Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage a plus que jamais marqué l’intérêt des parlementaires pour cette problématique. Le débat de ce jour nous permet de donner suite à ses cinq mois de travaux voulus par le Sénat, lequel est le représentant des collectivités territoriales, qui sont les premiers financeurs publics du sport en France.

Plus largement, et le Sénat peut le porter à son crédit, elle a contribué à créer un débat public autour du dopage et à éveiller de nombreuses consciences, qui étaient jusqu’à présent restées sourdes au problème. A posteriori, notre motivation première s’est trouvée justifiée par le rapport de l’ancien président de l’AMA, Dick Pound, en date de mai 2013 et portant sur « le manque d’efficacité des programmes de dépistage ».

J’ai eu des échos de nos propositions de la part de sportifs, d’éducateurs, de médecins, d’élus locaux ou encore de nombreux bénévoles engagés dans la vie sportive de la nation. Ils sont très positifs ; nos concitoyens ont, je le crois, apprécié que les parlementaires se penchent sur ce sujet, sans tabou, et qu’ils dégagent des voies pour l’avenir.

Enfin, ne nous voilons pas la face, les révélations que nous avons faites ont eu quelques conséquences très concrètes. Des démissions en cascade ont suivi la publication des documents sur les éditions 1998 et 1999 du Tour de France. De nombreux anciens dopés travaillaient et travaillent encore dans le monde du sport. Ce n’est pas forcément un problème, mais cela risque parfois de renforcer l’omerta, qui nuit à la lutte antidopage. La parole méritait donc d’être libérée.

Des révélations ont été faites dans le monde du tennis, avec des cas de dopage qui n’avaient pas été rendus publics, comme celui de Marin Čilić.

Le nouveau président de l’Union cycliste internationale – l’UCI –, Brian Cookson, a enfin proposé la création d’une commission « vérité et réconciliation », comme nous le recommandions. C’est une excellente nouvelle. Nous serons évidemment attentifs à la mise en œuvre de cette proposition.

Je considère que nous devons la notoriété du rapport que nous avons rendu au caractère consensuel et constructif de nos travaux. À cet égard, je souhaite remercier l’ensemble des collègues qui ont fait partie de la commission d’enquête – ils sont nombreux dans l’hémicycle – et notamment son président Jean-François Humbert. Ils ont contribué en son sein à approfondir la réflexion. Ils ont parlé d’une même voix et c’est pour cela qu’elle a porté aussi loin.

Je tiens également à remercier Mme la ministre, qui a mis ses équipes au service de la commission d’enquête. Nous avons pu sans cesse étoffer notre analyse grâce à la qualité des réponses apportées. Après le dépôt des conclusions, elle est également intervenue à plusieurs reprises pour les soutenir. Merci encore !

Je sais que ces sujets vous tiennent particulièrement à cœur, madame la ministre, et que vous les portez à l’échelon international. Nous sommes d’autant plus impatients de vous entendre répondre à nos questions.

La commission d’enquête s’était donné quatre objectifs : travailler sur un état des lieux du dopage, faire le bilan de la lutte antidopage, apporter un éclairage sur les enjeux internationaux et, enfin, formuler des propositions.

Je crois que notre analyse sur le bilan est consensuelle : le dopage traverse les disciplines, traverse les pays et traverse les niveaux de performance. Sa prévalence est indéniablement plus forte que le taux de sportifs contrôlés positifs. Il existe un réel décalage entre les chiffres officiels du dopage et sa réalité. En effet, le nombre de contrôles positifs se situe généralement entre 1 % et 2 % des contrôles, quels que soient l’année, le pays et le sport concerné, notamment collectif, individuel, olympique ou non.

Nous faisons ce constat : parler de dopage ne nuit pas au sport et, au contraire, contribue, à moyen et long termes, à lui redonner ses lettres de noblesse. Ne pas en parler, c’est souvent ne rien faire. C’est, finalement, contribuer à l’imaginaire collectif, qui veut que tous les sportifs soient dopés. Or c’est aussi ce préjugé que nous avons voulu combattre.

Nous sommes animés par le souhait de promouvoir une vision humaniste et vertueuse du sport, dans laquelle l’égalité des chances face à la performance prend toute sa place.

L’examen de notre politique antidopage fait également plutôt l’objet d’un consensus.

Le point satisfaisant est que la France reste plutôt en pointe en matière de lutte contre cette pratique prohibée.

Néanmoins, des difficultés réelles sont rencontrées, qui expliquent que la lutte a souvent encore un temps de retard sur ceux qui se dopent ou alimentent les réseaux et circuits concernés.

En effet, nous avons des difficultés à avoir une bonne connaissance statistique des pratiques dopantes, des trafics qui y sont liés et des molécules utilisées.

En matière de prévention, notre politique est à la fois trop peu dynamique et mal ciblée. Nous entendrons avec grand intérêt Mme la ministre sur cette question de la prévention.

Le dispositif de contrôle est plutôt solide. Le renforcement de son efficacité passe aujourd’hui par une politique de qualité, avec une priorité donnée aux contrôles inopinés et à un meilleur ciblage. Ce ciblage passe par la mise en place du passeport sanguin, étendu au profilage stéroïdien. Il serait utile qu’un point d’étape puisse être fait sur ce sujet, le passeport étant censé être mis en place depuis le mois de juillet dernier.

Notre laboratoire d’analyses de Châtenay-Malabry est toujours reconnu à l’échelle internationale, mais nos efforts en matière de recherche sont clairement insuffisants par rapport à d’autres laboratoires, notamment européens, comme Lausanne ou Cologne. Un éclairage sur les causes de ce constat pourra probablement être donné.

La politique de sanction mériterait, quant à elle, d’être clarifiée. Le partage des compétences actuelles entre les fédérations et l’AFLD nuit clairement à l’uniformisation des sanctions, mais surtout à leur originalité.

Cette politique reste souvent centrée sur le contrôle positif et la suspension, alors que d’autres pays insistent davantage sur les sanctions fondées sur des preuves non analytiques comme les témoignages ou les contributions des services de police.

Les sanctions pécuniaires sont enfin peu utilisées, ainsi que le pouvoir de modulation de sanctions en fonction du comportement du sportif.

Je donnerai quelques chiffres sur le sujet : une seule sanction sur la base de preuves non analytiques a été prononcée depuis la création de l’AFLD contre 20 % par l’Agence américaine, une seule sanction pécuniaire l’a été également ; en outre, à notre connaissance, la possibilité de réduire une sanction en cas de coopération du sportif n’a jamais été utilisée en France. Peut-être le code du sport n’est-il pas assez explicite sur cette modulation.

Enfin, en matière de lutte contre les trafics, nous butons notamment sur une définition restrictive du sportif et sur une certaine complexité de nos dispositifs juridiques. Surtout, nous avons constaté une incroyable incapacité des instances à coopérer entre elles, avec des témoignages accablants : l’AFLD, l’OCLAESP et les douanes ont tous des informations sur le dopage, mais ils ne les partagent pas ou très peu. La lutte antidopage serait beaucoup plus efficace si les différents acteurs sportifs, policiers et judiciaires coopéraient.

Sur le plan international, nous avons conscience que, par-delà les questions budgétaires ou de volonté politique, l’existence de différences culturelles dans le rapport au dopage constitue également un obstacle à l’harmonisation des législations nationales.

Voilà quelques éléments de l’état des lieux établi par la commission d’enquête à la suite des déplacements, tables rondes et auditions organisés au printemps dernier sur une problématique comportant de nombreux enjeux : éthiques, sanitaires, économiques, sociaux mais aussi d’ordre public.

Pour répondre aux différentes difficultés constatées, nous avons avancé soixante propositions, réparties en sept piliers.

S’agissant de la nature de ces propositions, je pense vraiment qu’elles sont concrètes, réalistes, parfois même de bon sens, à moyens financiers constants ou quasi constants, les plus rassembleuses possibles – je rappelle que notre rapport fut adopté à l’unanimité –, relevant parfois de la loi, du décret ou d’un simple règlement fédéral. Ces propositions reflètent une stratégie globale concernant toutes les disciplines et non un dispositif orienté vers tel ou tel sport particulier, qui serait alors en droit de s’estimer stigmatisé.

Le premier pilier est la connaissance.

La commission a proposé que le ministère des sports et l’AFLD financent des études sur la réalité du dopage, les risques encourus et sur le trafic de produits dopants. On ne combat bien que ce que l’on connaît bien. Ces études existent souvent à l’étranger, mais elles manquent en France. Le mouvement sportif devrait quant à lui se saisir du sujet pour faire parler ouvertement les sportifs, notamment ceux qui ont été contrôlés positifs. Leur prise de parole serait à mon avis intéressante. Dans le cyclisme, la commission qui pourrait être mise en place par l’UCI serait un premier pas. Le mouvement sportif dans son ensemble pourrait également travailler sur ce sujet.

Le deuxième pilier est la prévention.

La commission a mis en avant dix-sept propositions, car la situation actuelle nous semble très perfectible.

Le retour de la prévention dans le giron de l’Agence française de lutte contre le dopage paraît constituer un premier pas important. Le message de prévention doit être incarné dans la continuité, et l’Agence paraît constituer le vecteur idoine de la communication sur ce sujet. Celle-ci pourrait aussi remettre sur les rails les antennes médicales de prévention, ainsi que les commissions régionales de prévention et de lutte contre le dopage.

La première question que je poserai à Mme la ministre est donc la suivante : pensez-vous que l’Agence puisse exercer ces compétences de prévention en lieu et place du ministère des sports ou considérez-vous que leur complémentarité doive être renforcée ?

Deux axes pourraient ensuite animer la politique de prévention.

La politique de sensibilisation des sportifs amateurs est une nécessité. Elle peut avoir lieu à travers les associations de sport scolaire, les clubs, les centres de formation, mais nous avons estimé qu’une action choc et ciblée, comme l’a dit M. le président de la commission d’enquête, vers les salles de musculation – ou de remise en forme, de façon générale – était un impératif. D’après les renseignements que nous avons reçus, ce sont souvent des plaques tournantes de la consommation et du trafic ; or rien n’y est fait actuellement.

Le second axe doit être orienté vers le sport professionnel. Les calendriers sportifs de certaines ligues et fédérations sont aujourd’hui devenus délirants, notamment avec la multiplication de compétitions internationales. Tout le monde le sait. La lourdeur des calendriers est un facteur incitatif avec, d’un côté, un accroissement des charges d’entraînement et, de l’autre, une réduction des temps de récupération.

Le ministère est déjà destinataire des calendriers, et nous avons estimé qu’il devait pouvoir s’opposer à ceux qui seraient abusifs, sur la base évidemment des risques pesant sur la santé des sportifs.

Madame la ministre, pensez-vous qu’une telle proposition soit réaliste ?

Le troisième pilier est celui de la politique des contrôles.

Il nous faut impérativement permettre à l’AFLD d’être présente sur un certain nombre de compétitions qui lui échappent actuellement.

Toutes les compétitions se déroulant en France doivent être considérées, par principe, comme nationales, sous réserve de la communication par la fédération internationale d’une liste annuelle des manifestations internationales qu’elle entend effectivement contrôler. Je pense qu’on resterait comme cela dans le cadre du code mondial.

Je crois savoir que nous avons avec Mme la ministre des points de vue convergents sur cette question.

Afin d’améliorer le ciblage des contrôles, une spécialisation des responsables régionaux de la lutte antidopage nous paraît également indispensable.

Nous avons donc proposé de mettre en place huit correspondants antidopage interrégionaux mis à la disposition de l’AFLD à temps plein, chargés de définir, en lien avec le directeur des contrôles, le programme interrégional des contrôles. Ils sont aujourd’hui vingt-quatre correspondants en tout, mais leur réel investissement est très disparate. Il vaut clairement mieux huit temps pleins que vingt-quatre tiers-temps. Ce serait un moyen de remotiver les troupes, d’éviter la dispersion, de professionnaliser les intervenants, et ce à coût constant.

Nous avons conscience qu’une telle préconisation se heurte à des difficultés de mise en œuvre. Néanmoins, souhaitez-vous vous orienter vers un tel fonctionnement ? Des négociations dans ce sens ont-elles commencé ?

Le quatrième pilier est celui des analyses.

Aujourd’hui, il existe de nombreux échantillons collectés qui ne sont pas analysés pour toutes les substances, pour des raisons d’économie. Comme l’AMA l’a recommandé, il semble pourtant que des produits comme l’EPO ou l’hormone de croissance devraient être plus systématiquement recherchés, quitte à réduire le nombre global de contrôles. Cela aurait un effet dissuasif et réduirait le sentiment d’impunité que pourraient ressentir certains sportifs dopés.

Afin d’accentuer l’orientation du laboratoire français vers la recherche, nous avons aussi estimé qu’il pourrait être rattaché à l’Université et non plus à l’AFLD. Pour étudier la faisabilité d’un tel rattachement, il est suggéré que l’Inspection générale de la jeunesse et des sports soit chargée d’une mission sur la pertinence et les modalités d’un adossement du laboratoire national de Châtenay-Malabry à une université. Idéalement, ce rapport devrait être rendu avant nos discussions sur la future loi-cadre sur le sport.

Pensez-vous qu’une telle mission puisse être diligentée rapidement ?

Le cinquième pilier est celui des sanctions disciplinaires.

Nous nous sommes prononcés en faveur d’un transfert du pouvoir de sanction des sportifs des fédérations nationales à l’Agence française de lutte contre le dopage, comme socle nécessaire à la réforme globale de la politique de sanction.

Ce transfert permettrait de mettre fin aux risques de conflits d’intérêts pesant sur les fédérations, mais surtout de professionnaliser la sanction afin de favoriser la prise de sanctions pécuniaires, de sanctions collectives et de sanctions fondées sur des éléments non analytiques.

Une réforme législative est nécessaire. Une telle disposition est-elle envisageable dans le texte de modernisation du sport que vous préparez ?

Nous avons également proposé que puisse être mis en place un véritable mécanisme de repentis. L’omerta est en effet un sujet majeur dans le dopage, et les sportifs nient systématiquement, du moins dans un premier temps, quand ils sont contrôlés positifs.

Il y a donc un réel intérêt général, pour la politique de lutte contre le dopage, à réduire la sanction de quelques-uns, en fonction du degré de coopération du sportif et des éléments d’information qu’il fournit. Cela aurait le triple intérêt d’apporter des renseignements sur les produits utilisés, de permettre de mieux remonter les filières de trafiquants et de renforcer les liens entre autorités antidopage et services de police et de gendarmerie.

Le sixième pilier est celui de la politique pénale.

Premier élément, la commission d’enquête n’a pas proposé de pénaliser l’usage de produits dopants. Nous avons entendu l’argument selon lequel l’idée serait de pouvoir disposer de moyens supplémentaires pour remonter les filières, et non de mettre en prison les sportifs.

Néanmoins, j’ai aussi soutenu l’idée que ce serait une erreur de créer une concurrence entre les sanctions disciplinaires et les sanctions pénales.

Nous disposons au demeurant déjà d’une incrimination de détention de produits dopants pour les sportifs, qui permet de lancer les enquêtes policières.

En revanche, cette incrimination est pour l’instant limitée aux seuls sportifs, au sens du code du sport. Or cette notion n’est pas très claire et exclut par exemple les membres des salles de sport ou de musculation, que nous évoquions voilà un instant. Nous proposons donc tout simplement que l’incrimination pénale de la détention de produits dopants soit élargie à l’ensemble des personnes pratiquant un sport dans le cadre d’un établissement d’activités physiques et sportives.

Enfin, le septième et dernier pilier, et non le moindre, est celui de la coopération.

L’AFLD ne pourra pas prendre des sanctions non analytiques si les services de police, de gendarmerie ou des douanes ne lui fournissent aucun élément. Il est, à l’inverse, extrêmement difficile de remonter les filières si les sportifs contrôlés positifs ne livrent aucune information. Il faut sortir chacun de son isolement contre-productif en imposant une coopération entre les acteurs.

Nous avons donc souhaité, parmi d’autres préconisations, que les informations recueillies par l’AFLD impliquant des faits de dopage soient systématiquement portées à la connaissance de l’OCLAESP, qui est aujourd’hui censé centraliser les informations.

Inversement, l’AFLD devra être destinataire de tous les procès-verbaux de garde à vue de personnes soupçonnées d’avoir commis un délit relatif au trafic de produits dopants ou, plus généralement, des éléments tirés des enquêtes menées.

Les services du ministère des sports se sont-ils déjà rapprochés de ceux de la justice pour savoir si une telle mesure pourrait être mise en place, avec une éventuelle base législative ?

Par ailleurs, sur la question du financement, nous avons proposé d’élargir la taxe Buffet et d’en affecter une partie à l’AFLD. Madame la ministre, que pensez-vous d’une telle évolution ? Est-elle envisageable dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 ?

Ces mesures nous ont semblé être le seul moyen pour que la lutte contre le dopage ait « une longueur d’avance » sur le phénomène qu’elle combat, notre conviction étant de consolider notre savoir-faire français, souvent reconnu au niveau international, et de ne pas baisser la garde.

Nous serons évidemment ravis, madame la ministre, d’entendre votre analyse sur les propositions que je viens d’évoquer ou sur toute autre qui vous paraîtrait digne d’intérêt. §

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