Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, près d’un an après la tenue des états généraux de la démocratie territoriale, il faut sans doute se réjouir que le législateur trouve enfin le temps, au milieu d’un ordre du jour herculéen, de discuter de ce qui nous a été présenté comme une avancée majeure, pour ne pas dire prométhéenne, pour les élus locaux. Hasard du calendrier ? La tenue prochaine du 96e Congrès des maires n’y est certainement pas non plus pour rien...
Mes chers collègues, je ne réciterai pas la litanie maintenant bien connue du foisonnement normatif qui étouffe nos collectivités locales, handicape la compétitivité de nos entreprises et freine le développement économique des territoires. Tout cela a déjà été dit et relève malheureusement désormais du truisme.
En tout état de cause, je ne peux manquer de relever que ce diagnostic consensuel n’a pas empêché que la naissance du conseil national d’évaluation des normes ne se produise dans une certaine confusion. C’est le moins que l’on puisse dire !
Nous avons ainsi été amenés à discuter de ce sujet au travers de pas moins de trois textes différents, produisant autant de versions de cette instance : la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé relative à la simplification des normes, le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale, faisant du CNEN dans la version des députés une formation du Haut Conseil des territoires, et le présent texte. Étrange paradoxe, qui n’aurait pas déplu à Kafka, qu’il faille tant de complexité pour légiférer sur la simplification ! En la matière, il faut reconnaître que les propositions de loi de notre collègue député Éric Warsmann avaient ouvert la voie.
Pour le reste, je rappellerai le scepticisme qui était le nôtre devant le texte issu des travaux de la commission des lois du Sénat en première lecture. Nous avions en particulier relevé, par la voix de Jean-Pierre Plancade, l’articulation assez hétérodoxe de l’intervention de ce conseil national avec le droit d’amendement des parlementaires, au risque de jeter le trouble sur le droit absolu pour tout parlementaire de proposer un amendement, sous réserve des prescriptions énoncées à l’article 45 de la Constitution et des dispositions des règlements de nos deux assemblées.
S’agissant des parlementaires, le droit de saisine n’a été maintenu que pour les propositions de loi, sous réserve de l’accord de leur auteur. J’appelle toutefois l’attention du Sénat sur la nécessité de ne pas multiplier ces saisines préalables d’instances consultatives. L’article 39, alinéa 5 de la Constitution autorise ainsi la saisine pour avis du Conseil d’État sur des propositions de loi. Le Parlement ne doit bien sûr pas rester enfermé dans une tour de verre : tout éclairage avant décision est utile. Toutefois, il ne doit pas non plus être dépossédé de son pouvoir d’agir en opportunité qui découle de sa fonction de représentant de la nation.
Une fois n’est pas coutume, nous approuvons les différentes modifications votées par l'Assemblée nationale, celles qui portent sur la suppression de la saisine du CNEN en matière d’amendements comme celles qui concernent le strict respect du pouvoir réglementaire autonome du Premier ministre, qui relève des dispositions de l’article 21 de la Constitution et du cadre délimité par le Conseil constitutionnel.
J’en viens à la proposition de loi organique. Au-delà de son utilité purement technique, il nous semble bien sûr important que les parlementaires disposent d’une information la plus exhaustive possible au moment de délibérer. Pour autant, cette disposition ne trouvera toute son utilité que si le Parlement dispose de conditions de débat sereines, en particulier en termes de calendrier. L’expérience des derniers mois a montré que le flux ininterrompu des textes imposait des conditions de travail difficiles, peu propices à la réflexion et à la prise de hauteur inhérentes au Sénat. Ce qui est en jeu ici, c’est bien la qualité des lois que nous produisons.
Madame la ministre, mes chers collègues, les élus locaux, les agents économiques et l’ensemble des citoyens sont tous, à leur niveau, concernés par la logorrhée normative dont notre pays s’est fait une spécialité. La création du CNEN constitue évidemment un progrès réel, dans la mesure où il sera appelé à se prononcer à la fois sur le stock et sur le flux de normes en assurant une réelle publicité à ses avis.
Nous savons, madame la ministre, que vous avez à cœur d’agir pour alléger, simplifier et rationaliser les normes et, plus largement, l’action publique qui est au cœur du pacte républicain. Pour « arrêter la logorrhée normative » et « couper les branches de l’arbre à palabres » – je reprends vos propos –, nous serons toujours derrière vous.
Aussi, nous voterons ces deux textes, non pas sous les réserves d’usage, mais eu égard aux observations que nous venons de formuler. §