L’article 35 B institue une nouvelle compétence obligatoire pour les communes en matière de gestion des milieux aquatiques – comprenant l’entretien des cours d’eau, la protection et la restauration des écosystèmes aquatiques – et de prévention des risques d’inondation.
Ce transfert vers les communes n’est pas anodin. Certes, le constat a été dressé de la nécessité, sur certains territoires, d’une clarification des compétences et des responsabilités dans ce domaine, comme préconisé par la mission commune d’information sur les inondations dans le Var et dans le sud-est de la France. La dilution des responsabilités peut effectivement nuire à l’efficacité dans la prévention des inondations. De même, le Comité national de l’eau appelait de ses vœux une clarification des attributions en matière de gestion de l’eau dans le milieu naturel.
Néanmoins, créer une compétence obligatoire sur des domaines aussi vastes et aux contours aussi flous doit s’accompagner d’une grande prudence. Ce dispositif opère en effet un désengagement de l’État, laissant aux seules collectivités locales la charge considérable de la gestion des risques d’inondation, alors que les enjeux – départementaux, nationaux et internationaux – dépassent très largement le cadre du territoire et que la gestion du domaine public fluvial est souvent altérée par des aménagements hydrauliques d’importance nationale.
Compte tenu de la complexité du domaine concerné, d’un point de vue tant technique que juridique, des dynamiques actuellement engagées sur le terrain, des enjeux en termes de sécurité publique et des échéances associées – je pense à la directive-cadre sur l’eau, par exemple –, il est indispensable de disposer d’un projet clair, lisible et cohérent qui réponde effectivement aux besoins et aux problèmes posés, de ne pas faire table rase de l’existant, en prenant en compte la diversité des configurations et contextes locaux, enfin de ne pas désorganiser brutalement le dispositif mis en place depuis vingt ans dans le cadre de la dynamique créée par la loi sur l’eau de 1992 et la loi Barnier de 1995.
Il convient aussi d’analyser finement la portée des nouveaux dispositifs – notamment leur articulation avec un certain nombre de fondements juridiques ancestraux et fondamentaux –, ainsi que les conséquences de leur mise en œuvre.
Les nouvelles compétences obligatoires ne sont abordées que de manière très générale.
Pour être lisible, le projet de loi se doit d’apporter des réponses aux questions suivantes : quels sont les objectifs et les niveaux d’exigence liés aux nouvelles compétences ? Quels sont les prestations et les résultats attendus et quelles sont les responsabilités associées ? Ces compétences sont-elles assorties d’une obligation de résultat, et si oui laquelle ?
Les compétences obligatoires portent sur des domaines très vastes qui dépassent largement le seul cadre de l’entretien des cours d’eau non domaniaux et de la gestion des ouvrages hydrauliques de protection existants.
Par ailleurs, comment les nouvelles obligations des collectivités s’insèrent-elles dans le corpus juridique préexistant ? Que deviennent, dans le nouveau dispositif, les associations syndicales autorisées de propriétaires ayant pour objet l’entretien des cours d’eau ? Que deviennent les obligations des propriétaires riverains des cours d’eau en matière d’entretien de ceux-ci, dispositions contenues anciennement dans le code rural et aujourd’hui dans le code de l’environnement ? Que deviennent les dispositions de la loi de 1807, qui sont le socle de notre actuel dispositif juridique quant aux obligations des propriétaires en matière de protection contre les risques hydrauliques, qu’il s’agisse de l’érosion ou des inondations ? Comment cette nouvelle compétence et les obligations sous-tendues s’articulent-elles avec les obligations d’autres acteurs, comme les propriétaires particuliers et les gestionnaires d’infrastructures ? En quoi et comment cette compétence obligatoire modifie-t-elle la responsabilité juridique des collectivités territoriales en cas d’inondation ? La modification intervenue dans la rédaction de l’article 35 D, qui limite la responsabilité des gestionnaires de l’ouvrage à l’obligation de respect des règles légales et réglementaires, n’écarte pas cette interrogation.
En définitive, rien ne permet de se convaincre de la cohérence juridique globale du dispositif législatif dans les deux domaines visés, tel qu’il va résulter de l’assemblage hétéroclite de mesures nouvelles et de dispositions plus anciennes.
Il convient de rappeler que les deux domaines de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations sont actuellement en pleine évolution du fait d’exigences réglementaires accrues. Le décret de décembre 2007 impose ainsi aux gestionnaires des ouvrages hydrauliques des obligations extrêmement lourdes qui vont rapidement exiger un décuplement des moyens financiers par rapport à leur niveau actuel.
Il en est de même dans le champ de la restauration des milieux aquatiques, compte tenu des engagements pris par la France au titre de la directive européenne.
De fait, les dépenses publiques afférentes à ces domaines sont appelées à croître dans des proportions considérables.
S’agissant de compétences désormais obligatoires, les collectivités territoriales pourraient ne plus bénéficier d’aucun soutien financier de l’État, et des dispositifs comme les programmes d’action de prévention des inondations, les PAPI, seraient logiquement appelés à disparaître. En effet, au titre des actuels PAPI, l’État refuse par principe de financer les opérations relevant des compétences obligatoires des communes, comme les plans communaux de sauvegarde, les PCS.
Il est également permis de s’interroger sur la pertinence des bases sur lesquelles sont établies les analyses financières. Une étude portant sur le département de la Savoie, effectuée sur la base des ratios retenus, fait apparaître un coût de 125 euros par an et par habitant, soit plus de six fois le plafond de la taxe prévue à cet effet.
Cette approche macroscopique a pour seul but de montrer que la question du financement des travaux de prévention des inondations est bien plus complexe que ce qui est présenté à travers les documents justifiant le projet.
Au total, ce système constitue une avancée dans l’organisation de ces deux compétences, mais soulève de nombreuses interrogations.