Intervention de Emmanuel Hoog

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 octobre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Emmanuel Hoog président-directeur général de l'agence france-presse afp

Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'Agence France-Presse :

Je vais vous présenter l'état des lieux et faire un point d'actualité sur l'AFP puis je répondrai à vos questions.

L'AFP, en quelques chiffres, est un réseau d'information unique au monde qui appartient au trio de tête des agences de presse, en termes d'excellence, de performances commerciales et de couverture éditoriale. L'Agence représente 200 bureaux dans 150 pays. Après Associated Press et Reuters, un quatrième concurrent, « Chine nouvelle », est entré sur le marché avec de grandes ambitions : la Chine veut faire de son agence de presse nationale un vecteur fort de sa stratégie à venir.

L'AFP produit des textes, des photographies, de la vidéo et des infographies. Quelque 1 500 journalistes transmettent l'information 24h/24 et 2 300 collaborateurs de 80 nationalités différentes couvrent l'actualité du monde entier. Ils travaillent pour plus de 4 000 clients en 6 langues.

L'AFP diffuse plus précisément 3 200 dépêches, 3 000 photographies, 150 infographies et 200 vidéo par jour. Ces chiffres demeurent à peu près stables hormis pour la vidéo : en 3 ans, le nombre de vidéo a été multiplié par 10.

La répartition en chiffre d'affaires est la suivante : 61 % pour le texte, 26 % pour la photographie, 4 % pour la vidéo, 2 % pour l'infographie et 7 % pour le journal Internet pour un chiffre d'affaires total de 290 millions d'euros. 30 millions d'euros d'investissement permettent de préparer l'avenir avec, en particulier, la mise en place d'un nouvel outil rédactionnel multimédia.

La répartition du chiffre d'affaires dans le monde correspond à 46 % en France, 24 % en Europe, 12 % en Asie, 6 % en Amérique du Nord et au Moyen-Orient et 3 % en Amérique du Sud et en Afrique. L'AFP est la première agence de presse dans le monde arabe. C'est aussi la seule agence à disposer encore d'une équipe permanente à Damas.

Son réseau mondial constitue l'atout majeur de l'Agence et poursuit un objectif de couverture et de diffusion. Toutefois, ces deux notions sont décorrelées : il n'y a pas de lien entre les charges et les recettes d'un bureau régional.

Concernant nos concurrents historiques, Associated Press et Reuters, les réseaux sont globalement similaires mais ils disposent d'effectifs supérieurs. En revanche, « Chine nouvelle » n'a pas de difficultés financières et peut employer des effectifs locaux très étoffés. C'est une concurrence considérable car elle se fait sur des terrains où sa crédibilité est réelle et sur des secteurs profitables comme la mode ou le sport, sans enjeux politiques, mais dans le cadre d'une information spécialisée.

Les agences mondiales sont aujourd'hui dans une situation financière tendue car très liée aux difficultés de leurs clients historiques, les entreprises de presse.

En outre, de grands médias classiques se comportent désormais comme des agences de presse à l'instar de la BBC ou de CNN, et l'arrivée des chaînes d'information en continu bouleverse l'économie générale des agences. Par ailleurs, les sites Internet et les réseaux sociaux ont un effet déflationniste sur les coûts d'accès à l'information.

Concernant ses relations avec l'État et l'évolution de la réalisation, à son profit, de missions d'intérêt général, l'AFP a une obligation statutaire et commerciale de fiabilité et d'indépendance, de maîtrise des langues (de production et de traduction), afin de toucher le public étranger, et d'information sur tous supports. Même si le texte est l'élément structurant de la production, l'entrée dans l'information se fait de plus en plus par le biais de l'image : nous avons développé à cet effet un réseau photographique à l'international, dont nous sommes particulièrement fiers. À titre d'exemple, la vidéo la plus célèbre de ces dernières semaines est celle de la prise d'otage dans le centre commercial de Nairobi, qui a été tournée par une journaliste de l'AFP.

Bien que le statut de l'AFP en fasse une société commerciale sans capitaux, le réseau s'est historiquement constitué sur la base de subventions de l'État et notamment du ministère des affaires étrangères, avec comme contrepartie la possibilité pour le Quai d'Orsay de relire la copie. La rupture s'est faite en 1957 et le réseau, désormais indépendant, est aujourd'hui en constante mutation et fait l'objet d'arbitrages permanents. L'État est devenu, au même titre que la presse, un client de l'Agence même si, les contrats d'abonnement sont assimilés par certains à une subvention.

Le désengagement progressif de l'État depuis les années 1990, le dynamisme commercial et le développement des recettes propres ont fait diminuer la part relative de l'État dans le budget de l'AFP. L'Agence est fondamentalement liée aujourd'hui au marché de l'information et plus seulement de la presse. Nous devons aller vers de nouveaux clients économiquement plus dynamiques que nos clients traditionnels pour assurer notre avenir commercial. À ce titre, l'Agence vit actuellement une période de transition.

L'État demeure cependant un client à part, qui se comporte dans les faits comme un quasi-actionnaire. Pour mémoire, jusqu'à la fin des années 1970, une convention avec l'État permettait à celui-ci d'assurer 60 à 70 % des recettes de l'AFP et le marché commercial était assis sur une presse qui fonctionnait bien. Le modèle s'est alors déréglé, puis au début des années 1980, l'arrivée de l'informatique et de l'information sous forme de photographie a nécessité de nouveaux investissements pour l'AFP. Or, avec sa faible rentabilité, l'AFP n'a pas les moyens de dégager une capacité d'autofinancement forte. Nos clients étant au conseil d'administration, la pression sur nos tarifs est très forte. L'État a donc dû intervenir dès cette époque puis régulièrement en réinjectant du capital ou des subventions en investissement.

Un exemple particulièrement symbolique de l'utilité qu'eurent, par le passé, les dotations exceptionnelles de l'État à l'Agence est celui du succès du plan « photo internationale ». En 1985, l'AFP créait l'European Pressphoto Agency (EPA) en Europe, permettant d'échanger des photographies avec les agences de presse d'Europe occidentale, et constituait son propre réseau à l'international grâce à une dotation de l'État de 13,7 millions d'euros et à un prêt de 15,3 millions d'euros destinés à financer l'achat de matériels et d'équipements de transmission.

Le service « photo internationale », conçu initialement comme une offre complémentaire aux textes, est rapidement devenu compétitif en quantité et en qualité et concurrence, sur ce marché, Associated Press et Reuters. Ce succès a donné une exposition unique à l'AFP au niveau international et a contribué à l'attractivité des autres productions de l'Agence. En 2003, l'AFP a renoncé à sa participation à l'EPA et a conclu un accord d'échange avec Getty pour les États-Unis. Là encore, la réussite commerciale fut immédiate. En 2012, les recettes de l'Agence sur ces produits photographiques se sont élevées à 43,3 millions d'euros avec une marge d'exploitation de 8,7 millions d'euros en croissance régulière.

Dans le cadre du plan « photo internationale », l'État s'est donc comporté comme un investisseur avisé dont la participation s'est avérée rentable grâce à une marge d'exploitation devenue rapidement positive. De fait, la photographie dynamise le chiffre d'affaires de l'Agence depuis plus de 20 ans. Un tel succès pourrait, nous l'espérons, se reproduire avec le développement de nos productions vidéo.

Depuis 2009, l'AFP subit de plein fouet la dégradation de son environnement économique en France. En effet, la perte de vitesse des médias traditionnels - clients habituels de l'agence -, due à une mutation profonde des usages, n'est pas compensée par la croissance des nouveaux modèles d'information, qui ne sont pas à ce jour arrivés à maturité. Ainsi, la crise qui touche la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale depuis cette date a eu un effet amplifié sur l'AFP qui a perdu 17,3 millions d'euros de chiffre d'affaires. Pour conserver ses clients, l'Agence a dû proposer des offres de plus en plus diversifiées à des prix de plus en plus bas et développer une politique de remises commerciales. En conséquence, alors que la part des dépenses en faveur de l'AFP dans le chiffre d'affaires de la presse était restée stable, autour de 0,62 %, jusqu'en 2008, elle a ensuite diminué progressivement pour s'établir à 0,49 % en 2011. Cette dégradation doit désormais cesser.

En outre, les produits développés par l'AFP à l'international connaissent une faible croissance : les zones géographiques en extension, à l'instar de l'Afrique, restent modestes en valeur, tandis que les marchés dynamiques, comme celui des pays asiatiques, ne représentent encore qu'une maigre part de marché. En vue de développer son chiffre d'affaires à l'étranger, l'Agence a relancé son fil en portugais pour renforcer sa présence sur le marché brésilien et engagé une refonte de son fil en anglais pour lutter contre la concurrence sur le marché indien. Elle a également développé son offre en vidéo et en infographie.

L'AFP subit donc depuis 2009 un effet de « ciseau » lié à la dégradation de son environnement économique même si, d'un point de vue commercial, elle demeure efficace et agressive. La croissance des ressources issue de l'État a ainsi été plus faible, ces dernières années, que celle des recettes commerciales. Pour autant, l'Agence est essentiellement une entreprise de main d'oeuvre : ses charges sont constituées à près de 75 % par sa masse salariale. Si la croissance annuelle moyenne des charges est maîtrisée et converge vers 2 %, elles augmentent cependant, depuis 2009, plus rapidement que les ressources. En conséquence, la marge d'exploitation reste positive mais se dégrade progressivement.

Cette situation conduit l'Agence à disposer de capacités d'investissement fort limitées. Ce point constitue historiquement l'une de ses faiblesses en raison d'une marge d'exploitation moyenne insuffisante, de l'ordre de 5 %, et d'une difficulté à attirer des capitaux extérieurs. Mais la situation s'est aggravée avec la plainte déposée à Bruxelles pour aides d'État. L'Agence a certes pu financer, à hauteur de 40 % par la dette et de 60 % sur fonds propres, deux projets majeurs depuis 2010 - le nouveau système rédactionnel et de livraison aux clients (IRIS) pour 30 millions d'euros et la rénovation du siège Place de la Bourse pour 20 millions d'euros - mais l'État, qui devait verser une dotation de 20 millions d'euros pour IRIS, a transformé l'aide initialement prévue en prêt en raison de la plainte précitée. À la suite de ces deux investissements, la trésorerie de l'AFP ne lui permet désormais plus de financer d'autres développements pourtant nécessaires.

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