Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 6 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Sécurité civile

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système de protection civile obtient dans l'ensemble de bons résultats. Il le doit essentiellement à la compétence et au dévouement sans faille de ceux qui, du plus haut gradé au simple sapeur, qu'ils soient volontaires ou professionnels, sont chargés de sa mise en oeuvre opérationnelle. Leur rendre hommage est un exercice sincère mais obligé auquel je sacrifie bien volontiers.

Ce système pourrait être meilleur encore si, comme je le préconise depuis des années, il était nationalisé, c'est-à-dire si était enfin créé un grand service national de la protection civile qui assurerait une meilleure coordination et - c'est peut-être plus important encore - une plus grande sécurité juridique pour les présidents des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, voire pour les présidents des conseils généraux. Un jour viendra forcément où, à la suite d'un accident grave, le président d'un SDIS se retrouvera devant un tribunal pour ne pas avoir équipé assez vite les services de son département d'une grande échelle, ou d'une plus grande échelle, ou de je ne sais quel autre engin, alors même que les documents approuvés par le préfet le préconisaient.

Cette proposition d'établir un service à l'échelon national a été étudiée par plusieurs ministres de l'intérieur ; elle a finalement toujours été repoussée, pour des raisons uniquement budgétaires. Je la rappellerai dès que l'occasion s'en présentera afin de maintenir la flamme - si je peux employer cette expression sur un tel sujet.

Avant le grand soir de la protection civile, monsieur le ministre, je me contenterai donc de vous interroger sur des sujets moins ambitieux, très concrets, et dont la solution permettrait aux services de mieux fonctionner.

La loi du 13 août 2004 a bien recadré les objectifs de la protection civile en clarifiant théoriquement le rôle de chaque acteur dans les différentes situations rencontrées sur le terrain. Il demeure que de nombreuses dérives, encore que le terme soit peut-être un peu fort, sont constatées dans nos départements.

J'évoquerai trois aspects.

Tout d'abord, premier aspect, les nouveaux risques liés au terrorisme ont fait glisser les missions NRBC - nucléaire, radiologique, biologique, chimique - vers les services d'incendie et de secours départementaux, dans le cadre d'une politique nationale de protection des populations contre ces risques, et des matériels spécifiques - tentes de décontamination, tenues appropriées, appareils de détection ou de décontamination - ont été attribués à certains SDIS par une convention avec l'État, ce dont je me félicite. C'est notamment le cas dans mon département.

Cependant, la formation correspondant à la mise en oeuvre de ces nouveaux outils, les recyclages à venir, les moyens de transport de ces unités mobiles de décontamination, sont intégralement à la charge des SDIS, ainsi que, surtout, les frais d'entretien et de stockage de ces matériels. L'étude du conditionnement de ceux-ci se fait par recherche de renseignements mutuels entre SDIS concernés. La péremption des produits nécessite leur renouvellement, qui doit être également assuré par les sapeurs-pompiers. Des moyens en personnels et en locaux ainsi que des moyens de transport sont sollicités au détriment des missions de base spécifiques. Il est donc nécessaire, pour cette action relevant de l'échelon national, que l'État participe plus fortement à rendre les nouveaux outils encore plus performants, notamment par leur capacité à se regrouper.

Comprenez bien, monsieur le ministre : je ne suis pas en train de pleurnicher sur les moyens des SDIS, je m'inquiète seulement de leur capacité à regrouper ces moyens, et à le faire vite. Il est évident que, si devait se produire en un lieu du territoire national un accident, chimique par exemple, il serait intéressant que l'on puisse y concentrer les moyens de cinq, de dix départements au moment voulu. Or, je constate dans mon département que les moyens, notamment les moyens de transport, ne sont pas à la hauteur d'une telle exigence.

Ensuite, deuxième aspect, le secours aux personnes occupe une place prépondérante dans les finances et dans l'activité de nombreux SDIS ; il représente plus de 60 % des interventions dans mon département et, je crois, dans la majeure partie des départements !

Même si la reconnaissance des carences des ambulanciers privés est appliquée - car c'est là le fond du problème -, elle reste limitée à un nombre forfaitaire d'interventions sanitaires. En effet, la régulation médicale du SAMU est seule garante du choix de la carence ou non. Elle considère que, si elle n'a pas procédé à une demande préalable de déplacement d'un ambulancier privé ayant entraîné un refus, la carence n'est pas avérée. Ainsi, bon nombre des carences effectives recensées par le SDIS ne sont pas reconnues comme telles et ne sont donc pas indemnisées par le centre hospitalier. Il en résulte pour les SDIS un coût net élevé, en augmentation constante, dans la mesure où la demande est elle-même croissante : dans mon département, une quarantaine d'interventions pour carence sont recensées chaque mois.

Qui plus est, la carence reconnue entraîne un remboursement de 90 euros par déplacement, bien inférieur au coût réel. En effet, les pompiers ne se déplaçant pas à moins de trois, celui-ci est de l'ordre de 300 à 400 euros. Cette situation est d'autant plus inadmissible que les ambulanciers privés perçoivent, en plus des 90 euros par intervention, une somme forfaitaire de 346 euros par permanence, qu'ils interviennent ou qu'ils n'interviennent pas. Encore heureux quand, incapables d'effecteur correctement leur mission, par exemple pour un malade lourd, en étage sans ascenseur, ils ne font pas appel aux pompiers dès leur arrivée sur place, ce qui augmente d'autant le coût supporté par les services !

Une solution consisterait dans un remboursement direct des SDIS par la sécurité sociale, sans passer par cette validation à sens unique, mais sur le même mode que le secteur privé. Cependant, les caisses d'assurance maladie, à la recherche d'économies, ont déjà refusé cette possibilité. C'est encore une sollicitation supplémentaire pour les SDIS, et les interventions pour secours à personne restent à la hausse. Il n'est cependant pas convenable de continuer à faire peser des dépenses manifestement hospitalières sur les collectivités locales. Je vous interroge, monsieur le ministre, afin que vous puissiez par la suite proposer des solutions à cette situation, qui devient d'autant plus inacceptable que les interventions mobilisent des moyens de secours pendant des durées parfois longues, au détriment de la couverture des risques pour laquelle les SDIS sont organisés.

Troisième et dernier aspect, le programme ANTARES, qui est relatif, comme chacun sait, à la mise en place d'un réseau numérique de transmissions spécifique à tous les services de sécurité, représentera un progrès technique incontestable ; toutefois, si nous tardons trop à le mettre en place, le risque est grand que nous ne soyons dépassés par l'évolution technologique.

L'un des objectifs du programme est l'interopérabilité des réseaux entre les SDIS et les services de sécurité - SAMU, police, gendarmerie - relevant de la compétence de l'État en matière opérationnelle et en matière de coordination des secours. Cependant, sa mise en oeuvre, si elle s'appuie sur le réseau ACROPOL de la police et sur la fourniture des infrastructures complémentaires par l'État, est une énorme charge supplémentaire pour les SDIS. Elle implique en effet le renouvellement complet des matériels informatiques et électroniques liés aux réseaux de transmission et de diffusion de l'alerte, ce qui, pour prendre l'exemple de mon département, devrait représenter une dépense de plus d'un million d'euros, hors frais d'installation.

Certes, les frais d'entretien du réseau devraient être partagés entre les services. Nous attendons de voir ! De toute façon, s'agissant d'une dépense obligatoire pour les SDIS en raison du changement de la bande de fréquence et de la disparition prochaine de la technologie analogique actuelle, un effort supplémentaire et soutenu dans le temps de la part de l'État me semble indispensable. On peut se référer sur ce point aux craintes exprimées par le rapporteur spécial de la commission des finances. Et je n'évoquerai que pour mémoire les dépenses considérables et la débauche d'énergie qui nous sont imposées pour le risque, qui me semble très hypothétique - il est vrai que je ne suis pas médecin - de grippe aviaire.

En conclusion, si les SDIS, gestionnaires des sapeurs-pompiers, sont partie intégrante de la sécurité civile et bénéficient de l'effet de masse et de la meilleure répartition territoriale, on peut cependant s'interroger sur leurs capacités futures à répondre à toutes les sollicitations opérationnelles qui sont à la limite de leurs missions légales.

Les besoins financiers et les efforts de formation et d'adaptation permanents que nécessite cette multiplicité de missions supplémentaires viennent alourdir les budgets des SDIS et donc les contributions des collectivités, qui ne sont pas proportionnelles aux risques constatés.

C'est là, monsieur le ministre, que je me prends à rêver d'urgence d'un service national de la protection civile, retrouvant ainsi mon point de départ, avant peut-être, comme le proposait Mme Gourault ce matin, que nous n'établissions un service européen de protection civile. Si nous pouvions commencer par l'échelon national, ce serait déjà bien !

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