Beaucoup déplorent l'insécurité juridique qui pèse sur l'activité de chef d'entreprise. Pourtant, lors d'une cession d'entreprise, l'insécurité juridique est totale pour les salariés : la France est l'un des quatre pays qui n'ont toujours pas transposé la directive européenne de 2001 sur les droits des travailleurs en cas de cession. La Cour de cassation nous réclame pourtant chaque année cette transposition. Cette directive réclame, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, une somme d'informations beaucoup plus importante. Être contre l'insécurité juridique, c'est être pour le devoir d'information préalable, même si la cession et l'intention de céder ne sont pas tout à fait la même chose.
Ce que nous proposons en la matière n'est pas un compromis, un truc entre préemption et non-droit. Nous avons cherché la voie la plus efficace pour assurer le maintien de l'activité grâce à une information des salariés les mettant en situation d'élaborer une offre, dans des délais compatibles avec les cycles économiques d'une PME. J'ai été salarié du privé dans une entreprise cotée, et j'ai créé ma propre entreprise : je sais de quoi je parle, et ai profité de mon expérience pour élaborer le chemin le plus efficace vers la possibilité d'une offre salariée, que le chef d'entreprise peut accepter ou non. En matière d'information, du reste, l'Allemagne et le Royaume-Uni sont en avance sur nous. Pourquoi informer davantage les salariés des entreprises de plus de cinquante salariés, qui ont un comité d'entreprise, que les autres ? Le droit préférentiel, que j'ai envisagé au début, ne me paraît pas praticable. Ce qu'on fait pour le locataire d'un logement mis en vente ne peut être appliqué à une cession d'entreprise.
Je reste ouvert au débat sur la formation des salariés comme sur leur information. Pour reprendre une entreprise, il faut être formé. Du jour au lendemain, il faut gérer la maison, en tenant compte des exigences comptables, en développant la force commerciale... Ce n'est pas le même métier ! S'il y a quelques SAPO, en effet, dont Ambiance bois, les SCOP constituent un autre modèle à part, et la SCOP d'amorçage est un statut transitoire de montée en puissance. Passer par une SAPO, c'est changer de sujet. Il existe environ 2 000 SCOP, mais les SAPO se comptent sur les doigts d'une main. Le journal L'Indépendant, dans les Pyrénées-Orientales en était une, mais il est devenu une société anonyme classique. C'est un statut en voie de disparition.
Ce texte ne distingue pas, Martial Bourquin a eu raison d'y insister, entre une économie sociale et solidaire qui serait vertueuse et une économie classique qu'il faudrait réprouver. Comme l'a indiqué Bruno Retailleau, la coopérative Fagor, qui appartient à la coopérative espagnole Mondragon, a licencié récemment. Oui, des coopératives licencient : je n'ai jamais pensé qu'il s'agissait d'un modèle économique exempt des problèmes de carnet de commande, de concurrence, d'investissement et d'innovation ! Certaines coopératives ferment, et des patrons de coopératives ou d'associations se comportent de manière peu exemplaire avec leurs collaborateurs ou salariés. Mais l'employeur associatif est placé sous le contrôle d'une assemblée générale et d'un conseil d'administration démocratiquement élu, ce qui nous semble une forme de régulation intéressante.
N'opposons pas une économie à l'autre : ce que nous cherchons à produire, c'est une pollinisation. Certains principes de l'économie sociale et solidaire rendent les entreprises plus résilientes en période de crise. Par exemple, le Trésor nous a indiqué qu'après cinq ans, 75 % des entreprises transmises aux salariés sont encore en vie, contre 60 % des entreprises transmises à un tiers : parfois, le repreneur se paie sur la bête, en partant au bout de deux ans avec la trésorerie et les brevets, alors que les salariés, eux, sont intéressés au maintien de leur emploi.