Ce contrôle s'inscrit dans une trilogie. Dans le cadre de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je me suis d'abord intéressée à la diffusion des nouvelles technologies, notamment à l'entrée en application des nouveaux titres d'identité sécurisés, dont le passeport biométrique. J'ai ensuite étudié les conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur la qualité du service rendu aux usagers par les préfectures et les sous-préfectures. Enfin, je me suis penchée sur la question de l'adaptation de l'administration préfectorale à la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE).
Ces dernières années, l'organisation et le mode de fonctionnement de l'administration préfectorale ont profondément changé. Entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la RéATE a consisté à régionaliser la plupart des services déconcentrés de l'État, passés de vingt à huit grandes entités administratives : direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ; direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) ; direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ; direction régionale des affaires culturelles ; direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ; direction régionale des finances publiques ; services du Rectorat ; enfin, Agence régionale de santé (ARS).
Au niveau départemental, des directions départementales interministérielles sont apparues - deux ou trois, selon la démographie départementale : la direction départementale des territoires, qui regroupe les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et de l'équipement (DDE) ; la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), qui reprend les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports, des affaires sanitaires et sociales (DDAS) en matière d'affaires sociales ; des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des services vétérinaires. Dans les départements les plus importants, deux structures se substituent en outre à la DDCSPP : une direction départementale de la cohésion sociale et une direction départementale de la protection des populations.
La transition entre le modèle précédent et cette nouvelle architecture territoriale n'est pas allée sans difficulté. Des moyens humains ont été perdus - les médecins des anciennes DDAS, par exemple, qui sont partis dans les agences régionales de santé - au risque de fragiliser durablement les politiques publiques.
La Réate a fait de la région le niveau de pilotage des politiques publiques, tandis que le département met en oeuvre des actions de proximité. Le rôle du préfet de région a été renforcé par l'autorité qui lui est désormais reconnue sur les préfets de départements. Il dispose notamment d'un pouvoir décisionnaire de la répartition des crédits des budgets opérationnels de programme afin d'adapter les moyens aux enjeux territoriaux.
Cependant l'une des évolutions les plus notables au sein de l'administration préfectorale a été l'influence croissante du secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) à ses côtés. Celui-ci coordonne l'action des services régionaux de l'État, veille à leur articulation avec les services départementaux, conduit la mise en oeuvre de certaines politiques européennes, initie des mutualisations et anime la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines. Pour ce faire, il dispose d'une équipe dont les effectifs ont fortement progressé, au point de constituer une sorte de cabinet régional faisant parfois écran entre le préfet de région et les directions régionales et faisant craindre la redondance avec le secrétaire général des préfectures départementales.
Dans cet ensemble, la place et le devenir du préfet de département sont incertains. Sous l'effet notamment de la RGPP, les effectifs ont diminué. Le manque de fonctionnaires de catégorie A prive les préfectures et sous-préfectures de ressources suffisantes. Le suivi et la mise en oeuvre des politiques publiques au niveau départemental deviennent plus délicats. Le périmètre du contrôle de légalité se réduit, ce qui accroît le risque juridique pesant sur les élus.
Le département a pourtant vocation à demeurer un échelon de proximité, et le préfet de département, un interlocuteur indispensable pour les élus locaux et les acteurs économiques et sociaux. De même, le sous-préfet est apparu de manière constante au cours de mon contrôle comme devant être la porte d'entrée des services de l'État.
L'administration préfectorale subit en outre l'inflation des normes. Chaque année, 80 000 pages de circulaires sont adressées aux préfectures. Réuni le 17 juillet dernier, le Conseil interministériel pour la modernisation de l'action publique a annoncé la limitation des circulaires à cinq pages.
Dans une période marquée par la réduction des effectifs et le changement rapide des métiers, la formation, en particulier en catégorie C, devient un facteur clé de réussite pour les fonctionnaires. La mobilité doit également être encouragée. La force des habitudes, la crainte du changement, l'achat d'un logement, l'ancrage familial, constituent autant d'obstacles bien connus à une évolution professionnelle portée par la mobilité. A cela s'ajoutent des barrières administratives, les différences de statuts ou de rémunérations.
Ces enjeux peuvent notamment être mesurés à l'aune des projets menés par l'administration préfectorale. Après des débuts difficiles, le passeport biométrique et le système d'immatriculation des véhicules ont désormais atteint leur régime de croisière. Tel n'est pas le cas du projet FAETON introduisant un nouveau permis de conduire : initialement prévue pour le 19 janvier 2013, son entrée en application a été repoussée au 16 septembre 2013 pour des raisons techniques. Enfin, techniquement prête, la carte nationale d'identité électronique reste en attente de décisions.
Que veut-on faire désormais des préfectures et de leur prolongement naturel, les sous-préfectures ? Cette question occupe tous les esprits. Les agents s'inquiètent de leur devenir et du sens des missions qui leur sont assignées. Je salue leur sens de l'État, leur engagement et leur dévouement dans une conjoncture délicate. Les élus locaux s'interrogent également, partagés qu'ils sont, dans leur attitude envers l'Etat central, entre méfiance naturelle et attente légitime de soutien.
Les étapes successives de la décentralisation appellent un nouvel effort d'imagination. Le temps est bien loin du préfet quasi omnipotent en son département, mais le gué n'est pas encore totalement franchi : c'est bien ce qui fait la complexité de la situation actuelle. Faut-il abandonner le contrôle de légalité ? Les préfectures doivent-elles continuer à mobiliser des personnels sur les régies ? Ou au contraire aller vers la généralisation du paiement par le timbre fiscal ? La Réate ne peut suffire. L'administration préfectorale a bien un avenir, mais celui-ci doit désormais faire l'objet d'un nouveau projet.