Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 10 octobre 2013 à 9h00
Contrôle des comptes des comités d'entreprise — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable, en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales, d’ouvrir la discussion générale sur la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise, dont je suis également l’auteur.

Nos concitoyens attachent une grande importance à cette institution représentative du personnel, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a pour objet d’assurer l’expression collective des intérêts des salariés dans la vie de l’entreprise, et, le cas échéant, de gérer les activités sociales et culturelles.

Mais il est vrai que les comités d’entreprise sont restés à l’écart de la dynamique de transparence financière qui touche tous les secteurs d’activité. La certification des comptes par un commissaire aux comptes concerne un très grand nombre d’entreprises privées, d’établissements publics, des organismes de sécurité sociale, des associations, les syndicats depuis la loi du 20 août 2008, et très prochainement certains établissements publics de santé. Peut-on laisser les comités d’entreprise en dehors de cette dynamique alors que le budget de certains d’entre eux est parfois conséquent, avoisinant plusieurs dizaines de millions d’euros par an ?

Les prestations assurées par certains comités d’entreprise correspondent à du salaire mutualisé et constituent parfois des facteurs importants d’attractivité sur le marché du travail : que l’on songe aux voyages organisés, aux arbres de Noël, à la gestion des restaurants d’entreprise ou encore à la création de bibliothèque. Les salariés sont en droit de disposer d’outils pour apprécier et contrôler leur gestion.

La transparence des comités d’entreprise s’impose également pour une deuxième raison, liée à la recodification du code du travail en 2008. En effet, la nouvelle rédaction de l’article R. 2323-37 du code du travail a abouti, en théorie, à rendre obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d’entreprise, quelle que soit leur taille, ce qui, chacun le comprendra, n’est pas vraiment réaliste.

En tant que rapporteur de la loi recodifiant le code du travail, j’avais été saisie par des organisations syndicales et des employeurs de cette rédaction problématique. Dès le 21 décembre 2010, j’ai ainsi demandé par courrier au cabinet du ministre du travail de se pencher sur les difficultés soulevées par cette nouvelle rédaction.

Enfin, les comportements de quelques comités d’entreprises de grande taille, dénoncés par la Cour des comptes et les médias, comportements qui ont parfois donné lieu à des poursuites judiciaires, ont alimenté un climat de suspicion injustifiée à l’égard de l’immense majorité des autres comités d’entreprise. J’avais d’ailleurs interrogé le gouvernement précédent, ici même dans cette enceinte, sur l’état d’avancement du chantier de la transparence financière de ces organismes.

À la suite de ce triple constat, j’ai présenté la présente proposition de loi le 18 juillet 2012 afin d’imposer aux comités d’entreprise des règles simples en matière d’obligations comptables annuelles, de communication, de publication et de certification des comptes. Notre collègue Caroline Cayeux ici présente a eu un objectif très proche en déposant également une proposition de loi sur la gestion des comités d’entreprise le 27 juillet 2012.

Ma démarche est claire, pragmatique, dépourvue d’arrière-pensée et d’animosité : je souhaite simplement renforcer la légitimité des comités d’entreprise en instaurant des règles de transparence financière, pour que l’on ne jette plus l’opprobre sur les quelque 53 000 comités d’entreprise que compte notre pays.

Lors des auditions des partenaires sociaux, j’ai appris qu’un groupe de travail tripartite sur la transparence financière des comités d’entreprise avait été mis en place par le précédent gouvernement en décembre 2011 et qu’il avait rendu ses conclusions par consensus en ce début d’année 2013.

Ce groupe de travail, qui avait été demandé au ministre du travail par la CGT, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC dans un courrier du 7 février 2011, a été animé par la Direction générale du travail. Il était composé de fonctionnaires du ministère de la justice et du ministère de l’économie ainsi que de représentants des partenaires sociaux, sur le modèle de la Commission nationale de la négociation collective, autrement dit des cinq syndicats représentatifs de salariés au niveau national, et, côté patronal, du Medef, de la CGPME, de l’UPA, de l’UNAPL et de la FNSEA.

Les partenaires sociaux ont choisi de mettre en place un groupe de travail tripartite, qui leur paraissait plus adapté qu’une négociation dans le cadre d’un accord national interprofessionnel.

Les conclusions de ce groupe reprennent l’essentiel des recommandations émises par la Cour des comptes dans son rapport sur le comité d’entreprise de la RATP de novembre 2011, et ne sont guère éloignées des principales dispositions de la proposition de loi de Nicolas Perruchot sur le financement des comités d’entreprise, telle qu’adoptée en séance publique par l’Assemblée nationale le 26 janvier 2012. En outre, un groupe de travail piloté par l’Autorité des normes comptables a travaillé entre septembre 2012 et février dernier à l’élaboration du futur, et indispensable, référentiel comptable pour les comités d’entreprise.

Dès lors, que faire ? Maintenir ma proposition de loi dans sa rédaction initiale, ou tenter de l’améliorer à l’issue de mes auditions ? Après réflexion, et en concertation avec ma collègue Caroline Cayeux, il m’a semblé préférable de proposer à la commission des affaires sociales sept amendements visant à reprendre le plus fidèlement possible les conclusions du groupe de travail tripartite de la Direction générale du travail.

Ces amendements ont tous été adoptés mercredi dernier en commission, et je tiens ici à remercier les groupes UMP, UDI-UC et RDSE pour leur soutien. Je remercie également le groupe socialiste et le groupe communiste, républicain et citoyen d’avoir bien voulu ne pas prendre part au vote pour nous permettre de débattre aujourd’hui d’un texte refondu et consolidé qui correspond à mes attentes.

Je voudrais maintenant vous présenter rapidement la proposition de loi issue de nos travaux, qui compte désormais trois articles, et vous en indiquer les justifications et les enjeux.

Le premier article a désormais cinq objectifs principaux.

Premier objectif : créer des obligations comptables annuelles différenciées selon la taille du comité d’entreprise.

La rédaction de ces dispositions reprend les mesures en vigueur pour les syndicats, tout en les adaptant. Ainsi, en dessous d’un seuil de ressources qui pourrait être fixé par le pouvoir réglementaire à 153 000 euros, le comité d’entreprise pourrait avoir recours à une comptabilité ultra-simplifiée. Les comités dépassant ce seuil et remplissant au moins deux des critères suivants seraient soumis à la certification de leurs comptes : employer au moins cinquante salariés en équivalent temps plein, disposer d’un bilan supérieur à 1, 5 million d’euros et posséder plus de 3, 1 millions d’euros de ressources. Dans tous les autres cas de figure, les comités pourraient recourir à une comptabilité avec présentation simplifiée.

Compte tenu de l’absence de données consolidées au niveau national sur les ressources des comités d’entreprise, on ne connaît pas aujourd’hui exactement le budget moyen des comités d’entreprise. On peut toutefois, à grands traits, estimer que 90 % d’entre eux pourraient utiliser la comptabilité ultra-simplifiée et 5 % la comptabilité avec présentation simplifiée, tandis que 5 % des comités d’entreprise – les plus gros – seraient soumis à la certification des comptes.

Le texte prévoit enfin que les conditions d’application de ces dispositions seront fixées par décret et par un règlement de l’Autorité des normes comptables.

Deuxième objectif : préciser les modalités de la certification et de la consolidation des comptes.

Tout comité d’entreprise soumis à la certification de ses comptes nomme au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, qui ne peuvent pas contrôler simultanément les comptes de l’entreprise afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt. Par ailleurs, tout comité qui contrôle une ou plusieurs personnes morales devra consolider ses comptes.

Troisième objectif : instaurer une procédure d’alerte spécifique pour le commissaire aux comptes. Cette procédure s’inspire de celle qui est actuellement prévue dans le code de commerce, et prévoit une liste d’obligations et de réponses graduées si le commissaire estime que la continuité des missions du comité d’entreprise est compromise. Si les difficultés persistent malgré tout, le commissaire aux comptes devra saisir le président du tribunal de grande insistance.

Quatrième objectif : instituer une commission des marchés dans tout comité d’entreprise soumis à la certification de ses comptes. Son existence, ses missions et ses procédures devront être définies dans le règlement intérieur du comité d’entreprise. L’objectif est de renforcer la transparence des procédures relatives au paiement des travaux et à l’achat de biens et de services, sans imposer aux gros comités d’entreprise les règles très lourdes issues du code des marchés publics.

Cinquième et dernier objectif de l’article 1er : clarifier les règles de communication et de publicité des comptes et du rapport de gestion.

Ce rapport constitue une innovation importante, car son contenu, qui sera fixé par décret, ira plus loin que l’actuel compte rendu détaillé. Son objectif étant de rendre compréhensible par tout salarié les choix et orientations du comité d’entreprise, il comprendra une présentation de ses missions, un bilan de l’année écoulée, un bilan financier et un volet ambitieux sur les activités sociales et culturelles.

Le texte de la commission prévoit que le comité d’entreprise devra assurer la publication de ses comptes et du rapport de gestion auprès de tous les salariés, sans obligation ni interdiction de les publier en dehors de l’enceinte de l’entreprise. Nous n’avons pas tous eu la même approche sur ce point en commission et nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir au cours de notre discussion.

J’en viens au deuxième article, qui étend les nouvelles règles de transparence financière posées par l’article 1er de la proposition de loi à toutes les entités assimilables à un comité d’entreprise, comme par exemple les comités de groupe et les comités centraux.

Il aurait été pour le moins paradoxal que la proposition de loi ne traite que des petits comités d’entreprise, alors que ce sont les grands comités centraux qui sont souvent – et c’est un euphémisme ! – montrés du doigt. Par ailleurs, le texte étend les nouvelles règles de transparence financière aux institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières, afin de répondre à la recommandation du rapport public de la Cour des comptes d’avril 2007.

Enfin, le dernier article prévoit que l’obligation de tenir des comptes annuels s’appliquera à partir de l’exercice comptable de 2015, tandis que l’obligation de certification et, le cas échéant, de consolidation des comptes concernera l’exercice comptable de 2016.

Tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le fruit des travaux de notre commission. Si ces derniers sont sans doute perfectibles, ils témoignent de notre souhait de reprendre l’essentiel des conclusions du groupe de travail tripartite de la Direction générale du travail.

Notre présidente Annie David, dans le cadre du protocole adopté par le bureau du Sénat le 16 décembre 2009 sur la concertation des partenaires sociaux, a saisi l’ensemble des organisations représentatives de salariés et d’employeurs au niveau national et interprofessionnel. Tous rappellent leur attachement aux conclusions du groupe de travail.

J’avoue que, depuis que j’ai l’honneur de siéger au Sénat, j’ai rarement eu l’occasion d’observer un tel consensus entre partenaires sociaux sur un texte relatif au droit social et au droit du travail. Tous souhaitent que ces conclusions prennent rapidement force de loi, en se fondant sur la feuille de route de la dernière grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013, laquelle prévoit, sur la base du relevé de conclusions du groupe de travail animé par la Direction générale du travail, que des dispositions législatives sur la transparence des comptes des comités d’entreprise seront proposées au Parlement avant la fin de l’année.

J’observe qu’un engagement similaire avait été pris lors de la première grande conférence sociale, en vain, sans doute à cause de l’encombrement du calendrier parlementaire.

Monsieur le ministre, le calendrier de la session parlementaire 2013-2014 ne me paraissant pas beaucoup moins chargé, cette proposition de loi pourrait être le véhicule législatif opportun. Cela éviterait que nous nous heurtions à l’encombrement de l’ordre du jour de nos travaux. Par ailleurs, la navette parlementaire pourrait améliorer et enrichir ce texte.

En outre, monsieur le ministre, vous le savez, certaines organisations syndicales ne veulent pas que ces dispositions législatives sur les comités d’entreprise soient agglomérées à un autre texte social, qu’il s’agisse de dialogue social, de représentativité sociale ou de formation professionnelle. Cela pourrait en effet les affaiblir, alors qu’il existe depuis longtemps un consensus politique sur la nécessité de rendre plus transparente la gestion des comités d’entreprise.

Puisque le dialogue social a eu lieu au sein du groupe de travail de la Direction générale du travail et que l’indispensable travail technique pour élaborer un nouveau référentiel comptable est quasiment achevé, retrouvons-nous aujourd’hui sur ce sujet qui dépasse les clivages politiques. Les partenaires sociaux attendent avec impatience cette transcription législative. Quant aux salariés et au grand public, ils ne comprennent pas pourquoi l’État et le législateur restent passifs sur un point somme toute technique et facile à résoudre.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je me permets encore d’espérer que vous profiterez de la fenêtre législative que vous offre le groupe UMP pour respecter, dans les délais, les engagements que vous avez pris lors des conférences sociales de 2012 et de 2013.

Malgré ce que j’ai lu dans la presse ou ce que m’ont affirmé certains journalistes, je ne veux pas croire que vous vous apprêtiez à repousser ce texte sans même que votre cabinet, qui connaît l’état d’esprit qui est le mien, ait pris soin de m’en informer. §Je vois que cela vous fait sourire, monsieur le ministre !

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