En guise d'introduction à mes réponses aux questions de M. Pierre Laurent, il me semble utile de préciser que, dès avant mon arrivée, le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre l'État et l'AFP prévoyait de réformer le statut de l'Agence. S'était d'ailleurs tenue sur ce thème une table ronde au Sénat et plusieurs rapports traitant du sujet avaient été publiés préalablement à ma nomination. Dans ce contexte, il me semble avoir contribué à pacifier le débat et à intégrer, dans la loi du 22 mars 2012 précitée, la notion de compensation par l'État des missions d'intérêt général réalisées par l'Agence, l'État devenant « subventionneur » et non plus seulement client de l'AFP.
Il me semble également essentiel de rappeler que les enjeux de l'AFP sont d'abord industriels avant d'être institutionnels. Il faut traiter l'Agence comme un actif stratégique de la France - je partage sur ce point votre analyse, monsieur le rapporteur - aux prises avec de nouveaux défis numériques, technologiques et commerciaux. Les questions à caractère institutionnel apparaissent en arrière-plan lorsqu'il s'agit de donner à l'Agence les moyens de son développement et que se pose, à cet égard, le problème de ses capacités d'auto-financement et de son accès au crédit bancaire pour des raisons tant juridiques que réglementaires. À titre d'exemple, nous ne pourrons pas mener à bien notre plan de développement de la vidéo avec le modèle de financement qui nous est actuellement imposé : il faut inventer un système plus efficace. C'est tout l'enjeu de la mission confiée par le Premier ministre à M. Michel Françaix.
Quelle que soit la réforme qui sera appliquée aux modes de gouvernance et de financement de l'Agence, un point demeurera non négociable : son indépendance éditoriale. Comme le reconnaissait le Premier ministre lui-même dans la lettre de mission adressée à M. Michel Françaix, le personnel représente le premier actif de l'Agence. Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens, à la différence de son prédécesseur, ne fera pas de la refonte du statut la condition de la réforme, plus large, du financement de l'Agence. Il prévoira également de renforcer substantiellement les capacités éditoriales en engageant de nouveaux journalistes afin de réduire l'écart, en personnels, avec nos concurrents et de permettre le développement de nouveaux produits.
Les vidéo et les photographies sont cruciales pour une agence mondiale revendiquant la place de numéro trois. Elles répondent à une exigence d'excellence et conditionnent aujourd'hui la dimension internationale de l'AFP, comme l'illustre la signature du treizième contrat avec l'Amérique latine sur la vidéo. Si nous avions conservé l'ancien rythme de production, soit 20 vidéo par jour, nous n'aurions pas pu nous développer dans le monde. En trois ans, nous sommes parvenus à une production quotidienne de 200 vidéo, ce qui doit nous pousser à réaliser encore quelques efforts pour conserver notre dimension mondiale, les agences Reuters et Associated Press en produisant 300 chaque jour.
Nous souhaitons évidemment conserver la base nationale de notre clientèle, mais celle-ci ne représente qu'un chiffre d'affaires limité, car la valeur économique du marché de la presse se réduit progressivement. La seule alternative consiste à conquérir des parts de marché à l'étranger, sur des produits nouveaux. Les chiffres montrent que cette stratégie fonctionne : depuis 2008 le texte a diminué de 1 % en moyenne annuelle, tandis que la photographie a crû de 15 % et la vidéo de 131 %.
Mon action s'inscrit dans un nouveau mandat de trois ans, et je crois, à cet égard, que la stabilité est essentielle à ce poste. En effet, ces 25 dernières années, huit présidents se sont succédé dont trois démissionnaires. À titre de comparaison, sur la même période, l'Associated Press n'a connu que deux présidents. La stratégie ne peut pourtant pas changer tous les trois ans dans l'industrie de l'information.
Concernant la plainte pour aide d'État déposée devant les autorités européennes à Bruxelles, nous attendons avec optimisme le dénouement de la situation, qui nécessite une dernière phase d'échanges entre le Gouvernement et la Commission européenne. Celle-ci porte un regard plutôt attentif et bienveillant sur notre cas. L'objectif est de trouver une solution juridiquement solide en cas de contentieux porté devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Trois sujets doivent être traités :
- le premier consiste à quantifier notre mission d'intérêt général et le niveau de compensation qui en découle ;
- le deuxième est relatif à l'exonération de contribution économique territoriale. La presse étant globalement concernée, il s'agit d'une exonération sectorielle et non d'une exonération spécifique ;
- le dernier point concerne l'article 14 du statut de 1957 relatif aux conditions d'insolvabilité de l'Agence, l'objectif étant de déterminer s'il s'agit d'une aide d'État. C'est le sujet le plus délicat qui fait l'objet de débats internes à la France, le Gouvernement devant rendre prochainement un arbitrage qui concernerait également d'autres institutions. J'espère qu'il interviendra le plus rapidement possible compte tenu des effets sur notre contrat d'objectifs et de moyens.
Le montant total des abonnements d'État s'élève à 123 millions d'euros : il s'agit, sur ce total, de déterminer ce qui relève de l'activité commerciale, d'une part, et de la mission d'intérêt général, d'autre part. Je rappelle que l'achat d'abonnements par le Gouvernement britannique représente 26 millions d'euros. Il me semblerait normal de prévoir un taux de compensation de 100 % de la part correspondant à notre mission d'intérêt général, puisque la Commission européenne en accepte le principe.
Pour ce qui concerne la partie commerciale, l'État est client de l'AFP mais n'a pas de vision centralisée de sa consommation. Une cartographie des fils de l'AFP est actuellement en cours, afin de déterminer le niveau d'arborescence le plus fin possible de l'utilisation de nos produits par les services de l'État. Ces informations sont essentielles pour construire notre relation commerciale, au-delà de la question du montant global alloué à ces prestations.
Outre la remise à plat de sa stratégie commerciale et de ses relations avec l'État, l'AFP devra aussi s'attacher à l'élaboration d'un accord social adapté pour ses salariés, qui constituent, je l'ai déjà dit, le premier actif de l'entreprise. J'observe d'ailleurs que depuis 2009 notre masse salariale s'est accrue de 2,6 % en moyenne chaque année, à comparer à l'augmentation annuelle de 1,6 % de notre production. Nous nous appuyons actuellement sur un ensemble hétéroclite de conventions collectives, ce qui crée de la confusion et nous met en situation d'insécurité juridique.
S'agissant de la photographie, il est vrai que l'Agence a conclu un accord de revente avec Getty. Si l'AFP dispose de vendeurs et de revendeurs partout le monde, nous ne pourrions développer un chiffre d'affaires significatif aux États-Unis sans lui, avec le seul appui de nos deux commerciaux à Washington. Cet accord permet donc à l'AFP d'assurer une couverture de l'ensemble de l'actualité aux États-Unis. De même, si l'AFP dispose d'une équipe sur place, avec, par exemple, un de nos journalistes accrédité auprès de la Maison Blanche, il est clair qu'elle ne pourrait pas faire régulièrement la une du New York Times avec ses seuls moyens. J'observe d'ailleurs qu'à l'inverse, l'AFP est le revendeur de plus de 40 agences de presse à travers le monde. En tout état de cause, nous ne nous préoccupons en rien de la politique éditoriale de Getty et si ses pratiques sociales sont contestables, bien évidemment je les conteste.