Intervention de Charles Guené

Réunion du 10 octobre 2013 à 15h00
Réforme de la dotation globale de fonctionnement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Charles GuenéCharles Guené :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite avant toute chose saluer l’initiative de nos collègues du groupe CRC. Cette proposition de loi de réforme de la dotation globale de fonctionnement répond en effet à une préoccupation légitime.

J’indiquerai d’abord en quoi la DGF des communes est aujourd’hui un système à bout de souffle qui ne répond plus aux attentes initiales. J’aborderai ensuite la solution proposée, au regard des pistes qui nous sont offertes et du contexte actuel.

Il est préalablement nécessaire, pour un meilleur éclairage, de resituer la part de la DGF dans les ressources totales des communes. Sur un total de recettes, hors emprunt, de 90 milliards d’euros, la DGF des communes atteint 16, 5 milliards d’euros, soit 18 %, et représente 35 % des concours de fonctionnement versés par l’État aux communes. En comparaison, la fiscalité que ces dernières prélèvent, d’un montant de 50 milliards d’euros environ, représente la moitié du panier de leurs ressources. Ces chiffres doivent cependant être relativisés, dans la mesure où ils font référence à la totalité du bloc communal et ne distinguent pas les communes suivant leurs strates. C’est justement là que le bât blesse !

La création de la DGF et son histoire constituent également un volet important du dossier. Son évolution est le fruit d’une longue et permanente métamorphose, durant laquelle les parts de la composante fiscalité et celles des dotations n’ont pas toujours été identiques.

Je vous épargnerai le récit des débuts du versement représentatif de la taxe sur les salaires, le VRTS, qui avait, dès 1968, remplacé un système complexe mis en place à partir de 1941, lui-même consécutif à la suppression du droit d’octroi. De même, je ferai l’économie du récit de la transition de la taxe locale et des effets induits par l’extension de la TVA, qui ont généré la taxe sur les salaires. Déjà, à travers ces mécanismes, on avait institué dès 1951 une péréquation assurant un minimum garanti par habitant aux petites communes, puis, en 1966, une attribution de garantie dégressive et l’introduction de l’effort fiscal avec la création d’un fonds d’action locale, afin de corriger ces deux critères au profit des plus pauvres.

C’est dans ce contexte que, par la loi du 3 janvier 1979, a été créée la DGF, qui était alors – heureux temps ! – indexée sur le produit net de la TVA.

Le système mis en place assurait une dotation forfaitaire complétée par un mécanisme de péréquation basé sur l’effort fiscal et une dotation minimale pour les communes de moins de 2 000 habitants ou favorisant les communes en expansion.

À partir de 1985, la dotation forfaitaire va être profondément modifiée et devenir la dotation de base, reposant sur une majoration de 1 à 2, 5 suivant les strates de population. Cette dotation de base a été complétée par une dotation de péréquation, répartie en fonction de l’effort fiscal et du potentiel fiscal ainsi que, pour une plus faible part, de la richesse des habitants. Une dotation de compensation tient compte en outre des enfants scolarisés, de la voirie communale et des logements sociaux. Enfin, diverses dotations sont assises sur certaines caractéristiques : ville-centre, touristique et urbaine.

En 1993 et en 1996 interviennent deux modifications de ce système, qui visent à introduire le fait intercommunal, tout en tenant compte des recensements de population.

C’est dans ce contexte qu’intervient la réforme globale de la DGF, applicable depuis 2004 et qui est toujours en vigueur. Outre l’intégration de la compensation de la part « salaires » de la taxe professionnelle, elle emporte alors suppression des fonds de péréquation nationaux de taxe professionnelle et création d’une dotation d’aménagement, comprenant la DNP, la DSU et la DSR. Elle modifie également les règles d’indexation.

L’histoire de l’évolution de la DGF n’est donc pas un long fleuve tranquille, et l’on peut concevoir que, face à la complexité à laquelle nous sommes parvenus, il faille revoir et simplifier un système devenu non seulement difficilement lisible en raison d’une sédimentation parfois contradictoire, mais aussi inique compte tenu de l’évolution des réalités de notre temps.

À cet égard, je conçois que, pour beaucoup, le fait que l’indice logarithmique, qui majore le poids de l’habitant au profit des plus grandes collectivités, lesquelles supportent certes les plus grandes charges de centralité, ne soit pas satisfaisant. En effet, le système comporte une faille : il ne tient pas suffisamment compte du besoin minimal et vital nécessaire à la vie dans les plus petites communes. Les besoins s’y sont très sensiblement accrus, du fait des exigences sans cesse croissantes, et souvent légitimes, de nos concitoyens, comme du désengagement des acteurs du service public, particulièrement dans ces territoires.

Voilà pourquoi je pourrais valider, à l’instar d’ailleurs de certains de mes collègues ruraux, cette proposition de loi. Toutefois, je ne le ferai pas, ou pas en totalité, en dépit de la tentation que constitue cet appel à une ruralité mieux satisfaite, qui mériterait en effet de l’être. Je voudrais développer les motifs qui expliquent cette position.

Le gage demandé – et je pourrais m’arrêter là, l’argument étant rédhibitoire – est un poison pour la compétitivité de notre économie puisqu’il tend à augmenter l’impôt sur les sociétés et les prélèvements libératoires, en faisant peser près de 900 millions d’euros sur nos entreprises. Certains calculs aboutissent même au double de cette somme. Un tel coût me paraît insupportable en cette période où tous nos efforts doivent être mobilisés dans le cadre de notre trajectoire de réduction des déficits.

Je voudrais également donner des raisons de fond : une telle initiative, si elle me paraît nécessaire à terme, doit impérativement tenir compte de facteurs que vous n’avez pas identifiés et qui méritent une étude approfondie.

Tout d’abord, le contexte actuel ne s’y prête pas. En effet, notre système fiscal local vient de vivre un véritable bouleversement avec le remplacement de la taxe professionnelle, qui est venu modifier profondément le poids de l’impôt économique dans le panier des ressources des collectivités, et avec la nouvelle répartition des impôts locaux. Le poids de la DGF dans la ressource en sera progressivement modifié, indubitablement.

Cette orientation nouvelle s’accorde, il faut le dire, avec une tendance de l’État, sans doute réversible mais durable, à faire appliquer l’article 72-2 de la Constitution dans toute sa rigueur et à remplacer le levier fiscal des collectivités par des parts d’impôts corrélées à l’activité économique, obligeant ainsi les collectivités à participer à l’effort national exigé par les temps, dans une dynamique conforme à la pratique en Europe, laquelle n’est pas neutre dans ce débat.

Ensuite, nous devons prendre en compte l’introduction dans notre fiscalité locale de mécanismes de péréquation anciens, comme de ceux qui viennent de compléter le nouveau dispositif résultant de ces réformes, et admettre la nécessité d’ajuster les effets d’un impôt national assis sur la valeur ajoutée qui traduit très fidèlement, voire trop fidèlement, la concentration du développement dans les métropoles urbaines et impose le recentrage des modalités de l’aménagement du territoire.

Enfin, notre vie locale a été profondément impactée par le phénomène de l’intercommunalité, qui a capté les ressources complémentaires au profit de ce qu’on appelle communément le bloc communautaire.

La DGF intercommunale atteint plus de 7 milliards d’euros, soit près de la moitié de celle des communes. Il ne serait pas raisonnable de vouloir effectuer une réforme de la seule DGF des communes dans un semblable contexte et alors que, comme le traduit le coefficient d’intégration fiscale, certaines communes perçoivent leurs ressources dans des intercommunalités à faible intégration, quand d’autres doivent faire face à des charges résiduelles très importantes.

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