Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 9 octobre 2013 à 14h30
Indemnisation des personnes victimes de prise d'otages — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nos pensées convergent manifestement, comme l’ont souligné les différents orateurs, vers les personnes qui sont victimes de séquestration, de prise d’otages, quelle qu’en soit la raison – actes terroristes ou actes criminels d’une autre nature.

Nous pensons à ces femmes et à ces hommes, à leurs enfants, à leurs parents, à leurs frères et sœurs, à leurs familles, à tous leurs proches, qui vivent intensément chaque jour dans l’attente – insupportable sur le plan psychologique – de nouvelles, en espérant fortement qu’elles soient bonnes.

Nous pensons à des drames survenus récemment, à Philippe Verdon décédé au Mali, à Yann Desjeux tué à In Amenas, en Algérie. Grâce aux témoignages de celles et ceux qui en ont réchappé, nous savons à quel point il est terrible de vivre une prise d’otages.

Il y a trois semaines, aux Invalides, s’est tenue une cérémonie en hommage aux victimes des actes de terrorisme. Une jeune femme, Muriel Ravey, a témoigné de ce qu’elle avait vécu minute par minute pendant la prise d’otages, des heures qui ont suivi son départ du site et des semaines et des mois suivants, au cours desquels elle a décidé de s’éloigner, compte tenu de la difficulté qu’elle éprouvait à reprendre place dans la société.

Incontestablement, les effets sont dévastateurs sur la personnalité, sur l’intégrité physique et psychologique des personnes qui subissent ces expériences extrêmement douloureuses. Nous leur devons des égards, mais aussi de la solidarité.

Nous leur devons des égards parce que nous savons que c’est par leur force intérieure, par la présence, l’affection et l’empathie de leurs proches, y compris de leurs proches sur le plan professionnel, que ces personnes peuvent reprendre des forces et tenir debout. Mais nous savons aussi que cette blessure intérieure est forcément profonde et lourde à supporter.

Nous pensons aussi à celles et ceux qui attendent, sans nouvelles, et qui sont parfois confrontés à des difficultés matérielles.

Nous essayons d’améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes. Madame Lepage, votre proposition de loi est bienvenue, car elle vise à harmoniser le mode d’indemnisation des victimes. La question d’un statut unique pour les otages est toutefois délicate.

En effet, dans notre législation, dans les procédures que nous avons mises en œuvre, dans les décisions de justice qui ont été rendues, le terrorisme est classé comme une catégorie particulière. Sans établir de hiérarchie entre les victimes, sans imaginer qu’il puisse y avoir une échelle de la souffrance, il est certain que le crime terroriste est particulier, même si toutes les prises d’otages sont des actes de guerre perpétrés en temps de paix, quels qu’en soient les motifs.

Néanmoins, nous n’avons pas à faire de différence dans la façon dont sont traitées les victimes de prises d’otages. Ces personnes méritent que notre code pénal reste répressif et que, si nécessaire, nous accentuions cette pression. Nous devons apporter des réponses diligentes, fermes et efficaces au travers du code pénal. Mais les procédures civiles doivent, elles aussi, contribuer à assurer une juste indemnisation des victimes, même si celle-ci ne sera jamais à la hauteur de ce qui serait nécessaire.

Plusieurs intervenants l’ont rappelé, nous avons à notre disposition le FGTI, créé par la loi de 1986 et dont le champ a été élargi en 1990. Vous le précisiez à l’instant, madame Ango Ela, son budget est abondé par une somme forfaitaire prélevée sur tous les contrats d’assurance. En 2012, quelque 57 nouvelles personnes ont sollicité ce fonds en vue d’être indemnisées. Depuis 1986, il a attribué une dotation globale en indemnisations individuelles d’un montant de plus de 93 millions d’euros.

Cette somme montre l’importance de son action, même si elle est bien évidemment dérisoire au regard de la souffrance et des dommages vécus par les victimes. Elle montre également, comme l’ont relevé plusieurs d’entre vous, que ce commerce de la prise d’otages est devenu absolument infernal. Nos compatriotes sont exposés non seulement sur le territoire national, mais également à l’étranger, à devenir des monnaies d’échange. Une prise d’otages, c'est un acte de guerre en temps de paix ! Des personnes sont arrachées à leurs proches, à elles-mêmes et servent d’objets de négociations.

Comme le rappelait M. Marseille, les familles souffrent aussi de la difficulté qu’a le Gouvernement à les informer quant à la situation de leurs proches. Il est toujours extrêmement délicat de rendre publiques, ou simplement de partager, des informations qui peuvent mettre en péril les otages. L’insatisfaction est donc forcément grande.

Par ailleurs, les familles ont le sentiment que les procédures mises en œuvre ne sont pas forcément diligentes et que les informations en provenance de l’autorité judiciaire ne sont pas suffisantes. Pourtant, il existe à la section antiterroriste un magistrat référent pour les victimes d’actes terroristes, et des rencontres régulières sont organisées. Les familles ont néanmoins le sentiment d’un manque de célérité, d’information, de précision.

En outre, lorsque des informations – et elles ne sont pas forcément fiables – sont données par les médias, les familles ont le sentiment que ces derniers sont mieux informés que l’autorité judiciaire, que les journalistes vont plus vite que les magistrats. La plupart du temps, ce sentiment n’est pas fondé, mais on peut comprendre leur douleur et leur empressement à obtenir la moindre bribe d’information – une difficulté qui ne fait qu’accroître la souffrance que vivent ces familles. Les CIVI, qui sont implantées dans chaque tribunal de grande instance, indemnisent les victimes d’infractions pénales.

Je le dis d’emblée, le Gouvernement est favorable à votre proposition de loi, madame Lepage, parce que la démarche qui la sous-tend est incontestablement judicieuse et bénéfique. Toutefois, se pose la question des victimes, qui a d’ailleurs été soulevée par M. Kaltenbach, sur laquelle il nous apportera certainement, dans le rapport d’information qu’il doit rendre avec M. Béchu, des éléments d’analyse et des propositions.

Cette question est à la fois complexe et pressante : elle nous pousse à mettre à plat les dispositifs qui ont été élaborés et modifiés au fil du temps et qui ne répondent pas de façon complète et vraiment satisfaisante aux différentes situations auxquelles nous sommes confrontés.

Pour articuler les actions des différents ministères, puisque – vous le savez – l’État est présent au sein du FGTI par l’intermédiaire de quatre ministères, nous avons, depuis quelque mois, décidé de collaborer au niveau interministériel en amont des réunions de ce fonds.

Je rappelle que le FGTI a été créé dans un cadre juridique destiné à prendre en compte les victimes, grâce – il faut le dire – à l’allant d’un certain nombre d’associations, notamment de SOS Attentats. Cette association, à l’origine de laquelle se trouve Mme Rudetzki, est extrêmement active, mais également très exigeante s’agissant du fonctionnement du FGPI. L’époux de Mme Rudetzki, aujourd'hui décédé, a d'ailleurs participé à la mise en place du fonds et à son fonctionnement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez interrogée et parfois même alertée sur le fonctionnement du FGTI. Ce dernier a fonctionné ; il a répondu à des besoins.

Monsieur Marseille, grâce à l’initiative prise au niveau de l’État, notamment du ministère de la justice, les familles d’otages peuvent désormais voir leur préjudice spécifique reconnu et, ainsi, solliciter une indemnisation. Monsieur le sénateur, je m’engage bien entendu à prendre contact avec l’épouse de M. Dol et à l’accompagner de façon très active dans la recherche d’une activité professionnelle rémunérée. Cela dit, en l’état actuel des dispositions que nous avons fait adopter par le FGTI, celle-ci peut d’ores et déjà prétendre à la reconnaissance de son préjudice spécifique et donc à une indemnisation en tant que membre de la famille d’un otage.

Grâce à la procédure de la saisine directe et la possibilité qui lui est offerte de verser des provisions et des indemnisations, le FGTI apporte un réel service. Dans ces conditions, si nous sommes attentifs et réceptifs à toutes les interpellations concernant le fonctionnement de ce fonds, nous examinerons ces demandes avec prudence, de façon à ne pas fragiliser ce dispositif, qui a montré son efficacité.

Je le répète, les associations de victimes sont extrêmement actives. J’ai parlé de SOS Attentats, mais j’aurais pu citer la FENVAC, la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, l’Association française des victimes du terrorisme, ou AFTV, Otages du monde… Ces associations font entendre les besoins des victimes, portent haut leur voix et, lorsqu’elles ont l’occasion de le faire, expriment, souvent avec beaucoup d’amertume – on peut le comprendre – leur insatisfaction, leur mécontentement, leur inquiétude, leurs attentes. Nous les écoutons avec la plus grande attention et nous prenons des dispositions pour leur apporter des réponses.

La présente proposition de loi constitue l’une de ces réponses. Elle permet d’engager le travail d’harmonisation qui nous permettra de traiter avec plus de justice les victimes d’attentats et leurs parents. Le Gouvernement la soutient donc avec beaucoup de force. Cependant, comme plusieurs sénatrices et sénateurs l’ont déclaré, y compris Mme Lepage et Mme la rapporteur, il reste du travail à accomplir, et nous devons encore avancer.

Sur la question des victimes en général, M. Kaltenbach et Mme Ango Ela m’ont interpellée sur des points très précis.

Monsieur Kaltenbach, vous m’avez interrogée sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive, que nombre d’entre vous semblent impatients d’examiner, y compris, du reste, ceux qui ne souhaitent ni en débattre ni le voter…

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