J’y ai trouvé quelques éléments de nature à nous rassurer : ici, on s’élève contre les règles de clôture des champs, là, on les défend ! Ici, on peste contre les règles qui empêchent la culture du blé au profit de la pomme de terre, laquelle véhiculait à l’époque toute une série de maladies. Si l’on s’intéresse à l’industrie, on voit que les drapiers de Lyon en appellent aux « sages règlements », quand ceux de Rouen préfèrent une diplomatie brutale : pour sauver leur prospérité, ils en appellent à la rupture de toute communication avec l’Angleterre, « cette Nation jalouse de la prospérité de la France et qui ne cherche que les moyens de l’épuiser ».
À nous de trouver le chemin du bon sens ! Tout en soutenant cette proposition de loi et en nous mobilisant pour sa réussite, il nous faut aussi réfléchir aux raisons qui aboutissent à cette inflation normative, afin que nous puissions aussi verser dans la prévention.
Je citerai rapidement deux catégories de raisons.
Il y a, tout d’abord, des raisons institutionnelles : l’inflation législative – lorsque nous produisons des lois et des textes, il est important de ne pas abandonner cet élément fondamental de liberté qui s’appelle la codification, et qui est quelque peu tombé en désuétude aujourd’hui – ; la déviation de la loi, spécialement sa fonction de réponse à l’instant ; la faiblesse du contrôle parlementaire ; l’autonomie réglementaire ; le phénomène bureaucratique – de mauvaises langues ont pu estimer parfois que l’on substituait la dépense limitée à la production exagérée de règles – ou encore l’atomisation du pouvoir prescriptif.
Il y a, ensuite, des raisons de comportement. L’absence de transversalité dans l’organisation de l’État est un point très sensible, qui cause beaucoup de dégâts – c’est un vaste sujet, que nous aurons l’occasion d’aborder lors du prochain texte sur la décentralisation. Si je suis très attaché aux lois de 1981 et 1982, il ne faudrait pas que ces lois emportent la fonction de transversalité, notamment du préfet. Je pense aussi à la demande sociale, bien évidemment, à la prééminence du contraignant sur l’indicatif, ou encore à l’esprit de suspicion, à la précaution.
L’évocation de ces différents points nous fait apercevoir les conditions de l’efficacité de cette structure que nous mettons en place, qui résident dans l’association étroite, constructive et confiante entre les élus, les praticiens du terrain et les créateurs.
Le pacte de confiance et de solidarité entre l’État et les collectivités territoriales doit s’enrichir de belles pages.
Madame la ministre, j’ai été très heureux de constater que, lors de sa dernière séance, le Comité des finances locales n’a pas manqué de se pencher sur cette question des normes. Au titre de la simplification, il a été rappelé que le Gouvernement s’était engagé à parfaire l’association des collectivités territoriales, à mettre en œuvre un moratoire et à respecter le principe de proportionnalité.
Madame la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, les dix-huit propositions du rapport de notre collègue Claude Belot restent aussi comme autant de lignes conductrices. Je citerai plus spécialement la onzième : « Dresser l’inventaire des domaines dans lesquels la normalisation pourrait prendre, dans le respect de la loi et sur la base d’un texte, la forme d’accords entre les différentes parties prenantes. »
Pour avoir observé, à votre invitation, madame la présidente de la délégation sénatoriale, la séance de la Commission consultative d’évaluation des normes du 1er octobre 2013, je reste convaincu que c’est un préalable incontournable.
J’ai évoqué l’esprit de suspicion ; il est éternel. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage du rapport de la commission supérieure de contrôle de l’exposition internationale de 1937 : « Il n’est aucun fonctionnaire, quelles que soient sa force de caractère et l'étendue de sa compétence, qui puisse gérer un service public avec le même soin qu’un patrimoine privé si son action n'est enfermée, limitée par un réseau de règles précises dont l’observation écarte tout arbitraire et facilite la vigilance du contrôle. » Les mêmes mots auraient pu être écrits à propos des élus.
Je voudrais enfin remercier à mon tour les auteurs de cette proposition de loi, Mme Gourault et M. Sueur, ainsi que toutes celles et tous ceux qui s’impliquent, fort opportunément, dans ce travail, en espérant que nous échappions grâce à eux à l’épreuve de Sisyphe.