Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, le titre de votre rapport d’information rédigé au nom de la délégation aux droits des femmes, « La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes », me plaît beaucoup. Ce titre pourrait être une forme de devise de l’action que je mène depuis plus d’un an à la tête du ministère de la culture. Passer aux actes, c’est exactement ce que je souhaite faire, et ce que j’ai commencé à faire.
Je suis donc heureuse d’être invitée ce soir par la délégation aux droits des femmes pour vous parler de cette action.
Cette question de l’égalité femmes-hommes est en effet devenue un sujet à part entière au sein du ministère de la culture et de la communication, que nous nous efforçons de traiter de manière transversale. Je salue d’ailleurs la présence dans cet hémicycle de Nicole Pot, en charge de ces questions au ministère.
Après le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes, présidé par le Premier ministre en novembre dernier, j’ai mis en œuvre ma feuille de route.
J’ai donc installé dès le mois de mars un comité pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication, qui rassemble une quarantaine d’acteurs du monde de la culture et des médias. J’ai été très satisfaite de voir la participation unanime de tous ceux, femmes et hommes, à qui nous avons demandé de participer à ce comité.
Il fallait d’abord « rendre visible l’invisible », c’est-à-dire la discrimination, comme vous le suggérez dans votre rapport. Faire connaître la réalité de la situation, c’est déjà un moyen pour lutter contre ces inégalités. C’est aussi un moyen de combattre l’ignorance ou, pire, l’indifférence.
Je me suis donc appuyée sur l’observatoire de l’égalité dans la culture et la communication, une étude qui rassemble des informations très parlantes sur les nominations, les rémunérations et les programmations, mais aussi sur l’accès aux moyens de production dans tous les champs de la culture, un sujet évoqué par Myriam Marzouki lors de son audition devant votre délégation.
Publiée le 1er mars dernier, cette étude sera actualisée et complétée au début de l’année 2014, notamment par des données sur le secteur du cinéma. Elle a bien entendu vocation à être mise à jour et enrichie régulièrement.
Cela me permet de répondre à l’une des remarques, très juste, de Corinne Bouchoux, qui rappelait qu’il y avait des études, mais qu’elles étaient insuffisamment suivies.
Je veux mettre en place des évaluations pour savoir quels sont les effets des actions que nous avons mises en œuvre.
Il fallait ensuite engager une politique incitative, car c’est aussi de cette manière que s’opère le changement.
Trois chantiers m’occupent particulièrement, qui recoupent d’ailleurs très largement les chantiers prioritaires identifiés par la délégation aux droits des femmes : combattre les stéréotypes, donner toute leur place aux créatrices et promouvoir la place des femmes dans les postes de direction. Voici où nous en sommes.
Les médias sont au cœur de l’enjeu de la lutte contre les stéréotypes. L’image est en effet au cœur de la représentation que l’on donne de la société et des autres, et donc au cœur des processus d’identification auxquels sont confrontés, dès le plus jeune âge, les petites filles et les petits garçons.
L’image a aussi une influence très forte sur la formation des idées et la construction des consciences.
Nous devons donc veiller à ce que ces représentations véhiculées par les médias soient le reflet de la société, et non de ses blocages, et qu’elles contribuent à faire évoluer dans le bon sens la représentation des femmes.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire le 8 juillet dernier à l’occasion du colloque France Télévisions « En avant toutes » consacré à la place et à la représentation des femmes à la télévision, le rôle du service public audiovisuel est déterminant pour combattre les discriminations et les stéréotypes. Le service public doit être exemplaire en la matière.
Le CSA sera désormais chargé d’exercer une vigilance toute particulière sur le sujet de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, en veillant notamment à promouvoir une meilleure image des femmes dans l’audiovisuel. Cela passe, en particulier, par la lutte contre les stéréotypes sexistes et les images dégradantes dans les programmes mis à la disposition du public. À cet égard, je me réjouis que le nouveau président du CSA ait décidé, avec le collège, de créer un groupe de travail sur les droits des femmes, présidé par Sylvie Pierre-Brossolette. Je sais que c’est un sujet qui vous tient à cœur.
La lutte contre les stéréotypes passe aussi par la formation, et donc par nos écoles : nous devons convaincre nos jeunes qu’il n’y a pas de métiers ou de filières qui seraient réservés par essence aux femmes – ou aux hommes ! –, ou interdites aux femmes, et qu’il n’y a pas non plus, à l’intérieur de chacune de ces filières ou de ces métiers, des niveaux au-delà desquels l’ambition des femmes devrait buter sur l’écueil de la maternité. Nous devons travailler à améliorer les orientations et les formations pour permettre à chacune et à chacun de se saisir de toutes les chances que lui offre son talent.
C’est vrai dans tous les domaines, mais c’est particulièrement vrai dans la culture, où l’on observe d’énormes inégalités dans la division du travail. Le secteur de la culture a beau être composé de milieux progressistes, qui veulent donner une image du monde et souhaitent souvent contribuer à son évolution, on retrouve malheureusement au sein de l’organisation hiérarchique et sociale qui prévaut dans les milieux culturels les mêmes mécanismes de discrimination à l’encontre des femmes qu’ailleurs – il arrive même parfois qu’ils soient pires qu’ailleurs.
Faut-il expliquer cela au nom d’une conception quelque peu datée du « génie créateur », une sorte de pouvoir démiurgique qui devrait demeurer l’apanage des hommes ? Ou serait-ce finalement, pour paraphraser Nietzsche, qui lui-même s’appuyait sur les Anciens, une autre expression du libri aut liberi – des livres ou des enfants –, comme si l’on ne pouvait pas tout à la fois exercer un pouvoir créateur d’artiste et avoir des enfants, le fait de donner naissance parallèlement à deux univers étant absolument insupportable ?
Nous devons donc travailler pour faire pièce à ces représentations, qui conduisent à cette grande inégalité et à cette division du travail dans les milieux culturels qui ne doit plus avoir cours.
Je voudrais à ce titre saluer le remarquable travail d’Universcience, qui anime auprès du jeune public des ateliers pour les sensibiliser à la question des stéréotypes et des préjugés sur la place de la femme dans les sciences et dans la société plus largement, et qui travaille à la représentation des femmes dans les expositions.
Je souhaite également que les écoles de l’enseignement supérieur dans le champ de compétence de mon ministère se saisissent de ces enjeux et puissent sensibiliser les élèves à ces questions. Cela ne se fait pas tout seul : là encore, les directrices d’école sont souvent des directeurs, et nous devons encore travailler pour faire évoluer le niveau d’encadrement féminin dans le champ de l’enseignement supérieur culturel.
J’ai aussi été sensible à la question du harcèlement à caractère sexuel dans les écoles d’art, que vous avez soulevée dans votre rapport. Pour celles qui dépendent du ministère de la culture, je demanderai qu’un état des lieux soit effectué. Jusqu’à présent, sauf quelques cas très spécifiques, je n’avais pas eu de remontées particulières d’informations, mais vous pouvez compter sur moi pour porter une attention toute particulière à ce sujet, madame la sénatrice.
La représentation des femmes passe aussi, bien sûr, par la dimension symbolique. Nous sommes dans le champ culturel et je me félicite, moi aussi, des grandes lignes des conclusions du rapport remis par Philippe Bélaval au Président de la République sur la nécessité de faire entrer des femmes au Panthéon afin de reconnaître à leur juste valeur leurs parcours exceptionnels de combattante, de citoyenne ou d’héroïne de la Résistance.
Toutefois, il est vrai aussi que certaines femmes artistes ont énormément apporté à notre pays. Je pense notamment à Marguerite Yourcenar, première femme à l’Académie française, à Marguerite Duras, à Simone de Beauvoir, ou encore à Joséphine Baker, une femme intelligente, courageuse, engagée dans la Résistance, mais dont la carrière de danseuse ne manquerait pas de provoquer un petit émoi si elle devait être honorée – voilà encore une autre forme de discrimination…
Quoi qu’il en soit, les exemples de femmes brillantes qui auraient toute leur place au Panthéon ne manquent pas.
Depuis six mois, nous avons défini les leviers qui nous permettront de faire évoluer la situation. J’ai concentré mon action et celle de mon ministère sur plusieurs aspects.
Tout d’abord, les contrats liant le ministère aux différentes institutions définiront désormais des clauses de promotion de l'égalité – en termes de nominations, de rémunérations, mais également de place des femmes dans les programmations, et ce dans le respect de la liberté de programmation. Ce sera la même chose pour les médias publics, lors du renouvellement des contrats d’objectifs et de moyens.
Dans le cadre d’une « saison égalité », un courrier a été envoyé aux dirigeants des 270 institutions culturelles dans le secteur du spectacle vivant, pour les inciter à inverser la tendance en donnant une plus juste place à toutes les femmes artistes dans la programmation comme dans la répartition des moyens de production. Une nouvelle fois, tout cela se fait dans le respect de la liberté de programmation des établissements – qui doit être un principe intangible.
Concernant la promotion des femmes dans les postes de direction, j’ai mené une politique de nominations dynamique.
Je remercie Maryvonne Blondin d’en avoir rappelé les principes.
Françoise Laborde a évoqué la nomination d’Irina Brook à la tête du Centre national dramatique de Nice. Toutefois, ce n’est pas la seule femme que j’ai nommée.
Je suis partie du même constat que vous : 90% des dirigeants sont des hommes. Face à ce qu'il convient d'appeler un blocage institutionnel, j'ai voulu impulser un mouvement, que je poursuivrai, pour favoriser le renouvellement à la tête de nos institutions.
Pour répondre au sénateur Jacques Legendre, concernant cette politique de nominations, je n’ai pas fait sortir les hommes pour nommer des femmes. Il y avait des règles concernant notamment le nombre de mandats successifs que pouvaient occuper des dirigeants d’établissement.
À leur arrivée en fin de mandat, j’ai clairement annoncé que le moment était venu de faire appliquer les règles, car les règles doivent être les mêmes pour tout le monde et sur tout le territoire de la République. Après tout, on nous demande à nous, élus, d’avoir des limitations en ce qui concerne le cumul des mandats. Cela peut aussi s’appliquer aux établissements publics, en tout cas à ceux du ministère de la culture.
Ces décisions ne remettent pas en cause le talent artistique de ceux qui étaient à la tête des établissements. En l’occurrence, seules leurs fonctions de direction d’établissement étaient concernées, et non pas leur capacité à produire ou à créer.
Au contraire, ceux qui ne sont plus directeur d’établissement seront accompagnés, en termes de subventions, pour le retour en compagnie.
J’ai souhaité que ces nominations soient l’occasion d’un renouvellement. Celui-ci doit se faire en incitant à une meilleure présence des femmes à la tête des établissements.
J’ai donc d’abord, dès le début de l’année, envoyé aux préfets et aux DRAC une circulaire demandant que l'on tende vers la parité dans la composition des jurys de sélection des candidats aux postes de dirigeants des institutions dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, et que les listes restreintes de candidats établies par ces jurys soient également paritaires, ou en tout cas tendent vers la parité – il y a, en général quatre candidats sur ces listes restreintes.
Les résultats ont été extrêmement positifs et parlants : le simple fait d'avoir institué des commissions de sélection elles-mêmes paritaires – et que cela se sache – a permis de susciter plus de 50 % de candidatures féminines, contre moins de 20 % auparavant.
Nous évoquons des blocages psychologiques, la timidité ou la sous-évaluation de soi-même qu’ont les femmes, mais des mécanismes institutionnels permettent de lever ces blocages.
Ainsi, nous avons pu nommer Irina Brook au Théâtre national de Nice.
Plus généralement, depuis mon arrivée au ministère de la culture, j’ai eu à nommer neuf dirigeants de Centres dramatiques nationaux.
Sur ces neuf nominations, quatre femmes ont été nommées. Je nommerai bientôt une dixième personne : il y aura alors cinq hommes et cinq femmes.
La parité est atteinte sans que je n’aie jamais in fine fait prévaloir le critère du sexe. C’est simplement sur la qualité des projets présentés, sur la détermination et la volonté des candidates que j’ai pris mes décisions. D’ailleurs, elles ont souvent affirmé que la présence de femmes – à parité – dans les commissions et la volonté affirmée de reconnaître une plus juste place aux femmes leur avait donné cette confiance dont on leur reproche de ne pas faire suffisamment preuve.
Ces résultats sont encourageants.
De même, j’ai nommé six femmes directrice régionale des affaires culturelles. Cela permet de rééquilibrer progressivement la place des femmes parmi les dirigeants des services déconcentrés de l’État, pour ce qui concerne le ministère de la culture.
Par ailleurs, Sophie Makariou vient d’être nommée à la direction du Musée Guimet et Frédérique Bredin, à la tête du CNC.
Évidemment, cette politique a suscité des critiques, voire des polémiques. Mais c’est peut-être l’hommage du vice à la vertu – même si je ne veux pas m’arroger des valeurs comme celle-là.
Néanmoins, c’est le signe que les choses changent. Comme le disait Ariane Mnouchkine dans sa tribune dans Le Monde cet été, c’est le signe que lorsque les femmes arrivent quelque part, cela dérange.