Intervention de Benoît Hamon

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 octobre 2013 : 1ère réunion
Economie sociale et solidaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Je tiens d'abord à remercier les rapporteurs d'avoir esquissé plusieurs pistes d'amélioration. Cette réforme, attendue depuis longtemps, a fait l'objet de discussions avant même la création d'un ministère chargé de l'économie sociale et solidaire. J'ai consulté les représentants de toutes les familles du secteur, coopératives, mutuelles, fondations, associations, etc.

Ce texte définit d'abord l'économie sociale et solidaire, en conciliant sa diversité et son unité, fondée sur le partage des bénéfices et la gouvernance démocratique. Nous avons fait le choix politique d'une définition inclusive, car l'objectif est de polliniser dans toute l'économie les principes fondateurs de ce secteur, qui en font la résilience. Les sociétés commerciales seront donc reconnues comme appartenant à l'économie sociale et solidaire, à condition qu'elles mettent en réserve un certain pourcentage de leurs excédents, et que ces réserves soient impartageables. Il s'agit bien d'inciter de jeunes entrepreneurs à créer leur entreprise sous cette forme. Lors du dernier salon des entrepreneurs, 15 % de l'espace était dédié à l'entreprenariat social ! C'est un véritable engouement, et les start-up à utilité sociale doivent être reconnues comme telles. Cette définition a été élaborée en concertation avec les acteurs historiques du secteur, et si nous n'avons pas toujours été d'accord, le dialogue a été fécond. Ce que nous souhaitons, c'est que l'économie sociale et solidaire change d'échelle.

Les sociétés d'insertion par l'activité économique ont vocation à en faire partie, mais elles devront faire la preuve qu'une partie de leurs bénéfices est bien mise de côté sous forme de réserves impartageables. Il n'y aura là aucune présomption.

Ce secteur, longtemps innovant, a pâti du manque d'engagement de l'Etat, très en retard sur les collectivités territoriales. C'est à cela aussi que nous entendons remédier.

Le droit d'information préalable des salariés des entreprises, en cas de cession, a fait couler beaucoup d'encre. Il ne doit pas être isolé des deux autres pointes du trident visant à faciliter la transmission des entreprises saines à leurs salariés. Les chefs d'entreprise conserveront le droit de céder leur patrimoine quand, à qui et au prix qu'ils voudront. En revanche, il est nécessaire que les salariés soient informés d'un projet de cession, afin d'avoir le temps de formuler éventuellement une offre. Aujourd'hui, il est très rare que des salariés rachètent leur entreprise : cela arrive soit lorsqu'ils ont affaire à un dirigeant charismatique, qui refuse de voir son entreprise passer entre les mains d'un tiers - je pense au cas exemplaire d'HISA, bureau d'études implanté à Rouen et au Havre - soit lorsque l'entreprise est en train de se casser la figure. Il faut alors bricoler une solution, et les quelques success stories ne doivent pas occulter les nombreux échecs. Le projet de loi ne fait que créer une opportunité supplémentaire pour les chefs d'entreprise, qui vendent in fine à qui bon leur semble.

Voyez ce qui se passe dans vos bassins d'emplois. En Île-de-France, un licenciement collectif a un impact très lourd sur les salariés et leur famille, mais l'offre est telle qu'il est possible de recréer les emplois disparus. A la campagne, et notamment dans les zones de revitalisation rurale, la fermeture d'une imprimerie, d'une entreprise de mécanique, de bâtiment, de charpente a un effet catastrophique sur l'économie et la démographie locales. Le Medef, l'Observatoire du réseau des Banques populaires et caisses d'épargne, la chambre de commerce et d'industrie d'Île-de-France le reconnaissent eux-mêmes : 50 000 emplois sont détruits chaque année par la fermeture d'entreprises saines.

Lors de la saisine du Conseil économique, social et environnemental, les partenaires sociaux ont été invités à se prononcer, non sur le droit d'information préalable, mais sur le droit préférentiel de rachat qu'il était envisagé de reconnaître aux salariés. Tous les syndicats de salariés se sont prononcés pour, l'Union professionnelle artisanale (UPA) s'est abstenue, et seuls la CGPME et le Medef ont voté contre. Mais tous reconnaissaient le problème. Les positions ont évolué depuis, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de commenter. Toujours est-il que le Gouvernement n'a d'autre but que de favoriser le maintien de l'emploi.

La deuxième pointe du trident, c'est la création de Scop d'amorçage, qui permettront aux salariés reprenant leur entreprise d'acquérir 51 % des droits de vote avec 30 % seulement du capital, afin de limiter la prise de risque initiale. Et cela ne suffirait pas sans la troisième pointe, le fonds d'aide à la transmission de 100 millions d'euros que BPI France s'emploie à mettre en place avec la Confédération générale des Scop.

Je passerai plus vite sur la définition de l'utilité sociale et les articles qui concernent l'innovation sociale et le dispositif local d'accompagnement (DLA), auxquels le Sénat propose d'apporter de précieux apports. Il faut soutenir les nombreux projets associatifs qui ont vu le jour depuis les années 2000.

Quant aux coopératives d'activité et d'emploi, elles constituent en quelque sorte l'équivalent de l'auto-entreprenariat dans le champ coopératif. Il s'agit bien d'inscrire dans ce champ des projets individuels de création d'entreprise. Jusqu'ici, l'administration fiscale s'est montrée très tatillonne sur le statut des salariés entrepreneurs.

Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), pour leur part, seront les pôles de compétitivité de l'économie sociale et solidaire, associant des entreprises de ce secteur, des entreprises privées classiques et les collectivités territoriales. Ces pôles agiront en faveur de la formation, de la recherche, de l'innovation, du maintien et de la création d'emplois, et de la structuration des filières - services à la personne, vieillissement, économie circulaire, commerce équitable... - dans une approche bottom up.

Afin de consolider le secteur, nous voulons aussi accorder une reconnaissance légale aux chambres régionales et au conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire. On a trop souvent du mal à identifier les bons interlocuteurs, et il y a là de grandes disparités entre territoires.

J'en viens aux coopératives, dont il existe une trentaine de familles en France. Parmi les 100 plus grandes, 75 ont leur siège en région, alors que 90 des plus grandes entreprises françaises ont le leur en région parisienne. On trouve des coopératives dans de nombreux secteurs, comme l'agriculture et l'agroalimentaire, le commerce, l'artisanat, la pêche. Le texte améliore la définition des coopératives, et impose une révision coopérative quinquennale par un corps de révision indépendant. L'objectif est de rendre ce statut plus attractif et d'en sécuriser les contreparties fiscales, afin de ne pas passer sous les fourches caudines de la Commission européenne.

Autre sujet : les mutuelles. Le rapporteur pour avis Jean Germain a travaillé sur la coassurance et les certificats mutualistes. Sans remettre en cause les principes fondateurs ni la gouvernance des mutuelles, il convient de mieux les accompagner dans un environnement international en pleine évolution.

L'article 49 incite les éco-organismes à avoir recours aux acteurs de l'économie sociale et solidaire. C'est grâce à des entités comme Emmaüs, Vitamine T, Le Relais ou le groupe SOS que l'économie circulaire s'est développée, que l'on a créé par exemple des isolants à base de papier ou de textile. À l'innovation sociale s'est jointe l'innovation technologique. Or ces acteurs sont aujourd'hui confrontés à la concurrence de grandes sociétés commerciales. Pourtant, les produits d'une entreprise comme Juratri proviennent à 90 % du recyclage, contre 70 % pour ses concurrents. Encourager les éco-organismes à privilégier les circuits courts et l'économie sociale et solidaire, c'est aussi soutenir les PME locales.

Quant aux associations, les élus locaux savent bien à quels problèmes elles sont confrontées. Il s'agit ici de sécuriser leurs subventions. Demain, les collectivités ne seront plus contraintes de les mettre en concurrence, et de leur imposer un cahier des charges alors qu'elles définissent elles-mêmes leurs actions en fonction d'un diagnostic de terrain. C'est une façon pour la France de définir, à l'intention des autorités européennes, ce qu'elle entend par service économique d'intérêt général, sans avoir à publier la liste exhaustive de ces services. À cela s'ajoute la modernisation des titres associatifs, actuellement trop peu rémunérateurs pour garantir aux associations des fonds propres suffisants.

Reconnaissance, innovation, développement : tels sont les maîtres mots de ce projet de loi, que les rapporteurs se sont employés à muscler. Je suis très fier de le défendre au nom du Gouvernement. L'économie sociale et solidaire a longtemps été considérée comme marginale, alors qu'elle est fortement créatrice d'emplois dans les territoires. Et pour cette raison, il est bon que ce texte soit soumis en premier lieu à votre Haute assemblée.

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