une formation. N'y a-t-il pas là transfert de responsabilité de l'entreprise sur le salarié ?
Ce dispositif n'a pas vocation à traiter exhaustivement la pénibilité au travail. Il ne concerne que les pénibilités qui ont un impact sur la santé au grand âge et la longévité. Les facteurs de risques psychosociaux ou les trajets pénibles ont un impact indéniable sur la santé à court terme, mais ils n'influent qu'exceptionnellement sur l'espérance de vie.
Le mécanisme qui nous est présenté incite sinon à rentrer dans la pénibilité, du moins à ne pas en sortir. Le doublement des points offerts aux personnes proches de la retraite est à cet égard éclairant : un fondeur ayant le choix entre une promotion à un poste de chef d'équipe et un départ anticipé n'hésitera pas une seconde.
Sur les seuils d'exposition, toutes les cartes ne sont pas sur la table. J'avais compris qu'ils seraient fixés par décret. Or le Gouvernement travaille sur des hypothèses précises puisque l'étude d'impact indique le pourcentage de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Vous pourriez l'interroger sur ce point.
L'incertitude qui entoure la définition des seuils empêche d'être plus précis sur l'évaluation financière du dispositif. A quel niveau faut-il fixer la barre ? Il ne s'agit pas de cibler des métiers, car un métier n'est en rien un indicateur de pénibilité - c'est en cela un progrès par rapport aux régimes spéciaux. Partir des conditions de travail est une démarche plus intelligente. Préciser ces critères est à présent du ressort de la négociation. Elle sera plus complexe pour certains facteurs, comme les postures pénibles, que pour d'autres, mais toujours intéressante.
La pénibilité est ce qui empêche de rester en bonne santé le plus longtemps possible après le départ à la retraite. Parmi les dix critères retenus, il manque les rayonnements ionisants et les travaux extérieurs soumis aux intempéries.
Pour répondre à la présidente Annie David, la formation est toujours a priori positive. Il faudrait inciter l'employeur à proposer au salarié une reconversion professionnelle bien en amont au lieu de laisser le soin à ce dernier d'en faire la demande. On peut s'interroger sur l'efficacité du mécanisme proposé : les points accumulés offriront-ils de véritables opportunités de formation aux travailleurs titulaires de métiers pénibles, qui sont souvent les moins qualifiés ?
J'ai récemment rencontré des représentants syndicaux qui se réjouissaient d'avoir obtenu une prime de bruit - de surdité, ai-je rectifié. Ce n'est en effet pas la même chose. Les salariés sont souvent demandeurs de postes exposés à la pénibilité car les compensations financières ne sont pas négligeables, surtout au regard des niveaux actuels de pouvoir d'achat. Il faut un large débat sur ces questions, comme celui auquel a donné lieu le problème de l'amiante. Rappelons-nous qu'a longtemps perduré un consensus social sur son utilisation. La contribution complémentaire des entreprises pourrait être mieux articulée avec les mesures décidées pour lutter contre la pénibilité du travail, afin non pas d'interdire les compensations financières, mais d'en rendre la négociation moins aisée.
Le système de cotisation doit en effet être vertueux. Un mécanisme incitatif de type bonus-malus, favorisant la prévention, sans exclure la compensation, est une bonne idée. Le passage du travail de nuit au travail de jour peut être accompagné financièrement de manière dégressive. Les conventions collectives affichent parfois ce principe sans qu'il soit mis en oeuvre.
Je me réjouis que la sécurité sociale ne soit pas qu'un guichet et s'attaque à la prévention. Après avoir rencontré la commission Moreau, nous avons fait, conjointement avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), une offre de service aux entreprises afin que les caisses nationales vieillesse et maladie, les caisses régionales et nous-mêmes les aidions à réaliser un diagnostic organisationnel et technique de la pénibilité. Conditionner la cotisation à la branche AT-MP aux efforts de prévention va dans le bon sens. J'ai travaillé dans le privé, où rien n'est plus convaincant que le coût de la non-prévention : dire à un chef d'atelier que la compensation d'un trouble musculo-squelettique coûtera 97 000 euros, soit la totalité de sa production mensuelle, c'est l'inciter à faire de la prévention.
Nous pourrions débattre des heures de l'uniformisation des critères. En toute hypothèse, ils conserveront une part d'arbitraire. En matière de bruit, l'employeur est en infraction au-delà de quatre-vingt-cinq décibels, et le seuil d'action, à partir duquel on considère qu'il faut commencer à se protéger, est fixé à quatre-vingts décibels. Fixer le seuil de pénibilité en deçà n'a guère de justification : on ne peut le situer qu'entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq décibels. Autre exemple : selon la position du corps, la déclivité du sol, la température et mille autres facteurs, porter une charge de cinq kilos sera plus ou moins pénible. Nous avons d'ailleurs mesuré les efforts accomplis par les ouvriers d'une entreprise agro-alimentaire : mettre des olives sur des pizzas revient à porter plus de trois tonnes en une journée. Est-ce moins pénible que de soulever 25 kilos par jour en une seule fois ?
Dans le même ordre d'idées, la polyexposition ne se mesure pas. La notion peut en revanche favoriser le débat dans l'entreprise et aider à établir des priorités. Mais l'appropriation de ces sujets prend du temps et il y aura nécessairement des mécontents. Bref, le consensus sur un seuil est impossible.
La question des équivalences n'est pas simple : les points accumulés par un fondeur valent-ils ceux du salarié de l'usine de pizzas ? A nouveau, il ne peut y avoir de fondement scientifique aux critères de distinction.
Les notions de dangerosité, de pénibilité, de risque et d'usure ne sont pas interchangeables, ni même superposables. Le danger, c'est la capacité intrinsèque d'un objet, d'une situation ou d'un produit à provoquer des nuisances. Le risque est l'exposition de l'homme au danger. Une mer démontée est un danger, mais le risque n'apparaît que lorsque vous allez surfer. La pénibilité suppose que les nuisances ont un effet différé dans le temps : c'est pourquoi l'on raisonne sur l'espérance de vie à partir de la retraite. Soyons clairs, ne créons pas la confusion !
Enfin, les comptes de prévention de la pénibilité devraient être, autant que possible, des comptes vides. Il convient pour cela que les entreprises préviennent l'usure au travail, ce qui suppose une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre.
Tant que les seuils ne sont pas sur la table, le chiffrage est difficile. J'imagine toutefois que les estimations du Gouvernement sont cohérentes avec les pourcentages de personnes concernées qu'il indique. Je fais confiance aux statisticiens des ministères pour cela.
J'ai assisté hier à la réunion de la Commission consultative d'évaluation des normes. Comment allons-nous concilier toutes ces questions avec la volonté de simplification ?
Le rapport Moreau avait fait deux propositions intéressantes. La première consiste à créer un observatoire des fins de carrière. Nous avons une grande quantité d'informations, mais aucune synthèse ne nous décrit exactement la situation des 55-61 ans en matière d'emploi, de santé ou de retraite. Un dispositif de veille est nécessaire.
La seconde proposition consiste à améliorer les dispositifs d'accompagnement des entreprises en matière de lutte contre la pénibilité. De nombreuses petites et moyennes entreprises rechignent à se lancer dans ces chantiers, faute d'un diagnostic technique solidement établi.
La Commission consultative d'évaluation des normes ne concerne que les collectivités territoriales, qui ne sont pas concernées par la création du compte personnel de prévention de la pénibilité.
EXAMEN DU RAPPORT
Nous sommes saisis aujourd'hui de deux propositions de loi : la première, dont je suis l'auteur, vise à garantir un contrôle des comptes des comités d'entreprise ; la seconde, présentée par notre collègue Caroline Cayeux et que j'ai cosignée, concerne également la gestion des comités d'entreprise.
Il n'est pas fréquent de discuter en commission de deux propositions de loi, déposées pratiquement en même temps (en juillet 2012) et portant sur un même sujet. Mais il faut reconnaître que la transparence des comptes des comités d'entreprise est un véritable « serpent de mer » qui traverse les années sans trouver de solutions législatives ou réglementaires, quelle que soit d'ailleurs l'orientation politique du Gouvernement.
Je tiens d'emblée à dissiper tout malentendu et éviter tout procès d'intention : ma démarche aujourd'hui ne vise qu'à renforcer l'action des comités d'entreprise, et éviter que les abus de quelques-uns portent atteinte à une institution à laquelle les salariés attachent, avec raison, une grande importance. Nul ne conteste leurs missions, et je souhaite au contraire les renforcer grâce à la transparence financière, pour que l'on ne jette plus l'opprobre sur les quelque 53 000 comités d'entreprise que compte notre pays alors que cinq ou six sont montrés du doigt.
Expression collective des salariés dans la bonne marche de l'entreprise, gestion des activités sociales et culturelles, telles sont les deux grandes missions confiées aux comités d'entreprise. C'est pourquoi le législateur a prévu deux types de subventions :
- le chef d'entreprise doit verser chaque année au comité d'entreprise une subvention de fonctionnement d'un montant égal au moins à 0,2 % de la masse salariale brute en vertu de l'article L. 2325-43 du code du travail ;
- le comité d'entreprise reçoit également une subvention spécifique pour financer les activités sociales et culturelles. Le code du travail ne prévoit pas de taux prédéterminé pour cette subvention mais instaure un mécanisme complexe d'effets cliquets afin de protéger son montant. Cette subvention, estimée par le ministère du travail à environ 0,8 % de la masse salariale sans certitude, sert à financer différentes activités comme par exemple les arbres de Noël, des soirées, des séjours, des voyages scolaires ou encore des bibliothèques.
Ces deux subventions ne sont pas fongibles afin de souligner leurs logiques bien distinctes, mais les comités d'entreprise peuvent disposer d'autres sources de revenu comme des contributions des salariés ou des revenus immobiliers.
Le Gouvernement estime que plus de la moitié des comités d'entreprise disposaient en 2009 de moins de 19 000 euros de ressources globales annuelles, tandis que 8,6 % des comités d'entreprise étaient dotés de 600 000 euros de ressources. Mais certains comités d'entreprise disposent de subventions très généreuses de la part de l'entreprise, le plus souvent pour des raisons historiques. Ainsi, les ressources du comité des activités sociales du personnel des industries électriques et gazières (en clair, l'équivalent du comité d'entreprise d'EDF et GDF Suez) avoisinaient 500 millions d'euros en 2009, dont 341,5 millions d'euros au titre du prélèvement de 1 % sur les recettes de toutes les entreprises électriques et gazières. La subvention activité sociale et culturelle de la SNCF est quant à elle égale à 1,7 % de la masse salariale, ce qui représente environ 33 millions d'euros en 2012 pour le comité central d'entreprise.
Alors que la certification des comptes concerne aujourd'hui quasiment tous les organismes, publics comme privés, et les syndicats, le comité d'entreprise reste étrangement à l'écart de cette dynamique. Vous n'ignorez pas que le commissaire aux comptes examine les états financiers et vérifie la régularité et la sincérité des comptes des entreprises, mais aussi des associations, des organisations syndicales depuis la loi du 20 août 2008, de nombreux établissements et organismes publics et bientôt des établissements publics de santé.
Certes, certains comités se soumettent volontairement à la certification de leurs comptes, mais il n'existe pas d'obligation juridique claire en la matière. En effet, à l'occasion de la recodification du code du travail en 2008, l'article R. 432-14 a subi une modification rédactionnelle, fondée d'un point de vue légistique, mais qui a entraîné des difficultés d'interprétation. La disposition initiale prévoyait que le bilan établi par le comité d'entreprise doit être approuvé « éventuellement » par le commissaire aux comptes. Cet adverbe a disparu de la nouvelle rédaction de l'article, devenu depuis l'article R. 2323-37, si bien que la version actuelle aboutit en théorie à rendre obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d'entreprise, quelle que soit leur taille.
Compte tenu de la lourdeur de la certification et de son coût (il faut compter environ 70 000 euros pour certifier un budget de 15 millions d'euros), une telle disposition ne pouvait demeurer en l'état, car elle aurait pénalisé l'immense majorité des comités d'entreprise. C'est pourquoi, saisie à la fois par les syndicats et les entreprises en tant que rapporteur du texte de recodification du code du travail, j'ai demandé par courrier au cabinet du ministre du travail dès le 21 décembre 2010 de se pencher sur les difficultés soulevées par la nouvelle rédaction de l'article R. 2323-27.
Peu après, le 7 février 2011, par un courrier commun de la CFDT, de la CFE-CGC, de la CFTC et de la CGT, les syndicats ont alerté le ministre du travail sur ces mêmes difficultés et ont demandé la création d'un groupe de travail, demande à laquelle le Gouvernement a donné une suite favorable. Piloté par la direction générale du travail (DGT), ce groupe de travail s'est réuni sept fois entre janvier et novembre 2012 ; il était composé des représentants des partenaires sociaux sur le modèle de la commission nationale de la négociation collective (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC pour les organisations syndicales de salariés; Medef, CGPME, UPA, UNAPL et FNSEA pour les organisations d'employeurs), et de fonctionnaires du ministère de la justice et du ministère de l'économie. Les partenaires sociaux ont refusé d'engager une négociation en vue d'un accord national interprofessionnel sur cette question, estimant que le cadre d'un groupe de travail tripartite était plus adapté.
Ce groupe a rendu des conclusions adoptées par consensus début 2013. Elles reprennent l'essentiel des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur le comité d'entreprise de la RATP de novembre 2011, et ne sont guère éloignées des principales dispositions de la proposition de loi de Nicolas Perruchot sur le financement des comités d'entreprise, telle qu'adoptée en séance publique à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2012. On peut présenter ces conclusions en dix points :
- les règles sur la tenue des comptes s'imposent à tous les comités, sans distinguer la subvention de fonctionnement de la contribution pour les activités sociales et culturelles, mais en considérant uniquement leurs ressources nettes globales ;
- les nouvelles règles de comptabilité s'inspirent, tout en les adaptant, des règles en vigueur pour les associations. C'est pourquoi les comités d'entreprise sont soumis, selon leur taille, à une comptabilité ultra-simplifiée (ressources inférieures à 153 000 euros), ou une comptabilité avec présentation simplifiée (ressources supérieures à 153 000 euros et obligation de ne pas remplir au moins deux des trois critères suivants : compter plus de cinquante salariés en équivalent temps plein ; disposer d'un bilan supérieur à 1,55 million d'euros et avoir plus de 3,1 millions d'euros de ressources), ou une certification des comptes dans tous les autres cas ;
- seuls les membres élus du CE peuvent arrêter et approuver les comptes, l'employeur ne prenant pas part à ces décisions ;
- les comptes doivent être consolidés si le comité contrôle plusieurs entités;
- le coût de la certification est pris en charge par le CE ;
- un rapport de gestion est obligatoire afin de rendre compréhensible par tout un chacun la présentation des comptes et les orientations du comité;
- les comptes et le rapport de gestion doivent être portés à la connaissance exclusive des salariés de l'entreprise ;
- une commission des marchés devra être mise en place dans les comités d'entreprise soumis à la certification de leurs comptes ;
- les commissaires aux comptes pourront déclencher une procédure d'alerte ;
- l'entrée en vigueur de l'obligation de tenue des comptes annuels s'appliquera à compter de l'exercice comptable 2014, tandis que l'obligation de certification est repoussée à l'exercice comptable 2015.
Il convient d'indiquer qu'un groupe de travail technique conduit par l'Autorité des normes comptables (ANC) a débuté ses travaux le 5 septembre 2012, prenant comme feuille de route les conclusions du groupe de travail de la DGT. Ses travaux se sont achevés en mars 2013 et ont permis de tracer les grandes lignes des futurs règlements de l'ANC sur le référentiel comptable applicable aux comités d'entreprise.
Bien évidemment, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, et qui ont été déposées - je le rappelle - en juillet 2012, ne pouvaient tenir compte de ces conclusions. Ma proposition de loi pose des principes généraux sur l'obligation de tenir des comptes annuels et de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, tout en renvoyant à un décret le soin de fixer les seuils. De même, la proposition de loi de notre collègue Caroline Cayeux fixe des principes en matière de publicité des documents comptables du comité d'entreprise, sur la portée du contrôle du commissaire aux comptes et impose aux comités émanant d'entreprises publiques de suivre les règles du code des marchés publics.
Suite à la saisine de notre présidente Annie David, dans le cadre du protocole adopté par le bureau du Sénat le 16 décembre 2009 sur la concertation des partenaires sociaux, ces derniers ont mis en avant les conclusions du groupe de travail de la DGT et les engagements pris lors de la dernière grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013. Parmi ces engagements, il est prévu, sur la base du relevé de conclusions du groupe de travail animé par la DGT, que des dispositions législatives seront proposées au Parlement sur la transparence des comptes des comités d'entreprise avant la fin 2013.
Le cabinet du ministre du travail, que nous avons auditionné, a indiqué qu'un projet de loi devrait être déposé en fin d'année ou en début d'année prochaine. Mais j'observe pour ma part que le sujet de la transparence financière des comités d'entreprise avait déjà été inscrit sur la feuille de route de la première grande conférence sociale, en vain. Il était pourtant prévu que « des dispositions législatives seront adoptées début 2013 sur la transparence financière des comités d'entreprise ».
En outre, la feuille de route de la deuxième conférence sociale évoque des « dispositions législatives », ce qui n'interdit donc pas de choisir comme véhicule législatif une proposition de loi, fût-elle déposée par l'opposition... dans l'esprit d'ouverture qui est le nôtre !
C'est pourquoi je souhaite, en concertation avec notre collègue Caroline Cayeux, vous présenter toute une série d'amendements, afin d'établir un texte de commission qui reprenne le plus fidèlement possible les conclusions du groupe de travail de la DGT et enrichir ainsi les deux propositions de loi, déposées voilà plus d'un an, en respectant leur philosophie initiale. Notre seul souci étant de faire progresser la transparence des comités d'entreprise, j'invite notre commission à adopter aujourd'hui ma proposition de loi modifiée par les amendements que je vais vous proposer, et dont j'ai informé tous les chefs de file des groupes de notre commission. Je forme le voeu que les élus de la majorité et le Gouvernement adoptent une attitude constructive, ouverte et bienveillante pour améliorer ce texte qui vise à renforcer la légitimité des comités d'entreprise et les droits des salariés.
Les partenaires sociaux que nous avons auditionnés souhaitent que les conclusions du groupe de travail prennent rapidement force de loi. Ils nous ont tous réclamé un texte dans les meilleurs délais. La proposition de loi et les amendements que je vous proposerai répondent bien à leurs attentes. Le temps du dialogue social a été respecté, les négociations et le travail technique sont derrière nous : à nous parlementaires de remplir maintenant notre mission.
Je tiens à remercier et à féliciter Catherine Procaccia pour son examen approfondi de nos deux propositions de loi et pour l'excellent travail qu'elle mène d'ailleurs depuis longtemps dans le champ du droit du travail.
J'ai en effet déposé, en juillet 2012, une proposition de loi relative à la gestion des comités d'entreprise. Dès décembre 2011, j'avais entrepris une réflexion qui faisait suite à la multiplication de faits divers impliquant des comités d'entreprise. Les médias ont en effet régulièrement pointé un certain nombre de dérives ou de mauvaises gestions, apparues dans le fonctionnement de certains de ces comités.
La Cour des comptes a elle-même dénoncé, dans un rapport, la mauvaise gestion de trois grands comités d'entreprise qui ont d'ailleurs fait l'objet, par la suite, de l'ouverture d'une information judiciaire ou d'une enquête préliminaire. L'opacité, les rumeurs, fondées ou non, sur les errements de gestion de certains comités, portent atteinte à l'image de nos entreprises publiques ou privés et affaiblissent les syndicats qui souvent président à leur organisation ou à leur fonctionnement.
Aujourd'hui, la loi n'encadre pas véritablement les comités d'entreprise. Elle ne propose pas de véritable contrôle au président de l'entreprise, que ce soit a priori ou a posteriori, sur leurs budgets. Trop souvent, les salariés élus à ces comités jouissent d'une autonomie trop grande et mal encadrée. C'est pourquoi j'ai souhaité apporter une réflexion sur la manière dont nous pourrions, dans l'avenir, mieux renforcer les contrôles et rendre l'action des comités d'entreprise plus transparente, donc plus lisible.
A la lumière de mes auditions, de mes lectures, il m'est apparu pertinent de porter le débat et la discussion sur trois pistes prioritaires :
- quels documents comptables pourraient être produits annuellement par les comités d'entreprise et remis aux conseils d'administration ?
- les comités d'entreprise doivent-ils être soumis aux mêmes obligations que les entreprises et, par conséquent, déposer des comptes certifiés ?
- les comités d'entreprise ne doivent-ils pas se conformer à la réglementation propre aux marchés publics pour des achats ou des prestations supérieurs à 500 000 euros ?
Ces éléments de réflexion m'ont été suggérés par des présidents de grandes entreprises et des juristes spécialisés en droit social. Ils m'ont convaincue de déposer cette proposition de loi destinée à établir un véritable contrôle de l'action, de l'organisation, et du fonctionnement des comités d'entreprise. Rendre plus transparente leur action sera, demain, un gage d'efficacité et de responsabilité pour les entreprises, pour les dirigeants de ces comités et, plus généralement, pour les syndicats. En adoptant une attitude gestionnaire, leurs responsables se rendront plus crédibles et donc plus respectés par les salariés et par nos concitoyens.
A la lumière des nombreuses auditions organisées par notre rapporteur, auxquelles j'ai assisté, c'est d'un commun accord que nous souhaitons élaborer un texte unique et vous proposer des amendements nourris de nos consultations, des conclusions du groupe de travail tripartite et des dispositions de la proposition de loi examinée à l'Assemblée nationale en janvier 2013. J'espère que le travail d'expertise que nous avons mené ensemble favorisera un débat positif éclairant, qui redonnera aux comités d'entreprise une plus grande autorité, une plus grande respectabilité.
Je tiens à remercier le rapporteur d'avoir transmis aux groupes, la veille de notre réunion de commission, l'ensemble de ses amendements afin que nous en prenions connaissance, d'autant que ceux-ci réécrivent entièrement le texte initial de sa proposition de loi. Cette démarche constructive est tout à son honneur. Je me souviens avoir moi-même rapporté il y a quelques années une proposition de loi dont j'étais la première signataire et que j'avais amendée. J'avais alors été confrontée aux remarques acerbes de mes collègues. Or savoir faire évoluer son texte, c'est la preuve que l'on est à l'écoute des uns et des autres.
Au nom de mon groupe, je m'associe aux propos de notre présidente de commission et salue l'important travail effectué par le rapporteur, auquel j'associe évidemment Caroline Cayeux. Son rapport et les amendements qu'elle nous propose, fruit des nombreuses auditions menées, témoignent d'un sens certain de la concertation.
Notre seule réserve porte sur le calendrier d'examen de ces deux propositions de loi. Dans la mesure où le dépôt d'un projet de loi global sur la transparence financière des comités d'entreprise est prochainement prévu, comme l'indique la feuille de route de la deuxième grande conférence sociale, il ne nous semble pas opportun de débattre dès à présent de cette question. Pour cette raison, au stade de l'examen de ces propositions de loi en commission, nous ne prendrons pas part au vote sur les amendements et le texte.
Je félicite également le rapporteur pour son travail considérable et son souci de prendre en compte l'avis des différentes parties prenantes.
La transparence financière des comités d'entreprise est effectivement un véritable « serpent de mer » : il est temps de s'atteler à ce chantier. Tout le monde y est attaché. Comme cela a été dit, la Cour des comptes a déjà formulé plusieurs recommandations en vue d'améliorer la situation ; certaines ont d'ores et déjà été suivies par des comités.
Les organisations syndicales que j'ai personnellement rencontrées ont le souci de bien utiliser les sommes qui leur sont confiées. Elles souhaitent également que le versement de la subvention légale de fonctionnement par l'employeur soit mieux contrôlé, mais elles ne disposent actuellement pas des outils pour le faire.
Mon groupe regrette, en revanche, que l'examen de ces deux propositions de loi survienne à un moment où règne un certain climat de suspicion autour de la gestion des organisations syndicales. En outre, à partir du moment où le groupe de travail tripartite a adopté ses conclusions par consensus, est-il nécessaire d'en passer par la loi ? Aussi, nous ne prendrons pas part au vote sur les amendements et le texte, mais nous souhaitons cependant que le rapport soit publié.
Je suis surpris de la proposition du rapporteur de ne réserver la publication des comptes du comité d'entreprise et de son rapport de gestion qu'à destination des seuls salariés. La mission principale d'un commissaire aux comptes consiste à certifier ou non les comptes de l'entreprise afin que les tiers co-contractants (fournisseurs, prestataires, banquiers...) puissent disposer d'informations financières sur celle-ci. Dès lors, limiter leur communication aux salariés ne me paraît pas pertinent.
A mon tour de saluer le travail d'expertise de Catherine Procaccia, qui était nécessaire. Il s'inscrit dans la continuité de la proposition de loi déposée par notre collègue député Nicolas Perruchot et adoptée par l'Assemblée nationale en 2012. Une totale transparence sur le fonctionnement et la gestion des comités d'entreprise est indispensable pour éviter tout soupçon. C'est pourquoi notre groupe soutiendra le texte tel que proposé par le rapporteur.
J'estime que c'est la moindre des choses d'informer préalablement les collègues de mes amendements, s'agissant d'un texte relatif au dialogue social dans les entreprises !
J'entends la remarque d'Isabelle Pasquet au sujet de la subvention de fonctionnement et du manque d'outils dont disposent les organisations syndicales pour en assurer le suivi. Par ailleurs, il est nécessaire de passer par la loi car certaines dispositions relatives aux comités d'entreprise relèvent du domaine législatif.
A Jean-Noël Cardoux, je répondrai que ma position au sujet de la publication des comptes et du rapport de gestion s'est forgée au fil des auditions. Il s'agit de l'argent de l'entreprise, il est donc logique que les salariés soient les premiers informés. J'ai donc fait le choix de préciser que cette publication ne concerne que les salariés.
Je rappelle à Jean-Marie Vanlerenberghe que ma démarche n'est pas vraiment identique à celle de Nicolas Perruchot ; elle s'inscrit plutôt dans la continuité du travail que j'ai effectué en 2011 en tant que rapporteur pour avis sur la proposition de loi de simplification du droit dite « Warsmann ». J'avais alors déposé un amendement qui aurait permis de régler le problème juridique résultant de la recodification du code du travail, mais qui n'a malheureusement pas pu aboutir, le Sénat ayant rejeté ce texte en adoptant une question préalable.
Je souhaiterais, pour finir, insister sur un point. J'ai été très étonnée par l'unanimité des organisations syndicales sur ce sujet de la transparence financière des comités d'entreprise. Depuis que je siège à la commission, je n'ai jamais vu un tel consensus ! Toutes attendent que les conclusions du groupe de travail trouvent leur traduction dans la loi.
Je précise en outre que rien n'empêche le Gouvernement d'amender le texte de la commission en séance, ni - une fois celui-ci adopté par le Sénat- de le faire porter à l'Assemblée nationale par un membre du groupe socialiste. En réalité, le principal souci du Gouvernement est de trouver le bon véhicule législatif dans ce calendrier parlementaire très contraint. Qu'il saisisse donc l'opportunité de cette proposition de loi !
L'amendement n° 1 pose comme principe général l'obligation pour les comités d'entreprise de suivre les règles comptables, à l'image de ce qui existe actuellement pour les syndicats.
L'amendement n° 1 est adopté.
L'amendement n° 2 interdit à un même commissaire aux comptes de contrôler en même temps les comptes de l'entreprise et ceux du comité d'entreprise afin d'éviter tout risque de conflit d'intérêt.
Sachant que nous examinons aujourd'hui deux propositions de loi, comment cela va-t-il se passer en pratique en séance publique ? Sur quel texte allons-nous travailler ?
Les amendements que je présente vont permettre d'établir un texte unique.
Le texte de la commission, élaboré à partir des amendements présentés par le rapporteur, va se substituer aux deux propositions de loi initiales.
Oui, car la proposition de loi que j'ai déposée sert de base de travail à l'élaboration du texte de la commission.
Je rappelle à nos collègues que deux propositions de loi ont été inscrites à l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe UMP, celle de Catherine Procaccia et celle de Caroline Cayeux. Nous travaillons actuellement sur la première, que nous amendons afin d'établir le texte de la commission. L'examen en séance publique portera sur ce texte unique.
L'amendement n° 2 est adopté.
L'amendement n° 3 crée une procédure d'alerte déclenchée à l'initiative du commissaire aux comptes, sur le modèle de ce qui existe déjà dans le code du commerce moyennant quelques adaptations.
L'amendement n° 3 est adopté.
L'amendement n° 4 oblige les comités d'entreprise soumis à la certification de leurs comptes à instaurer, dans leur règlement intérieur, une commission des marchés afin de mieux encadrer leurs achats et le choix de leurs prestataires.
Avec cette commission des marchés, les comités d'entreprise pourront-ils toujours privilégier des prestataires intervenant dans les secteurs du commerce équitable ou de l'économie sociale ou solidaire ? Ou bien devront-ils choisir le mieux disant ? Autrement dit, pourront-ils fixer des critères sociaux pour l'achat de biens et de services ? Car les comités d'entreprise servent aussi à proposer des offres culturelles que je qualifierai de sociales.
Je vous rassure, ils pourront toujours le faire. Ils seront même bien plus libres qu'aujourd'hui de fixer ou non un critère social pour leur politique d'achats de biens et de services. Si un tel critère est choisi, la commission des marchés veillera à ce qu'il soit respecté.
Le règlement intérieur est-il obligatoire pour les comités d'entreprise ?
La mise en place d'une commission des marchés sera donc rendue obligatoire ?
C'est l'objectif de cet amendement.
L'amendement n° 4 est adopté.
L'amendement n° 5 propose, conformément aux conclusions du groupe de travail tripartite, de prévoir la communication d'un rapport de gestion, comprenant notamment la présentation du comité d'entreprise, les actions menées pendant l'année écoulée et le bilan financier. Ce rapport sera communiqué à tous les membres du comité d'entreprise, répondant ainsi en partie à l'une des préoccupations exprimées à l'article 1er de la proposition de loi de Caroline Cayeux. Par ailleurs, il est précisé que la publication des comptes du comité et du rapport de gestion ne concerne que les salariés.
Avec Catherine Procaccia, nous avons une petite divergence sur la notion de publication des comptes et du rapport de gestion. Pour ma part, je souhaiterais qu'il n'y ait aucune restriction à cette publication. Cet amendement me gêne car il ne vise que les salariés.
C'est un non-sens de réserver cette publication aux seuls salariés ! Admettons qu'un tiers ait connaissance de ces données, la responsabilité du commissaire aux comptes serait alors engagée !
Prévoir l'information des salariés constitue déjà un progrès : avançons pas à pas.
J'attire votre attention sur le fait que la rédaction proposée n'est pas restrictive. Il est écrit « le comité d'entreprise assure la publication de ses comptes et du rapport de gestion auprès des salariés » : rien n'interdit au comité de communiquer plus largement ces informations, ni à un tiers de les demander.
Sans compter que le comité d'entreprise peut décider, dans son règlement intérieur, de publier ses comptes. Je n'ai pas l'intention de modifier mon amendement à ce stade. Le débat parlementaire permettra, s'il le faut, de faire évoluer la rédaction.
Pour ma part, je voterai cet amendement. Rien n'empêche en effet le comité d'entreprise d'étendre la communication de ses comptes et de son rapport de gestion à des tiers. Aucun interdit n'est posé.
Cette proposition va plus loin que celle du groupe de travail, qui consistait à n'étendre les nouvelles règles de transparence financière qu'aux comités centraux d'entreprise et aux comités interentreprises.
L'amendement n° 6 est adopté.
L'amendement n° 7 prévoit que les obligations comptables s'appliqueront à partir de l'exercice comptable de 2015, et que les obligations de certification et de consolidation des comptes concerneront l'exercice comptable de 2016 et les suivants. Nous décalons donc d'un an les dates retenues par le groupe de travail.
L'amendement n° 7 est adopté.
Je remercie mes collègues des groupes socialiste et communiste républicain et citoyen (CRC) de ne pas avoir pris part au vote, afin que le débat ait lieu en séance publique. Je suis sûre que celui-ci permettra de faire avancer les choses.
La commission adopte la proposition de loi n° 679 dans la rédaction issue de ses travaux.
Madame la présidente, je tiens à vous faire part du mécontentement de mon groupe au sujet de l'organisation, demain matin, d'une table-ronde avec les organisations patronales sur le projet de loi retraites alors que, dans le même temps, l'examen en séance publique du projet de loi sur les métropoles se poursuit.
Compte tenu de la charge de notre programme de travail, il était matériellement impossible de fixer toutes les auditions au mercredi matin.
EXAMEN DES AMENDEMENTS