Intervention de Valérie Létard

Réunion du 6 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les moines de l'abbaye St-Bertin ont entrepris la mise en valeur du marais audomarois dès le IXe siècle en creusant des canaux. Ce marais a une superficie de 3 700 hectares, dont 500 hectares de cultures légumières sont encore cultivés par cent vingt familles de maraîchers. Un réseau de 560 kilomètres de « wateringues » et de « watergangs », chemins d'eau parcourus par des barques traditionnelles, dessert les parcelles cultivées et les prairies humides.

Le marais est, certes, devenu un lieu touristique, mais il est, avant tout, un lieu de production maraîchère très important de la région Nord-Pas-de-Calais. Le chou-fleur y est récolté deux fois par an et l'on y produit également cinquante autres espèces de légumes, dont les endives. La faune et la flore y sont extrêmement riches et diversifiées.

Or, comme toutes les zones humides comparables à celle-ci, le marais audomarois est menacé de toute part. L'utilisation excessive d'engrais azotés favorise le phénomène d'eutrophisation des canaux. Les berges doivent être entretenues sous peine d'éboulement, phénomène qu'aggrave encore la prolifération inquiétante de rats musqués.

Ce que l'on peut constater en visitant le marais audomarois, c'est que, sans la main de l'homme, ce paysage, façonné par des siècles de labeur, pourrait à terme disparaître, mettant en péril tout un écosystème permettant, notamment, de contribuer à la régularisation du régime des eaux, à leur qualité par l'épuration des fertilisants et des pesticides, à la biodiversité et, enfin, à la réduction de l'effet de serre par séquestration du carbone.

Au plan national, les grandes zones humides agricoles couvrent de l'ordre de 3 millions d'hectares dont un million sont exploités en prairies, des superficies plus petites l'étant pour le maraîchage et la pisciculture d'étang.

L'Union européenne a reconnu l'importance de ces zones et la nouvelle politique agricole commune devrait leur accorder une place plus large. Or leur histoire, en particulier dans notre pays où ces territoires étaient reconnus pour la qualité et la quantité de leurs productions, essentiellement maraîchères, a contribué à en faire des espaces supportant un niveau d'imposition plus important que d'autres zones de culture.

La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a constitué une première avancée dans le sens d'une prise en compte des spécificités de ces espaces.

Comprenant un certain nombre de dispositions relatives à la préservation, à la restauration et à la valorisation des zones humides, cette loi a, notamment, dans son article 137, prévu pour ces zones une exonération totale de taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Quant à l'article 25 octies du projet de loi d'orientation agricole, il met l'accent une nouvelle fois sur l'importance de soutenir le maintien des activités traditionnelles et économiques dans les zones humides « qui contribuent à l'entretien des milieux sensibles, notamment les prairies naturelles et les marais salants ».

Ce nouvel article, s'il contribue à renforcer l'attention prêtée à ces territoires fragiles, n'apporte pas pour autant de moyens nouveaux pour les aider. Or chacun s'accorde à reconnaître que, en raison des conditions d'exploitation particulières, le fait d'exercer des activités dans ces zones humides entraîne un surcoût. A cet égard, l'on peut citer, entre autres, les difficultés d'accès, le morcellement des parcelles, les espèces invasives à réguler, sans compter les phénomènes naturels tels que les inondations.

Pour toutes ces raisons, l'ensemble du réseau des gestionnaires de ces milieux ont proposé, dès 2002, de créer une indemnité stable spéciale zones humides, qui s'inspirerait de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, l'ICHN, qui a été octroyée aux zones de montagne.

D'ailleurs, un premier exemple de ce qu'il conviendrait de faire est déjà expérimenté dans le marais poitevin qui bénéficie, depuis 2003, d'une application spécifique de l'ICHN.

Rejoignant la préoccupation déjà exprimée par plusieurs de mes collègues mobilisés par l'avenir des zones humides, je pense que l'instauration d'une indemnité stable spéciale zones humides devient une nécessité de plus en plus pressante.

En effet, les difficultés économiques rencontrées par les exploitants de ces régions sont bien réelles et nécessitent un traitement immédiat. Il est de notre intérêt collectif de préserver ces espaces naturels dont l'existence présente une utilité sociale et environnementale fondamentale. D'avance, je vous remercie, monsieur le ministre, de l'attention que vous voudrez bien porter à ce dossier.

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