Intervention de Michel Sapin

Réunion du 10 octobre 2013 à 9h00
Contrôle des comptes des comités d'entreprise — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Michel Sapin, ministre :

Ce texte a constitué un pas supplémentaire, non pas forcément pour moraliser la vie publique – elle n’est évidemment pas majoritairement immorale –, mais tout simplement pour répondre à une demande sociale nouvelle et à un niveau d’exigence supérieur vis-à-vis de nous-mêmes.

La démocratie sociale ne saurait rester en marge de ce mouvement général. Au contraire, le dialogue social a trop longtemps souffert d’apparaître comme une sorte de « boîte noire », aiguisant la suspicion, au demeurant le plus souvent fort illégitimement. Il doit aujourd’hui entrer dans un nouveau cycle.

J’emploie fréquemment l’expression de dialogue social « à la française » pour nommer les nouvelles attentes de la société en la matière : attente, d’abord, de parvenir à davantage de compromis féconds permettant à chacun de s’y retrouver, attente, ensuite, d’une plus grande association des partenaires sociaux à la vie économique des entreprises, attente également d’un cadre clair et protecteur pour mener des négociations dans lesquelles, inévitablement, les forces des salariés et des employeurs ne sont pas égales, attente encore d’une meilleure représentativité des syndicats et des organisations patronales pour que le dialogue social repose davantage sur des bases solides et légitimes, attente aussi d’une articulation subtile, délicate, mais nécessaire, entre démocratie sociale et démocratie politique, attente, enfin, d’une plus grande transparence.

Ces différentes attentes de la société à l’égard de la démocratie trouvent des aboutissements concrets dans les politiques que nous menons. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier et la loi relative à la sécurisation de l’emploi donnent par exemple aux partenaires sociaux les pouvoirs de négocier et de fonder des compromis novateurs dans une logique gagnant-gagnant et dans un dialogue social cadré et transparent.

Ainsi, en tant que principe, la transparence ne se divise pas : elle se décline et progresse pas à pas.

C’est tout le sens de l’agenda ambitieux dont s’est doté le Gouvernement en matière de renforcement de la démocratie sociale à l’issue de la grande conférence sociale du mois de juin dernier à laquelle vous avez fait allusion, madame la rapporteur. Avant de le rappeler, je tiens à insister sur un point : cet effort vers davantage de transparence doit se faire avec les partenaires sociaux et non pas contre eux. Madame la rapporteur, ces propos ne s’adressent pas à vous, qui avez au contraire cherché à associer le plus possible les partenaires sociaux à vos réflexions. Je connais trop cette petite musique qui vise à jeter le trouble et le doute au nom de la transparence, comme si tout n’était qu’arrangement ou détournement. Loin de renforcer la démocratie sociale, cette approche la minerait en discréditant ses acteurs.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’un des principaux écueils sur la voie de la transparence dans ce domaine.

La transparence n’est pas une sanction contre une gestion frauduleuse et fantasmée. C’est un effort collectif et porteur d’une exigence qui confortera la démocratie sociale comme ses acteurs ; c’est une dynamique positive qui se construit.

Cela étant, je veux indiquer les étapes de notre agenda, arrêté avec les partenaires sociaux, pour la construction d’une démocratie sociale plus forte et donc plus transparente.

En premier lieu, la transparence, c’est la question de la représentativité des partenaires sociaux, pour que celle-ci soit fondée sur des critères objectifs, connus de tous, légitimes et, de ce fait, transparents. La réforme de la représentativité des organisations syndicales a été menée à son terme. Elle sera évaluée et les évolutions nécessaires complémentaires seront apportées. Le chantier de la représentativité patronale est, quant à lui, engagé ; le directeur général du travail me rendra son rapport sur ce point dans les tout prochains jours. Sa traduction législative interviendra dans le cadre du projet de loi qui sera élaboré à l’issue de la négociation en cours sur la formation professionnelle. Il s’agit là d’une opportunité législative qui concernera non pas seulement la formation professionnelle, mais aussi les fondements mêmes de la démocratie sociale, à savoir la représentativité et la transparence.

En deuxième lieu, la transparence, c’est la question des ressources des organisations syndicales et patronales. En effet, les acteurs du dialogue social doivent bénéficier de ressources stables, solides et pérennes qui garantissent leur fonctionnement et qui évitent toute dérive ou toute compromission. Sans pérennité et sans garantie, la transparence n’est pas possible. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, puisque les financements sont éclatés, parfois directement rattachés aux politiques publiques et perçus, à tort ou à raison, comme imparfaitement maîtrisés.

Dans la droite ligne des engagements pris lors de la grande conférence sociale, j’ai écrit à l’ensemble des organisations – vous en avez eu connaissance, madame la rapporteur – pour engager une large concertation sur ce point, lever ces incertitudes et clarifier la question des moyens des organisations. Nous le devons à la démocratie sociale, pour garantir son bon fonctionnement ; nous le devons aussi aux salariés et aux citoyens, qui, à bon droit, ne peuvent supporter des dérives dans ce domaine. Là encore, les dispositions législatives qui traduiront les résultats de ces travaux sur l’ensemble des conditions de financement des organisations syndicales et patronales figureront dans le projet de loi qui sera élaboré à l’issue de la négociation en cours sur la formation professionnelle.

En troisième lieu, la transparence se joue au niveau des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise. Cela m’amène au sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Madame la rapporteur, je tiens à saluer votre travail. Depuis plusieurs années, vous travaillez en effet pour que des avancées soient réalisées avec un esprit de responsabilité que je veux souligner et qui s’est encore une fois exprimé à l’instant à cette tribune. Je ne peux que regretter que vous n’ayez eu l’opportunité de le faire plus tôt ! §

Mais venons-en au sujet des comités d’entreprise.

Les comités d’entreprise sont dotés de la personnalité morale et disposent de ressources financières prévues par la loi : 0, 2 % de la masse salariale au titre du budget de fonctionnement, montant auquel s’ajoutent les sommes versées au titre de la prise en charge des activités sociales et culturelles dans l’entreprise.

Dans ce contexte, la question de l’établissement des comptes répond à une double exigence : celle de participer à une gestion saine et efficace de ces ressources et celle de garantir la transparence de l’action du comité d’entreprise devant les salariés qui en sont les bénéficiaires.

Ce sont les organisations syndicales elles-mêmes qui, en 2011, ont souhaité que soit engagé un chantier dans ce domaine pour moderniser les dispositions du code du travail en la matière. Là encore, les travaux ont été menés en toute transparence dans le cadre d’un groupe de travail associant les organisations syndicales et patronales ainsi que les associations et les ordres fédérant les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Un relevé de conclusions unanime a eu lieu qui a, à juste titre, beaucoup inspiré vos travaux, madame la rapporteur.

Les grands principes posés sont simples : l’obligation d’établir des comptes et d’en assurer la publicité à l’égard des salariés. Des exigences concrètes en découlent.

Première exigence : la prise en compte des ressources de fonctionnement et des ressources issues de la gestion des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise.

Deuxième exigence : une structure de comptabilité adaptée à la taille du comité d’entreprise. Je tiens à souligner ce point. Assez naturellement, la question des ressources des comités d’entreprise est abordée avec le prisme des quelques très gros comités d’entreprise, ceux des très grandes entreprises, dont le budget se chiffre en millions d’euros. Ce prisme est trompeur, car, même si cela correspond à une réalité, il ne faut jamais oublier les dizaines de milliers de petits comités d’entreprise, aux petits budgets, qui ne disposent ni des ressources ni du temps pour gérer une comptabilité aussi exigeante que celle d’une entreprise.

Troisième exigence : l’obligation de consolidation et de certification des comptes par un commissaire aux comptes pour les plus gros comités d’entreprise.

Quatrième exigence : la publicité des comptes et du rapport de gestion vis-à-vis des salariés.

Cinquième exigence : la création d’une commission des marchés pour les comités d’entreprise qui sont amenés à en passer.

Sixième exigence : l’existence d’une procédure d’alerte à la disposition des commissaires aux comptes lorsqu’un problème est identifié.

Madame la rapporteur, dans le cadre des travaux en commission, vous avez fait évoluer votre texte pour reprendre ces principes et ces exigences.

Vous comprendrez que, si je suis naturellement et logiquement favorable sur le fond, je ne peux pas émettre, au nom du Gouvernement, un avis favorable, et ce au regard d’un enjeu de méthode ; ce n’est en effet que de cela qu’il s’agit. Dès le départ, un travail partenarial a été conduit avec les partenaires sociaux sur ce dossier ; il doit évidemment être mené avec eux jusqu’au bout. Le plus sûr levier du changement est d’impliquer les acteurs : c’est ainsi que se construisent la responsabilité et la légitimité. Madame la rapporteur, je sais que, comme bien d’autres ici, vous y êtes attachée. Je vous demande de vous inscrire dans ce processus, dans la mesure où vous en partagez l’esprit. Nous le renforcerions si nous étions unis sur le sujet.

Je présenterai aux organisations syndicales et patronales les dispositions législatives transcrivant les travaux du groupe de travail dans le cadre de la concertation que j’ai engagée, sur l’ensemble des sujets que j’ai décrits, concernant la démocratie sociale, qu’il s’agisse de la représentativité, en l’occurrence patronale, ou du financement de ces organisations, et donc de la transparence d’un certain nombre d’organismes comme les comités d’entreprise.

Et c’est l’ensemble de cette concertation allant donc de la représentativité au financement des organisations qui constituera le volet « renforcement de la démocratie sociale » du projet de loi sur la formation professionnelle.

Ce texte sera élaboré à l’issue de la négociation. Vous en connaissez, madame la rapporteur, le calendrier : les partenaires sociaux ont fixé la fin de ces négociations au début du mois de décembre ; le Gouvernement lui-même a réservé pour le mois de janvier et le mois de février le temps nécessaire à la discussion de ce texte. Je ne sais encore, à ce stade, où se situent les calendes grecques ; il me semble cependant qu’elles sont largement au-delà du mois de février de l’année 2014. Nous n’aurons donc pas à attendre jusqu’aux calendes grecques pour que ces dispositions, comme beaucoup d’autres, dans leur cohérence d’ensemble, puissent se traduire. Et je ne doute pas que nous pourrons bénéficier, madame, de votre soutien, et, au-delà de votre soutien personnel, du soutien de tous ceux qui, ici, s’intéressent à une bonne qualité de la démocratie sociale et donc à une transparence de l’ensemble de sa vie.

Ainsi, avec ce texte global, la transparence fera un nouveau pas en avant, non par une loi qui pourrait être considérée de circonstance – au bon sens du terme –, mais par un processus global et ambitieux. C’est ce à quoi je vous invite à participer.

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