Intervention de Valérie Fourneyron

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage

Valérie Fourneyron, ministre :

… ce dont je me félicite.

En 2012, l’agence américaine antidopage, l’USADA, a montré aux yeux du monde entier que celui qui prétendait être le plus grand des champions était, en fait, le plus grand des tricheurs. À cette occasion, j’ai répété à de nombreuses reprises que nous ne devions pas laisser passer l’« affaire Armstrong » comme une affaire de plus, s’ajoutant à la liste des affaires de dopage, comme Festina ou Puerto, mais qu’il devait y avoir un avant et un après.

Il est de notre responsabilité à tous de faire qu’il en soit ainsi. Le Sénat s’est pleinement saisi du sujet en décidant de créer cette commission d’enquête, dont je remercie tous les membres, en particulier le président et le rapporteur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai écoutés lors des auditions que vous avez menées, et encore à l’instant, en séance publique ; je vous ai lus, aussi.

Vous connaissez l’intérêt majeur que je porte à la lutte contre le dopage : cette question qui me préoccupe dans mes responsabilités présentes, je m’y intéressais déjà lorsque j’étais médecin du sport ou lorsque je travaillais au ministère des sports, quand il a fallu rédiger la loi du 28 juin 1989 ou quand, en liaison avec le ministère de la santé, un comité interministériel avait été créé à la suite de l’affaire Festina.

À mes yeux, le premier élément d’importance de votre rapport, c’est sa première partie, qui s’intitule fort justement « Le dopage, un enjeu éthique et sanitaire ». Il s’agit bien sûr d’une évidence, mais nous devons sans cesse la rappeler.

J’ai encore eu l’occasion de revenir sur cet aspect il y a quelques semaines, à l’occasion du travail mené par l’Agence mondiale antidopage sur le nouveau code mondial antidopage et la nouvelle liste des substances qui doit être arrêtée. Le débat a été particulièrement difficile. En effet, pour établir cette liste, il fallait retenir les critères non seulement d’augmentation de la performance, mais aussi de santé publique et de mise en danger de la santé des sportifs.

L’action publique que nous menons ensemble, je le sais, dans le cadre de la lutte contre le dopage, vise à préserver à la fois l’éthique du sport et la santé des sportifs.

C’est vrai, le dopage remet fondamentalement en cause l’égalité des chances qui caractérise le sport, puisqu’il modifie les paramètres sanguins, la puissance musculaire, la capacité de récupération, et permet de développer une puissance mesurée par certains en nombre de watts par minute. C’est pour cette raison qu’il existe une liste de produits interdits : les sportifs ne peuvent pas prendre toutes les substances, ne peuvent pas utiliser toutes les techniques.

Ces interdictions visent aussi à préserver la santé des sportifs, de tous les sportifs, quel que soit le niveau de leur pratique sportive, professionnels ou amateurs. Car tous sont concernés, dans une société comme la nôtre, où l’on a toujours tendance à croire que le médicament peut tout.

Oui, le dopage est dangereux pour la santé. Oui, les pratiques dopantes font courir un risque majeur pour la santé. Malheureusement, les sportifs eux-mêmes nous ont montré les effets secondaires du dopage. Les substances sont détournées de leurs fins et les sportifs deviennent les cobayes de ce que les laboratoires n’ont pas pu tester lors des études pharmaceutiques, avant que ces produits ne soient mis sur le marché.

Comment peut-on respecter des règles éthiques et donner à des sportifs, des êtres humains, des produits dont ils n’ont pas besoin à des doses supérieures aux posologies indiquées dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché ?

Nous allons travailler au quotidien sur l’ensemble de ces aspects : l’éthique, qui constitue l’essence même du sport - sincérité du résultat, exemplarité pour la jeunesse -, mais aussi la protection de la santé. Le rapport de la commission d’enquête nous livre sur ces registres quelques clefs pour lutter efficacement contre le dopage.

Le premier rôle du ministère des sports est bien sûr de faire respecter l’arsenal législatif existant, et de contribuer, avec l’aide du Parlement, à l’améliorer en permanence.

Depuis la loi Herzog de 1965, qui a fait de la France le premier grand pays européen à se doter d’une législation réprimant le dopage, jusqu’à la promulgation de l’ordonnance du 14 avril 2010, en passant par la loi Buffet et la loi Lamour, la lutte contre le dopage a été motivée par la préoccupation de promouvoir l’éthique du sport et la santé des sportifs, ainsi que par la volonté de se conformer aux conventions internationales de lutte contre le dopage auxquelles la France a adhéré : celle du Conseil de l’Europe, de 1989, et celle de l’UNESCO, de 2005, qui comporte en appendice le code mondial antidopage.

C’est donc la préservation de la santé des sportifs qui, outre la lutte contre la tricherie, a toujours conditionné la position du ministère des sports, en cohérence avec le mouvement sportif sur le sujet. J’insiste sur ce point, car, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer à plusieurs reprises – et je vois que le débat a eu lieu au sein de votre commission d’enquête et qu’il a été tranché –, je suis opposée, de concert, effectivement, avec le mouvement sportif, à la pénalisation de l’usage des produits dopants parce que je suis convaincue que le sportif doit être protégé et non pas condamné.

Selon moi, le problème du dopage est un enjeu de santé publique avant d’être un enjeu pénal. Les sportifs se dopent pour gagner, se mettent en danger en recourant à des produits dont les effets sont, à terme, parfois inconnus. C’est aussi sous cet aspect qu’il faut considérer la lutte contre le dopage : condamner pénalement les tricheurs, c’est se mettre en position de défiance envers les sportifs et les fédérations. Le rôle du ministère des sports n’est pas de créer un climat pénal autour du sport, mais bien de protéger les sportifs et, ce faisant, de protéger le sport.

Cette conviction n’enlève rien à ma détermination à lutter contre le dopage. Stéphane Mazars l’a rappelé, au moment de la loi de 1989, on a finalement pris conscience que les délais de la procédure pénale étaient incompatibles avec le calendrier sportif. On a également mesuré combien la question de l’intentionnalité de la faute était complexe en matière de dopage.

Concernant l’arsenal législatif, il me faut évoquer, pour compléter mon propos, la loi du 12 mars 2012, qui, grâce à votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs, et aux amendements que vous aviez déposés, a instauré le « profil biologique », fondé sur certains paramètres sanguins des sportifs, tout en en réservant l’usage aux sportifs de haut niveau, aux sportifs Espoirs, aux sportifs professionnels et aux sportifs ayant déjà fait l’objet d’une sanction. Tous ces sportifs sont parallèlement assujettis aux obligations de géolocalisation.

Sur ce sujet comme sur d’autres, la France est en pointe. Un comité de préfiguration, présidé par l’Agence française de lutte contre le dopage, a rendu ses conclusions. Ce n’est plus qu’une question de semaines pour que soient publiés les décrets permettant la mise en place effective du passeport biologique.

Comme vous le voyez, l’arsenal législatif, important, est en perpétuelle évolution, notamment pour assurer sa mise en conformité avec les textes internationaux. La législation continuera de s’enrichir, notamment avec les propositions de votre commission d’enquête, qui pourront s’intégrer dans la loi de modernisation du sport que je prépare actuellement pour 2014. Ce texte sera consacré non pas uniquement au dopage et à l’éthique, mais à l’ensemble des enjeux de la politique sportive.

Mais le rôle du ministère ne se limite pas à rédiger des textes et à les faire appliquer. J’ai ainsi souhaité que la Direction des sports s’engage activement sur le sujet majeur de la lutte contre le dopage, en particulier en matière de prévention. Ses actions se décomposent en deux volets majeurs.

S’agissant tout d’abord du volet « grand public », je citerai l’association, pour la première fois, de la Direction des sports aux travaux du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour ce qui concerne la diffusion de programmes concernant la lutte contre le dopage, notamment par la mise à disposition de kits de communication.

Je citerai également la sensibilisation des clubs de remise en forme et de leurs usagers, plan important porté avec le mouvement sportif, notamment la Fédération française d’haltérophilie, ou encore la mise en place d’un numéro vert Écoute Dopage, assuré par Dopage info service, et la création d’antennes médicales de prévention du dopage, qui effectuent environ 1000 consultations par mois et bénéficient de près de 600 000 euros aujourd’hui, ce qui représente un pourcentage important de la part territoriale du CNDS, le Centre national pour le développement du sport.

Je citerai enfin la mise à disposition d’outils de sensibilisation et de communication réalisés en partenariat avec la MILDT, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Le message diffusé, vous avez raison, doit être beaucoup plus positif et porter sur la pratique sportive en tant qu’outil de santé publique, et non sur les punitions : le message doit insister moins sur ce que le sport interdit que sur ce qu’il permet !

J’en viens au second grand volet de notre action, à destination cette fois du mouvement sportif.

Nous soutenons les fédérations qui s’engagent dans des programmes de prévention du dopage par le biais de conventions d’objectifs ou d’appels à projets. Sur ce chapitre, en dépit de contraintes budgétaires que chacun connaît, j’ai tenu à ce que tous les moyens soient préservés dans les budgets 2013 et 2014.

Nous soutenons également les territoires, par le biais des projets de clubs intégrant dans leur volet éducatif des actions de sensibilisation à la prévention du dopage.

Enfin, nous avons défini, le 6 juillet 2012, une norme qualité AFNOR, qui certifie la qualité des compléments alimentaires. Vous savez combien les sportifs, dans les salles de remise en forme, mais pas uniquement, sont friands de ces compléments alimentaires, qui ont parfois défrayé la chronique dans le cadre d’affaires de lutte contre le dopage. Cette norme permet donc de garantir que ces compléments alimentaires ne contiennent pas des produits interdits, et plus particulièrement des anabolisants.

Vous le voyez, les actions de la Direction des sports sont nombreuses ; elles doivent être sans cesse approfondies et améliorées. J’ai souhaité installer un comité de suivi permanent entre le ministère des sports, l’Agence française de lutte contre le dopage et le CNOSF, le Comité national olympique et sportif français, afin que la dimension préventive des actions portées par les uns et les autres se transforme en un véritable travail collectif.

Le ministère des sports, enfin, est, pour ce qui relève de la puissance publique, le financeur majeur de l’autre acteur principal de la lutte contre le dopage. Je veux parler, bien sûr, de l’AFLD, autorité administrative indépendante qui accomplit un travail considérable. Aujourd'hui, je tiens à saluer, en un clin d’œil complice, Jean-Pierre Verdy, le directeur du département des contrôles. Pierre Bordry, l’ancien président de l’AFLD, lui remettra dans quelques minutes les insignes de l’ordre national du Mérite, pour l’ensemble de son engagement dans la lutte contre le dopage.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes conscients vous comme moi, toutes ces actions restent insuffisantes. Nous avons besoin de mieux les coordonner encore, et de fédérer tous les acteurs du sport autour de l’objectif qui est le nôtre.

Vous avez évoqué, monsieur Le Scouarnec, la nécessité de moyens complémentaires. Or la commission d’enquête a travaillé sur la base de moyens constants, ce dont je la remercie. En effet, comme je l’ai dit à l’instant, ces moyens n’ont pas été diminués.

Vous avez suggéré qu’une partie de la taxe Buffet soit affectée à l’Agence française de lutte contre le dopage. La proposition n° 46 du rapport, à savoir l’attribution à l’AFLD du produit des amendes financières payées par les tricheurs, doit d’être confrontée à deux réalités : d’abord, tous les moyens de l’AFLD ont été confortés ; ensuite, il ne faudrait pas, en nous engageant plus loin sur la taxe Buffet, affaiblir le Centre national pour le développement du sport.

Aujourd'hui, il faut en prendre conscience, d’une part, le rendement de la taxe Buffet, du fait de la diminution des droits audiovisuels, est en baisse, mais, malgré tout, nous avons voulu maintenir les moyens du CNDS ; d’autre part, les administrateurs du CNDS ont dû voter à l’unanimité un plan de redressement, qui s’étale jusqu’en 2016, car le Centre national pour le développement du sport avait engagé jusqu’à deux fois son budget. Par conséquent, tout moyen qui serait retiré au CNDS serait retiré à l’ensemble de la solidarité en faveur du développement du sport français.

Je veux insister sur l’importance de l’international. L’une des missions de mon ministère est aussi d’assurer ce rôle moteur qui a toujours été celui de la France dans ce domaine.

Il existe plusieurs instances incontournables dans la lutte contre le dopage : le Conseil de l’Europe, précurseur sur le sujet avec le texte de 1989 ; l’UNESCO – la convention internationale de 2005 a été adoptée à ce jour par plus de 170 pays – ; l’AMA, l’Agence mondiale antidopage, qui a la responsabilité de la lutte antidopage à l’échelle internationale et celle, essentielle, de la rédaction du code mondiale antidopage, qui s’impose à toutes les fédérations internationales et dont les principes engagent également les États signataires de la convention de l’UNESCO.

J’ai la chance et l’honneur d’être la représentante de l’Europe au sein du comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage depuis le 1er janvier 2013. Composée à 50 % de représentants du monde sportif et à 50 % des autorités publiques, l’Agence est aujourd’hui l’institution centrale de la lutte contre le dopage parce qu’elle édicte les règles du code mondial antidopage et parce qu’elle exerce un rôle moteur dans la recherche.

La dernière recherche qui vient d’être publiée par l’AMA – l’un d’entre vous l’a évoquée – porte sur la sortie du profil stéroïdien, que nous attendions pour pouvoir progresser sur le passeport biologique. Cette recherche est fondamentale dans la lutte contre le dopage.

L’AMA mise également sur l’éducation et la prévention. La France et l’Europe consacrent, en la matière, des moyens très différents de ceux qu’y consacrent d’autres, sur d’autres continents. Je pense en particulier à l’Afrique, qui ne compte plus qu’un seul laboratoire antidopage… La lutte contre le dopage doit s’exercer solidairement à l’échelle de la planète.

L’AMA est une institution centrale parce qu’elle accrédite les laboratoires et travaille en lien avec les pays accueillant de grandes compétitions, mais qui sont parfois en retard par manque de volonté ou par manque de moyens.

Certaines évolutions majeures dans la lutte contre le dopage, certaines préconisations de votre rapport, trouvent leur concrétisation dans la révision du code mondial antidopage, qui sera validé par l’ensemble des acteurs à Johannesburg, lors de la conférence mondiale antidopage de novembre prochain.

Ce n’est pas l’objet de ce débat de dresser la longue liste des évolutions qu’a connues le code mondial antidopage, mais certaines ont été évoquées dans votre rapport et trouveront donc évidemment leur traduction à cette occasion.

Concernant les sanctions – et c’est l’une des préconisations de votre commission d’enquête –, il est prévu de porter de deux à quatre ans la durée de la suspension en cas de contrôle positif à une substance « lourde ».

Concernant les pouvoirs d’investigation, l’Agence se verra confier la possibilité de lancer ses propres enquêtes sur les violations des règles antidopage.

Concernant le rôle des acteurs – nous retrouvons également ici les préconisations de la commission d’enquête –, le rôle des agences nationales sera renforcé, notamment par rapport aux fédérations internationales. C’est cette mesure que nous avions prise à l’occasion du Tour de France 2013.

En effet, les organisations nationales antidopage auront désormais la possibilité automatique d’effectuer des contrôles additionnels lors des compétitions internationales organisées sur leur territoire dès lors que la fédération internationale les aura mandatées pour prendre en charge les contrôles durant cette compétition.

Il est également à noter que de nouvelles décisions pratiques seront prises concernant les autorisations à usage thérapeutique – on a vu qu’elles proliféraient –, qui pourront désormais être contestées par les agences nationales.

L’utilisation des données du passeport biologique et du suivi longitudinal comme preuves de dopage sera renforcée.

En novembre 2012, l’AMA avait organisé à Paris, dans les locaux de l’Assemblée nationale, en collaboration avec les autorités françaises, le Conseil de l’Europe et l’UNESCO, un symposium avec l’industrie pharmaceutique pour échanger sur les collaborations possibles. C’est, là aussi, une voie d’avenir.

Au moment où la présidence de l’AMA s’apprête à basculer et alors que va être édicté le nouveau code mondial antidopage, il est important de poursuivre le débat entre les autorités politiques et les autorités sportives. Si le mouvement sportif international envisage plutôt l’AMA comme un prestataire de services à sa disposition, nous, autorités politiques et gouvernements, nous campons fermement sur notre position et considérons l’AMA comme un outil de régulation à disposition de l’ensemble des pays, de leurs autorités de contrôle, de leurs laboratoires de contrôle. C’est la position que je défends au sein de l’AMA au nom de l’Europe et de la France.

J’en viens maintenant aux soixante propositions de la commission d’enquête sénatoriale sur la lutte contre le dopage, à l’exclusion de celles qui trouveront une traduction dans ce code mondial. J’articulerai mon propos autour des sept piliers de la lutte contre le dopage qu’elle a identifiés, en m’efforçant de répondre à l’ensemble de vos interrogations.

Commençons par le premier pilier : « Connaître ».

Comme je l’ai précisé voilà quelques minutes, connaître le dopage est essentiel. Ici encore, le Sénat a fait un travail majeur.

Je ne peux pas parler de cette commission d’enquête et de son rapport sans évoquer les noms de sportifs dopés qui ont été cités à cette occasion. Je regrette que certains médias ne se soient focalisés que sur cet aspect du rapport, sur un sport particulier, privilégiant le scoop aux propositions de fond faites par le Sénat.

Mais ces révélations ne seront utiles que si elles incitent des coureurs à expliquer comment fonctionnait le système du dopage, si elles permettent de rompre la loi du silence, si elles permettent de faire le ménage dans les entourages des équipes actuelles.

Trois types d’attitude desservent le sport.

D’abord, le « tous dopés ». C’est faux ! Je suis convaincue qu’il y a un recul des pratiques dopantes. Les années noires sont sans aucun doute derrière nous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais rien n’est définitivement acquis dans la durée

Ensuite, « la lutte contre le dopage ne sert à rien ». C’est encore faux ! Il arrive que des contrôles soient positifs, même si, parfois, les affaires sont connues des années plus tard. Il y a des saisies de douane. Il n’existe aucune impunité : les tricheurs tombent !

Enfin, le « ne parlons pas du dopage ». Vous en avez heureusement pris le contre-pied. Justement, on ne vaincra le dopage que si l’on en parle. C’est pourquoi je verrais d’un œil favorable la création d’une commission « vérité et réconciliation », sous l’égide du mouvement sportif.

Il est indispensable que les sportifs qui ont eu recours au dopage parlent : s’il faut, pour ce faire, qu’une commission « vérité et réconciliation » soit mise en place, allons-y ! Ce sont les témoignages du passé qui nous aideront à lutter contre le dopage à l’avenir. L’omerta, ne l’oublions pas, est un frein pour le sport, mais surtout un poids pour les sportifs.

Pour que ces commissions « vérité et réconciliation » puissent se mettre en place, il faut que le principe en soit accepté au niveau international. Je crois savoir que les instances internationales travaillent en ce sens. Nous serons tous solidaires pour progresser dans cette voie.

Je suis également favorable au financement d’études épidémiologiques pour améliorer la connaissance sur les pratiques dopantes et les risques sanitaires. Cela permettra de lutter contre certains discours irresponsables, parfois entendus au cours de la commission d’enquête, selon lesquels il faudrait autoriser un dopage prétendument inhérent au sport.

Ces études, il faut les imaginer au niveau français et au niveau international. J’évoquais la direction de la recherche de l’AMA, qui publie des travaux passionnants. Depuis 2001, 56 millions de dollars ont été consacrés au financement de projets internationaux de recherche.

L’AMA lance chaque année un appel d’offres pour des projets de recherche scientifique et épidémiologique. Il serait important que la France y réponde plus qu’elle ne le fait aujourd’hui afin de pouvoir bénéficier de ces moyens financiers.

S’agissant du deuxième pilier, « Prévenir », j’ai bien noté la proposition de redonner à l’AFLD la compétence en matière de prévention en la chargeant notamment de la coordination de l’animation des antennes médicales.

Permettez-moi de rappeler, à cette occasion, que le ministère des sports a hérité du champ de la prévention du dopage parce qu’il est en relation avec l’ensemble des acteurs de la lutte contre le dopage, en premier lieu les fédérations sportives via les conventions d’objectifs. Ce cadre conventionnel, qui explique notre travail permanent d’échanges, donne toute légitimité au ministère pour conduire les fédérations à s’inscrire dans une démarche de prévention.

Il est également prévu de mettre en place, dans les jours qui viennent, un comité de pilotage pour le suivi des actions figurant dans le plan national de prévention du dopage que nous avons arrêté pour la période 2013-2016. Il associera le CNOSF, l’AFLD et l’OCLAESP, l’Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique. Cela permettra au ministère de jouer pleinement son rôle de pivot et de coordination des actions de prévention contre le dopage, cette coordination qui nous fait tant défaut.

Je reste persuadée que le ministère des sports est le plus légitime pour agir dans le champ de la prévention, pas seul, mais comme pilote et comme coordonnateur. Il est vrai que nous devons progresser. C’est pourquoi j’ai diligenté une enquête de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports pour déterminer la pertinence du dispositif actuel des antennes régionales et la manière dont elles pourraient mieux fonctionner, ainsi que pour analyser l’efficacité du numéro vert Écoute dopage.

Il est une autre proposition qui entre dans ce champ de la prévention, reprise par plusieurs d’entre vous : établir une procédure de validation des calendriers sportifs par le ministère. L’idée est intéressante, mais cela reviendrait à exercer une tutelle sur le mouvement sportif, ce à quoi je me refuse.

Je suis plutôt favorable à une responsabilisation du mouvement sportif et à une autorégulation accrue en la matière. C’est un sujet qui doit être débattu avec le CNOSF et au sein de la commission « éthique » du Conseil national du sport. Il me semble essentiel qu’il y ait un vrai dialogue social. Pourquoi le sport serait-il le seul secteur où l’on n’entend pas les syndicats de salariés que sont les joueurs ? Il est indispensable que ce dialogue social avec les représentants des joueurs puisse sortir de cette phase de balbutiement dans laquelle il se trouve aujourd’hui.

S’agissant du troisième pilier, « Contrôler », j’ai bien noté la proposition visant à considérer par défaut toute manifestation sportive se déroulant en France comme nationale. Dans nos travaux préparatoires au projet de loi, nous nous employons à remédier à l’imperfection actuelle de la notion de « compétitions internationales », qui, par son caractère extensif, peut constituer un frein au rôle de l’AFLD.

Nous allons donc proposer de modifier l’article L.230-2 du code du sport afin de définir plus strictement la notion de « manifestations internationales », en se fondant sur la qualité des organisateurs. Seraient ainsi considérées comme manifestations internationales celles qui sont organisées uniquement par le Comité international olympique, le Comité international paralympique ou par une fédération internationale. Les autres critères utilisés aujourd’hui, trop généraux, seraient supprimés. Il conviendra toutefois de tenir compte des évolutions possibles dans la définition de la notion de « manifestations internationales » qui pourraient résulter de la conférence de Johannesburg.

Par ailleurs, nous avons fait paraître, le 26 juin dernier, un décret élargissant la liste des agents habilités à rechercher et à constater les trafics de produits dopants. C’est une vraie réponse à certaines des orientations proposées par le Sénat dans son pilier « Contrôler ».

Jusqu’à présent, en effet, seuls les officiers et agents de police judiciaire, ainsi que certains personnels du ministère des sports et les représentants assermentés de l’AFLD, étaient habilités, aux termes de l’article L. 232-20 du code du sport, à s’attaquer aux trafics de produits dopants.

Ce décret renforce donc la coopération interministérielle dans ce domaine, en ajoutant désormais à cette liste les agents des services des impôts, de la concurrence et de la répression des fraudes. Tous peuvent dorénavant échanger leurs informations sur de possibles trafics de substances dopantes, comme les caractéristiques des substances en circulation et celles des circuits frauduleux – mode d’acquisition et d’approvisionnement, moyens d’acheminement ou typologie des filières.

Je note également votre proposition de mettre en place huit correspondants médecins antidopage interrégionaux à temps plein, en lieu et place des vingt-quatre correspondants actuels, employés à tiers temps. Il faut aussi prendre en compte l’ensemble des missions assignées à ces médecins, qui travaillent sur la dimension « sport et santé », avec les agences régionales de santé. Un équilibre doit être trouvé entre les deux faces de la lutte contre le dopage : l’éthique, avec la lutte contre la tricherie, d’un côté, et la santé publique, de l’autre, que nous avons évoquée les uns et les autres.

Sur le quatrième pilier, « Analyser », j'ai bien lu la proposition de séparation du laboratoire et de l'AFLD. Nous travaillons très sérieusement à cette option, notamment sur la faisabilité juridique de cette séparation au regard du statut d’autorité administrative indépendante de l’Agence, afin d’en évaluer l’ensemble des conséquences.

Je reste persuadée de l'intérêt de développer les liens avec la recherche scientifique sur ces sujets. La France a été un précurseur voici quelques années en ce qui concerne la détection de l’érythropoïétine, l’EPO. Or nous sommes aujourd’hui engagés dans une course en avant en matière de molécules nouvelles, de procédés de dopage au moyen de substances toujours plus microdosées et, demain sans doute, d’interventions génétiques. Nous devons cependant rester performants en permanence dans notre lutte contre le dopage.

J’ai été sensible également à la proposition n° 6 de porter devant l'AMA, la volonté d'avoir une seule et même liste de produits interdits, pour les compétitions et pour les entraînements. Je me suis une nouvelle fois exprimée sur ce sujet il y a quelques semaines à Buenos Aires, lors du Comité exécutif de l’AMA, afin de faire entendre la position que nous partageons.

En effet, je ne comprends toujours pas l'intérêt d'avoir deux listes. Comment un même produit pourrait-il être non dopant à l'entraînement et dopant en compétition ? Un tel produit augmente au moins la capacité de travail à l'entraînement et je considère donc, comme vous tous, qu’il s’agit bien de dopage. Cette seconde liste est une véritable aberration : qui connaît les effets secondaires des corticoïdes ne saurait accepter que des sportifs puissent en prendre, même à l'entraînement ! Or c’est précisément ce qu’autorise l’absence de certaines substances de cette seconde liste…

Si nous en revenions à une liste unique, me dit-on, nous serions confrontés à une augmentation considérable du nombre d’autorisations d’usage thérapeutiques. Cet argument ne me suffit pas : il faudra que l’AMA rouvre ce dossier des AUT et de la liste unique des produits interdits, qui est indispensable pour éviter certaines aberrations et pour offrir plus de lisibilité aux sportifs eux-mêmes.

Sur le cinquième pilier, « Sanctionner », en particulier la proposition de transférer des fédérations nationales à l’AFLD le pouvoir de sanctions des sportifs, je reconnais avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il est difficile d'être à la fois juge et partie – on m’a beaucoup entendue sur ce sujet, notamment au moment où vous m’avez auditionnée –, et de devoir, comme les fédérations internationales aujourd'hui, tout à la fois assurer la promotion du sport, lutter contre le dopage et sanctionner.

Il nous faut néanmoins, je crois, réfléchir au processus exact que nous pourrions mettre en place. Peut-être les fédérations doivent-elles rester compétentes en première instance et l’AFLD n'être saisie qu'en appel. Nous devons approfondir notre réflexion afin de trouver le mécanisme idéal qui permette de réduire les délais – effectivement bien longs entre la première instance et l’appel, voire jusqu’à l’intervention éventuelle de l’AFLD – tout en offrant plus de transparence et plus de garanties sur la qualité juridique des décisions, et ce sans exclure le mouvement sportif de la lutte contre le dopage.

Sur le sixième pilier, « Pénaliser » et la volonté de pénalisation de la détention de produits – et non seulement de l’usage – par des personnes pratiquant un sport dans le cadre d'un établissement d’activités physiques et sportives, il nous faut impérativement approfondir notre réflexion juridique. Les services du ministère travaillent activement pour faire évoluer la législation dans le sens de la pénalisation de la détention dans ces salles.

Enfin, sur le septième et dernier pilier proposé dans son rapport par la commission d'enquête, « Coopérer », j'ai bien lu la volonté des sénateurs de voir se renforcer les échanges d'informations, notamment entre l’AFLD et l’OCLAESP. Comme je l’ai dit à l’instant, nous avons commencé à travailler en ce sens. Une coopération accrue donnera plus de place aux preuves non analytiques et au travail hors des contrôles. C’est le sens de nombreuses réunions qui ont eu lieu en amont du Tour de France avec tous les services concernés - douane, police, OCLAESP. C’est aussi le sens du travail qui est porté au niveau international et de celui que nous poursuivons sur le plan national.

Cette coopération doit également se décliner au niveau régional. Agents du ministère chargé des sports, agents de l’Agence française de lutte contre le dopage, police judiciaire, gendarmerie, agents des administrations des douanes, des impôts ou de la concurrence et de la répression des fraudes, c’est ensemble qu’ils peuvent faire progresser la lutte contre le dopage, en particulier en ce qui concerne les trafics et les techniques. Le décret pris le 26 juin 2013 confie au directeur des sports et au directeur des affaires criminelles et des grâces– il s’agit donc là, pour la première fois, d’un travail mené avec le ministère de la justice – l'animation et la coordination des commissions régionales de lutte contre les trafics de substances ou méthodes dopantes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vos soixante propositions, qui concernent l'ensemble des acteurs de la lutte contre le dopage, ne sont pas toutes destinées à mon ministère. En effet, certaines d’entre elles s’adressent au mouvement sportif, à l’AFLD, ou aux instances internationales, et tous devront se saisir des voies d'amélioration que vous avez suggérées.

Vos soixante propositions ne sont pas non plus toutes de nature législative – vous l’avez évoqué. Certaines relèvent de décrets, d'autres de la simple organisation de la lutte contre le dopage entre les différents acteurs.

Il me semble nécessaire de revenir sur un certain nombre de préconisations qui sont, elles, d'ordre législatif.

Commençons par la proposition n° 9, c’est-à-dire la pénalisation de la détention de produits par des personnes pratiquant un sport dans le cadre d'établissements d’activités physiques et sportives.

En ce qui concerne les sportifs, la pénalisation de la détention est prévue par le code du sport depuis la loi du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre le trafic de produits dopants. En revanche, la pénalisation de la détention des substances dopantes par des culturistes – ce ne sont pas des sportifs au sens du code du sport - ne peut être fondée, quand il s'agit de substances vénéneuses, que sur le code de la santé publique et, quand il s’agit de stupéfiants, que sur le code pénal.

Cet émiettement des fondements juridiques nuit à la lutte contre les trafics. Aussi est-il intéressant que le code du sport comporte à l’avenir des outils de nature à sanctionner pénalement la détention des substances et méthodes dopantes détenues par les pratiquants des salles de sport, afin d'assurer une meilleure lutte contre le trafic de produits dopants.

Relancer des commissions régionales de prévention et de lutte contre le dopage, animées par les correspondants antidopage interrégionaux : je viens d’évoquer cette proposition.

Les propositions n° 27 à 30, relatives aux prérogatives des fédérations internationales dans le nouveau code mondial, devront se traduire dans la législation française en 2014. Sur ce sujet précis, j’ai évoqué ce que sont les propositions portées aujourd’hui au sein du comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage. Nous devrons évidemment, dans notre texte de loi, traduire ensuite ce code mondial.

Confier à l’AFLD le pouvoir de sanction dès la première instance, avec appel devant le Conseil d’État, serait important. De même, il me semble souhaitable de créer une commission des sanctions distincte du collège et chargée de prononcer les sanctions disciplinaires sur la base des dossiers instruits par l’AFLD.

En effet, depuis la loi Buffet, la compétence en matière disciplinaire est assurée par les fédérations sportives agréées, qui sont compétentes en premier ressort et en appel. L’AFLD n'intervient par conséquent que de façon supplétive, si le sportif n’est pas licencié, ou en cas de carence d'un organe disciplinaire d'une fédération sportive, ou encore pour réformer ou étendre les décisions prises par les organes fédéraux compétents.

Cette chaîne de décisions multiples mérite aujourd’hui d’être revue et simplifiée. La question est de savoir si l’AFLD doit être compétente en appel, ou directement en première instance, comme le préconise le Sénat.

Voilà pourquoi aussi il est indispensable qu’une autorité administrative indépendante dispose de pouvoirs de sanctions analogues à ceux que détiennent, dans d’autres domaines, l’Autorité des marchés financiers ou l'Autorité de contrôle prudentiel. Il serait donc essentiel, comme c’est le cas pour ces autres autorités indépendantes, de distinguer, au sein de l’AFLD, une commission disciplinaire appelée à statuer sur les dossiers soumis en appel, bien distincte du collège, lequel resterait chargé de diligenter la politique de contrôle et d'analyses antidopage.

L’ensemble de ce qui a été évoqué en matière de sanctions et, en particulier, ce qui a trait aux évolutions du code mondial antidopage, ainsi que le passage des sanctions de deux à quatre ans que vous préconisez, figurera dans le texte définitif qui sera voté dans quelques jours, à Johannesburg.

La lutte contre le dopage se jouera effectivement en partie à Johannesburg, sur le plan international, avec le positionnement de l’Agence mondiale antidopage, mais elle se jouera aussi dans cet hémicycle, puisque, l'année prochaine, nous aurons à discuter ensemble du projet de loi de modernisation du sport.

Pour répondre à votre demande, je ferai en sorte que le Sénat soit saisi en premier de ce projet de loi de modernisation du sport, dont l’un des enjeux importants tient précisément au rééquilibrage de la place des collectivités locales dans la gouvernance du sport français. Par conséquent, il me semble que le Sénat est l’assemblée indiquée pour entamer les travaux sur une loi qui prendra en compte non seulement l’éthique, non seulement le dopage, mais aussi l’ensemble des enjeux de la gouvernance du sport ainsi que de la régulation du sport professionnel. Sur ce registre, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons encore de beaux débats devant nous !

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