Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 6 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'attacherai, dans mon intervention, à commenter ces deux volets importants de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales » que constituent respectivement la pêche et la forêt.

J'évoquerai tout d'abord la situation de la pêche.

La pêche française traverse une crise profonde à laquelle aucune réponse n'est apportée, comme le confirme la faiblesse du budget d'intervention pour 2006.

En effet, la politique de la mer enregistre une baisse de 1, 13 % des crédits, ceux-ci s'élevant seulement à 32 millions d'euros. Comment s'en contenter, si l'on veut prendre des mesures concrètes pour faire des économies d'énergie et élaborer un plan de sortie de flotte ? La mobilisation de fonds communautaires ne suffira pas à la modernisation nécessaire de ce secteur et ne justifie en aucun cas le désengagement de l'État.

N'oublions pas que cette activité représente plus de 20 000 emplois en mer et 50 000 emplois induits. Elle constitue un pôle économique et culturel essentiel pour la France.

La nouvelle politique européenne de la pêche laisse à la Commission une maîtrise presque totale sur la gestion des flottes, la ressource et la commercialisation. Toutes les perspectives de gestion intégrée sont rejetées et les aides à la modernisation sont bloquées. De fait, on interdit ainsi l'installation des jeunes et on accélère les sorties de flotte, c'est-à-dire la cessation d'activité !

Au nom d'une politique de protection de la ressource et pour satisfaire les monopoles agro-alimentaires qui tiennent le marché, ce sont les pêcheurs de nos côtes qui sont sacrifiés. L'existence même de certains secteurs est remise en cause, comme la pêche à l'anguille, que la Commission prétend interdire. Cette dernière a également proposé, mercredi dernier, la prolongation de l'interdiction de la pêche à l'anchois dans le golfe de Gascogne pendant le premier semestre 2006, ainsi qu'une réduction de 15 % des prises de cabillaud.

C'est d'un contrôle beaucoup plus rigoureux de la pêche illicite, qui alimente les grandes fermes d'élevage nordiques, dont nous aurions besoin, et non d'une interdiction de la pêche des sujets adultes, que nous pratiquons et qui relève d'une gestion intégrée et de traditions spécifiques.

Mais il faudrait aussi parler du diktat européen sur la taille des espèces, totalement inadapté à notre biotope, et qui ignore tant les études scientifiques que l'autorégulation pratiquée par les pêcheurs.

La France va-t-elle enfin reprendre la main en Europe et entendre les instances professionnelles, qui demandent une véritable politique de gestion de la ressource, ainsi que la sauvegarde de l'emploi ? Les professionnels doivent être entendus dans le cadre de la réforme concernant la préservation de la ressource halieutique.

De plus, nous savons que les restrictions sur une ressource, voire sur plusieurs, entraînent automatiquement un report sur une autre ressource. Cela s'est passé, en octobre dernier, en Haute-Normandie. Les pêcheurs qui ne pouvaient plus pêcher le maquereau se sont réorientés vers la coquille, biologiquement saine, mais dont le marché est fragile. D'ailleurs, les tonnages conséquents de coquilles Saint-Jacques ont entraîné une baisse considérable des prix sur les criées des Côtes-d'Armor.

Le Conseil économique et social a rappelé qu' « une réduction de quotas brutale pouvant aller jusqu'à des interdictions totales peut avoir un effet définitif et condamner une flottille ou un port. Le retour du poisson associé à la perte des outils de production serait alors un paradoxe inacceptable. »

Si la question des ressources halieutiques est évidemment primordiale, il serait regrettable de casser des outils portuaires aux seuils d'équilibres économiques fragilisés, de perdre des savoir-faire et des équipages, alors que ces ressources sont, sous certaines conditions de bonne gestion, renouvelables.

Enfin, allez-vous également améliorer le dispositif « aléa carburant », qui exclut de fait 90 % de la flotte, pourtant durement touchée de ce point de vue ?

À l'heure actuelle, la hausse du carburant n'est pas intégralement compensée. Vous cherchez sans doute des solutions en collaboration avec le ministère des finances pour y remédier. Mais, monsieur le ministre, la situation est urgente : l'augmentation du fioul peut en effet représenter pour certains patrons pêcheurs 30 % à 40 % de leurs charges de fonctionnement.

Nous attendons beaucoup du plan d'avenir pour la pêche que vous devez présenter en 2006. Mais, en l'état actuel des choses, la politique que vous avez retenue dans ce domaine ne nous paraît pas satisfaisante.

J'en viens à la situation de la forêt.

La filière bois n'avait pas besoin de voir ses crédits diminuer de 5, 5 %. Vous semblez pourtant mesurer l'importance de ce secteur d'activité non seulement pour l'emploi, puisque vous notez dans le document budgétaire que près de 450 000 emplois sont concernés, mais aussi en termes de préservation de la biodiversité, de loisirs et de paysage.

Pourtant, tous les crédits sont en baisse par rapport à l'année dernière. Ainsi, les autorisations d'engagement et les crédits de paiement ont perdu 18 millions d'euros entre 2005 et 2006.

Prenons, par exemple, l'action « Développement économique de la filière forêt-bois ». Dans le cadre de la loi d'orientation agricole, nous nous étions tous accordés sur l'importance de valoriser la ressource « forêt » dans un cadre de gestion durable et d'utiliser pleinement le potentiel de production biologique des forêts françaises. Telle est d'ailleurs la double finalité de cette action n° 01. Or force est de constater que la politique budgétaire retenue ne permettra pas de remplir correctement ces missions.

D'autre part, le Gouvernement ne semble pas disposé à suivre les objectifs fixés par la loi d'orientation sur la forêt du 9 juillet 2001. Les besoins sont pourtant considérables. La liste d'attente pour le financement des pistes forestières est ainsi de plusieurs années. De même, la fermeture généralisée des gares de fret porte un coup très dur à la filière : 58 % seulement de l'accroissement naturel du bois sont récoltés !

La balance commerciale de la filière reste donc déficitaire, alors même que la demande ne cesse de croître, compte tenu de la hausse des tarifs du pétrole, du gaz et de l'électricité. Et ce n'est pas en réduisant le budget consacré à la forêt que l'on facilitera le développement, aujourd'hui entravé, de la filière bois.

Enfin, je tiens à revenir sur l'importance des missions de l'Office national des forêts, l'ONF, notamment en ce qui concerne la lutte contre l'effet de serre.

Pour lutter contre l'effet de serre en multipliant les puits de carbone, il ne suffit pas de préserver les superficies couvertes par la forêt. Il faut aussi exploiter ladite forêt en bon père de famille, couper assez de bois pour lui permettre de se régénérer, et valoriser toutes les parties de l'arbre entre le bois d'oeuvre, la pâte à papier et le bois de chauffage. Ces missions relèvent du service public et nous espérons que le pouvoir politique n'ira pas privatiser les forêts domaniales après avoir vendu au privé les dernières entreprises publiques !

Nous avions déjà souligné, au cours du débat sur la loi d'orientation agricole, les dangers d'une prise de participation facilitée de l'ONF dans les sociétés privées. En effet, une logique purement économique, forcément induite par la multiplication de telles prises de participations, dénaturera sans aucun doute le caractère d'intérêt général des missions d'un tel établissement public, missions qui existent, je vous le rappelle, en dépit du caractère industriel et commercial de cet établissement.

La loi d'orientation agricole prévoit que l'ONF peut réaliser ces investissements sans l'autorisation préalable de l'État. Notre rapporteur justifie cette mesure par la nécessité pour cet établissement public de réaliser plus librement ce type d'investissements, qui sont indispensables à son développement.

Les choix budgétaires qui sont faits ici entérinent cette logique de désengagement progressif de l'État dans le financement de ces missions de service public. Ainsi, entre 2005 et 2006, les crédits destinés aux principaux opérateurs de l'État, dont l'ONF fait partie, ainsi que les emplois qu'ils représentent, ont diminué.

Ni le programme « Forêt » ni les dispositions budgétaires relatives à la pêche ne donnent les moyens aux secteurs et aux opérateurs de relever les défis économiques ou environnementaux à venir. Vous comprendrez donc que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'opposent à leur adoption.

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