Intervention de Danielle Michel

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage

Photo de Danielle MichelDanielle Michel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en guise de propos liminaires, je tiens à saluer le travail effectué par la commission d’enquête, l’investissement de son président, Jean-François Humbert, ainsi que l’engagement de son rapporteur, Jean-Jacques Lozach, dont nous connaissons et apprécions l’implication de longue date et l’expertise sur ces questions.

Un travail considérable a été réalisé six mois durant. De très nombreuses personnes ont été auditionnées, comme cela a été souligné ; cinq déplacements ont été organisés, dont un au laboratoire de Châtenay-Malabry, l’un des trente-trois départements d’analyse accrédité par l’Agence mondiale antidopage, à la pointe de la lutte. Soyons-en fiers !

Un large éventail de disciplines a également été représenté. Une règle a guidé notre démarche : ne pas stigmatiser, ne pas pointer du doigt les bons ou les mauvais élèves. Cette règle a été, me semble-t-il, respectée.

Monsieur Lozach, vous citez Zola dans votre rapport : « Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. » C’est bien cela qu’il nous faut éviter !

Ainsi, cette commission d’enquête aura, dans son principe même, dirais-je, rappelé une vérité : certains disent qu’on parle trop du dopage, mais nous, nous disons, à l’inverse, que nous n’en parlons jamais assez et peut-être jamais assez bien !

Le dopage est, il est vrai, un phénomène complexe. Compte tenu de la tendance générale au culte de la performance et à la médicalisation de notre société, notamment du sport, les pratiques dopantes peuvent apparaître comme une réalité mouvante et sont donc difficiles à cerner.

Associé à certains sports en particulier, le dopage est pourtant un phénomène qui n’épargne aucune discipline, aucun pays, aucun niveau, aucun âge non plus. La prévalence du dopage est bien plus forte que les réalités statistiques.

Par l’état des lieux et le bilan qu’il dresse de trente ans de politiques publiques en la matière, ce rapport contribue à éclairer certaines réalités restées dans l’ombre. Rompre le silence est nécessaire parce que l’omerta qui entoure les pratiques dopantes nuit au sport. L’omerta nuit au travail de prévention, d’information et de pédagogie, en particulier auprès des jeunes.

Citons quelques chiffres : neuf Français sur dix pratiquent une activité physique ou sportive, et près de seize millions de Françaises et Français étaient licenciés dans une fédération sportive agréée en 2012.

Rappelons une évidence : nos sportives et nos sportifs sont des « modèles » pour des millions d’enfants. Nos enfants sont les futurs sportives et sportifs de demain.

La pratique sportive est au cœur de notre société et son impact sur la santé, l’éducation, les loisirs et l’économie implique, de la part des responsables publics et des parlementaires que nous sommes, une action forte et continue pour éviter les dérives liées au dopage.

Si un certain nombre de discours se révèlent sceptiques, voire fatalistes, quant à l’efficacité de la lutte antidopage, telle n’est certainement pas la tonalité de ce rapport, qui se veut, au contraire, très volontariste.

Dans la lutte contre le dopage, plusieurs champs d’action existent : sept ont été définis par la commission. Permettez-moi d’insister, mes chers collègues, sur le volet prévention.

Près d’une proposition sur trois est directement liée à mieux « prévenir » les risques. Ce rapport fait de la prévention un axe majeur de la lutte contre le dopage, et je m’en félicite.

Si la lutte a trop souvent un temps de retard sur le dopage, la prévention s’inscrit dans l’anticipation et les résultats à moyen et long termes. Pour que la prévention soit efficace, il faut, à notre avis, la débuter précocement, puis la poursuivre tout au long de la vie. Il convient aussi de la traiter de manière globale, c'est-à-dire autant auprès des professionnels que des licenciés et des amateurs. Il faut également renforcer la compétence des acteurs et des relais responsables, ainsi que redynamiser et coordonner les différentes structures compétentes.

La jeunesse est évidemment le cœur de cible des messages préventifs. Devant notre commission, Michel Rieu a notamment fait état d’une étude menée au sein du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, le CPLD, au sujet du sport scolaire : « Près de 10 % des jeunes avaient été confrontés, à un moment ou à un autre, au problème du dopage. » Ce chiffre est pour le moins inquiétant !

Si des actions existent en France, de grands progrès sont encore possibles dans la prévention du dopage à l’école, qu’il s’agisse du temps scolaire ou périscolaire.

Compte tenu des nombreuses missions déjà confiées aux enseignants, une action plus ciblée pourrait être entreprise dans le second degré en direction des jeunes les plus intéressés par les activités sportives. Ainsi, des conventions entre l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, et les associations de sport scolaire du second degré devraient être mises en place.

Par ailleurs, la prévention doit non pas se limiter aux jeunes, aux licenciés et aux fédérations, mais cibler le grand public, les amateurs, là où ils sont le plus exposés.

Jean-Pierre Verdy, directeur du département des contrôles à l’Agence française de lutte contre le dopage a déclaré – des propos que Chantal Jouanno vient de rappeler – : « Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique ».

La prévention des pratiques dopantes chez les non-licenciés doit constituer l’un des axes forts de la politique de lutte contre le dopage. Parce que les amateurs échappent de fait aux dispositifs traditionnels, ceux du code du sport, le rapport préconise d’inclure dans la stratégie de prévention un programme de contrôles à visée éducative à l’intention des non-licenciés.

En effet, selon une source venue témoigner à huis clos, les établissements d’activités physiques et sportives en France seraient des lieux privilégiés de vente, voire de consommation, de produits dopants. Étant donné que l’on recense entre 5 et 6 millions de pratiquants dans ces salles, plusieurs propositions les visent directement : la mise en place d’une charte antidopage – de l’adhésion à cette charte dépendrait l’accès aux établissements –, le lancement de campagnes de sensibilisation spécifiques sur les risques liés à la prise de produits dopants auprès des pratiquants des clubs de remise en forme. De même que la création d’un dispositif d’alerte s’agissant des ventes de stimulants, d’hormones de croissance ou de stéroïdes anabolisants sur Internet.

Pour bien informer les jeunes et tous les publics, il faut renforcer les compétences ainsi que la connaissance des acteurs et des relais de prévention : les fédérations, les services déconcentrés, les médecins, les éducateurs, mais aussi les enseignants.

Auditionnée le 20 mars par notre commission, Marie-George Buffet a rappelé avec justesse que, outre le fait d’alerter la jeunesse, il était nécessaire d’agir auprès des personnels encadrants. Cela implique le ministère des sports et les fédérations. Leur responsabilité en matière de prévention est d’ailleurs inscrite dans le code du sport depuis les lois de 1999 et 2006.

Ces actions, rappelons-le, dépendent largement de la volonté du mouvement sportif de mener ce travail à l’intérieur des fédérations. Saluons, au passage, le remarquable travail de la fédération d’athlétisme dirigée par Bernard Amsalem. Souhaitons qu’il fasse école !

Cela implique également une responsabilité interministérielle puisque les pratiques dopantes ne sont pas l’apanage des licenciés. Parmi les acteurs de premier plan, le rôle des médecins est à souligner, même si ces derniers ont souvent des priorités éloignées de ces problématiques spécifiques.

Pour éviter les certificats médicaux de complaisance et combler la méconnaissance des règles antidopage, des substances et des méthodes, il est proposé de développer la sensibilisation aux questions du dopage dans la formation initiale et continue des médecins, notamment celle des généralistes.

En outre, il semblerait utile d’interdire aux sportifs de collaborer avec certains médecins ayant participé à des pratiques dopantes.

Enfin, pour que cette prévention fonctionne mieux, il est nécessaire de la redynamiser et de mieux coordonner les structures existantes. La première structure à étoffer est l’Agence française de lutte contre le dopage, dont le rôle doit être considérablement renforcé, et ce pour trois raisons au moins. Tout d’abord, pour favoriser une plus grande cohérence avec les contrôles, qui peuvent revêtir à de nombreux égards une dimension préventive. Ensuite, pour donner une meilleure lisibilité et visibilité aux actions de prévention à l’égard des sportifs et du grand public. Enfin, pour développer les relations, la connaissance réciproque et les partenariats entre les fédérations sportives et l’AFLD.

La proposition 19 du rapport vise à conférer à l’AFLD la compétence en matière de prévention du dopage. Ainsi, la coordination des politiques régionales, l’animation des antennes médicales de prévention du dopage et la gestion du numéro vert seraient de sa responsabilité. Par voie réglementaire, il serait souhaitable de relancer les commissions régionales de prévention et de lutte contre le dopage et de prévoir que ces dernières soient animées par des correspondants antidopage interrégionaux.

Les vingt-quatre antennes médicales de prévention du dopage, les AMPD, créées en 1999 visent à donner des informations et des conseils, y compris médicaux, aux sportifs, ainsi qu’à leur entourage. Il s’agit de leur redonner les moyens de poursuivre leur mission. Avec les campagnes régulières lancées par le ministère des sports ou ses services déconcentrés, ces structures sont des relais territoriaux précieux. D’autres mesures vont dans ce sens.

Ainsi, l’animation des antennes médicales de prévention du dopage pourrait être de nouveau confiée à l’AFLD, ce qui garantirait un pilotage national. Par ailleurs, le monopole des AMPD en matière d’attestation avant remise de licences pour les sportifs sanctionnés pourrait être rétabli. Enfin, la carte des AMPD pourrait être rationalisée et le cadre d’implantation de celles-ci pourrait être assoupli, en vue d’une meilleure lisibilité.

Dès lors, et par cohérence, pourquoi ne pas renommer l’Agence française de lutte contre le dopage Agence de prévention et de lutte contre le dopage, ce qui constituerait un symbole fort ?

Au final, toutes ces mesures tendent à rendre la place de l’AFLD prépondérante dans la prévention de la lutte antidopage, en la chargeant aussi de la coordination des politiques régionales.

En effet, il s’avère important de redynamiser les trois principales structures permanentes chargées de la prévention, à savoir les commissions régionales de prévention et de lutte contre le dopage, les antennes médicales de prévention du dopage et le numéro vert Écoute Dopage.

Dans le schéma ainsi proposé, le ministère conserverait l’action internationale en faveur de la lutte antidopage et le volet de prévention lié à l’exercice de sa tutelle sur les fédérations.

Rappelons que cette mission essentielle de prévention subit les contraintes imposées par le modèle économique du sport et une économie du spectacle qui impose un rythme de compétition toujours plus soutenu. Il est vrai que les calendriers sportifs des ligues et des fédérations deviennent démentiels. Le ministère est déjà destinataire des calendriers. La commission estime qu’il doit pouvoir s’opposer à ceux qui seraient abusifs, sur la base des risques pesant sur la santé des sportifs.

Cette pression amène parfois à la prise de substances interdites, plus encore à certains moments clés de la saison ou d’une carrière. Cette pression éloigne aussi les professionnels d’un accompagnement efficace pour prévenir les risques qu’ils prennent pour leur santé.

Les premiers auxiliaires de l’État dans sa politique de prévention du dopage sont bien entendu les fédérations. Le sportif qui prend une licence dans une fédération accepte un certain nombre de règles, auxquelles il se soumet lorsqu’il pratique son sport et qu’il participe à une manifestation sportive.

Toutefois, pour conserver leur réputation et leur attractivité, notamment auprès du grand public, il est essentiel, pour les fédérations, que leur sport soit assimilé à la protection de la santé, un message incompatible avec le dopage. D’où l’omerta qui peut régner sur ce sujet. D’où la nécessité de l’intervention de la puissance publique face à des fédérations hésitantes.

De nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête ont insisté sur la prévention comme outil essentiel de la lutte contre le dopage. Parce que le dopage met à mal l’intégrité du sport et la crédibilité des sportifs et de la performance, parce qu’il met à mal l’intégrité des sportifs eux-mêmes, sur les plans physique et psychique, il faut, en effet, que la prévention prenne toute sa place.

À cet égard, les messages traditionnels ne sont plus efficaces, qu’ils soient moralisateurs ou qu’ils mettent en lumière les dangers sanitaires à long terme : à vingt ans, on est éternel ! Aussi serait-il judicieux de revoir le contenu des messages pour les formuler de manière positive, en faisant la promotion de la santé par le sport ; il conviendrait aussi de recourir aux nouveaux supports de communication, comme les réseaux sociaux, afin de rendre ces messages plus audibles par les jeunes.

Pour que la prévention soit efficace, il faut lui donner un souffle nouveau, la redynamiser, en lui donnant des moyens et en coordonnant les structures existantes. C’est à ces conditions que les sportifs, qu’ils soient de haut niveau ou amateurs, seront accompagnés sur le long terme.

Si les actions de prévention nous semblent importantes, c’est parce que nous croyons à l’éducation et au slogan : « le sport, c’est la santé ! ». Toutefois, nous savons bien qu’elles ne suffiraient pas pour éradiquer le dopage et que, sans dispositif de contrôle et de sanction, la lutte serait vaine.

Aussi, c’est bien la mise en œuvre de toutes les préconisations du rapport additionnées, dont nous espérons qu’elles seront reprises dans la prochaine loi-cadre sur le sport, qui rendra la lutte contre le dopage efficace. Nous attendons cette loi, madame la ministre !

Madame la ministre, mes chers collègues, sportez-vous bien !

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