Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 9 octobre 2013 à 22h00
Radio france europe — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mieux faire connaître à nos concitoyens la vie quotidienne, politique, économique, sociale, sportive, festive, culturelle de chacun de nos vingt-six partenaires de l’Union européenne, faire vivre davantage cette « idée européenne », développer la conscience européenne des plus de cinq cents millions d’Européens et donc leur adhésion à ce beau projet est un souci que nous ne pouvons que saluer, et plus encore à la veille d’une campagne électorale qui risque, de nouveau, d’être bien discrète dans de nombreux pays de l’Union.

Pour autant, tout est-il évident ? Malheureusement non ! Et je me demande si la création d’une nouvelle radio, dans un paysage radiophonique déjà saturé, est bien la solution.

La question du financement d’une telle radio se pose d’emblée. La proposition de résolution est muette sur les sources complètes de financement de RFE. En effet, n’est évoqué que le souhait d’une subvention de l’Union européenne prenant en charge 50 % du coût de sa création.

Nous connaissons tous le contexte budgétaire extrêmement contraint auquel la France est obligée de faire face. Dès lors, est-il sincèrement raisonnable d’envisager de donner la priorité à la création d’une nouvelle radio amputant les ressources de l’audiovisuel public ?

Sans faire de mauvais esprit, il ne me semble pas qu’une telle initiative aille dans le bon sens ; j’en suis d’autant moins convaincue au regard des quinze mesures présentées par les membres UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale la semaine dernière afin de réaliser 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2014.

Au-delà de la question cruciale du financement, la mise en œuvre opérationnelle d’une telle radio pose aussi des difficultés.

En effet, la première hypothèse est de concevoir RFE comme un service additionnel au sein du groupe Radio France. Une modification du cahier des charges de ce dernier nécessiterait alors des ajustements éditoriaux des antennes, France Inter, France Info et France Culture accordant déjà une place importante aux questions européennes. Or il est fort à craindre que ces ajustements ne soient difficilement acceptables.

La seconde hypothèse est la création d’une station autonome par rapport à Radio France. Mais dans ce cas, elle ne jouirait assurément pas d’une notoriété suffisante pour lui permettre de toucher un public important. C’est pourtant à la condition de bénéficier d’un nombre d’auditeurs suffisant qu’elle pourrait mener à bien son objectif de sensibilisation de l’opinion à l’idée européenne.

Par ailleurs, l’autre difficulté technique réside dans la rareté des fréquences FM, en particulier dans les grandes agglomérations. Dans ces conditions, comment envisager la création d’un réseau de stations de radio FM couvrant une partie substantielle de la population ? L’alternative serait alors qu’un tel projet prenne la forme d’une web radio. Je suis certaine, en effet, que M. Bernard-Reymond et les signataires de la présente proposition de résolution n’envisagent pas un instant de remplacer un service existant de Radio France !

Au-delà même de ces considérations financières et techniques, la pertinence de ce projet se pose essentiellement en termes d’opportunité pratique. Il suffit, en effet, de consulter les programmes déjà proposés par le service public audiovisuel pour s’apercevoir qu’une meilleure connaissance mutuelle des nations européennes fait déjà partie des objectifs qu’il poursuit.

ARTE d’abord, dont l’acronyme, rappelons-le, signifie « Association relative à la télévision européenne », a pour mission principale, telle que prévue dans son contrat de formation du 30 avril 1991, « de concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser […] des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international […] propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples ».

D’ailleurs, plus de 85 % des programmes diffusés sur cette chaîne sont d’origine européenne et ses émissions d’information consacrent en moyenne sept à huit heures de programmes par semaine à l’Europe. À cet égard, Yourope, magazine diffusé chaque samedi, permet de découvrir la diversité des cultures européennes mais aussi l’unité qui transcende ces différences.

De surcroît, la chaîne franco-allemande s’est, par exemple, très fortement mobilisée à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, en diffusant trois jours de programmation spéciale à l’antenne les 20, 21 et 22 janvier dernier, et en organisant un forum sur la relation franco-allemande à Strasbourg les 5 et 6 avril 2013.

L’année 2014 sera marquée, sur l’ensemble des antennes du service public, par la commémoration du centième anniversaire de la Grande Guerre – il faut connaître son histoire pour construire l’avenir –, tandis que les élections européennes seront l’occasion pour ARTE, notamment, de renforcer dans sa grille les programmes présentant la réalité de la vie quotidienne dans les autres pays de l’Union européenne.

Enfin, pour en terminer avec ce premier exemple, rappelons-nous que la chaîne franco-allemande avait initialement vocation à s’étendre à d’autres pays. Mais ce projet n’a pas abouti...

Outre ARTE, il nous faut évoquer France Télévisions, dont le cahier des charges prévoit que cette société « s’attache à intégrer la dimension européenne dans l’ensemble de ses programmes […] ; dans des émissions spécifiquement consacrées à l’Europe […] ; dans les journaux et magazines d’information ». Ce même document dispose surtout : « Afin de renforcer les liens entre les citoyens européens, elle diffuse des reportages ou des témoignages sur les modes de vie, les pratiques culturelles et les modèles socio-économiques de nos voisins ». Je ne donnerai qu’un seul exemple : le magazine européen de France 3 intitulé Avenue de l’Europe.

La radio publique n’est pas en reste : Radio France, qui est, de surcroît, le premier groupe radiophonique français, envisage comme prioritaire sa contribution aux problématiques européennes. Cette préoccupation est d’ailleurs inscrite dans le contrat d’objectifs et de moyens 2010-2014, qui précise que « Radio France souhaite renforcer son rôle de vecteur de l’identité européenne » et met en place un indicateur de suivi sur cette même période. Je ne citerai là encore que quelques émissions du groupe : C’est en France, c’est en Europe ; l’Europe au quotidien ; Micro européen, sur France Info ; Allô, l’Europe ?, I like Europe, sur France Inter ; Tous Européens ou L’Europe vue d’ici, sur France Bleu.

J’en viens, pour terminer, à Radio France Internationale. Certes, elle s’appelle non pas « RFE », mais « RFI ». Pourtant, dans le « i » de l’adjectif « internationale » il y a bien, si je puis dire, le « e » du mot « Europe » ! C’est une évidence ! RFI, ce n’est pas seulement l’Afrique ; cette radio remplit déjà de façon remarquable la mission de promotion de connaissance mutuelle des citoyens de l’Union européenne, au travers d’abord de ses nombreux correspondants dans toute l’Union européenne, ensuite de ses partenariats avec des médias européens, enfin de ses très nombreuses émissions.

Que dire du magazine Accents d’Europe, qui a pour vocation d’évoquer tous les aspects de la vie des Européens avec les correspondants de RFI, de la RTBF et de la RTS ? Il traite de la vie quotidienne, de l’environnement, de la politique et de l’immigration en Europe.

Chaque semaine, l’émission Carrefour de l’Europe vise à mieux appréhender l’Europe en crise, mais aussi en construction. Pour ce faire, elle propose des rubriques, des commentaires, reçoit des invités et offre des regards croisés suivis d’un débat sur l’actualité européenne.

Dans l’émission Bonjour l’Europe, c’est un correspondant de RFI en Europe, qui, chaque jour, raconte la société de son pays. On y parle tout autant de l’abolition de la chasse à courre par les Britanniques que de la légalisation de l’euthanasie active par les Belges, ou encore de ce très mauvais projet, vous en conviendrez, mes chers collègues, de suppression du Sénat par les Irlandais. §

Je citerai encore une autre émission, Allô Bruxelles, durant laquelle un invité répond aux questions de RFI sur la vie quotidienne de près de cinq cents millions d’Européens, sur les événements majeurs politiques, économiques et sociétaux de leur destin partagé.

J’évoquerai encore la toute nouvelle coproduction entre RFI et France 24, l’émission Ici l’Europe, au cours de laquelle se déroule un entretien avec une personnalité européenne pendant lequel sont évoqués la construction de l’Europe, sa proximité avec les citoyens et les enjeux internationaux qui l’attendent.

Voilà un rapide florilège des émissions destinées à renforcer le sentiment européen que diffuse déjà RFI.

La semaine dernière, vous nous avez assuré, madame la ministre, que l’ouverture de la diffusion de RFI dans plusieurs villes françaises allait se poursuivre. Nous devons, me semble-t-il, nous orienter vers cette option pour faire vivre véritablement « l’idée d’Europe ».

En effet, le service public audiovisuel est assurément bien moins coûteux et bien plus efficace que le projet Radio France Europe pour favoriser une meilleure connaissance mutuelle des peuples européens. Au-delà de la bénéfique complémentarité de la radio et de la télévision dont dispose le service audiovisuel public, sa notoriété, son niveau d’audience, mais aussi sa capacité à toucher tous les publics sont autant d’atouts que n’aura pas, avant bien longtemps, une nouvelle radio, qui ne pourra pas, qui plus est, disposer d’un budget non négligeable.

L’idée de créer une radio européenne semble séduisante, je le conçois bien volontiers, mais, après étude, elle s’avère être une fausse bonne idée.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les membres du groupe socialiste ne voteront pas la présente proposition de résolution.

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