Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, recourir à l’enlèvement d’un ou plusieurs individus, afin de les utiliser comme monnaie d’échange, moyen de pression ou gage de garantie, est une pratique ancienne ; aussi vieille, serait-on tenté de dire, que le jeu politico-diplomatique.
La prise d’otage existait, en effet, dès l’Antiquité et a pris parfois une physionomie inattendue. Nous pourrions rappeler les termes du traité de Madrid de 1526, selon lesquels François Ier, défait à la bataille de Pavie, remit à Charles Quint son fils aîné, le dauphin, en gage de l’exécution du traité entre les deux puissances.
À l’époque contemporaine, à l’heure des conflits asymétriques, le recours à la prise d’otage s’inscrit dans une opposition du faible au fort – certains sont malheureusement devenus de véritables orfèvres en la matière. Dès les années soixante-dix, cette exaction fut privilégiée par certains groupes terroristes. En réponse, car il ne fallait bien évidemment pas rester les bras croisés, le législateur a prévu un régime d’indemnisation protecteur, mais limité aux victimes des actes de ces groupes.
Mes chers collègues, le texte proposé à notre examen vise donc à compléter et harmoniser les régimes d’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages. En effet, comme il est indiqué dans l’exposé des motifs et dans le rapport de notre chère collègue Esther Benbassa, il n’existe pas de procédure unique et simplifiée pour toutes ces victimes.
Je ne reviendrai pas sur les différents dispositifs d’indemnisation, selon que la prise d’otage relève d’un acte terroriste, ou en fonction de la gravité du préjudice subi. L’harmonisation de ces procédures équivaut à une reconnaissance que les victimes de prises d’otages – et avec elles, leur entourage plongé, lui aussi, dans de grandes souffrances – ont subi un préjudice particulier, qui nécessite une procédure simplifiée. En conséquence, la proposition de loi prévoit que les victimes d’une prise d’otages, même si cette dernière ne constitue pas un acte de terrorisme, pourront obtenir réparation intégrale du préjudice auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, la CIVI.
Disons-le, ce texte a une portée limitée, car il ne concerne que très peu de personnes, mais il repose, et c’est essentiel, sur l’idée que les victimes de prises d’otages doivent se voir reconnaître la particularité de l’épreuve qu’elles ont traversée.
Aujourd’hui, en droit, la prise d’otages est non pas une infraction autonome, mais une circonstance aggravante de l’infraction d’enlèvement ou celle de séquestration. Dans la situation actuelle, si la prise d’otage n’est pas considérée comme un acte terroriste, les victimes doivent remplir plusieurs critères pour ouvrir la voie à une indemnisation qui s’en trouve, de fait, complexifiée.
Or les témoignages de victimes de prises d’otages se ressemblent souvent. Qu’elles aient été kidnappées en Syrie, au Liban, au Mali ou au Mexique, qu’elles soient restées captives quelques mois ou plusieurs années, elles disent tous la même chose.
Chaque cas de cette forme de séquestration est unique, mais, quels que soient les geôliers, quelles qu’aient été la durée et les conditions de détention, tous les anciens otages nous parlent de cette perte de liberté, de ce sentiment d’être à la merci des ravisseurs, de ces moments d’espoir d’une libération prochaine qui côtoient des moments de terreur face à des actes pouvant aller jusqu’à des simulations d’exécution, ou encore des moments d’abattement et d’angoisse. Et surtout, ils parlent de cette peur permanente qui les étreignait.
Tous aussi témoignent des difficultés du retour à la vie quotidienne et de la dépression qui, souvent, accompagne la libération. Enfin, au-delà des blessures physiques, tous nous parlent de traumatismes durables pour eux-mêmes et, j’y reviens, pour leur entourage.
La question de l’harmonisation des dispositifs d’indemnisation des victimes se pose, et ce d’autant plus que la frontière entre un rapt à caractère terroriste et un enlèvement crapuleux est parfois ténue. L’actualité le montre bien, et nous pensons, ici au Sénat, à tous les otages français aujourd’hui détenus.
La frontière est parfois ténue entre enlèvement politique, enlèvement crapuleux et enlèvement terroriste, car, dans certaines parties du monde, notamment dans les régions les plus instables, celles où l’État peine à imposer l’ordre sur son territoire ou est déliquescent, on voit se développer un véritable business de la prise d’otages. C’est le cas de la zone saharo-sahélienne, par exemple, comme l’ont montré les rapports de nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher. Des mafias se livrent aussi à la prise d’otages dans le delta du Niger, en Colombie ou en Irak.
Aujourd’hui, il est donc du devoir de la France, madame la garde des sceaux, de soutenir ceux qui, parmi nos ressortissants ou sur notre territoire, sont victimes d’une prise d’otages. Lors de leur période de captivité, le sort des otages interpelle parfois avec acuité la communauté nationale. Ce soutien doit se poursuivre après leur libération, lorsque, pour eux et leurs familles, vient le temps de la reconstruction, qui n’est pas le plus simple.
Il ne s’agit pas, madame la garde des sceaux, de créer un statut d’otage. Nous n’avons pas le pouvoir d’effacer ces mois, parfois ces années de captivité, et les traumatismes qu’ils ont suscités, mais nous pouvons faire en sorte que les victimes puissent mieux vivre avec eux.
C’est la raison pour laquelle, afin de concilier sécurité juridique et reconnaissance symbolique, les sénateurs radicaux de gauche et mes collègues du RDSE apporteront leur soutien à cette proposition de loi.