Or, comme le souligne la SACD, « il ne saurait y avoir une exception culturelle privant ou désavantageant les femmes dans l’octroi de responsabilités ! »
Pour mettre fin à cette situation honteuse, vous avez annoncé, madame la ministre, que la transparence prévaudrait désormais dans les procédures de nomination. Les oppositions grincheuses n’ont pas tardé. Dès cet été, la question des nominations à la tête de centres dramatiques nationaux a provoqué de nombreuses réactions, parfois douteuses. Mais tout cela s’est bien terminé grâce à la nomination d’Irina Brook à la tête du Théâtre national de Nice.
Auparavant et de façon heureuse, vous aviez réuni pour la première fois, au début du mois de mars, un comité ministériel pour l’égalité des femmes et des hommes dans le domaine de la culture et des médias. Lors de cette rencontre, ce comité a lancé des initiatives fortes visant à lutter contre les discriminations dont sont victimes les femmes et à renforcer leur présence dans le secteur du spectacle vivant.
De plus, une lettre a été envoyée à 270 dirigeants d’institutions culturelles, dans le domaine du spectacle vivant, les enjoignant à renforcer la place des femmes dans leurs choix de programmation ou dans l’accès aux moyens de production. Vous avez demandé que figurent dorénavant dans les lettres de mission de tous les dirigeants de nos institutions nationales et établissements culturels des consignes précises, afin que la présence des femmes aux postes de direction comme dans les programmations soit confortée.
On sait bien que les différents modes d’expression artistique et culturelle véhiculent des représentations sexistes et des stéréotypes ancrés dans l’inconscient collectif, stéréotypes qui se perpétuent ! Et le domaine du spectacle vivant n’est pas épargné !
En effet, le théâtre classique – c’est moins le cas dans le théâtre contemporain – identifie les femmes par rapport à l’homme, les plaçant dans une situation de dépendance. Elles n’existent pas ou peu par elles-mêmes, ne rayonnent pas seules, servent souvent de faire-valoir !
Or n’oublions pas que ces représentations sont faites, comme je le disais, par des hommes, pour des hommes et sont proposées dans une grande majorité à des femmes. Comment celles-ci les reçoivent-elles ? Pourquoi n’existe-t-il pas de femmes « normales » dans les spectacles ? Voilà des questions qu’il convient de se poser.
Selon Myriam Marzouki, que nous avons auditionnée, il faut arriver à représenter des personnages où les femmes soient identifiées dans leur rapport au travail, à la politique, à la vie familiale.
Il faut en finir avec cette vision d’un autre siècle selon laquelle les femmes étaient plus souvent célébrées comme des muses, des modèles ou des sources d’inspiration que comme des créatrices ; leur formation artistique était empêchée. Il faut en finir avec l’idée selon laquelle « la femme de génie n’existe pas, et quand elle existe, c’est un homme », comme le disait Octave Uzanne en 1905.
La situation du spectacle vivant « n’est plus en résonnance avec la société » affirme Laurence Equilbey, que nous avons accueillie lors d’une table ronde organisée au Sénat le 25 juillet dernier par la délégation aux droits des femmes.
Le constat est donc implacable : les femmes artistes sont nettement sous-représentées en France. Or l’art ne peut pas et ne doit pas être phallocentré ! L’art ne doit pas être à part, un domaine soumis, comme aurait dit le sociologue Pierre Bourdieu, à la « domination masculine ».
Comme l’a très justement indiqué la ministre des droits des femmes, « dans la culture comme partout ailleurs dans la société française, toutes les conditions doivent être réunies […] pour que les femmes et les hommes disposent des mêmes chances d’accéder aux responsabilités dans leur domaine d’activité. »
Rien ne justifie que le secteur de la création soit exclu de cette exigence républicaine. Rien ne justifie que l’égalité professionnelle s’arrête au seuil des théâtres ou des salles de musique.
Sur l’initiative du ministère des droits des femmes, cette semaine est celle de l’égalité professionnelle. Cet événement permettra d’encourager les initiatives positives qui ont déjà été prises par certaines entreprises et d’aider celles qui manquent encore de moyens pour mettre en œuvre l’égalité.
Le Gouvernement associe les paroles et les actes. J’en veux pour preuve la signature d’une charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le secteur du cinéma le 10 octobre dernier, dans votre ministère, madame la ministre.
Élaborée par Le Deuxième Regard, une toute récente association de professionnels du cinéma qui fait de la lutte contre les stéréotypes et de la place des femmes le cœur de son action, cette charte s’adresse à tous les acteurs de l’industrie cinématographique, à tous les médias, ainsi qu’à tous les acteurs institutionnels et responsables politiques.
Cette charte a été cosignée par vous-même, madame la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, Véronique Cayla, présidente d’Arte France et marraine de l’association Le Deuxième Regard, et Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC.
Il était urgent qu’un tel instrument soit adopté dans le domaine du cinéma, car, comme l’a indiqué le 4 avril 2013 au Sénat Mme Bérénice Vincent, présidente de l’association Le Deuxième Regard et responsable de son pôle Création, « notre cinéphilie est majoritairement masculine : la part des réalisatrices n’est que de 25 % en France, de 12 % en Europe, et de 5 % aux États-Unis ».
On note la faible présence de réalisatrices dans les festivals de cinéma ainsi que dans les jurys de sélection chargés d’attribuer des aides financières pour la réalisation de films. Qui sont majoritairement dans la lumière ? Les hommes. Qui restent les décideurs ? Des hommes !
Pour témoigner du taux élevé de paternalisme sur les lieux de tournage, Agnès Varda raconte de façon éloquente : « Si le réalisateur est un homme, quand il demande quelque chose, on lui dit : “ Oui, monsieur ” ; à moi, on dit : “ Oui Agnès ” ! » Touchante attention... §
Notons ces jours-ci, sur Ciné +Émotion, la très heureuse initiative intitulée « Le bal des réalisatrices », qui met à l’honneur quatorze femmes cinéastes.
Du 24 septembre au 29 octobre 2013, cette chaîne est allée à la rencontre de cinéastes débutantes, confirmées, ou « nouvelle vague ». Le programme de cet hommage rendu aux femmes réalisatrices célèbres comprend dix-sept films, parmi lesquels deux longs métrages plébiscités par le public et la critique, la même année Polisse de Maïwenn et La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, ainsi que le documentaire Cinéast(e)s réalisé par Julie Gayet, qui met au jour le rôle actif joué par les femmes pour le développement du cinéma.
Je referme cette parenthèse cinématographique.
La question de la visibilité des femmes dans le secteur culturel soulève un autre problème fondamental : celui de leur précarisation, que j’illustrerai en évoquant le Fonds de professionnalisation et de solidarité, mis en place en 2007.
Ce fonds, je le précise, permet d’accompagner les intermittents du spectacle, artistes et techniciens fragilisés, afin de sécuriser au mieux leur parcours professionnel.
Après quelques années de fonctionnement, on peut noter que 51 % des bénéficiaires de ce fonds sont des femmes qui, souvent, vivent seules avec un ou plusieurs enfants et ont généralement des revenus annuels inférieurs à 15 000 euros. En comparaison, les femmes ne représentent que 33 % des professionnels intérimaires du spectacle. On constate donc une surreprésentation des femmes parmi les professionnels du spectacle qui ont recours à ce type de fonds et qui se trouvent dans une situation de fragilité.
La question de la visibilité des femmes doit aussi être mise en lien avec la question, très importante, de la vie de mère et de la maternité. Des artistes femmes avouent, et j’ai pu le constater lors d’auditions, qu’elles n’auraient jamais pu mener à bien leur carrière si elles avaient eu des enfants.
Force est de constater, et c’est terrifiant, que la maternité pourrait être un frein évident à la carrière artistique. C’est pourquoi nous avons adopté, sur ma proposition, un amendement relatif aux « matermittentes » lors de l’examen de la loi-cadre pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Les intermittentes du spectacle en situation de grossesse se trouvent en butte, malgré la circulaire du 16 avril 2013, à une réglementation inadaptée à la spécificité de leur organisation professionnelle, qui les pénalise lourdement.
Les sénateurs ont ainsi adopté le principe d’un rapport précis de la Caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, dans les six mois qui feront suite à l’adoption du texte, afin d’établir clairement le nombre de femmes demandant un congé maternité, le nombre de refus de dossiers et leurs motifs, rapport incluant les délais d’instruction de leur dossier. Les témoignages de « matermittentes » essuyant un refus de prise en charge après la naissance de leur enfant sont en effet récurrents.
Ce rapport sera une première base donnant un peu plus de lisibilité à ces situations d’injustice avec, à terme, l’espoir de la mise en place d’un « minimum maternité » qui serait assuré à ces femmes.
Nous aurons l’occasion, je suppose, d’aborder à nouveau ces questions lors de l’examen du futur projet de loi d’orientation relatif à la création artistique.
Pour conclure, je dirai qu’il faut véritablement se mobiliser pour trouver des solutions permettant d’accompagner les femmes vers la visibilité. Aujourd’hui, il y a une véritable volonté politique, que je salue, de la part du Gouvernement.
Il est nécessaire de faire cesser le scandale de l’inégalité de traitement entre les femmes et les hommes dans le secteur de l’art et de la culture.
Comme l’a très justement rappelé le Mouvement H/F dans son manifeste pour l’égalité femmes/hommes dans l’art et la culture, « n’est-il pas inadmissible que les mécanismes de domination masculine se retrouvent dans un secteur de l’activité humaine qui se targue de missions d’émancipation, d’ouverture, de critique, voire de subversion ? »
Le temps du diagnostic, de la prise de conscience, du changement de mentalité, doit être derrière nous, celui des actes et des réalisations, devant nous.
Il faut que disparaisse en France cette anomalie démocratique de la sous-représentation des femmes dans le monde de l’art et de la culture.
Cette visibilité n’est pas étrangère aux symboles. Ainsi, l’idée de « panthéoniser » certaines grandes femmes de la nation me semble une ambition reconnaissante. Lorsque nous avions visité le Panthéon, madame la présidente Gonthier-Maurin, j’avais d’ailleurs posé une question sur la présence des femmes au sein de cet édifice.
Je viens de lire dans Ouest-France un article, que je vous invite à lire, intitulé « Et si les peintres de cavernes étaient des femmes ? » Des études scientifiques ont en effet prouvé que les peintures préhistoriques retrouvées dans ces grottes étaient l’œuvre de femmes.
Mon tropisme finistérien étant intarissable, surtout en ces moments si difficiles pour mon département, je reprendrai les mots de la réalisatrice Marie Hélia, qui vient de réaliser un documentaire scénarisé, Les chevalières de la table ronde, dans lequel témoignent douze militantes finistériennes de diverses générations – la plus âgée doit avoir 85 ans –, engagées depuis toujours dans la lutte pour les droits des femmes : « Ces militantes sont révoltées de constater les inégalités de salaires entre les deux sexes, les femmes considérées de plus en plus comme des objets, la violence qui leur est faite. Il faut faire attention aux comportements machistes. » Elle ajoute : « Un film de femme ? Oui ! Pour la première fois, je revendique ce label. De toute façon, il m’a souvent été appliqué avec ou sans mon consentement, et cette fois-ci, je le revendique. »
Selon cette réalisatrice, dont le documentaire sortira le 23 octobre prochain, « les femmes doivent encore et toujours se défendre ». Car aujourd’hui comme hier, un homme sur deux est une femme ! §