Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 16 octobre 2013 à 21h30
Débat sur la place des femmes dans l'art et la culture

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Il existe encore aujourd’hui un décalage important entre la présence des femmes et celle des hommes dans le monde de l’art et de la culture. C’est une évidence. Fallait-il le rappeler ? Oui, car il est parfois utile de rappeler les évidences, voire de les dénoncer !

Plusieurs rapports et études relatifs à ce sujet montrent que le problème se situe sur deux plans : d’une part, l’accès à des postes de direction, d’autre part, l’accès aux programmations dans les domaines artistiques. Mme Gauthier-Morin, dont le rapport dresse un état des lieux, a relevé plusieurs chiffres qui, en effet, nous interpellent.

Si 60 % des élèves des écoles d’art sont des étudiantes, les femmes n’occupent que 18 % des postes à responsabilité au sein de l’administration culturelle. Fort heureusement, dans ma ville, le directeur de l’école d’art est une directrice !

Dans le secteur de la création, la programmation féminine est de 10 % environ dans le domaine de la musique, de 20 à 30 % dans ceux du théâtre et de la danse. De plus, 25 % des films français sont produits par des femmes.

Quant aux écarts de rémunération, ils seraient, selon les données du ministère, de 8 % dans les établissements publics, de 15 % dans le secteur audiovisuel et de 20 % dans les entreprises culturelles privées.

On assiste donc au même phénomène que dans d’autres secteurs professionnels : la présence des femmes augmente, les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses à se former dans les disciplines artistiques et culturelles, mais elles se heurtent encore au fameux « plafond de verre ».

Ce constat établi, il s’agit de se mettre d’accord sur les voies à emprunter pour que la situation évolue, et tel est bien notre objectif commun.

Le Gouvernement a décidé la mise en place d’une discrimination positive, qui va de l’établissement de ce qu’il nomme des « short lists » – un terme anglais que je n’apprécie guère ! – à des remplacements de postes de direction. À mon avis, c’est ce dernier point qui risque de s’avérer un peu plus compliqué.

Lors du récent examen du projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public, madame la ministre, nous avons marqué notre surprise de vous voir communiquer avec tant d’ardeur sur l’indépendance des responsables de ce secteur, alors que vous-même étiez intervenue pour que le mandat de plusieurs responsables de théâtres et centres dramatiques ne soit pas reconduit.

N’auriez-vous pas un peu joué sur les mots en disant qu’il s’agissait non de révocation mais de non-renouvellement de mandat ? Les intéressés n’ont probablement pas goûté la nuance !

Vous avez justifié vos interventions par la volonté de féminiser les postes de direction dans le monde de l’art et de la culture.

Les membres de mon groupe sont prêts à applaudir la nécessaire féminisation du monde de l’art et de la culture, les chiffres nous alertant sur la nécessité d’agir. Toutefois, ce débat suffit-il à justifier l’éloignement de personnes aux qualités attestées et qui n’ont nullement démérité ? Nous découvrons là un problème déjà connu ailleurs, y compris dans le monde politique, et qui ne se règle pas toujours de façon satisfaisante par le recours aux quotas.

Preuve en est que le milieu artistique – pourtant ouvert d’esprit, ou que l’on croit ouvert d’esprit – n’a pas accepté vos arguments : nombreux sont les artistes qui ont manifesté leur désaccord avec cette politique, regrettant ce parti pris de féminisation systématique, ainsi, d’ailleurs, que de rajeunissement, pour ne pas parler de « jeunisme », aboutissant à écarter certaines personnalités sans justification incontestable.

Il me semble que le maintien dans le poste peut se comprendre quand les fonctions ont été exercées avec talent. Et je comprends aussi que, compte tenu des déséquilibres que nous avons constatés, il soit préférable de nommer une femme quand un poste se libère.

Je pense également que l’excès est l’ennemi du bien. Nous ne sommes plus, fort heureusement, au temps de Camille Claudel ! Le choix d’instituer une discrimination positive aussi systématique me semble peu respectueux, aussi bien de la profession que des femmes elles-mêmes, à qui l’on risque de reprocher d’avoir gravi les échelons grâce à des quotas !

Par ailleurs, selon moi, le secteur des arts et de la culture est certainement l’un des plus à même de refuser les préjugés et les discriminations. Il faut lui faire confiance pour évoluer, même s’il faut parfois le mettre devant la réalité de chiffres qui ne sont pas acceptables.

N’oublions pas non plus qu’il existe une sorte d’autocensure des jeunes femmes. Comme dans d’autres professions, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas toujours – investir les postes à responsabilité, plus contraignants pour la vie familiale. Je ne dresse ainsi qu’un constat et je n’en fais pas un argument. Les femmes peuvent craindre de ne pas trouver leur place ou de devoir se battre pour gravir les échelons.

Je pense que c’est sur ce plan qu’il faut agir : susciter la demande de responsabilités, informer davantage les jeunes femmes, leur faciliter, par la mise en œuvre d’une meilleure politique familiale, l’accès à des postes de direction et sensibiliser davantage la profession, comme a pu le faire avec beaucoup de force la SACD au festival d’Avignon en 2011 comme cette année.

Les chiffres cités dans les récents rapports, ainsi que dans la brochure élaborée par la SACD, ont véritablement créé un électrochoc bienvenu dans la profession. Il résulte des auditions que vous avez menées, madame le rapporteur, que les responsables d’institutions culturelles, les directeurs de lieux ou organisateurs d’expositions se sont interrogés sur la composition de leurs équipes ou sur leurs choix.

Le diagnostic ne relève généralement pas d’intentions nuisibles ou de comportements problématiques. C'est la raison pour laquelle les inégalités entre les hommes et les femmes sont si difficiles à faire disparaître. Je vous le dis très amicalement, je ne pense pas que certains termes de votre rapport tels que les « abus de pouvoir » des hommes reflètent totalement la situation. Cette expression, quelque peu polémique, risque de ne pas faire avancer le débat comme nous le souhaitons et de ne pas susciter le consensus.

Je partage, en revanche, l’idée de dialogue et de mobilisation pour mettre en mouvement l’ensemble des parties prenantes.

Par ailleurs, vous avez également identifié dans votre rapport comme chantier de travail la lutte contre les « stéréotypes » véhiculés dans les contenus culturels. Vous avez noté, par exemple, l’omniprésence de l’image dans la presse féminine de « femmes jeunes, minces et de peau blanche » et une incitation massive au « conformisme de genre ».

Vous dénoncez également les stéréotypes dans les œuvres du spectacle vivant et faites remarquer que dans les pièces classiques les personnages de femmes sont « épouses, filles, mères ou servantes, leur rapport au monde étant toujours médiatisé par leur lien avec un homme », ce qui nécessiterait de privilégier les pièces contemporaines.

Il faut pardonner aux classiques de n’avoir peut-être pas eu à l’esprit les nécessités qui nous imposent maintenant d’évoluer. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut se détourner des pièces classiques, mais il faut veiller à ne pas retrouver les mêmes stéréotypes dans les pièces contemporaines. Ce ne serait pas acceptable pour notre société !

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