c’est sur l’initiative conjointe de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et de celle des affaires économiques – dont je tiens ici à remercier les présidents respectifs – qu’a été mis en place, il y a presque un an, un groupe de travail ayant pour objet le bilan de l’application de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques.
Les trois sénateurs chargés de l’instruction de ce rapport ont été, outre moi-même, mes collègues Jean-Jacques Lasserre, qui préside par ailleurs le groupe d’études du tourisme et des loisirs de notre assemblée, et Louis Nègre.
Je tiens à souligner l’excellent esprit qui a animé notre travail, au-delà des sensibilités politiques représentées, et le caractère collectif du constat porté par le rapport et des propositions qui l’accompagnent.
Mes chers collègues, vous avez tous ou presque en tête, je l’imagine, que la France est « le » pays du tourisme par excellence. Certes, cela a longtemps été le cas et c’est encore en partie vrai; mais cela risque très rapidement de ne plus l’être si l’on ne se mobilise pas fortement à tous les niveaux de l’action publique.
Il est vrai que notre pays demeure la première destination touristique au monde. Avec 83 millions de visiteurs étrangers accueillis en 2012 selon l’Organisation mondiale du tourisme, la France reste leader devant les États-Unis, la Chine, l’Espagne et l’Italie. Les retombées directes du secteur dans notre économie sont estimées à 7, 1 % du PIB ; elles apportent des excédents considérables à notre balance des paiements, réduisant ainsi son déficit global.
Dans une période de forte inactivité, où la lutte contre le chômage se révèle être la priorité pour nos concitoyens, souvenons-nous que le tourisme emploie près de deux millions de personnes, comme M. Assouline l’a rappelé, dont la moitié directement.
Ces emplois, il faut insister sur ce point, sont par nature difficilement « mécanisables », et encore moins « délocalisables ».
Le tourisme fait vivre nos territoires en valorisant leurs identités, et apporte du travail à des populations souvent peu ou pas qualifiées, qu’il contribue à insérer socialement et professionnellement.
Pourquoi notre pays est-il aussi « en pointe » sur cemonde, et qui fait l’identité de la France à l’étranger.
Pourtant, ne nous laissons pas abuser, le tableau est loinpas fortement et rapidement.
Pour commencer, notre place de leader mondial est underrière les États-Unis et l’Espagne.
Les touristes que nous accueillons sont extrêmementeuropéens. À l’inverse, nous n’attirons pas suffisamment les populations des pays émergents, qui constituent pourtant le « gros » de la demande touristique de demain.
À vrai dire, la vérité des chiffres se concilie mal avec l’autosatisfaction affichée par les responsables, y compris politiques. « Tout va très bien ! », veut-on nous laisser croire, alors que notre pays n’est plus l’Eldorado touristique qu’il a longtemps été.
À ce titre, nous devons être à l’écoute et prendre en compte les inquiétudes des professionnels du secteur. Je pense, par exemple, à celles qui ont été exprimées récemment par le Comité pour la modernisation de l’hôtellerie française, qui nous appelait à sortir d’une « posture de vainqueur, aux sonorités cocoricoesques ».
Selon eux, tout le monde penserait ainsi à tort « que la France est suffisamment et naturellement attractive et que le tourisme est une affaire qui marche toute seule, sans avoir à y regarder de plus près ».
De même, faisons résonner les propos du Président de la République comme un appel vibrant, lorsqu’il déclarait à la conférence des ambassadeurs, le 27 août dernier, que nous devions « faire du tourisme une grande cause nationale ».
Mes chers collègues, l’industrie du tourisme est le fleuron d’une économie territorialisée, pourvoyeuse d’emplois et de points decroissance.
À l’heure où nous devons tous nous engager dans laagir afin d’adapter cette industrie à la mondialisation.
Pour reconquérir notre place de leader sur le marchémondial, nous devrons relever de nombreux défis structurels.
Premier défi : les statistiques en matière de tourisme sont à la fois imprécises et parcellaires. Mes corapporteurs et moi-même proposons donc de mettre en place un véritable observatoire économique du tourisme, fiable, crédible et réaliste, pour renforcer notre connaissance de ce secteur.
Deuxième défi : le budget consacré à la promotion est manifestement insuffisant à l’échelle de ce que représente la concurrence européenne et internationale. L’Agence de développement touristique Atout France dispose ainsi d’un budget cinq à six fois moindre que celui de son homologue espagnol ! D’un milliard de touristes dans le monde aujourd’hui, nous devrions passer à 1, 5 milliard en 2020 et 2 milliards en 2030. Nous ne les attirerons pas dans notre pays sur la seule base de sa réputation.
On peut noter néanmoins, madame la ministre, votre détermination à maintenir le budget de fonctionnement pour 2014 d’Atout France au même niveau qu’en 2013.
Troisième défi : l’environnement technique et normatif est beaucoup trop contraignant pour les professionnels. Je laisserai mes collègues développer ce point ultérieurement, mais il s’agit d’un élément crucial pour l’avenir du secteur du tourisme, qui étouffe sous une réglementation excessivement protectrice et mal adaptée aux réalités de terrain. Nous devrons, là aussi, procéder à un « choc de simplification ».
Quatrième défi : la gouvernance du secteur du tourisme, pour autant qu’il y en ait une, est très délicate à mettre en place. Chaque niveau de collectivité est habilité à y intervenir.
Le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que nous avons récemment examiné, n’a malheureusement rien changé sur ce point. Souvenons-nous du débat sur le chef de filat ! Si chaque niveau de collectivité a légitimement sa voix à faire entendre en la matière, il faudrait tout de même arriver à mieux articuler les différents champs d’intervention !
Cinquième défi : notre infrastructure touristique reste limitée et vieillissante. Selon les chiffres des professionnels eux-mêmes, un quart de notre hôtellerie classée est obsolète, et un bon tiers carrément « à bout de souffle ». Nos standards d’équipement et de confort ne correspondent plus aux attentes du touriste d’aujourd’hui. Les professionnels en ont bien conscience, mais peinent à financer les travaux de modernisation aujourd’hui si nécessaires.
Sixième défi : le marché « légal » du tourisme se trouve de plus en plus concurrencé par un marché parallèle, qui soit profite de vides juridiques, soit est manifestement illégal.
On peut penser, par exemple, au développement des plates-formes de réservation touristique en ligne, souvent basées à l’étranger, qui empochent des commissions substantielles et qui ne sont même pas imposées dans notre pays.
L’essor du numérique, s’il est une chance pour l’industrie du tourisme, est aussi source d’inquiétude : le poids croissant des sites de notation touristiques, dont certains sont alimentés de façon artificielle par des officines « d’e-réputation », est notamment redouté, car il joue sur le référencement des opérateurs, capital pour leur attractivité.
Au titre des activités cette fois-ci clairement illégales, on constate une recrudescence des offres de services non déclarées et non encadrées, dans les domaines de l’hôtellerie, de la restauration ou du transport. Mes collègues développeront ce sujet pour chacun des domaines concernés.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission sénatoriale, mes chers collègues, l’industrie du tourisme demeure, on l’aura compris, un atout formidable pour notre économie et nos territoires. Nous devons tous en prendre soin et lui donner dès aujourd’hui les moyens de saisir les chances de demain.
Dans cet esprit, je sais que nous pouvons compter sur votre détermination, madame la ministre, comme vous savez pourvoir compter sur celle des sénatrices et des sénateurs.
Mais quelle formidable coïncidence pour moi – pour ne pas parler de symbole – que d’avoir ce débat ce soir, quelques heures à peine après avoir organisé, dans les salons de la présidence, une rencontre sur les territoires visant à porter la candidature de la France à l’accueil de l’Exposition universelle de 2025 !
Alors, oui, mobilisons toutes les énergies pour relever ensemble ces défis !