Intervention de Luc Carvounas

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 8 octobre 2013 : 1ère réunion
Mise en oeuvre de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques — Examen du rapport d'information

Photo de Luc CarvounasLuc Carvounas, rapporteur :

C'est à l'initiative conjointe des commissions de l'application des lois et de l'économie - et je tiens ici à en remercier leurs présidents respectifs - qu'a été initié, il y a presque un an désormais, ce bilan de l'application de la loi du 22 juillet 2009 dite « de développement et de modernisation des services touristiques ».

Les trois sénateurs chargés de ce rapport ont été, outre moi-même, mes collègues Jean-Jacques Lasserre - qui préside par ailleurs le groupe d'études « tourisme et loisirs » de notre assemblée - et Louis Nègre. Je tiens à souligner l'excellent esprit qui a animé notre travail, au-delà des sensibilités politiques représentées, et le caractère collectif du constat porté par le rapport et des propositions qui l'accompagnent.

Au cours du printemps, nous avons réalisé une vingtaine d'auditions des différents acteurs impliqués par le texte, essentiellement les professionnels du tourisme et les pouvoirs publics. Pour des raisons de calendrier, nous n'avons pu présenter ce rapport durant la session extraordinaire de juillet, alors que nous avions terminé notre travail.

Sa présentation aujourd'hui devant nos commissions réunies, ainsi que devant le groupe d'études « tourisme », intervient toutefois au bon moment. Elle précède en effet un débat que nous aurons en séance publique sur le sujet dans une semaine, le mardi 15 octobre prochain, à l'initiative de la commission pour le contrôle de l'application des lois.

Je vais pour ma part retracer le contexte général du secteur du tourisme dans lequel s'est inscrit ce texte, et les commentaires - assez critiques, vous le verrez - qu'il appelle de notre part.

Vous avez tous ou presque en tête, j'imagine, que la France est « le » pays du tourisme par excellence, et que ce secteur constitue un atout majeur pour notre pays. Certes, cela a longtemps été le cas ; ça l'est encore en partie ; mais ça risque très rapidement de ne plus l'être si l'on ne se mobilise pas fortement à tous les niveaux.

Il est vrai que notre pays demeure la première destination touristique au monde. Avec 83 millions de visiteurs étrangers accueillis en 2012 selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), il reste leader devant les États-Unis, la Chine, l'Espagne et l'Italie. Les retombées directes du secteur dans notre économie sont estimées à 7,1 % du produit intérieur brut (PIB) ; elles apportent des excédents considérables à notre balance des paiements, réduisant ainsi son déficit global.

Dans une période de forte inactivité, le tourisme emploie près de deux millions de personnes, dont la moitié directement. Et ces emplois, il faut insister sur ce point, sont par nature difficilement « mécanisables », et encore moins délocalisables. Le tourisme fait vivre nos territoires, et apporte du travail à des populations souvent peu ou pas qualifiées, qu'il contribue à insérer socialement et professionnellement.

Pourquoi notre pays est-il aussi performant sur ce secteur du tourisme ? Il y a bien sûr des raisons historiques et géographiques, tenant à la richesse de notre patrimoine et la diversité de nos paysages. Mais il y a aussi le fameux « savoir-vivre à la française » dont on est friand aux quatre coins du monde.

Pourtant, ne nous laissons pas abuser, le tableau est loin d'être aussi idyllique qu'on veut souvent nous le laisser croire, et l'avenir s'annonce difficile pour le secteur.

Notre place de leader mondial, pour commencer, est un « trompe-l'oeil ». En termes de revenus, avec une quarantaine de milliards d'euros de recettes, la France se classe troisième, derrière les États-Unis et l'Espagne.

Les touristes que nous accueillons sont extrêmement concentrés sur certaines provenances. Plus de 80 % sont européens ; à l'inverse, nous n'attirons pas suffisamment les populations des pays émergents, qui constituent pourtant le « gros » de la demande touristique de demain.

À vrai dire, la vérité des chiffres se concilie mal avec l'autosatisfaction affichée dans les discours des responsables, y compris politiques. « Tout va très bien », veut-on nous laisser croire, alors que notre pays n'est plus l'Eldorado touristique qu'il a longtemps été.

Dans un courrier adressé le 26 mars dernier à Mmes Sylvia Pinel, ministre en charge du tourisme, et Fleur Pellerin, ministre en charge des petites et moyennes entreprises, le Comité pour la modernisation de l'hôtellerie française fustigeait ainsi très vivement une « posture de vainqueur, aux sonorités cocoricoesques, dont chaque gouvernement s'attribue tous les mérites d'un succès putatif ».

Les conséquences de ce « brevet de bonne santé » octroyé à l'industrie du tourisme sont lourdes, selon ces professionnels : « cela induit directement la croyance que crise ou pas crise, notre pays n'a pas d'effort à faire, puisque de toute façon nous serions les champions incontestés, quoi qu'il arrive ». Tout le monde pense ainsi à tort « que tout va bien dans notre tourisme, que l'investissement n'y est pas nécessaire y compris dans la promotion et la communication, que la modernisation de notre offre touristique n'est pas d'actualité, que la formation et l'attirance des jeunes aux métiers touristiques sont sans fondement... Bref, que la France est suffisamment et naturellement attractive et que le tourisme est une affaire qui marche toute seule, sans avoir à y regarder de près ».

Il y a donc urgence à tirer la sonnette d'alarme, et ce sur plusieurs éléments de faiblesse structurels.

Les statistiques en matière de tourisme sont à la fois imprécises et parcellaires. Elles émanent de nombreux organismes, dont certains peu crédibles ou objectifs, et paraissent avec des mois de retard. D'où notre proposition de mettre en place un observatoire économique du tourisme fiable, crédible et réaliste, pour « prendre le pouls » du secteur.

Le budget consacré à la promotion est manifestement insuffisant à l'échelle de ce que représente la concurrence européenne et internationale. L'Agence de développement touristique Atout France dispose ainsi d'un budget cinq à six fois moindres que celui de son homologue espagnole ! D'un milliard de touristes dans le monde aujourd'hui, nous devrions passer à 1,5 milliard en 2020 et 2 milliards en 2030 : comptons-nous les attirer dans notre pays uniquement sur sa réputation ?

L'environnement technique et normatif est beaucoup trop contraignant pour les professionnels. Je laisserai mes collègues développer ce point ultérieurement, mais il s'agit d'un élément crucial pour l'avenir de notre secteur, qui étouffe sous une réglementation excessivement protectrice et mal adaptée aux réalités de terrain.

La gouvernance du secteur du tourisme, pour autant qu'il y en ait une, est très délicate à mettre en place. Le tourisme fait partie des compétences les plus diluées, puisque chaque niveau de collectivité est habilité à y intervenir. La loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles, que nous avons examinée en deuxième lecture tout dernièrement, ne change rien sur ce point. Si chaque niveau de collectivité a légitimement sa voix à faire entendre en la matière, ne faut-il pas tout de même mieux articuler les différents champs d'intervention ?

Notre infrastructure touristique reste limitée et vieillissante. Selon les chiffres des professionnels eux-mêmes, un quart de notre hôtellerie classée est obsolète, et un bon tiers carrément « à bout de souffle ». La clientèle estime, lorsqu'on l'interroge, que le rapport qualité-prix se détériore. Malgré la réforme du classement, dont mes collègues vous parleront, nos standards d'équipement et de confort ne correspondent plus aux attentes du touriste d'aujourd'hui. Les professionnels en ont bien conscience, mais peinent à financer les travaux de modernisation aujourd'hui nécessaires.

Le marché « légal » du tourisme se trouve de plus en plus concurrencé par un marché parallèle, qui soit profite de vides juridiques, soit est manifestement illégal.

Au titre du premier, on trouve le développement des plates-formes de réservation touristique en ligne, souvent basées à l'étranger. Celles-ci imposent à nos prestataires, sous peine de les déréférencer, des conditions commerciales très désavantageuses. Elles empochent, sans apporter de réelle valeur ajoutée, des commissions substantielles qui ne sont d'ailleurs pas imposées dans notre pays.

L'essor du numérique, s'il est une chance pour l'industrie du tourisme, est aussi source d'inquiétude : le poids croissant des sites de notation touristiques, dont certains sont alimentés de façon artificielle par des officines « d'e-réputation », est notamment redouté car il joue - à la hausse comme à la baisse - sur le référencement des opérateurs, capital pour leur attractivité.

Au titre des activités cette fois-ci clairement illégales, on constate une recrudescence des offres de service non déclarées et non encadrées, dans les domaines de l'hôtellerie et la restauration ou du transport. Elles concurrencent les opérateurs « réguliers » et sont porteuses de risques potentiels pour les consommateurs. Mes collègues développeront ce sujet pour chacun des domaines concernés.

Telles sont les réflexions générales sur le secteur du tourisme que nous ont inspirées ce travail : un atout formidable pour notre économie et nos territoires, à condition d'en prendre soin et de lui donner dès aujourd'hui les moyens de saisir les opportunités de demain.

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